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le mariage serait non existant pour défaut de solennité. Le mariage n'a pas été célébré devant un officier de l'état civil; il n'y a certes pas de mariage. Qui peut se prévaloir de la non-existence de ce mariage apparent? Toute personne qui y a intérêt. Si les prétendus époux voulaient contracter un mariage véritable, ils n'auraient pas même besoin d'agir en justice pour faire déclarer qu'il n'y a point de mariage; l'officier de l'état civil ne devrait pas s'arrêter devant un titre qui n'existe pas. Sans doute, dès qu'il y a contestation, elle doit être décidée par le juge; mais, dans l'espèce, nous croyons qu'il n'y aurait pas lieu

à contester.

Cependant l'application de ces principes donne lieu à une difficulté sur laquelle il y a controverse. Un mariage est célébré devant un ministre du culte : est-il nul ou est-il non existant? Si l'on disait qu'il est nul, il n'y aurait personne qui pourrait en demander l'annulation; quand la loi parle de l'incompétence, elle suppose toujours qu'il y a un officier public (art. 191); or, les ministres du culte ne sont certes pas des officiers publics. D'après la constitution belge du moins, il n'y a pas de doute. M. Nothomb a déclaré, lors de la discussion, que les ministres du culte n'étaient plus que des individus aux yeux de la loi; c'est dire qu'ils n'ont aucun caractère public. Quand donc le ministre d'un culte quelconque célèbre un mariage, c'est comme si le premier venu procédait à la célébration. Il n'y a pas même là une apparence de titre, donc pas de mariage. Mais qui aura le droit de l'attaquer? Par voie d'action en nullité, il ne peut pas être attaqué, parce qu'il n'y a pas de texte. Si donc on admettait ou que le mariage est nul, ou qu'il faut appliquer aux mariages inexistants les principes de l'action en nullité, il en résulterait que ce mariage est inattaquable. Cela est absurde; il faut donc laisser de côté les principes spéciaux qui régissent les demandes en nullité de mariage, et appliquer les principes généraux, d'après lesquels toute personne intéressée peut agir en justice.

La jurisprudence sur cette question délicate est indécise Nous y reviendrons en traitant du mariage putatif,

No 2. APPLICATION.

445. Toute action, en principe, est soumise à la prescription. Les demandes en nullité de mariage sont aussi prescriptibles, quand elles se fondent sur un intérêt privé. Il n'en est pas de même de l'action qui naît de l'inexistence d'un mariage: elle est imprescriptible. Pourquoi? Les nullités absolues ne se prescrivent pas, parce que l'in térêt de la société demande toujours que les mariages criminels ou honteux soient annulés. Est-ce aussi là le motif pour lequel l'action ou l'exception qui tend à faire déclarer le mariage non existant ne se prescrit pas? Non, car il est possible que l'intérêt privé soit seul en cause. Tel est le mariage dans lequel il n'y a pas eu de consentement. Pourquoi donc n'y a-t-il pas de prescription en ce cas? C'est qu'en réalité il n'y a pas d'action, et il n'y a pas d'action parce qu'il n'y a pas de contrat. Or, à celui qui prétend qu'il y a un contrat, on peut toujours opposer, par voie d'action ou d'exception, qu'il n'y a jamais eu de consentement. Il serait contraire à la raison et au droit que le néant devint valable et se transformât en contrat, par la seule raison que dix ou trente années se sont écoulées depuis que ce néant s'est produit sous la forme d'un contrat (1).

446. Si une action est intentée pour faire déclarer qu'il n'y a point de mariage, devant quel tribunal devra-t-elle être portée? On appliquera le principe général d'après lequel le demandeur doit former son action devant le tribunal du domicile du défendeur. Il n'y a pas à distinguer entre les époux, car il n'y a pas d'époux. On ne peut donc pas dire que la femme a son domicile chez son mari; il n'y a ni mari ni femme. Les parties sont régies par le droit commun. On ne peut pas appliquer au mariage non existant ce que nous avons dit du mariage nul; le premier ne produit aucun effet; comme le dit énergiquement l'ar

(1) C'est l'opinion de tous ceux qui admettent la théorie des actes non existants (Demolombe, t. III, p. 381, no 241).

ticle 146, n'y a point de mariage, donc pas de domicile marital.

La femme aura-t-elle besoin d'une autorisation quelconque pour plaider? Non; à qui la demanderait-elle? Au mari? Il n'y a pas de mari. A la justice? Mais de quel chef? Il n'y a pas de mariage, donc aucune incapacité ne frappe la femme (1). Par la même raison, si la femme était mineure, elle ne serait pas émancipée par le mariage, car il n'y a point de mariage; elle reste donc ou sous puissance paternelle ou sous puissance tutélaire; par suite, ce n'est pas elle qui doit agir en justice, c'est le père, la mère ou le tuteur.

