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pendant un temps plus ou moins long à la célébration du mariage, ni de prescrire de nouvelles épreuves. Une pareille décision, dit la cour suprême, porte atteinte à la liberté qu'a l'enfant de contracter mariage quand il a satisfait à toutes les prescriptions légales (1).

401. Un père forme opposition au mariage de sa fille pour cause de démence; le tribunal peut-il, par applicasion de l'article 174, prononcer mainlevée pure et simple de l'opposition, ou doit-il admettre l'opposant à provoquer l'interdiction? A première vue, on serait tenté de croire que le texte de la loi ainsi que son esprit décident la question en faveur de l'ascendant. En effet, le code donne aux ascendants un pouvoir illimité d'opposition, tandis qu'il circonscrit le droit des collatéraux dans des limites trèsétroites; craignant que, même dans ces limites, les collatéraux n'abusent du droit qu'il leur accorde en alléguant la folie, il permet au tribunal de réprimer cet abus en prononçant immédiatement la mainlevée. Mais, dit un arrêt de la cour de Bruxelles, ces limitations ne sont ni dans le texte ni dans l'esprit de la loi, lorsqu'il s'agit de l'opposition des ascendants; le législateur présume que chez eux l'affection seule dicte l'opposition qu'ils forment, tandis que trop souvent les collatéraux n'écoutent que leur intérêt. Merlin dit que cet arrêt paraît avoir saisi le véritable esprit du code civil (2). La jurisprudence française s'est prononcée dans un sens contraire, ainsi que la doctrine, et nous croyons que c'est avec raison. Si le texte ne parle pas des ascendants, c'est par une raison très-simple; ils ne doivent pas motiver leur opposition, et d'ordinaire ils ne le font pas; dès lors la loi ne pouvait pas prévoir le cas où un père motiverait son opposition sur la démence du futur époux. Mais s'il le fait, le tribunal ne peut-il pas de suite rejeter cette opposition, s'il la croit mal fondée? C'est le droit commun en matière d'opposition et même en toute matière. Pourquoi le juge permettrait-il d'entamer une procédure, alors qu'il est convaincu d'avance que l'oppo

(1) Arrêt du 8 décembre 1856 (Dalloz, Recueil périodique, 1856, 1, 436). (2) Merlin, Répertoire, au mot Opposition, article 174, no 6 (t. XXII, p. 105 et suivJ.

sition n'est pas sérieuse? Ce serait le forcer à arrêter un mariage, alors que le vrai esprit de la loi en permet la célébration (1).

402. L'opposition des ascendants a encore soulevé une autre difficulté. Un père fait opposition au mariage de son fils majeur de vingt-cinq ans, en la fondant sur une demande intentée en justice et ayant pour objet de donner un conseil à son fils pour cause de prodigalité. L'opposition a été accueillie par la cour de Caen, en ce sens qu'il serait sursis au mariage pendant quatre mois, temps suffisant pour faire statuer sur l'instance. Il est vrai que la prodigalité n'est pas un empêchement au mariage, mais quand le prodigue est placé sous conseil, il ne peut disposer de ses biens qu'avec son assistance. Or, n'importet-il pas que cette assistance soit assurée au prodigue, précisément dans le contrat où sa faiblesse le porterait à disposer à tort et à travers de sa fortune? Cela est vrai, mais cela autorise-t-il le tribunal à arrêter la célébration du mariage, alors qu'il n'y a aucun empêchement légal? L'arrêt de Caen invoque le texte et l'esprit de la loi. De texte, il n'y en a pas; quant à l'esprit de la loi, il n'est pas douteux. Elle veut que la procédure en mainlevée se fasse avec une rapidité tout exceptionnelle (art. 177,178). Dès lors, c'est un devoir pour le juge de prononcer la mainlevée de suite, dès qu'il n'y a pas d'empêchement légal. Dalloz, qui approuve la décision de la cour de Caen, avoue qu'il y a ici un peu d'arbitraire; mais, dit-il, est-ce trop, quand il s'agit du bonheur des enfants, d'accorder, sous la tutelle des tribunaux, un pareil effet à la puissance paternelle (2)? Cela s'appelle décider les questions de droit par des mots. Répétons que la puissance paternelle n'était pas en cause, puisque l'enfant était majeur de vingt-cinq ans. Reste donc l'arbitraire avoué. Qu'il y en ait peu ou beauconp, qu'importe? Le juge qui se permet le moindre arbitraire est coupable; et le jurisconsulte ne doit pas oublier que les lois sont faites pour éviter l'arbitraire.

