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sur cette matière; dès lors elle reste abandonnée à la doctrine, et les difficultés qu'elle présente se décident par les principes généraux de droit.

M. Demolombe fait la même objection pour le mariage contracté en état de démence. La cour de cassation, dit-il, a été conduite à ce résultat vraiment inadmissible, que ce mariage ne pourra être attaqué par personne. Ici encore, il y a une confusion entre le mariage nul et le mariage inexistant. Non, le mariage ne peut pas être attaqué par voie d'action en nullité, quand il a été contracté en état de démence, parce que ce mariage n'existe pas. Est-ce à dire que les parties intéressées ne puissent pas se prévaloir de sa non-existence? Elles le peuvent certainement, comme nous le démontrerons plus loin (n° 440 et suiv.).

433. Nous maintenons donc le premier principe posé par la cour de cassation. Le deuxième est par cela même démontré. Il s'agit de savoir qui peut intenter l'action en nullité de mariage. D'après le droit commun, tous ceux qui ont un intérêt appréciable peuvent agir en justice. Il suffit de lire le chapitre IV de notre titre, pour se convaincre que le législateur n'admet pas ce principe pour les demandes en nullité de mariage. En effet, il prend soin, pour chaque cause de nullité, de déterminer les personnes qui ont le droit de la faire valoir. Il en faut conclure, avec la cour de cassation, que ces dispositions sont restrictives et limitatives. Si elles ne l'étaient pas, elles n'auraient pas de raison d'être. Il y a, au contraire, une excellente raison pour que la loi soit de stricte interprétation; comme le dit la cour suprême, « le mariage tient trop essentiellement à l'ordre social pour avoir été imprudemment livré à toutes les attaques des mauvaises passions. » Le législateur a donc dû régler par qui et sous quelles conditions l'action en nullité peut être intentée.

434. Quel est le principe en vertu duquel le code accorde ou refuse l'action en nullité? Il y a des causes de nullité qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs : telles sont le défaut d'âge, la bigamie, l'inceste, la clandestinité. Elles sont établies pour des raisons d'intérêt général ou d'honnêteté publique. Il y en a d'autres qui

sont relatives à l'intérêt privé des époux : c'est le vice du consentement qu'ils ont donné au mariage, ou l'absence de consentement des ascendants ou de la famille. La doctrine distingue, par suite, les nullités absolues et les nullités relatives. Bien que le code ne reproduise pas les termes de cette distinction, il consacre néanmoins les conséquences qui en résultent. Les nullités absolues étant établies dans l'intérêt social, l'action doit être ouverte à toutes les parties intéressées ce qui prouve que la société est en cause dans ces débats, c'est que la loi permet au ministère public d'intenter l'action en nullité, quoique, en principe, il n'ait pas le droit d'agir d'office en matière civile. La loi, dit Portalis, ouvre l'action au ministère public, parce qu'il est le gardien des mœurs et le vengeur de tous les désordres qui attaquent la société (1). Il est si vrai que l'intérêt de la société domine en cette matière, que la loi donne même l'action en nullité aux époux coupables, à l'impubère, au bigame, à l'incestueux. C'est qu'elle tient à ce que le mariage soit annulé, parce que l'ordre public est blessé par un mariage honteux ou criminel. Il en est tout autrement des nullités relatives. A la vérité, le mariage intéresse toujours la société, puisqu'il en est le fondement; mais quand on demande qui peut attaquer un mariage nul pour vice de consentement, la société n'a pas un intérêt direct au débat, ce sont les époux, les principaux, disons mieux, les seuls intéressés; à eux seuls donc appartient l'action en nullité. S'ils gardent le silence, personne n'a le droit de se plaindre.

Le caractère absolu ou relatif des nullités a encore une autre conséquence. Il est de principe que les parties ne peuvent déroger aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs. De là suit que les particuliers ne peuvent renoncer à des droits que la loi leur accorde en vue de l'intérêt général. Lors donc que le mariage est nul, d'une nullité absolue, bien que les parties intéressées puissent intenter l'action, elles ne peuvent pas y renoncer; par suite, elles ne peuvent pas confirmer le mariage. Le vice qui

(1) Portalis, Exposé des motifs, no 45 (Locré, t. II, p. 392).

l'infecte étant d'ordre public, ne peut pas s'effacer; c'est dire que la confirmation est impossible. Conçoit-on qu'un mariage incestueux devienne valable par une confirmation quelconque? Confirme-t-on la honte et l'infamie? Il en est autrement des nullités relatives. Chacun peut renoncer aux droits qui ne sont établis qu'en sa faveur; donc l'époux dont le consentement était vicié peut effacer ce vice et confirmer le mariage.