On peut faire une objection sérieuse contre ces solutions. C'est, dira-t-on, aboutir à la nullité de plein droit, alors qu'il n'y a pas de nullité pareille. Le mariage a été contracté devant un ministre du culte. Est-il simplement nul ou est-il inexistant? La question est controversée. En attendant qu'elle soit décidée, ne faut-il pas dire qu'il y a une apparence de mariage, que ce mariage apparent n'est pas nul de plein droit, que partant il y a un domicile marital, il y a émancipation, il y a incapacité de la femme? Dire qu'il n'y a rien, n'est-ce pas préjuger la décision du juge? Il y a là une difficulté véritable que le législateur aurait dû décider. Dans le silence de la loi, que doit faire l'interprète? Nous croyons qu'il doit s'en tenir au principe formulé par l'article 1131: un acte non existant ne peut produire aucun effet.

447. Par la même raison, nous déciderons que s'il y a eu cohabitation, et si des enfants sont nés du commerce des deux prétendus époux, ces enfants n'auront pas d'état, que leur filiation ne sera pas légalement constatée. Cela ne fait aucun doute, quand il n'y a point eu de célébration devant un officier de l'état civil, ni par conséquent d'acte de mariage inscrit sur les registres : l'un des éléments constitutifs de la filiation manque dans ce cas, l'acte

(1) La cour de cassation a décidé que la femme n'avait pas besoin d'autorisation pour s'inscrire en faux contre un acte de célébration de mariage qu'elle prétendait n'avoir pas été célébré. (Arrêt du 31 août 1824, dans Dalloz, au mot Mariage, no 561)

qui prouve le mariage. Mais la question devient douteuse, s'il y a eu une célébration régulière; par exemple, une personne en état de démence s'est mariée devant l'officier de l'état civil, l'acte est inscrit sur les registres. Un enfant naît de cette union, un acte de naissance est dressé. Pourra-t-il invoquer ces actes pour prouver sa filiation? Nous croyons qu'il le peut. Il est vrai que, dans la rigueur des principes, l'acte dressé pour constater la célébration d'un mariage non existant est également inexistant, et comme tel il ne peut produire aucun effet. L'objection est sérieuse. Mais ne peut-on pas répondre qu'il y a un titre, et que foi doit rester au titre jusqu'à ce que le juge ait déclaré qu'il n'y a pas de mariage? Et en supposant que le mariage soit déclaré inexistant, toujours est-il qu'il y a un acte inscrit sur les registres de l'état civil, qui prouve authentiquement l'union que deux personnes ont contractée, union de fait, soit; mais le fait ne suffit-il pas pour établir la filiation, si on le combine avec le fait de la naissance, lequel est également établi d'une manière authentique? Nous le croyons. Qu'on ne dise pas que nous, qui prêchons la logique à toute occasion, nous sommes inconséquents, en attribuant un effet au mariage inexistant; ce n'est pas au mariage que nous l'attribuons, c'est à deux faits constatés par des actes authentiques. Si l'état des enfants est constaté, pourront-ils réclamer le bénéfice du mariage putatif? Nous examinerons cette question plus loin (no 515).

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448. Quand il n'y a point de consentement, dit l'article 146, il n'y a point de mariage. La loi ne dit pas que le mariage est nul, il n'existe pas. Il en est autrement si le consentement a été donné, mais s'il est vicié par l'erreur ou la violence. Dans ce cas, le mariage est nul. L'erreur donne lieu à un doute; on peut soutenir que s'il y a erreur dans la personne, le mariage est non existant. Nous avons examiné la question plus haut (no 291); il nous reste à parler des vices qui entraînent la nullité du mariage. La nullité est relative. Aux termes de l'article 180, le mariage ne peut être attaqué que par les époux dont le consentement n'a pas été libre, ou qui ont été induits en erreur. Pourquoi l'erreur et la violence ne produisentelles qu'une nullité relative?

Portalis répond que le défaut de liberté est un fait dont le premier juge est la personne qui prétend n'avoir pas été libre. Des tiers, dit-il, peuvent avoir été témoins des procédés extérieurs, desquels on se croit autorisé à conclure qu'il y a eu violence ou contrainte; mais ils ne peuvent jamais apprécier l'impression continue ou passagère qui a été ou qui n'a pas été opérée par ces procédés. » Cela est vrai, à plus forte raison, de l'erreur. Ce premier motif, que l'on donne d'ordinaire pour expliquer le caractère relatif de la nullité qui résulte d'un vice de consentement, n'est pas décisif. Ce n'est qu'une difficulté de preuve, mais cette difficulté n'est pas une impossibilité. Aussi la loi admet-elle, en matière d'obligations, toute personne intéressée à se prévaloir des vices qui en annulant le consentement, annulent en même temps le contrat. Il doit donc y avoir un autre motif.

« Quel est celui, dit Portalis, qui aurait le droit de soutenir que je n'ai pas été libre quand, malgré les apparences, j'assure l'avoir été? Dans une affaire aussi personnelle, mon témoignage ne serait-il pas supérieur à tout

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