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cle 294 établit une de ces exceptions, et l'article 75 en consacre une seconde pour le mariage. Il est vrai que l'article 75 ne dit pas en termes formels que le mariage ne peut pas se faire par procureur; mais il n'y a pas une seule formalité prescrite par la loi qui n'implique la présence des futurs époux. Nous n'insisterons que sur un point, mais il est essentiel. Le premier consul a dit que les solennités du mariage avaient pour but de garantir la liberté des parties contractantes; et comment cette liberté serait-elle assurée si l'époux violenté pouvait se faire représenter par un fondé de pouvoir? Cela est décisif (1). Il y a une autre considération qui nous paraît également décisive. Les mineurs, en général, n'interviennent pas dans les actes qui les concernent; c'est le tuteur qui les représente dans tous les actes civils, dit l'article 450. Cependant quand le mineur se marie, il n'est pas représenté par son tuteur; la loi ne veut pas même que le tuteur parle au nom de son pupille, quand il s'agit des conventions matrimoniales concernant les biens : c'est le mineur qui les consent, et il n'est pas assisté de son tuteur, il est assisté des personnes dont le consentement est nécessaire pour la validité du mariage (art. 1398). Ainsi voilà des incapables qui ont un mandataire légal, pour tous les actes de la vie civile; et cependant la loi ne permet pas à ce mandataire général d'agir au nom du mineur, quand celui-ci se marie, pas même quand le mineur fait un contrat par-devant notaire. Cela ne prouve-t-il pas à l'évidence que, dans l'esprit de la loi, le mariage doit se contracter en personne? Si elle admettait le mariage par procureur, elle aurait dû l'admettre pour les mineurs, qui agissent toujours par procureur. Si elle ne veut pas que le mineur soit représenté par son tuteur, conçoit-on qu'elle lui permette de se faire représenter par un fondé de pouvoir? Et si elle ne le permet pas aux mineurs, le permettra-t-elle aux majeurs?

428. L'article 75 dit que l'officier de l'état civil dressera acte sur-le-champ de la célébration du mariage. Cet

(1) C'est l'opinion commune (voyez les auteurs cités par Dalloz, au mot Mariage, n° 372); elle a été consacrée par un arrêt de la cour de Bastia du 2 avril 1849 (Dalloz, Recueil périodique, 1849, 2, 80).

acte est-il requis pour l'existence ou pour la validité du mariage? Dans l'ancien droit, on admettait, sans doute aucun, que le mariage se parfait par le consentement des parties, pourvu qu'il soit donné en présence de l'officier qui a mission de le recevoir. De là suit, dit Pothier, que le mariage existe avant que l'acte ait été rédigé; l'acte n'est requis que pour la preuve (1). Ces principes sont aussi ceux de notre droit moderne. Ni le texte ni l'esprit de la loi ne font de l'acte de célébration une condition requise, soit pour l'existence, soit pour la validité du mariage. Le défaut d'acte n'entraînerait pas la nullité du mariage; cela résulte des principes que le code établit sur la nullité du mariage, et que nous allons exposer. Quant à l'influence que l'acte de célébration peut exercer sur l'existence du mariage, le code ne dit rien : nous avons traité la question plus haut (n° 279).

429. L'article 76 énumère les énonciations que doit contenir l'acte de mariage. Nous renvoyons au texte. L'acte est-il nul pour inobservation des formalités prescrites par l'article 76? Cette question se décide par les principes qui régissent les actes de l'état civil. Nous les avons exposés au commencement de ce volume (nos 21-27). La règle est qu'il n'y a pas de nullité. Un arrêt de la cour de Montpellier a décidé que l'acte de mariage n'est pas nul, lorsqu'il n'est pas signé par l'une des parties comparantes. Les considérants impliquent que la décision de la cour eût été différente si l'officier public n'avait pas signé (2). En effet, sans signature de l'officier qui a mission d'imprimer l'authenticité à l'acte, il n'y a pas d'acte. Un arrêt de la cour de Liége a décidé qu'il n'y avait pas nullité quand l'acte ne désignait pas la commune où le mariage a été célébré (3). Cela est de toute évidence; l'article 76 ne prescrit pas cette énonciation; et comment un acte serait-il nul pour défaut d'une énonciation que la loi n'exige point?

La loi hypothécaire belge a ajouté une énonciation à

(1) Pothier, Traité du contrat de mariage, no 378.

(2) Arrêt du 4 février 1840 (Dalloz, Répertoire, au mot Mariage, no 568, 5o). (3) Arrêt du 4 février 1819 (Pasicrisie, 1819, 283).

celles que l'acte doit contenir, en vertu de l'article 76. Elle veut que l'acte énonce « la date des conventions matrimoniales des époux et l'indication du notaire qui les aura reçues. » Nous reviendrons sur cette disposition quand nous expliquerons la loi hypothécaire.

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No 1. QUAND LE MARIAGE EST-IL NUL? ET QUI PEUT DEMANDER LA nullité.

