Page images
PDF
EPUB

sensible. Quand la femme conçoit avant l'expiration du délai de six mois, il est certain qu'elle est pubère, la grossesse étant un fait qui peut se prouver avec le même degré de certitude que les faits en général. Il n'en est pas de même de la puberté du mari. De ce que sa femme conçoit, on ne peut pas conclure que lui soit pubère; la paternité est toujours incertaine, et elle l'est surtout quand le mari n'a pas atteint l'âge de puberté légale.

471. Aux termes de l'article 186, le père, la mère, les ascendants et la famille qui ont consenti au mariage contracté par un impubère, ne sont point recevables à en demander la nullité. Pourquoi la loi les déclare-t-elle non recevables? Est-ce parce que leur consentement est considéré comme une confirmation? Non, c'est une espèce de peine. Il ne faut pas, dit Portalis, qu'ils puissent se jouer de la foi du mariage après s'être joués des lois, » On a dit qu'il résulte de cette disposition, que l'action en nullité des parents appelés à consentir au mariage est un droit illusoire. En effet, s'ils ont donné leur consentement, ils ne peuvent plus agir. Ne l'ont-ils pas donné, ils ont l'action en nullité pour défaut de consentement; dès lors à quoi bon l'action en nullité pour défaut d'âge? M. Valette répond avec raison que cette dernière action leur sera utile, si la première est prescrite, et elle se prescrit par un an depuis qu'ils ont eu connaissance du mariage (art. 182 et 183). Elle le sera encore, même dans le cas où les ascendants auraient consenti au mariage; s'ils meurent, l'action pourra être exercée par les ascendants qui n'auront pas donné leur consentement (1), car la nullité étant d'ordre public, elle appartient à tous les ascendants; tous ont un intérêt moral à ce que leurs descendants ne vivent pas dans une union que la loi réprouve dans l'intérêt de la société.

Que faut-il dire si les ascendants qui ne sont pas appelés à consentir au mariage, l'ont néanmoins approuvé? Cette approbation les rendra-t-elle non recevables? Il est évident

(1) Valette sur Proudhon, Traité sur l'état des personnes, t. Ier, p. 438, note.

qu'on ne peut pas leur opposer l'article 186; ils n'ont pas consenti au mariage de l'impubère; on ne peut pas dire d'eux qu'ils se sont joués de la loi, puisque la loi ne leur donnait aucune mission. On ne pourrait donc les déclarer non recevables que si l'on considérait leur approbation comme une confirmation. Mais la nullité étant d'intérêt général, il n'y a pas lieu à effacer le vice par une confirmation quelconque. L'approbation que les parents donneraient au mariage serait donc inopérante (1).

§ II. De la bigamie.

472. C'est la plus grave de toutes les causes de nullité, puisqu'elle constitue un crime. Mais ce caractère de l'action en nullité fondée sur la bigamie donne lieu à une difficulté. Le crime se prescrit; aux termes de l'article 637 du code d'instruction criminelle, l'action publique et l'action civile résultant d'un crime se prescrivent après dix années révolues, à compter du jour où le crime a été commis. Faut-il conclure de là qu'après dix ans l'action en nullité ne peut plus être intentée? Au premier abord, on serait tenté de le croire. L'action ne naît-elle pas du crime? n'est-ce donc pas une action civile dans le sens de la disposition que nous venons de citer? Merlin répond parfaitement à l'objection. Non, la demande en nullité du mariage n'est pas une action civile, dans le sens du code d'instruction criminelle. L'action civile tend à réparer le dommage résultant d'un délit; c'est une action en dommages-intérêts, fondée sur l'article 1382, lequel oblige tous ceux qui causent un dommage par leur fait à le réparer. Est-ce que la demande en nullité de mariage, quand il y a bigamie, est une action en dommages-intérêts? Non, certes. Ce n'est pas un intérêt d'argent qui est en cause, c'est un intérêt social. Vainement dit-on que la société est désintéressée quand le crime est prescrit, puisque l'action publique est éteinte. On répond, et la réponse est péremp

(1) Demolombe, t. III, p. 513, no 322. Voyez, en sens contraire, Vazeille, du Mariage, t. Ier, no 244, p. 378.

toire, que la demande en nullité ne se fonde pas sur le code pénal; elle découle de l'article 147, qui porte que l'on ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier. Qu'importe donc que le bigame ne puisse plus être puni? Il n'en est pas moins vrai qu'il est engagé dans les liens de deux mariages, ce qui donne ouverture à la demande en nullité (1). La jurisprudence est conforme à cette doctrine (2). A vrai dire, il n'y a pas même de question.

473. Le demandeur qui agit en nullité doit prouver l'existence du premier mariage, car c'est là le fondement de sa demande. Il y a un arrêt contraire de la cour de Paris. Une action en divorce était intentée pour cause d'adultère par le mari contre sa femme. Celle-ci opposa la nullité de son mariage, fondée sur ce que son mari était engagé dans les liens d'un premier mariage quand il en avait contracté un second. Le mari avoua sa première union, mais soutint qu'elle était irrégulière et qu'elle avait été dissoute. La cour de Paris admit la nullité du second mariage, sans que l'existence du premier eût été légalement constatée (3). Merlin a raison de s'élever contre cette décision; elle favoriserait le divorce par consentement mutuel et par fraude à la loi. Cela prouve que les tribunaux ont tort de s'écarter de la rigueur des principes.

