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échapper, puisque le pourvoi n'est pas suspensif. Quand ensuite l'arrêt est cassé, les choses sont replacées, et elles peuvent l'être, dans l'état où elles étaient avant l'arrêt; car il ne s'agit que d'intérêts pécuniaires à régler. Peut-on en dire autant d'un arrêt qui prononce la mainlevée d'une opposition? Y a-t-il là une exécution forcée que l'une des parties poursuit contre l'autre? Non, certes, car un seul des futurs époux est en cause; et l'arrêt se borne à décider qu'il n'y a pas d'obstacle légal à son mariage. Est-ce à dire que le mariage, s'il se célèbre, sera l'exécution forcée de l'arrêt? La question ne peut pas même être posée. Dès lors, quand l'arrêt est cassé, on ne peut pas dire que le mariage doit tomber, comme ayant été célébré en exécution de l'arrêt. Et cela est aussi fondé en raison. On conçoit que la cassation annule ce qui a dû se faire par suite de l'exécution forcée de l'arrêt. On ne conçoit pas qu'il annule ce qui aurait pu, à la rigueur, se faire sans l'arrêt. Le mariage sera donc maintenu.

406. Si l'opposition est rejetée comme nulle en la forme, peut-elle être renouvelée? On admet assez généralement l'affirmative, et avec raison. C'est le droit commun. Il faudrait donc une disposition formelle qui défendît toute opposition nouvelle. On cite les articles 177 et 178, qui prescrivent de juger les demandes en mainlevée dans les plus brefs délais : donc l'esprit de la loi défend, dit-on, de renouveler sans cesse les oppositions. La conséquence n'est pas logique. De ce que la loi veut qu'une instance soit promptement vidée, cela ne prouve pas qu'il ne puisse y avoir une instance nouvelle.

Nous croyons qu'il en est de même, si la demande en mainlevée a été rejetée au fond. Ce point est cependant controversé; on dit qu'il est impossible d'admettre des oppositions successives qui retarderaient indéfiniment la célébration du mariage. Nous répondons que cet argument s'adresse au législateur; dans le silence de la loi, les tribunaux doivent recevoir toute action, et on ne peut opposer que les fins de non-recevoir consacrées par la loi. Il faudrait donc un texte qui n'existe pas. Mais est-il vrai que la loi permet des oppositions sans cesse renouvelées?

Il y a des opposants qui ne peuvent alléguer qu'une seule cause c'est le conjoint; si son opposition est rejetée, il ne la peut certes pas renouveler, car on le repousserait par l'exception de chose jugée. Les collatéraux, le tuteur et le curateur peuvent former opposition pour deux causes seulement; il pourra donc tout au plus y avoir deux oppositions, ce qui sera encore très-rare. Restent les ascendants si leur opposition n'est pas motivée, ils ne peuvent en faire une nouvelle non motivée, on les repousserait encore par l'autorité de la chose jugée. Que s'ils allèguent un empêchement et s'ils succombent, ils pourront à la rigueur en alléguer un autre, mais ces débats aussi ont leur terme, car les empêchements sont limités et peu nombreux (1).

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N° 4. DES DOMMAGES-INTÉRÊTS.

407. « Si l'opposition est rejetée, les opposants, autres néanmoins que les ascendants, pourront être condamnés à des dommages-intérêts.» (Art. 179.) L'opposition peut être tracassière, méchante; dans ce cas, il y a dol, et partant responsabilité. Il se peut aussi que l'opposition ne soit pas doleuse, cela n'empêchera pas le tribunal de condamner l'opposant à des dommages-intérêts. Portalis le dit: " N'importe qu'il n'y ait eu qu'imprudence ou erreur dans la personne qui a cru devoir se rendre opposante: il n'y a point à balancer entre celui qui se trompe et celui qui souffre. La loi est conçue en ce sens, elle donne aux tribunaux un pouvoir discrétionnaire. Il y a exception pour les ascendants. Non que leur opposition ne puisse être injuste; les parents peuvent avoir leurs préjugés, comme les enfants ont leurs passions. Si la loi ne veut pas qu'on les condamne à des dommages-intérêts, c'est, dit Portalis, que le père est déjà trop malheureux de la résistance de son enfant et de l'union qu'il va contracter. Le punir encore en lui

(1) Comparez Demolombe, t. III, p. 274, n° 176.Voyez, en sens contraire, un arrêt de Gand du 27 juin 1834 (Pasicrisie, 1834, 151).

infligeant une condamnation, ce serait le punir pour avoir fait ce qu'il considère comme un devoir (1).

On a soutenu que les ascendants ne devaient pas être condamnés aux dépens, ou qu'au moins les dépens devaient être partagés. Voilà, encore une fois, une de ces opinions qui, à force de vouloir favoriser l'opposition des ascendants, violent la loi. Le code de procédure est on ne peut plus explicite. Toute partie qui succombera, dit l'article 180, sera condamnée aux dépens. Y a-t-il une excep tion en faveur des ascendants? S'il n'y en a pas, l'inter prète peut-il en créer une, en disant que les ascendants ne pouvant pas être condamnés à des dommages-intérêts, në peuvent par cela même être condamnés aux dépens? Ce serait faire la loi ou la modifier, ce qui revient au même. Autre chose sont les dépens, autre chose les dommagesintérêts. L'article 179 du code civil est donc très-conciliable avec l'article 130 du code de procédure; ce qui décide la question, si question il y a. Quant à la compensation des dépens, il faut dire qu'elle est facultative, mais non obligatoire. Nous avons encore un texte; aux termes de l'article 131. les dépens pourront être compensés, én tout ou en partie, entre ascendants et descendants. C'est au tribunal à voir s'il y a lieu d'user de cette faculté (2).

