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restriction. On suppose que le mariage a été célébré publiquement; dès lors il peut être opposé aux tiers; mais si les époux ont détruit les effets de la publicité, en faisant croire par toutes leurs manières d'agir qu'ils ne sont pas mariés, alors il y a lieu d'appliquer le principe général de l'article 1382. Les époux ont trompé les tiers; si par là ils leur ont causé un préjudice, ils doivent le réparer (1).

476. La clandestinité est une cause de nullité absolue. Portalis nous en dit les raisons : « La plus grave des nullités est celle qui dérive de ce qu'un mariage n'a pas été célébré publiquement et en présence de l'officier civil compétent. Cette nullité donne action aux pères et aux mères, aux époux, au ministère public et à tous ceux qui y ont intérêt. Elle ne peut être couverte par la possession, ni par aucun acte exprès ou tacite de la volonté des parties; elle est indéfinie et absolue.» Portalis n'exagère-t-il pas la gravité du vice qui résulte de la clandestinité? Il est certain que la jurisprudence s'est écartée de sa doctrine, à ce point que la nullité que lui déclare indéfinie et absolue, est considérée aujourd'hui comme relative et pouvant se couvrir. La jurisprudence s'est peut-être écartée de l'esprit de la loi, mais de son côté Portalis a tort de représenter la clandestinité comme la plus grave de toutes les nullités. Il est possible qu'un mariage soit célébré sans publicité, et qu'il réunisse cependant toutes les conditions requises pour sa validité. Ne serait-ce pas un excès de sévérité de l'annuler? Après tout, la publicité a surtout pour objet de garantir l'accomplissement de toutes les conditions que la loi prescrit; c'est un moyen; or, le moyen doit être subordonné au but et non le but au moyen.

477. Tout mariage qui n'a point été contracté publiquement, dit l'article 191, peut être attaqué par les époux eux-mêmes, par les père et mère, par les ascendants et par tous ceux qui y ont un intérêt né et actuel, ainsi que par le ministère public. "La nullité est donc absolue, mais elle a un caractère particulier qui la distingue des

(1) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. III, p. 478, no 297.

autres nullités absolues, et même des nullités relatives. Quand la loi déclare un mariage nul, la nullité en peut être demandée, et dès qu'elle est demandée, elle doit être prononcée par le juge; rien n'est laissé à son pouvoir d'appréciation. Il n'en est pas de même de la clandestinité. Cela résulte à l'évidence de l'article 193. Il prononce des amendes contre l'officier de l'état civil, contre les parties contractantes, ou ceux sous la puissance desquels elles ont agi, pour toute contravention aux règles prescrites par l'article 165; puis il ajoute : « lors même que ces contraventions ne seraient pas jugées suffisantes pour faire prononcer la nullité du mariage. » Et que dit l'article 165: « Le mariage sera célébré publiquement. » Il ne dit pas en quoi consistent les formalités qui constituent la publicité; la loi les établit dans d'autres articles: ce sont les publications, la célébration du mariage par l'officier civil à la maison commune, l'admission du public à cette solennité, la présence de quatre témoins. Toutes ces formalités doivent être remplies, la loi les prescrit en termes impératifs et parfois irritants. Est-ce à dire que la nullité doive être prononcée dès que l'une de ces formalités n'a pas été remplie? Non, ici intervient le pouvoir discrétionnaire que l'article 193 accorde au juge en cette matière; c'est à lui à apprécier, comme le dit le texte, si la clandestinité est. assez grave pour annuler le mariage; il peut donc maintenir le mariage s'il trouve que, malgré l'inaccomplissement de l'une ou de l'autre formalité, la contravention n'est pas suffisante pour faire prononcer la nullité. Quelle est la raison de cette différence entre le vice de clandestinité et les autres vices qui annulent le mariage? La publicité est un fait complexe qui se compose de divers éléments; l'un de ces éléments peut faire défaut, et néanmoins il se peut que le mariage ait eu toute la publicité possible. Il y a donc des faits à apprécier. Dès lors, le juge a nécessairement un pouvoir discrétionnaire en cette matière. Les autres vices, au contraire, ne donnent lieu à aucune appréciation le consentement existe ou il n'existe pas, l'erreur ou la violence sont établies ou elles ne le sont pas, il y a inceste et bigamie ou il n'y en a pas. Il n'y a pas là

de plus ou de moins, tandis qu'il peut y avoir une publicité ou une clandestinité plus ou moins grande. Le principe ne peut être contesté, puisqu'il est écrit dans la loi. Nous allons l'appliquer aux divers faits qui constituent la publicité.