(1) Ainsi décidé par deux arrêts de Caen, du 12 octobre 1857 et du 5 janvier 1858 (Dalloz, Recueil périodique, 1859, 2, 82). Comparez Demolombe, t. III, p. 233, no 141.

(2) Dalloz, Répertoire, au mot Mariage, no 266.

N° 3. DU JUGEMENT DE MAINLEVÉE.

403. L'article 177 dit que le tribunal de première instance prononcera dans les dix jours sur la demande en mainlevée. S'il y a appel, ajoute l'article 178, il y sera statué dans les dix jours de la citation. Pourquoi la loi prescrit-elle cette célérité tout à fait exceptionnelle? Les dispositions que nous venons de transcrire prouvent que le législateur tient à garantir le droit de ceux contre lesquels l'opposition est dirigée. Y a-t-il un empêchement légal, il est juste que le mariage soit arrêté. Mais s'il n'y en a pas, il est tout aussi juste que le mariage puisse être célébré. C'est plus qu'une question d'équité. Quand il n'existe pas d'empêchement, ni dirimant ni prohibitif, le droit de contracter mariage est absolu; or, ce droit pourrait être compromis par un long retard, l'expérience prouvant, comme le dit Toullier, que les retardements font souvent échouer les mariages. Preuve que les tribunaux, loin de se servir de l'opposition pour arrêter les mariages, doivent écarter les obstacles mal fondés qu'on leur oppose; à plus forte raison, ne doivent-ils pas créer des obstacles que la loi ignore.

Faut-il conclure des articles 177 et 178 que l'instance est périmée par cela seul qu'il n'y est pas statué dans les dix jours? La cour de cassation a décidé avec raison la négative; en effet la loi ne prononce pas la péremption, et il n'y avait pas lieu à la prononcer; car c'est uniquement dans l'intérêt de ceux qui demandent la mainlevée que la loi prescrit les brefs délais. D'où suit que ceux qui ont formé l'opposition ne peuvent jamais s'en prévaloir (1).

404. On demande si le recours en cassation est suspensif. La loi qui a institué la cour de cassation répond à la question. Elle porte que la demande en cassation n'arrête pas l'exécution du jugement, et que, dans aucun cas et sous aucun prétexte, il ne pourra être accordé de surséance. » Il est vrai qu'il y a quelques exceptions à

(1) Arrêt du 4 novembre 1807 (Dalloz, au mot Mariage, no 312).

cette règle. Il y en a une en matière de divorce (art. 263). On s'en est prévalu pour soutenir qu'il en devait être de même, par identité de raison, en matière d'opposition. En effet, si l'arrêt vient à être cassé, et si le mariage a été célébré, que fera-t-on? Annulera-t-on le mariage? Quel trouble dans les familles ! Le maintiendra-t-on? Voilà un mariage déclaré illégal par la cour suprême, qui sera légal! Quelle atteinte portée à l'autorité de la loi!

Merlin fait une réponse péremptoire à ce raisonnement. En matière de lois exceptionnelles, on ne raisonne pas par analogie ni par identité de motifs. Y a-t-il d'ailleurs analogie? Non. Le législateur n'a autorisé le divorce qu'à regret; il devait donc suspendre l'exécution de l'arrêt qui l'admet. Au contraire, il favorise le mariage et il a hâte en quelque sorte d'écarter les oppositions qui l'entravent; il devait donc maintenir la règle en vertu de laquelle le pourvoi en cassation n'est pas suspensif. La jurisprudence est d'accord avec la doctrine (1).

