Page images
PDF
EPUB

opposer le jugement de rectification aux collatéraux, quoique ceux-ci n'aient pas été en cause (1).

Nous ne pouvons admettre cette opinion; elle établit une exception au principe sur les effets de la chose jugée; or, l'interprète ne peut pas créer d'exception. Il y a un cas, il est vrai, où un jugement peut être opposé à toute la famille, c'est lorsque le mari intente l'action en désaveu et qu'il échoue (art. 312-314, 317). La raison en est que lui seul a le droit de désavouer l'enfant; de là suit que lui représente réellement toute la famille. Mais il n'en est plus ainsi quand l'action appartient à toutes les parties intéressées. Le mot même de parties intéressées implique que chacune a un intérêt à défendre, et que par suite le elle n'a pas pu le défendre, on ne peut pas lui opposer si jugement auquel elle n'a pas été appelée. On rentre alors dans la règle générale de la chose jugée.

34. Nous ne discutons pas les questions de compétence auxquelles donne lieu la rectification, parce que cette matière appartient à la procédure.

Il y a un cas dans lequel il n'y a pas lieu à rectifier les actes de l'état civil, quoiqu'ils soient irréguliers. Ceux qui veulent se marier doivent produire les actes qui établissent soit leur âge, soit la mort de leurs parents; quand ces actes sont irréguliers, faut-il que les futurs époux les fassent rectifier en justice? Un avis du conseil d'Etat du 19 mars 1808, approuvé par l'empereur, décide que pour les diverses irrégularités qu'il prévoit, il n'est pas nécessaire de recourir aux tribunaux ; on peut voir, dans l'avis même, comment le conseil a cherché à remédier à ces erreurs (2).

[blocks in formation]

De la preuve résultant des actes de l'état civil.

35. Les registres de l'état civil sont des actes authentiques et ils font foi comme tels. Chose singulière, la ioi

(1) Duranton, t. Ier, p. 264, no 346. Cette opinion est suivie par CoinDelisle, Commentaire analytique du titre II, p. 89, et par Marcadé, l. 1er, p. 227, no 4. (2) Locré, Législation civile, t. II, p. 157, no 33.

ne le dit pas; elle se borne à déclarer que les extraits délivrés conformes aux registres font foi jusqu'à inscription de faux (article 45). Le projet du titre II, adopté dans la séance du 22 fructidor an x, portait formellement : « Ces actes et les extraits. » Pourquoi les mots ces actes ont-ils été supprimés? Est-ce une faute de copie ou d'impression, comme le suppose Demante? ou a-t-on retranché ces mots comme inutiles (1)? Quoi qu'il en soit, il est évident que les registres sont des actes authentiques; la définition que l'article 1317 donne de l'acte authentique s'applique aux actes de l'état civil; ils sont reçus par des officiers publics ayant le droit d'instrumenter en vertu de la loi, en observant les solennités qu'elle prescrit. Nous n'aurions pas de texte, qu'il faudrait encore le décider ainsi. Pourquoi la loi a-t-elle institué des officiers chargés de recevoir les actes de l'état civil? C'est précisément pour que les citoyens eussent des preuves authentiques de leur état. Si les registres n'étaient pas authentiques, ils n'auraient pas de raison d'être. Le texte de l'article 45, bien que mutilé, suffit pour l'attester. Les extraits, c'est-à-dire les copies des registres, ont la force probante attachée aux actes authentiques; à plus forte raison les registres doivent-ils être authentiques; car l'authenticité de la copie ne peut dériver que de l'authenticité de l'original (2).

36. Les extraits sont également des actes authentiques, sous les conditions déterminées par l'article 45. Ils doivent d'abord être délivrés conformes aux registres, ce qui veut dire, dans l'opinion commune des auteurs, que l'officier de l'état civil atteste que l'extrait est conforme aux registres, qu'il en est la copie exacte. C'est à raison de cette conformité qu'il fait foi; ce qui prouve qu'il puise sa force probante dans l'authenticité de l'original. Il faut de plus, pour que l'extrait fasse foi, qu'il soit légalisé par le président du tribunal. La légalisation, dit Toullier, est un certificat écrit par le juge au pied de l'extrait et constatant que celui qui l'a fait est revêtu des fonctions qui lui don

(1) Demante, Cours analytique, t. Ier, p. 159, no 90 bis, I. (2) Merlin, Répertoire, au mot Etat civil, § 2.

nent le droit de délivrer des extraits; la légalisation atteste donc deux choses, la vérité de la signature et la qualité du signataire. Ce n'est pas la légalisation qui constitue l'authenticité, elle l'atteste seulement à ceux qui ne connaissent pas la signature de l'officier public (1).

Toullier ajoute que les extraits font foi sans légalisation dans l'étendue de l'arrondissement où ils ont été reçus. Il faut le décider ainsi, dit Marcadé, par analogie des actes notariés; ceux-ci font foi dans le ressort où le notaire a le droit d'instrumenter, parce que la signature du notaire est censée connue des tribunaux. Par égale raison, la signature des officiers de l'état civil doit être réputée connue dans l'arrondissement où ils remplissent leurs fonctions (2). Cette opinion doit être rejetée. Elle est contraire au texte de l'article 45 qui exige la légalisation sans distinction aucune. S'il en est autrement pour les actes notariés, c'est que, d'après la loi du 25 ventôse an xi (art. 49), les notaires doivent déposer au greffe de chaque tribunal de première instance de leur département, leur signature et leur parafe. Voilà l'obligation sur laquelle est fondée la présomption que la signature des notaires est connue. La loi n'impose pas la même obligation aux officiers de l'état civil; dès lors il n'y a pas même raison de réputer leur signature connue dans l'arrondissement.

