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public atteste ce qu'il accomplit lui-même dans le cercle légal de ses fonctions, ou ce qui se passe devant lui. Mais s'il reçoit des déclarations émanées des parties qui figurent à l'acte, doit-on attacher la même foi à ces déclarations? Ici il faut distinguer. Il y a deux éléments dans les déclarations. D'abord le fait matériel que telle personne a déclaré telle chose; ce fait est attesté par l'officier public, qui a mission de l'attester; il rentre donc dans la règle qui donne force probante jusqu'à inscription de faux à ce que l'officier public dit s'être passé devant lui. Mais que faut-il dire de la vérité des déclarations? L'officier public ne l'atteste pas, il n'a pour cela ni mission ni capacité; on peut donc soutenir que ces déclarations ne sont pas vraies, sans accuser l'officier d'avoir commis un faux. Dès lors il n'est pas besoin de s'inscrire en faux; on reste dans le droit commun; on peut prouver que la déclaration n'est pas vraie, par tout moyen de preuve. En ce sens, on dit que l'acte authentique ne fait foi de la vérité des déclarations que jusqu'à preuve contraire. Enfin, si un officier public constatait des faits qu'il n'a pas mission de constater, il est évident que l'acte n'en ferait aucune foi; car l'officier qui dépasse les limites de ses attributions n'est plus un officier public, en ce sens que la loi ne lui doit aucune foi quand il fait ce qu'il n'a pas mission de faire.

39. Ces principes reçoivent-ils leur application aux actes de l'état civil? Il n'y a aucun doute pour les faits que l'officier de l'état civil constate comme les ayant accomplis lui-même. Ainsi il met la date aux actes qu'il reçoit. Cette date fait foi jusqu'à inscription de faux, parce qu'il a mission de dater ses actes et, par suite, de leur donner une date certaine. L'officier de l'état civil constate qu'un enfant lui a été présenté; on ne peut contester ce fait sans s'inscrire en faux, car l'officier public doit exiger que l'enfant lui soit présenté, et il doit le mentionner dans l'acte. De même l'officier public constate qu'il a prononcé l'union des futurs époux; le fait est encore prouvé jusqu'à inscription de faux, par la même raison. Dans tous ces cas, on applique sans difficulté aucune la disposition de l'article 45. Il est tout aussi certain que l'acte fait foi jusqu'à inscription

de faux du fait matériel que les comparants ont fait telle déclaration; car la mission de l'officier est précisément de recevoir ces déclarations. Un médecin vient déclarer à l'officier de l'état civil que telle femme est accouchée; il est prouvé jusqu'à inscription de faux que cette déclaration a été faite telle que l'officier l'a consignée dans son acte. Il en est de même de toutes autres déclarations que les comparants doivent faire en vertu de la loi. Mais il n'en est pas ainsi de la vérité des déclarations. L'officier de l'état civil, pas plus que le notaire, n'a mission ni capacité pour attester que les comparants lui disent la vérité. Peut-il savoir si telle femme est accouchée? peut-il savoir si l'enfant est né tel jour, telle heure? On peut donc soutenir que ces déclarations ne sont pas vraies, sans accuser l'officier public d'avoir commis un faux; partant il n'y a pas lieu de s'inscrire en faux. Toute preuve contraire sera admise (1).

Le texte paraît contraire à cette distinction; l'article 45 dit en termes généraux que les extraits font foi jusqu'à inscription de faux. Mais la distinction résulte de la nature des choses; au titre des Obligations, il n'en est pas plus question qu'au titre de l'Etat civil, néanmoins elle est universellement admise. On lit dans un arrêt de la cour de cassation: «Si, aux termes de l'article 45 du code civil, les extraits font foi jusqu'à inscription de faux, cela ne doit s'entendre que des faits qui se passent devant l'officier de l'état civil, et dont la réalité est constatée par lui (2). » Nous disons que cela résulte de la nature même des choses. En effet, quand l'officier public reçoit les déclarations des parties et que ces déclarations sont mensongères ou fausses, l'acte qu'il en dresse n'en est pas moins sincère et vrai, car il rapporte exactement ce que les comparants ont dit. Ceux qui attaquent la vérité de ce qui est constaté dans l'acte n'accusent pas l'officier public d'avoir commis un faux; pourquoi donc devraient-ils s'inscrire en faux?