405. Si, après un arrêt qui prononce la mainlevée, le mariage est célébré, et si ensuite la cour de cassation casse l'arrêt, le mariage sera-t-il aussi annulé? Marcadé l'a soutenu. La cassation d'un arrêt, dit-il, met cet arrêt au néant et le fait réputer non avenu; il opère donc nullité de tout ce qui a été fait en vertu de l'arrêt cassé. Or, le mariage a été célébré en vertu de l'arrêt qui a prononcé la mainlevée, donc il doit tomber avec cet arrêt (2). Cette opinion est une de ces doctrines singulières que Marcadé a imaginées, et qui lui ont donné la réputation d'un esprit original. Il y a une originalité de mauvais aloi, c'est celle qui va à la recherche d'opinions nouvelles; la science du droit comporte peu d'innovations, elle est essentiellement traditionnelle, et quand il y a lieu à innover, c'est le législateur qui le fait et non l'interprète. La mission du jurisconsulte n'est donc pas de faire la chasse aux nouveautés; elle est plus modeste, mais aussi plus sûre : il doit appli

(1) Merlin, Répertoire, au mot Opposition, article 178, n° 3 (t XXII, p. 111). La question a été décidée en ce sens par un arrêt de Rouen du 7 décembre 1859 (Dalloz, Recueil périodique, 1861, 5, 308, no 9).

(2) Marcadé, Cours élémentaire, t. Ier, p. 447, n° 2 de l'article 178.

quer les principes aux questions qui se présentent dans fapplication de la loi, et ces principes, il les puise dans la lof même et dans la tradition. Voyons donc si Marcadé à fait une juste application des principes.

Son opinion n'a pas trouvé faveur. On l'a combattue, en signalant les graves inconvénients, les conséquences absurdes qui en résultent. Quoi! dit-on, un arrêt prononce la mainlevée d'une opposition, il n'y a plus d'obstacle au mariage, l'officier de l'état civil le célébré et il est obligé de le célébrer. Puis intervient un arrêt de cassation qui casse et annule le mariage. Quel trouble, quel bouleversement dans les familles ! Ce n'est pas tout. La cour devant laquelle l'affaire est renvoyée peut prononcer de nouveau la mainlevée, et de nouveau le mariage pourra, devra être célébré, et il será valable jusqu'à ce qu'un second arrêt de cassation vienne l'annuler une seconde fois. Se joué-t-on ainsi d'un contrat qui est la base de la moralité, le fondement de l'ordre social? Supposons que, malgré un arrêt qui maintient l'opposition, le mariage soit célébré, il sera néanmoins valable, à moins qu'il n'y ait un empêchement dirimant quí l'annule; et l'on veut que le mariage soit cassé, alors qu'il est célébré en vertu d'un arrêt (1)!

Tout cela est vrai, mais Marcadé ne pourrait-il pas répondré: « Les inconvénients que vous signalez découlent du principe que le pourvoi en cassation n'est pas suspensif en matière d'opposition. C'est au législateur à y porter remède. Quant à l'interprète, il n'a pas à se préoccuper des avantages ni des inconvénients que présente une loi, il doit l'appliquer telle qu'elle est. Ce n'est donc pas par les conséquences qui dérivent de la cassation, qu'il faut combattre mon opinion; prouvez-moi que mon raisonnement est faux. Nous croyons, en effet, que l'argumentation de Marcadé porte à faux. Sans doute, la cassation de l'arrêt entraîne l'annulation de tout ce qui s'est fait en éxécution de cet arrêt. Mais qu'entend-on par exécution? C'est l'exécution forcée qu'un créancier poursuit contre son débiteur, et à laquelle celui-ci ne peut pás

(1) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. III, p. 267, no 170.

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