De son côté, le défendeur peut opposer la nullité du premier mariage; dans ce cas, dit l'article 189, la validité ou la nullité du premier mariage doit être jugée préa-. lablement. C'est une question préjudicielle. Il est très-vrai que, malgré la nullité du premier mariage, le second a été contracté illégalement; car le mariage, bien que nul, produit ses effets tant qu'il n'a pas été annulé. Mais si, malgré cet empêchement, le mariage a été célébré, la loi le maintient si la nullité du premier est démontrée. L'époux est coupable, mais l'intérêt de la société l'emporte sur sa faute; il faut éviter les annulations inutiles, et dans l'es

(1) Merlin, Répertoire, au mot Mariage, section VI, § 2, article 184, 5 question.

(2) Dalloz, Répertoire, au mot Mariage, no 524.

(3) Arrêt du 2 décembre 1816 (Dalloz, au mot Mariage, no 545),

pèce l'annulation serait dérisoire, puisque les époux pourraient contracter un second mariage après avoir fait annuler le premier. Mieux vaut maintenir leur union.

§ III. De l'inceste.

474. L'inceste n'est pas un crime, mais c'est une action honteuse; il importe que le mariage incestueux soit annulé, afin d'assurer la pureté des mœurs dans le sein des familles. Toutefois, il y a des empêchements dérivant de la parenté ou de l'alliance qui peuvent être levés par des dispenses. Sous ce rapport, l'inceste est un vice moins grave que la bigamie. Faut-il en conclure que la dispense qui serait accordée postérieurement au mariage empêcherait l'action en nullité? Dans l'ancien droit, l'on admettait cette fin de non-recevoir, et en théorie on pourrait la soutenir. Le projet de code allait plus loin, il refusait l'action en nullité dans les cas où il y avait lieu à dispense. Cette disposition fut rejetée, et avec raison. Le législateur doit se montrer sévère, parce que la sévérité est le seul frein contre les liaisons immorales et honteuses que le relâchement de la loi favoriserait nécessairement. C'est donc en vain que l'on dirait que, la dispense levant l'empêchement, il faut appliquer la maxime que, la cause cessant, l'effet doit cesser. La cause ne cesse pas, en ce sens que l'intérêt des bonnes mœurs exige une sanction sévère, et il n'y en a pas d'autre que l'annulation. On objecte que la prohibition qui n'est établie que sauf dispense est conditionnelle, que la dispense étant accordée, la condition rétroagit (1). Défions-nous des conditions que l'on imagine pour le besoin de la cause. L'empêchement est fondé sur un intérêt moral, le plus grand de tous les intérêts sociaux qui oserait dire que cet intérêt disparaît quand il y a dispense? Demante avoue que ce serait une doctrine dangereuse; il faut dire plus, elle est aussi illogique qu'immorale.

(1) Demante, Cours analytique, t. Ier, p. 368, no 267 bis, I. Comparez Demolombe, t. III, p. 523, no 334.

§ IV. De la clandestinite.

No 1. DU DÉFAUT DE PUBLICITÉ.

475. L'article 165 dit que le mariage sera célébré publiquement. Quand les formalités prescrites par la loi pour assurer la publicité du mariage n'ont pas été remplies, il y a vice de clandestinité. Il ne faut pas confondre le mariage clandestin avec le mariage secret. Dans l'ancien droit, le mariage que l'on affectait de tenir secret jusqu'à la mort de l'un des conjoints était privé des effets civils. La déclaration de 1639 parle de ces mariages avec un grand mépris: ils ressentent plutôt la honte d'un concubinage, dit le législateur, que la dignité d'une union légitime (1). Portalis nous explique les motifs de la défaveur qui frappait des mariages que l'on supposait néanmoins légalement contractés on voulait prévenir les alliances inégales qui blessaient l'orgueil des grands noms ou qui ne pouvaient se concilier avec l'ambition d'une grande fortune. L'orateur du gouvernement dit que ces considérations n'auront plus d'influence dans les mœurs nouvelles (2). Il arrive parfois que les époux cherchent à tenir leur mariage caché, ce qui est très-compatible avec la publicité qui entoure la célébration du mariage; un mariage contracté à l'étranger peut être public, et cependant être ignoré là où les époux vont s'établir. Il est évident que ce mariage produira tous ses effets civils; notre législation ne connaît plus de mariages secrets, en ce sens qu'aucune peine n'est attachée au secret dont les époux auraient trouvé bon de couvrir leur union. Un arrêt de la cour d'Agen décide qu'un mariage valablement contracté, bien que constamment tenu secret par les époux et resté ignoré des tiers, produit tous ses effets entre les époux; mais l'arrêt ajoute que le mariage ne peut être opposé aux tiers qui ont pu et dû l'ignorer (3). Cela est vrai, avec une

(1) Pothier, Traité du contrat de mariage, no 426. (2) Exposé des motits, no 38 Locré, t. II, p. 389).

(3) Arrêt du 18 novembre 1822 (Dalloz, au mot Mariage, no 385, 2o).

« PreviousContinue »