(1) Duranton, Cours de droit français, t. Ier, p. 226, no 303; Demolombe, Cours de code Napoléon, t. Ier, p. 515 et suiv., no 319.

(2) Arrêt du 16 mars 1841 (Dalloz, Recueil périodique, 1841, 1, 210).

Il y a même des déclarations reçues par l'officier de l'état civil qui ne font aucune foi. Le code ne prescrit pas d'énoncer dans l'acte de décès l'heure ni le jour auxquels il a eu lieu. Néanmoins ces énonciations se trouvent d'ordinaire dans les actes. Quelle foi font-elles? Aucune. En effet, d'après la rigueur du principe posé par l'article 35, l'officier de l'état civil ne devrait pas constater ces déclarations, car il ne peut insérer dans l'acte que ce qui doit être déclaré par les comparants. S'il constate ce qu'il n'a pas le droit de constater, cette énonciation ne peut avoir aucune force probante. Comment le législateur attacherait-il foi à une énonciation qui se fait en violation de la loi? Ce qu'il prohibe est censé n'avoir pas été fait, et n'a par conséquent aucune valeur.

40. La doctrine que nous venons d'exposer n'est pas admise par tous les auteurs en ce qui concerne les déclarations faites par les comparants. Il y a une grande divergence d'opinions en cette matière et, par suite, une grande incertitude. Toullier soutient que les déclarations des comparants font foi jusqu'à inscription de faux, aussi bien que celles qui émanent de l'officier de l'état civil. La raison qu'il en donne, c'est que les comparants ont une mission officielle qui les assimile aux officiers publics : les uns ont mission de faire certaines déclarations, les autres ont mission de les constater. On ne peut, dit Toullier, scinder ces deux faits, ils se confondent; voilà pourquoi l'article 45 dit, en termes absolus, que les actes font foi jusqu'à inscription de faux. Ce système, qui met sur la même ligne les officiers publics et les comparants, n'a pas trouvé faveur. Il est impossible que le législateur accorde la même confiance à des comparants qu'il ne connaît pas, et à des officiers publics qui, dans notre législation, reçoivent leur mandat tout ensemble de l'élection populaire et du choix du gouvernement. Qui garantit que les comparants ont réellement vu ce qu'ils viennent déclarer? Ce sont parfois des premiers venus, et à des personnes inconnues la loi donnerait cette immense autorité que leurs déclarations feraient foi jusqu'à inscription de faux, comme celles d'un officier public qui a pour lui la confiance de ses conci

toyens et celle du chef de l'Etat! Non, le législateur n'a pas fait cette confusion qui serait injustifiable. Lui-même a établi une différence entre l'officier public et les comparants. Quand l'officier de l'état civil manque à la confiance que la loi place dans son caractère, quand il commet un faux, il est puni, d'après le code pénal de 1810, des travaux forcés à perpétuité (art. 146); tandis que les comparants qui viennent faire une fausse déclaration d'accouchement ne sont punis que de la reclusion (art. 345), c'està-dire de la peine qui frappe le faux témoignage (art. 363) (1).

