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Au titre du Divorce, la loi établit plusieurs empêchements. Nous les avons fait connaître (n° 366). Sont-ils prohibitifs ou dirimants? L'opinion commune est qu'ils ne sont que prohibitifs. D'après le principe de la cour de cassation, cela ne fait pas même de doute. Il y a des auteurs qui admettent la nullité, notamment dans le cas de l'article 298. La loi met une énergie singulière à prohiber le mariage, quand le divorce est prononcé pour cause d'adultère: elle dit que « l'époux coupable ne pourra jamais se marier avec son complice. » Certes, comme sanction de cette prohibition si irritante, le législateur aurait dû prononcer la nullité. Nous regrettons qu'il ne l'ait pas fait, car la conscience se soulève contre le scandale d'un mariage aussi immoral. Mais l'interprète peut-il combler la lacune? Nous ne le croyons pas, car il devrait faire la loi; il devrait décider si la nullité est absolue ou relative; il devrait décider par qui elle peut être demandée, si elle peut se couvrir, dans quel délai l'action doit être intentée. Le législateur ayant gardé le silence sur tous ces points, il nous parait impossible d'admettre l'action en nullité. Vainement dit-on que l'article 298, placé au titre du Divorce, ne peut pas être régi par le chapitre IV du titre du Mariage (1). Nous avons répondu d'avance à l'objection. Si le législateur avait voulu admettre des nullités non prévues par le chapitre IV, il aurait dû les organiser, comme il l'a fait pour les nullités que ce chapitre établit. Il l'aurait fait, si son intention avait été de sanctionner, par la peine de nullité, les empêchements résultant du divorce. Donc par cela seul qu'il ne l'a pas fait, il faut conclure qu'il n'y a pas de nullité (2).

Nous disons la même chose des empêchements qui découlent de l'adoption (art. 348). Il y a cependant ici une raison de douter. L'article 348, peut-on dire, ne fait qu'appliquer à la parenté adoptive les prohibitions établies par les articles 161, 162 et 163 pour la parenté

(1 Valette sur Proudhon, Traité sur l'état des personnes, t. Ier, p. 407,

note b.

(2 Jugement du tribunal d'Anvers du 29 avril 1864 (Dalloz, Recueil, 1864, 3, 45).

naturelle; de la suit qu'il y a nullité, non pas en vertu de l'article 348, mais en vertu des articles 161 et 184. Mais on répond, et la réponse est péremptoire, que la parenté résultant de l'adoption est une parenté fictive; or, appartient-il à l'interprète d'appliquer à la fiction ce que la loi dit de la réalité? Non, car ce serait étendre des nullités; cela ne se peut pas, surtout en matière de mariage. Sans doute, il y a de l'analogie entre la parenté fictive et la parenté naturelle; il y a de graves motifs de morale qui ont engagé le législateur à établir les prohibitions de l'article 348; mais des motifs de morale ne suffisent pas pour annuler un mariage. Il y a aussi des motifs d'ordre public qui s'opposent à l'annulation des mariages. C'est au législateur à décider quels sont les motifs qui doivent l'emporter. Telle est l'opinion commune (1).

485. Le mariage contracté par procureur est-il nul? Nous avons enseigné que le mariage ne peut pas être célébré par procureur; mais s'il l'a été, pourra-t-il être annulé? L'affirmative est consacrée par un arrêt de la cour de Bastia (2). Il se fonde sur un principe incontestable, c'est que le consentement des futurs époux doit être exprimé au moment solennel où leur unión est célébrée. Or, une procuration prouve bien que, lorsqu'elle a été donnée, la personne absente avait l'intention de contracter mariage, mais elle ne garantit pas que cette intention ait persisté au moment de la célébration. Ici, il y a erreur, à notre avis. La volonté manifestée par le mandat subsiste aussi longtemps que le mandant ne l'a pas révoquée; par cela seul qu'il ne la révoque pas, il y a volonté au moment où le mariage se célèbre. Tout ce que l'on peut discuter, c'est si cette volonté a été exprimée dans les formes prescrites par la loi, et si, à raison de l'inobservation de ces formes, le mariage est nul. Nous n'admettons pas la nullité parce que la loi ne la prononce pas.

Il y aurait plus que nullité, il y aurait inexistence du mariage si la procuration avait été révoquée et si le man

Demolombe, Cours de code Napoléon, t. III, p. 526, no 338.
Arrêt du 2 avril 1849 (Dalloz, Recueil périodique, 1849, 2, 80).

dataire avait donné son consentement, dans l'ignorance de cette révocation. En effet, dans ce cas, il n'y aurait pas de consentement, et sans consentement il n'y a pas de mariage. Il va sans dire que l'on ne pourrait pas, dans l'espèce, appliquer l'article 2005, d'après lequel la révocation du mandat notifiée au seul mandataire ne peut être opposée aux tiers qui ont traité dans l'ignorance de cette révocation (1).