Enfin la nature de la nullité détermine aussi la prescription. Quand la nullité est absolue, l'action est imprescriptible. Encore une exception aux principes généraux de droit. Sur quoi la fonde-t-on? Il n'y a pas de texte, et peut-il y avoir une exception sans texte? L'exception n'a pas besoin d'être écrite dans la loi, car la règle ne reçoit pas d'application au mariage infecté d'une nullité absolue. Pourquoi la loi déclare-t-elle les actions prescrites après trente ans? Pour mettre un terme aux procès. Or, quand un mariage est nul d'une nullité absolue, la loi ne veut pas qu'il y ait un terme à l'action; après trente ans, comme après un an, le mariage vicié par l'inceste ou la bigamie blesse l'ordre public; le scandale étant permanent, l'action pour y mettre fin ne peut pas s'éteindre. L'intérêt général, qui exige que les actions se prescrivent, demande, au contraire, que la demande en nullité ne se prescrive pas (1). Il n'en est pas de même des nullités relatives; elles ne sont fondées que sur un intérêt privé; dès lors nous rentrons dans le droit commun, qui demande que les procès aient une fin; il y a donc lieu à prescription. Mais si l'action est prescriptible, l'exception n'est-elle pas perpétuelle? On l'admet généralement. Ce n'est pas ici le siége de la matière. Nous ajournons la question au titre des Obligations.

No 2. EFFET DES NULLITÉS.

435. Quand un mariage est nul, cela veut-il dire qu'il est nul de plein droit en vertu de la loi? Nous avons déjà

(1) C'est l'opinion générale (Zachariæ, t. III, § 459, p. 242).

cité le vieil adage en vertu duquel « nullités de plein droit, n'ont lieu. L'intitulé du chapitre IV prouve que ce principe reçoit son application au mariage; il porte: Des demandes en nullité de mariage. Il faut donc que la nullité soit demandée en justice, c'est le tribunal qui la prononce. La nullité de plein droit ne se conçoit pas, en matière de mariage moins encore qu'en toute autre matière. Ne faut-il pas qu'il soit constaté qu'il y a une cause de nullité, en droit, et si cette cause existe en fait? Or, en droit comme en fait, la question peut être controversée; dès lors il faut que le débat soit porté devant le juge.

436. Du principe que le mariage n'est jamais nul de plein droit, suit que la nullité n'existe que si elle est prononcée par le juge. S'il n'y a pas de jugement, le mariage est valable et il produit tous ses effets, alors même que la cause de nullité serait absolue. De là une conséquence très-importante. Bien que la nullité soit demandée, le mariage ne laisse pas de produire ses effets jusqu'à ce que le tribunal l'ait annulé. Cela est vrai non-seulement quant aux époux et aux enfants, en ce qui concerne les droits et obligations résultant du mariage; le principe est absolu et reçoit son application dans tous les cas où le mariage est en cause.

Le mari intente l'action en nullité contre la femme séparée de fait d'avec lui. Où doit-il la former? devant le juge de la résidence actuelle de la femme, ou devant le juge de son domicile à lui? Il est évident qu'elle doit être portée devant le juge du domicile du mari. Car le mariage existe et il produit ses effets, et l'un de ces effets est d'attribuer à la femme mariée le domicile du mari. Vainement dirait-on que le mari soutenant que le mariage est nul, il ne peut pas invoquer ce mariage contre la femme. Le mariage est seulement annulable, et en attendant que le tribunal en ait prononcé l'annulation, il produit tous ses effets (1).

Pour la même raison, il faut décider que la femme qui veut demander la nullité de son mariage doit être autori

(1) Merlin, Questions de droit, au mot Mariage, § 6.

sée par son mari ou, à son refus, par la justice. En vain dirait-on qu'elle se contredirait elle-même si elle procédait comme femme mariée, alors qu'elle agit pour faire iuger qu'elle ne l'est pas; on répondrait que, malgré la demande en nullité, le mariage subsiste et produit tous ses effets. La femme demanderesse est femme mariée aussi longtemps que son mariage n'est pas annulé. Donc elle a besoin de l'autorisation de son mari ou de justice pour intenter une action (1).

Si la femme est mineure, comment agira-t-elle? Il a été jugé qu'elle devait être autorisée par le conseil de famille et assistée d'un curateur ad hoc nommé par le même conseil (2). La décision est très-juridique. En effet, le mineur est émancipé de plein droit par le mariage. La femme, au moment où elle intente l'action en nullité, est donc émancipée; par suite, elle ne peut agir en justice qu'avec l'autorisation du conseil de famille et avec l'assistance de son curateur (art. 482). Qui est ce curateur? En principe, c'est le mari; mais il est impossible que le mari assiste sa femme, alors qu'elle plaide contre lui en nullité du mariage. Partant il faut que le conseil de famille nomme un curateur spécial à la femme.

437. Il est de principe que les actes annulés par le juge sont censés n'avoir jamais existé. Ce principe reçoit son application au mariage. L'annulation a un effet rétroactif, de sorte qu'elle anéantit tous les effets juridiques que le mariage produit comme tel. Il y a cependant une exception remarquable à ce principe, pour le cas où les époux ou l'un d'eux étaient de bonnne foi; le mariage, quoique annulé, produit. alors des effets considérables, à titre de mariage putatif.

438. En faisant abstraction du mariage putatif, le mariage annulé ne produit en principe aucun effet. On a soutenu qu'il en résultait une affinité naturelle, et par suite un empêchement au mariage. Nous avons examiné la question plus haut (no 353). On demande si au moins l'état des

1) Merlin, Répertoire, au mot Mariage, section VI, § 2, article 180, 4 question. Arrêt de cassation du 21 janvier 1845 (Dalloz, 1845, 1, 97). (2) Arrêt de Turin du 14 juillet 1807 (Dalloz, au mot Mariage, no 457).

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