37. Les extraits donnent lieu à une difficulté plus sérieuse. Ce sont des copies d'un acte authentique. Faut-il leur appliquer les principes posés au titre des Obligations sur la foi qui est due aux copies? D'après les articles 1334 et 1335, les copies d'un acte notarié ne font pas foi, tant que l'original existe; en ce sens que l'on peut toujours demander que l'original soit représenté par celui qui produit le titre. Et quand l'original n'existe plus, les copies ne font foi que d'après diverses distinctions qu'on peut lire dans l'article 1335; il nous suffit de remarquer que les grosses ou premières expéditions font seules la même foi que l'original. Il est évident que ces distinctions ne peuvent s'ap

(1) Toullier, t. Ier, f. 278, no 307. Hutteau d'Origny, De l'état civil, p. 111, n° 3. (2) Marcadé, Cours élémentaire, t. Ier, p. 183, no 2.

pliquer aux actes de l'état civil, puisque l'article 45 met tous les extraits, c'est-à-dire toutes les copies, sur la même ligne; il n'est pas question de grosses pour les actes de l'état civil. Mais on demande si la disposition de l'article 1334 est applicable aux extraits? Celui à qui l'on oppose un extrait peut-il exiger que l'on représente le registre? Duranton dit qu'il faut appliquer le principe général de l'article 1334 à toutes les copies des actes authentiques, partant aux extraits (1). Nous croyons que l'article 45 déroge au droit commun. Le texte met les extraits sur la même ligne que les registres; pour mieux dire, il ne parle pas même des registres, de sorte qu'il semble considérer les extraits comme étant les vrais actes de l'état civil. Une chose est certaine, c'est que les extraits font foi par eux-mêmes dès qu'ils réunissent les conditions voulues par la loi; il n'est pas nécessaire de représenter les registres, parce que l'extrait est délivré conforme au registre; il fait donc par lui-même preuve de sa conformité à l'original. D'où suit que celui qui a un extrait n'a plus rien à prouver.

Ainsi l'article 45 déroge à l'article 1334. Marcadé explique très-bien la raison pour laquelle le législateur suit des principes différents dans les deux cas. Quand il s'agit d'un acte notarié, il y a peu d'inconvénients à exiger la représentation de l'original, car cet original est une feuille volante qui peut facilement être transmise au tribunal et sans que les intérêts des tiers en souffrent. Tandis que les registres contiennent un grand nombre d'actes dont, d'un instant à l'autre, on peut demander un extrait. Que ferait-on si les registres étaient déplacés? Et s'ils s'égaraient, comment les remplacerait-on? Marcadé conclut que la représentation des registres ne peut jamais être demandée. En cela, nous semble-t-il, il dépasse le texte et l'esprit de l'article 45. Tout ce qui en résulte, c'est que le porteur de l'extrait n'a rien à prouver. Mais celui à qui on l'oppose ne peut-il pas soutenir que l'extrait, quoique certifié conforme, n'est pas conforme au registre? et faudra

(1) Duranton, Cours de droit français, t. Ier, p. 222, no 299.

t-il, pour établir la non-conformité, qu'il s'inscrive en faux? n'est-il pas beaucoup plus simple que l'on confronte la copie avec l'original? C'est l'interprétation que Maleville donne à l'article 45; elle évite la longue et coûteuse procédure de l'inscription en faux, et maintient la foi due à l'extrait (1). Il n'est pas précisément nécessaire de déplacer les registres; le tribunal peut l'ordonner, s'il n'y trouve aucun inconvénient; il peut aussi prescrire un compulsoire en la présence des parties; le procès-verbal qui en sera dressé tiendra lieu de l'apport du registre.

38. L'article 45 dit que les extraits font foi jusqu'à inscription de faux. Tout le monde reconnaît que cette disposition est trop générale. On s'accorde à enseigner que les actes de l'état civil font foi, tantôt jusqu'à inscription de faux, tantôt jusqu'à preuve contraire, et qu'il y a même des cas où ils ne font aucune foi. Mais la difficulté est grande de préciser les principes qui régissent la force probante des extraits. Nous croyons qu'il faut appliquer aux actes de l'état civil les règles générales que la doctrine pose sur la preuve qui résulte des actes authentiques. Nous disons la doctrine, car l'on sait que les articles 1319 et suivants sont très-mal rédigés. Rappelons en deux mots ce que les auteurs enseignent. L'acte authentique emprunte sa force probante à l'intervention de l'officier public, lequel a mission d'imprimer l'authenticité aux actes qu'il reçoit; la loi présume que ce qu'il dit est la vérité, car il ne peut manquer à ses devoirs sans s'exposer à la peine du faux. Se fondant sur cette présomption de véracité, le législateur décide que l'on ne peut attaquer la foi due à l'acte authentique qu'en soutenant qu'il est faux. De là l'inscription en faux qui peut être ou une plainte criminelle dirigée contre l'auteur du faux, ou une plainte civile dirigée contre l'écrit que l'on prétend faux ou falsifié. Mais tout ce qui se trouve constaté dans un acte authentique fait-il foi jusqu'à inscription de faux? Non. Si l'on accorde une foi si grande à l'acte authentique, c'est parce que l'officier

(1) Maleville, Analyse de la discussion du code civil, t. Ir, p. 74. Comparez Demante, Cours analytique, t. Ier, p. 159, no 90 bis, II.

« PreviousContinue »