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levée. Ceux qui ont formé l'opposition peuvent s'en désister volontairement. La mainlevée volontaire est-elle soumise à des formes? En disant que les parties doivent remettre la mainlevée à l'officier public, la loi semble exiger un acte. L'article 67 est plus explicite; il veut que l'officier de l'état civil fasse mention, sur le registre des publications, et en marge des inscriptions des oppositions, des jugements ou des actes de mainlevée dont expédition lui aura été remise. Il suit de là qu'il faut régulièrement un acte reçu par notaire et en minute. Il y a une raison pour cela. L'opposition étant un acte solennel, on conçoit que la mainlevée soit aussi authentique, afin que l'officier public ne soit pas dans le cas de célébrer un mariage sur une mainlevée qui pourrait être contestée. Toutefois la loi ne prescrivant pas l'acte notarié sous peine de nullité, on décide, et avec raison, qu'un acte équipollent suffit, pourvu qu'il soit authentique. Tel serait un acte d'huissier. Telle serait encore la déclaration de l'opposant reçue par l'officier de l'état civil, lors de la célébration du mariage (1).

398. Si l'opposant refuse de se désister, le futur époux contre lequel l'opposition est dirigée, doit en demander la mainlevée au tribunal. Il a été décidé, et avec raison, que lui seul a ce droit, car c'est lui qui est en cause; s'il garde le silence, l'autre partie ni les parents ne peuvent agir; le droit de poursuivre la mainlevée, comme le droit de se marier, doivent être exercés par la personne intéressée (2).

Devant quel tribunal la demande en mainlevée doit-elle être portée? La cour de Paris a décidé que c'est devant le tribunal du domicile de l'opposant, par application de la règle générale qui oblige le demandeur, en matière personnelle, à assigner le défendeur devant le tribunal dans le ressort duquel celui-ci est domicilié. Mais est-ce bien le cas d'appliquer le droit commun? La négative est évidente. Aux termes de l'article 176, l'acte d'opposition doit contenir une élection de domicile sous peine de nullité. Or, l'élection de domicile est attributive de juridiction.

(1) C'est l'opinion générale (Demolombe, t. III, p. 262, no 164). (2) Dalloz, Répertoire, au mot Mariage, no 304.

L'article 111 le dit de l'élection volontaire. Il en doit être de même quand l'élection est commandée par la loi, car l'élection ne change pas de nature pour être légale. Tel est d'ailleurs l'unique but de l'élection de domicile prescrite par l'article 176. C'est le Tribunat qui a proposé l'article 176; et comment motive-t-il sa proposition en ce qui concerne l'élection de domicile? I importe, dit-il, que les parties ne soient pas tenues d'aller chercher l'opposant dans un autre lieu que celui où le mariage doit être célébré. Cela décide la question. La jurisprudence ainsi que la doctrine se sont prononcées en ce sens (1).

399. Quand le tribunal doit-il prononcer la mainlevée? Il le doit dès qu'il n'y a pas d'empêchement légal au mariage, soit dirimant, soit prohibitif. Le principe est évident et admis par tout le monde. Il a cependant donné lieu à des difficultés dans son application aux ascendants. Leur opposition ne doit pas être motivée sur un empêchement légal. N'est-ce pas dire qu'ils peuvent former opposition pour un empêchement moral, et que les tribunaux ont un pouvoir discrétionnaire d'accueillir ou de rejeter cette opposition? Plusieurs cours ont interprété la loi en ce sens, et dans des circonstances şi malheureuses, si navrantes, que l'on ose à peine critiquer leurs arrêts. Deux fois il est arrivé qu'une jeune fille, majeure pour le mariage, a été séduite par un forçat libéré qui servait comme domestique dans la maison du père. Cette opposition a été accueillie par les cours de Caen et de Bourges. * Dans l'ancienne jurisprudence, dit l'arrêt de Bourges, ce misérable eût payé le crime de séduction de sa vie; si la loi s'est relâchée de cette sévérité, au moins ne doit-on pas réduire un père à cet état affreux de voir son nom déshonoré par une alliance infâme, son petit-fils flétri dans l'opinion publique, même avant que de naître, et sa fille elle-même réduite, quand l'égarement des sens sera calmé, à pleurer toute sa vie l'infamie et le malheur auquel un pareil mariage la conduirait. »

(1) Voyez les témoignages dans Dalloz, au mot Mariage, no 305. Il faut ajouter un arrêt de rejet de la cour de cassation, du 16 mars 1859 (Dalloz, Recueil périodique, 1859, 1, 316).

C'est un cri échappé du cœur, mais les arrêts de la justice ne sont pas une affaire de sentiment; il faut des motifs juridiques pour admettre une opposition à un mariage; et, avouons-le, les motifs allégués par les cours de Caen et de Bourges sont d'une faiblesse extrême. La loi, disentelles, permet l'opposition du père sans déterminer les motifs qui y peuvent donner lieu; dès lors on ne peut pas les limiter aux empêchements légaux; le père étant le meilleur ami de ses enfants, le plus intéressé à leur bonheur, le gardien de l'honneur de sa famille, la loi a voulu l'investir d'une magistrature illimitée, sauf aux tribunaux à examiner si les raisons qu'il allègue sont fondées. Ce singulier raisonnement n'a pas trouvé faveur devant la cour de cassation; elle a cassé l'arrêt de Bourges. L'interprétation qu'il donne aux articles 173 et 176 est inadmissible, dit la cour suprême. En effet, il en résulterait que l'ascendant aurait encore le droit d'empêcher le mariage, alors que l'enfant majeur peut le contracter malgré son refus; il en résulterait que les tribunaux seraient indirectement appelés à donner ou à refuser le consentement à un mariage pour lequel le futur époux n'a plus besoin de consentement. En vain dit-on que le droit d'opposition des ascendants serait illusoire, si le tribunal devait en prononcer la mainlevée dès qu'il n'y a pas un empêchement légal au mariage. Non, ce droit n'est pas illusoire; les orateurs du gouvernement et du Tribunat ont très-bien expliqué que le but de cette opposition non motivée était d'arrêter le mariage, et de donner par là le temps aux mauvaises passions de se calmer. Le père, dit Portalis, se rend opposant parce qu'il sait que le temps est une grande ressource contre les déterminations qui peuvent tenir à la vivacité du caractère ou à la fougue des passions. “ La sage lenteur des tribunaux, dit Gillet, peut encore, entre l'impétuosité des passions et la célébration du mariage, ménager, au profit de la réflexion, d'utiles intervalles (1). »