41. Tout en rejetant le système absolu de Toullier, des auteurs très-estimés enseignent qu'il y a des cas où les déclarations des comparants font foi jusqu'à inscription de faux. Mais ils ne s'entendent pas entre eux, ce qui augmente la confusion qui règne dans la doctrine. Nous allons essayer de dissiper ces incertitudes en entrant dans le détail des difficultés. Il y a des déclarations qui, quoique mensongères, ne constituent pas un délit. Dans ce cas, dit Duranton, il est impossible qu'elles fassent foi jusqu'à inscription de faux (2). Ce serait un non-sens de dire qu'une déclaration n'est pas un faux et qu'il faut néanmoins s'inscrire en faux pour la combattre. S'inscrire en faux, c'est prouver qu'il y a un faux; et comment prouverait-on qu'il y a un faux là où la loi ne voit pas de faux? Quelle est donc la foi de ces déclarations? Elles feront foi jusqu'à preuve contraire, si elles sont du nombre de celles que le législateur ordonne de faire; que si elles n'ont pas dû être faites en vertu de la loi, elles ne feront aucune foi. Pierre déclare à l'officier de l'état civil qu'un enfant lui est né de telle femme, son épouse; la déclaration est mensongère, Pierre n'étant pas marié. Cette déclaration fera-t-elle foi jusqu'à inscription de faux? Elle ne fera aucune foi. En effet, dit la cour de cassation, la déclaration est mensongère, mais elle ne constitue pas le crime de faux. Aucune loi n'exige que l'acte de naissance constate que les père et mère du nouveau-né sont mariés; la déclaration est donc

(1) Marcadé, t. Ier, p. 187, n° 4; Demolombe, t. Ier, p. 519 et suiv., no 320. (2) Duranton, Cours de droit français, t. Ier, p. 227, no 304.

étrangère à la substance de l'acte; dès lors, quoique répréhensible, si elle n'est pas vraie, elle n'est pas un faux puni pár le code pénal (1). Elle ne constitue aucun délit (2). Qu'en faut-il conclure pour la force probante? Evidemment le mensonge, qui n'est pas un faux, pas même un délit, ne peut pas faire foi jusqu'à inscription de faux. La déclaration, dans l'espèce, ne fait pas même foi jusqu'à preuve contraire; elle ne fait aucune foi, car elle ne doit. pas être faite; dès lors elle ne peut pas être reçue, et si elle est reçue, elle est comme non avenue (3).

La déclaration qu'un enfant naturel est né d'une telle femme fait-elle foi jusqu'à inscription de faux? Nous dirons plus loin qu'il est douteux qu'une pareille déclaration puisse être reçue d'après le code civil, parce qu'il est douteux qu'elle doive être faite. Toujours est-il qu'elle n'est pas de la substance de l'acte, car l'acte de naissance de l'enfant naturel ne prouve rien que le fait matériel de la naissance, il ne donne aucun droit à l'enfant. Dès lors la déclaration de maternité ne peut pas faire foi jusqu'à inscription de faux. Dans l'opinion de ceux qui pensent que le nom de la mère ne doit pas être déclaré, la déclaration ne fait aucune foi. Si l'on admet que la déclaration doit être faite, elle fera foi jusqu'à preuve contraire. Il va sans dire que si le nom du père de l'enfant naturel était énoncé sans son aveu, la déclaration ne ferait aucune foi, car l'officier public n'a pas le droit de la recevoir (4).

On peut objecter contre cette doctrine que la déclaration mensongère de maternité est un faux. La cour de cassation a jugé que la peine de faux a pu et dû être appliquée à une sage-femme qui, à la prière d'une fille accouchée dans sa maison, avait fait inscrire son enfant sous le nom d'une mère supposée (5). Et s'il y a faux, ne faut-il pas une inscription en faux pour combattre la déclaration? La même question se présente dans d'autres cas. Nous

(1) Arrêt du 18 brumaire an xII (Merlin, Répertoire, au mot Faux, § 3). (2) Ainsi jugé par la cour de Gand, chambre des mises en accusation (arrêt du 21 janvier 1860, dans la Pasicrisie, 1860, 2, 189).

(3) Duranton, Cours de droit français, t. Ier, p. 231, no 305.

(4) Duranton, Cours de droit français, t. Ier, p. 231 et suiv., nos 306, 307. (5) Merlin, Répertoire, au mot Faux, § 2.

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