430. La cour de cassation a posé, dans plusieurs arrêts, deux principes fondamentaux en matière de nullité de mariage La nullité ne peut être prononcée que sur un texte formel, et seulement à la requête de ceux que la loi autorise spécialement à invoquer le texte (1). » Le premier principe est spécial au mariage. Dans les autres matières, on admet qu'il y a nullité alors même que la loi ne la prononce pas formellement, en se fondant sur la volonté tacite du législateur. Pourquoi n'y a-t-il pas de nullité dite virtuelle, en fait de mariage? La cour de cassation répond que le code consacre un chapitre spécial aux demandes en nullité de mariage; tous les cas de nullité sont prévus; d'où résulte que la loi est essentiellement restrictive et limitative: pas de nullité sans texte qui l'établisse en termes formels. Il ne suffit donc pas qu'une loi soit prohibitive pour que son inobservation entraîne la

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(1) Arrêt du 12 novembre 1844 (Dalloz, Recueil périodique, 1845, 1, 100). Arrêt du 12 novembre 1839 (Dalloz, au mot Mariage, no 514).

nullité. Cette règle est admise dans les matières où le législateur n'a pas lui-même manifesté sa volonté; on ne peut l'admettre pour le mariage, puisque les auteurs du code ont pris soin de déterminer les cas où l'inobservation de la loi entraîne la nullité. Il en faut conclure que lorsque la loi ne prononce pas la nullité, c'est qu'elle ne l'a pas voulu, et par suite le juge ne le peut pas. Cela est aussi fondé en raison. Sans doute, la majesté des lois semble exiger qu'elles soient observées à la rigueur, et qu'on déclare nuls les actes contraires à leurs dispositions. Mais le législateur doit aussi considérer le mal qui résulte de l'annulation. Or, en fait de mariage, ce mal est si grave, il résulte de l'annulation d'un mariage un si grand trouble dans les familles, un si grand scandale pour la société, que mieux vaut parfois maintenir le mariage, malgré la violation de la loi, que de l'annuler. Mais on conçoit qu'à raison même de l'importance du mariage, le législateur ne pouvait abandonner au juge le soin de décider dans quels cas il doit y avoir nullité. Voilà pourquoi les auteurs du code ont fait un chapitre spécial sur les demandes en nullité de mariage.

431. Le premier principe posé par la cour de cassation est donc fondé sur le texte et sur l'esprit de la loi. Cependant il a été attaqué. Demante admet avec la cour suprême que l'on ne peut reconnaître l'existence d'une nullité, si cette nullité n'est appuyée sur les termes de la loi. Mais il n'est pas nécessaire, selon lui, que la nullité soit formellement prononcée; la formule prohibitive suffit, puisqu'elle est irritante de sa nature; toutefois, ajoute-t-il, on ne doit lui reconnaître cet effet qu'autant qu'il n'apparaît pas de l'intention contraire du législateur (1). Qui ne voit que cette doctrine, tout en ayant l'air d'accepter le principe de la cour de cassation, le détruit? En effet, c'est le juge qui décidera si les termes prohibitifs sont irritants ou s'ils ne le sont pas; c'est donc le juge qui, en définitive, déterminera quand il y a nullité. A quoi bon alors le chapitre IV de notre titre sur les demandes en nullité de mariage? « Le

(1) Demante, Cours analytique, t. Ier, p. 354, no 260.

législateur, dit Merlin, n'aurait donc pas rempli dans ce chapitre l'objet qu'il s'était proposé; il se serait formé un plan, il l'aurait annoncé, et cependant il l'aurait laissé incomplet; or, une pareille supposition se combat elle-même par sa propre invraisemblance (1).

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432. M. Demolombe dit aussi que le code a voulu tout régler, tout prévoir; il en conclut que ses dispositions doivent être considérées comme restrictives. Si, dit-il, on admettait une cause de nullité non prévue par la loi, on rencontrerait, dans l'application, des difficultés inextricables. Cette nullité sera-t-elle relative ou absolue? Qui pourra la proposer, et pendant combien de temps? Tous ces points dépendront donc de l'arbitraire du juge, alors que la loi n'a rien voulu laisser à son arbitraire? Cependant M. Demolombe rejette le principe de la cour de cassation, comme doctrine absolue (2). Etrange contradiction! Le principe même n'implique-t-il pas qu'il doit être général, sans exception? Dès que l'on admet des exceptions, le principe devient inutile; c'est dire qu'il n'y a plus de principe. On objecte que si l'on admet toutes les conséquences du principe, on arrive à des résultats que le législateur luimême n'a certes pas voulus. Examinons!

M. Demolombe demande où serait le moyen, avec le principe de la cour de cassation, d'annuler le prétendu mariage de deux personnes du même sexe. Ne faudrait-il pas dire que la loi n'ayant pas organisé, pour ce cas, de demande en nullité, personne n'a le droit de la former? Oui, certes, ce mariage ne pourrait pas être annulé, par l'excellente raison qu'il n'a aucune existence aux yeux de la loi, et on ne demande pas la nullité du néant. En d'autres termes, on applique à cette hypothèse les principes qui régissent le mariage inexistant, et non les principes sur le mariage nul. Or, le chapitre IV ne parle que des mariages nuls; dès lors on ne peut pas l'invoquer quand il s'agit des mariages non existants. Le code n'a pas de textes

(1) Merlin, Répertoire, au mot Mariage, section VI, § II, article 184, 6e question.

(2) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. III, p. 524, no 335, et p. 376, nn 238.

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