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(1) Voyez les arrêts dans Dalloz, u° 264-265. Il faut ajouter un arrêt de Pau du 18 juin 1867 (Dalloz, Recueil périodique, 1867, 2, 144). Comparez Merlin, Répertoire, aù mot Opposition, article 173, no 4 (t. XXII, p. 95 et s.).

Merlin s'étonne de ce que des cours d'appel aient admis une interprétation de la loi qui est une vraie violation de la loi; heureusement, dit-il, que la cour de cassation a réprimé cet excès de pouvoir. Il y a souvent des luttes douloureuses entre le cri de la conscience et les exigences de la légalité; trop souvent les magistrats se laissent entraîner par la puissance des faits, et ils cherchent à échapper à la rigueur de la loi par des raisons telles quelles. C'est une tendance dangereuse; voilà pourquoi nous applaudissons avec Merlin à la sage sévérité de la cour de cassation. Il ne faut pas que les juges aient la prétention d'être plus sages que le législateur. Nous disons plus : dans l'espèce, et malgré la révolte du cœur, le législateur a raison. C'est le plus grand bien de l'homme qui est en cause, la liberté. Il arrive un âge où il doit être libre de gouverner sa personne et de diriger sa destinée. L'homme peut abuser de sa liberté, dira-t-on. Soit, c'est à ses risques et périls. Mieux vaut la liberté avec ses excès qu'une servitude éternelle.

400. Nous avons déjà fait la remarque que les tribunaux aiment à prendre parti pour les parents contre les enfants. C'est un sentiment très-louable, mais il ne faut pas oublier que les enfants, de leur côté, ont un droit; arrivés à un certain âge, ils peuvent se marier sans le consentement de leurs ascendants. Or, les droits sont placés sous la protection de la justice; le juge a donc le devoir de respecter le droit de l'enfant et de le faire respecter. La cour de Paris a ordonné à une fille majeure de quitter le domicile de son futur époux avec lequel elle vivait en concubinage, et d'aller habiter chez un oncle. Chose étrange! L'arrêt invoque la liberté de la jeune fille : dominée, dit-il, par la séduction de tous les jours, de tous les instants, elle n'est pas libre d'écouter les conseils de ses parents; c'est pour assurer sa liberté que le juge lui ordonne de se retirer dans une maison où elle pourra voir librement les personnes de sa famille (1). La cour ne voit pas que sous le prétexte de garantir la liberté, elle la dé

(1) Arrêt du 21 février 1825 (Dalloz, au mot Mariage, no 322).

truit. Le majeur est libre de disposer de sa personne; l'empêcher d'user de cette liberté, c'est la violer. Sans doute, il en peut abuser. Mais la liberté, par son essence, n'implique-t-elle pas la faculté de l'abus? La liberté de ne faire que le bien aboutirait à la servitude, car il faudrait à l'homme un guide qui l'empêchât de dévier de la voie du devoir. Que deviendrait alors sa liberté? Une servitude déguisée.

La question a été décidé en ce sens par la cour de cassation. Une jeune fille, mêlée dès sa plus tendre enfance aux querelles qui troublaient le ménage de ses parents, vécut séparée de son père depuis l'âge de neuf ans, sous la domination de son aïeule maternelle, qui conserva toujours les animosités et les rancunes que la mort de sa fille aurait dû éteindre. A peine majeure, elle somma son père de consentir au mariage qu'elle voulait contracter sous l'inspiration de son aïeule. Le père y forma opposition. Sous l'empire des faits que nous venons de résumer, la cour de Montpellier décida que pendant trois mois il serait sursis à la célébration du mariage; que, durant ce temps d'épreuve, la jeune fille se retirerait chez son père ou dans une maison tierce, à son choix, et qu'elle recevrait son père chaque fois qu'il jugerait convenable de lui apporter ses conseils. La cour dit, à l'appui de cette décision, que les tribunaux, saisis de l'opposition et pouvant y faire droit, ont par cela même la faculté de prescrire les mesures nécessaires pour sauvegarder l'autorité paternelle et garan tir la liberté du consentement. C'était encore une fois une lutte entre les faits et la loi. La cour de cassation cassa l'arrêt de Montpellier pour excès de pouvoir. Il est certain que l'autorité paternelle était invoquée à tort. Quand l'enfant a atteint sa majorité, il n'y a plus de puissance paternelle. A la vérité, il doit toujours respect à ses père et mère, mais la loi a pris soin de définir à quoi l'enfant est tenu, à raison de ce respect, quand il se marie; dès qu'il fait des actes respectueux, il a le droit de contracter mariage. Le père peut encore former opposition, mais la loi veut que la demande en mainlevée soit jugée dans les plus brefs délais; elle ne donne pas au tribunal le droit de surseoir

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