408. Faut-il, pour l'évaluation des dommages-intérêts, appliquer les principes posés au titre des Obligations? Un arrêt de la cour de Bruxelles décide qu'il n'y a pas lieu à l'application des principes généraux (3). Il suffit de lire l'article 1149 pour s'en convaincre. On y lit que « les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé. » Peut-on dire que le futur époux est un créancier ? peut-on dire qu'il a été privé d'un gain? Nous supposons que l'opposition a fait manquer le mariage; est-ce le cas de supputer le profit que cette union aurait procuré? Le mariage et l'opposition qui y est faite ne sont pas une question de dette

(1) Portalis, Exposé des motifs, no 36 (Locré, t. II, p. 388).

(2) Demolombe, t. III, p. 273, n° 175. Arrêt de Bruxelles du 26 décembre 1838 (Pasicriste, 1838, 2, 176).

(3) Arrêt du 29 juillet 1835 (Dalloz, au mot Mariage, no 331).

ni de créance; il s'agit d'intérêts moraux. Si la loi permet de condamner les opposants à des dommages-intérêts, c'est une espèce de peine qu'elle prononce contre ceux qui par malice ou légèreté arrêtent un mariage. Les tribunaux jugeront d'après leur prudence.

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409. Le mariage est un contrat, en ce sens qu'il exige le concours du consentement des futurs époux. Mais le seul consentement ne suffit point, il doit être exprimé dans les formes prescrites par la loi. Le mariage est donc un acte solennel. C'est en présence d'un officier public que les futurs époux doivent consentir; c'est l'officier public qui prononce que les futurs époux sont mariés. Ainsi le consentement ne suffit pas; il faut la solennité. Il est inutile d'insister sur les raisons pour lesquelles le législateur a fait du mariage un acte solennel. Il y a même des contrats et des actes d'intérêt privé que la loi prescrit de recevoir dans les formes qu'elle établit : tels sont les contrats de donation et d'hypothèques, telles sont les conventions matrimoniales et les testaments. Si pour les conventions concernant les biens des futurs époux, la loi exige des solennités, à plus forte raison a-t-elle dû prescrire des formes solennelles pour le mariage, qui est le fondement de la société, la base de la moralité privée et publique.

Faut-il appliquer au mariage les principes qui régissent les contrats et actes solennels? Le code, en parlant des donations nulles en la forme, dit qu'elles doivent être refaites en la forme légale, que le donateur ne peut par aucun acte confirmatif réparer les vices qui l'infectent. C'est dire que les solennités sont requises pour l'exister:cé même de la donation. Ce principe reçoit-il son application au mariage? Nous avons d'avance répondu à la question, en traitant des conditions requises pour l'existence du

mariage (no 271 et suiv.). Il est de l'essence du mariage que le consentement des futurs époux soit reçu par un officier de l'état civil et que l'union soit prononcée par lui. Les autres formes ne sont pas substantielles, en ce sens qu'elles ne sont pas prescrites pour que le mariage existe. Mais le sont-elles pour la validité du mariage? doivent-elles être observées à peine de nullité?

410. Non; le mariage intéresse à un trop haut degré le bonheur des familles et la conservation de la société, pour que le législateur en ait permis l'annulation à raison de l'inaccomplissement de la moindre formalité. L'annulation du mariage produirait plus de mal qu'il n'en résulterait du maintien d'un mariage, quoique fait en violation de la loi. C'est au législateur à voir quelles sont les formalités dont l'observation est assez importante pour qu'il y attache la peine de nullité. Il n'y en a que deux, la publicité et la compétence de l'officier de l'état civil. Pourquoi la loi permet-elle d'annuler le mariage, quand il n'a pas été célébré publiquement, ni devant l'officier compétent? Le mariage doit être public, d'abord parce que la publicité empêche les mariages pour lesquels il y aurait un empêchement dirimant; et la société est intéressée à prévenir des unions que la loi réprouve et annule. Ensuite la publicité assure la stabilité des mariages: contractés dans un esprit de perpétuité, il importe qu'ils soient célébrés à la face de la société, afin qu'ils soient à l'abri des passions mobiles de l'homme. C'est la raison pour laquelle les diverses religions les placent sous l'invocation de Dieu. Or, la société est l'organe de Dieu; elle donne sa sanction solennelle à l'union indissoluble contractée par les époux. Enfin, le mariage intéresse les tiers et par suite la société, parce qu'il modifie l'état ou les droits des futurs époux. La femme, capable avant de se marier, est frappée d'incapacité juridique après le mariage; tous ceux qui traitent avec elle sont intéressés à connaître ce changement d'état. De son côté, le mari acquiert des droits sur les biens de la femme, et ses immeubles sont frappés d'une hypothèque légale au profit de la femme. Les tiers ont intérêt à connaître ces droits et ces charges. De là la

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