478. Le mariage peut-il être annulé pour le défaut des publications prescrites par la loi? Si l'on s'en tenait au texte de l'article 64 et au discours de Portalis, on serait tenté de décider qu'il y a nullité. L'article 64 dit que le mariage ne pourra être célébré avant le troisième jour depuis et non compris celui de la seconde publication. L'article 65 est tout aussi impératif et irritant. Ecoutons maintenant l'Exposé des motifs : « On place encore parmi les mariages clandestins ceux qui n'ont pas été précédés des publications requises... La nullité de ces mariages clandestins est évidente. Il est cependant bien certain que le défaut de publications n'entraîne pas la nullité du mariage. Il y a plus, c'est à peine si le défaut de publications peut être pris en considération par le juge. Légalement, il ne pourrait pas déclarer le mariage nul, en décidant qu'il est clandestin parce qu'il n'a pas été précédé de publications. Une pareille décision serait cassée par la cour de cassation. En effet, que dit l'article 191? Il permet d'attaquer le mariage qui n'a point été contracté publiquement. Le mot contracté indique qu'il s'agit du moment où le mariage est célébré, car c'est alors que le contrat se forme par le concours de consentement des parties. L'article 193 est conçu dans le même sens. Il cite l'article 165, et cette dernière disposition prescriť la célébration publique du mariage. Donc il n'y a nullité, du chef de clandestinité, que si le mariage n'a pas été célébré publiquement. Or, les publications sont étrangères à la célébration du mariage; légalement, elles ne font pas partie des éléments qui constituent la célébration publique; d'où suit que le défaut de publication n'est pas un vice de clandestinité. Tout au plus peut-on dire que le juge, ayant un pouvoir discrétionnaire en matière de clandestinité, pourra tenir compte du défaut de publications pour décider que le mariage est nul, à défaut de publicité. La jurisprudence et la doctrine

sont d'accord (1). Proudhon seul est d'un avis contraire. Les termes impératifs, irritants même des articles 64 et 65 n'ont aucune importance en cette matière, puisque d'après les principes consacrés par la cour de cassation, il n'y a point de nullité sans texte qui la prononce; les termes de la loi, quelque positifs ou irritants qu'ils soient, ne suffisent donc pas pour entraîner la nullité.

479. Le mariage n'a pas été célébré à la maison commune. Ici il y a défaut d'un des éléments qui constituent la publicité légale du mariage. Mais le seul fait que le mariage a été célébré au domicile des parties suffirait-il pour en entraîner la nullité? D'après le principe posé par Î'article 193, il est évident que c'est un point de fait que le juge décidera d'après les circonstances de la cause; ce n'est pas une question de droit. Des mariages célébrés au domicile des futurs époux ont été maintenus, parce qu'il y avait un motif légitime, la maladie, pour faire exception à la règle; d'autres mariages ainsi célébrés ont été annulés, sans doute parce qu'il y avait dessein de les cacher. Nous ne rapportons pas ces décisions parce qu'elles sont rendues en fait et n'apprennent rien sur le droit (2).

Le mariage n'a pas été célébré en présence de quatre témoins, ou les témoins ne réunissaient pas les conditions prescrites par la loi. Est-ce une cause de nullité? La décision dépend des faits et des circonstances. Il y a eu des mariages maintenus, bien qu'il n'y eût que deux ou trois témoins. Un mariage a été annulé, au contraire, parce qu'il avait été célébré en présence de trois femmes (3).

480. Le vice de clandestinité peut-il être couvert? En principe, il faut décider avec Portalis que la nullité étant absolue, il est impossible de l'effacer par une confirmation quelconque. C'est l'application des principes généraux qui régissent les nullités d'intérêt public. Mais les tribunaux ne pourraient-ils pas tenir compte de la possession d'état

(1) Voyez les arrêts et les auteurs cités par Dalloz, au mot Mariage, no 553.

(2) Dalloz, Répertoire, au mot Mariage, nos 556, 447. Il faut ajouter un arrêt d'Agen, du 28 janvier 1857 (Dalloz, Recueil, 1857, 2, 100), qui annule le mariage célébré dans la demeure de l'un des époux.

(3) Voyez les arrêts dans Lalloz, au mot Mariage, no 558

des époux dont le mariage n'a pas été célébré publiquement? Marcadé décide la question affirmativement, et il y a un arrêt en ce sens (1). Au point de vue légal, cela est plus que douteux. C'est au moment où le contrat se forme que la publicité doit exister; s'il n'a pas été célébré publiquement, il est par cela même clandestin, et s'il est clandestin, il peut être annulé. Nous disons qu'il peut l'être; en droit, il faudrait dire qu'il doit être annulé dès qu'il est constant en fait qu'il est clandestin. Mais comme les tribunaux ont un pouvoir discrétionnaire pour apprécier la clandestinité, ils pourront prendre en considération la publicité qui a suivi le mariage, et le maintenir, bien qu'il ait été contracté clandestinement. La décision, rendue en fait, serait inattaquable. Si le tribunal décidait en droit que le mariage, quoique clandestin, est valable, à raison de la possession publique qui l'a suivi, cette décision serait contraire à la loi. Il faudrait un texte pour permettre au juge de déclarer qu'une nullité est couverte par la possession d'état. Or, non-seulement il n'y a pas de texte, mais il y a une déclaration toute contraire de Portalis, et cette déclaration a pour elle la rigueur des principes.

No 2. DE L'INCOMPÉTENCE DE L'OFFICIER CIVIL.

481. L'incompétence de l'officier civil se confond-elle avec la clandestinité, ou est-ce un vice distinct et séparé? On a dit que les deux vices n'en forment qu'un seul, en ce sens que la compétence de l'officier public n'est qu'un élément de la publicité. Quel est son rôle dans le mariage? dit Marcadé. Il est témoin; ce n'est pas lui qui réalise le mariage, il en est le spectateur passif; c'est le consentement des parties qui fait l'essence du mariage; l'officier public ne fait que prononcer, au nom de la société, qu'il existe. Cette doctrine a du vrai, mais elle est trop absolue. Non, l'officier de l'état civil n'est pas un simple témoin, un spectateur, car sa présence est nécessaire pour l'exis

(1) Marcadé, t. Ier, p. 499, article 191, n° 3. Arrêt d'Aix du 14 mai 1857 (Dalloz, Recueil, 1857, 2, 148).

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