486. Marcadé a imaginé une nouvelle cause de nullité. Il suppose qu'une jeune personne, attachée à la religion catholique, accepte la main d'un jeune homme qui fait profession de la même foi. Après la célébration civile du mariage, le mari refuse de faire bénir son union par l'Eglise. La femme, dit Marcadé, pourra demander la nullité du mariage pour erreur sur la personne. Il y a, en effet, erreur sur une qualité principale de la personne, puisque la femme a cru et voulu épouser un homme ayant au moins quelques sentiments religieux, tandis que son mari pousse l'hostilité contre le catholicisme jusqu'à l'impiété. Nous citons presque textuellement les paroles de l'auteur, pour qu'on ne croie pas que nous voulons nous moquer de lui. Nous respectons les croyances que nous ne partageons pas, et nous n'approuvons certes pas la conduite du jeune homme qui déguise ses sentiments en jouant le catholique. Mais la question est une question de droit. Pour ne pas trouver la décision trop absurde, il faut se rappeler la doctrine enseignée par Marcadé sur le sens de l'article 180. Il suffit, d'après lui, qu'il y ait erreur sur la qualité pour que le mariage soit nul. Nous ne rentrerons pas dans le débat. Il nous semble que l'application que Marcadé fait de son principe n'est pas de nature à le recommander. Il y aurait erreur sur la personne si, au lieu d'un catholique, on épousait un libre penseur! Décidément cela n'est pas

sérieux.

La question s'est présentée devant la cour de Montpellier. Un mariage célébré en 1815 n'avait pas été suivi de la solennité religieuse; la femme refusa de cohabiter avec

(1) Zachariæ, Cours de droit civil français, t. III, p. 307, note 23, § 467.

son mari. En 1846, elle demanda une pension alimentaire. Le mari répondit qu'il était prêt à recevoir sa femme chez lui, que dès lors il n'y avait pas lieu de lui payer une pension. Cela supposait la validité du mariage. La cour accueillit cette défense et décida que le refus du mari de - célébrer le mariage religieux serait peut-être tout au plus une injure grave, qui pourrait autoriser une demande en séparation de corps. La cour rejeta donc implicitement la singulière théorie de Marcadé (1).

La même question a été agitée devant la cour de Lyon; elle a décidé en termes formels que la circonstance que les époux n'auraient pas reçu la bénédiction nuptiale ne peut autoriser l'annulation d'un mariage régulièrement contracté (2).

§ VI. De l'action en nullité.

487. Qui peut intenter l'action en nullité quand elle est absolue? Tout mariage, répond l'article 184, contracté en contravention aux dispositions contenues aux articles 144, 147, 161, 162 et 163, peut être attaqué soit par les époux eux-mêmes, soit par tous ceux qui y ont intérêt, soit par le ministère public. » L'article 191 reproduit le même principe pour le cas de clandestinité : « Tout mariage qui n'a point été contracté publiquement, et qui n'a point été célébré devant l'officier public compétent, peut être attaqué par les époux eux-mêmes, par les père et mère, par les ascendants et par tous ceux qui y ont un intérêt né et actuel, ainsi que par le ministère public.

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488. La loi place en première ligne les époux, sans distinguer l'époux qui est en faute de celui qui est innocent et de bonne foi. Nous en avons dit la raison. La société est intéressée à ce que les mariages contractés au mépris de l'ordre public soient annulés. Dès lors, on ne peut plus objecter au demandeur la maxime que personne

(1) Arrêt du 4 mai 1847 (Dalloz, Recueil périodique, 1847, 2, 83). (2) Arrêt du 10 mars 1853 (Dalloz, 1853, 2, 211).

n'a d'action en vertu de son dol, ou que personne ne peut alléguer sa turpitude pour y fonder un droit. Pothier répond à l'objection que ces maximes supposent que le demandeur a un intérêt particulier; tandis que l'action en nullité du mariage, quand elle est absolue, a pour objet moins l'intérêt de celui qui l'intente que l'honnêteté publique; l'intérêt de la société ne permet pas de laisser subsister un mariage qui blesse cette honnêteté. Par suite, la demande doit être reçue, malgré la faute du demandeur (1). Les époux, même celui qui est coupable, ont du reste un intérêt moral à ne pas rester dans les liens d'une union qui est honteuse, criminelle, ou du moins contraire à l'intérêt général,

Par application de ce principe, il faut décider que l'époux impubère a l'action en nullité, ainsi que son conjoint, alors même que celui-ci connaissait l'âge de son conjoint (n° 467); de même l'époux bigame et son conjoint, complice ou non, ainsi que l'époux incestueux et son conjoint, que celui-ci soit ou non de bonne foi. Pour l'époux bigame qui a commis un crime, il y avait quelque doute; le projet lui refusait l'action en nullité; mais cette proposition fut repoussée : « Il faut, a-t-on dit, que le bigame puisse réparer le délit qu'il a commis (2).

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489. Les ascendants ont l'action en nullité résultant du défaut de publicité ou de l'incompétence de l'officier public (art. 191). Ils l'ont aussi dans les autres cas de nullité absolue, bien que l'article 184 ne les mentionne pas expressément. La loi les comprend dans cette expression générale « tous ceux qui y ont intérêt, » Cela résulte à l'évidence de l'article 186. Cette disposition concerne un des cas prévus par l'article 184, l'impuberté, et elle décide que le père, la mère et les ascendants qui ont consenti au mariage de l'impubère, ne sont pas recevables à en demander la nullité. Ce qui suppose que les ascendants ont l'action, en règle générale, la loi ne la leur refusant que par exception, quand ils ont eux-mêmes violé ses

(1) Pothier, Traité du contrat de mariage, no 443.

(2) Séance du conseil d'itat du 4 vendémiaire an x, no 43 (Locré, t. II, p. 332).

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