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prohibitions (1). Mais comme les ascendants n'ont l'action en nullité, dans les cas prévus par l'article 191, que parce qu'ils y ont intérêt, on demande si cet intérêt doit être un intérêt pécuniaire, né et actuel, ou si l'intérêt moral suffit. La question est controversée, mais il n'y a vraiment pas lieu à controverse; l'article 187 la décide implicitement en faveur des ascendants; il porte: Dans tous les cas où, conformément à l'article 184, l'action en nullité peut être intentée par tous ceux qui y ont intérêt, elle ne peut l'être par les parents collatéraux ou par les enfants nés d'un autre mariage, du vivant des deux époux, mais seulement lorsqu'ils y ont un intérêt né et actuel. » C'est de nouveau une exception qui suppose une règle contraire, en ce qui concerne les ascendants et la famille; leur intérêt ne doit donc pas être un intérêt pécuniaire. En effet, ce n'est pas dans un intérêt d'argent que la loi leur donne action; ils agissent pour sauvegarder l'honneur de la famille tout ensemble et l'intérêt de la société. C'est aussi en ce sens qu'est conçu l'article 191: quand le mariage est clandestin, il peut être attaqué par les ascendants et par tous ceux qui y ont un intérêt né et actuel. L'opposition entre les ascendants et les autres intéressés est ici évidente; les ascendants peuvent agir, alors même qu'ils n'y ont pas un intérêt né et actuel, donc en vertu d'un intérêt moral, et par suite ils peuvent intenter l'action du vivant des époux. Dans l'esprit de la loi, il faut même dire qu'ils doivent le faire du vivant des époux, afin de rompre une union qui est une honte pour la famille et un mal pour la société. La jurisprudence est d'accord sur ce point avec la doctrine (2).

490. Les ascendants ont-ils l'action concurremment, ou doivent-ils l'exercer graduellement? Ainsi, si les père et mère gardent le silence, les aïeuls peuvent-ils agir? Il nous semble qu'ils le peuvent par cela seul que la loi ne le

(1) C'est l'opinion commune (Zachariæ, t. III, p. 253, note 15, § 461). Le dissentiment de Toullier mérite à peine d'être mentionné.

(2 C'est encore l'opinion commune, sauf le dissentiment de Toullier et de Duranton (Zachariæ, t. III, p. 253, note 18). Comparez arrêt de la cour de cassation du 15 novembre 1848 (Dalloz, Recueil, 1848, 1, 247).

leur défend pas. Dans les divers articles où il est question des ascendants, la loi les énumère; elle dit : « Le père, la mère, les ascendants >> (art. 186, 191); elle les appelle donc indistinctement. Si elle avait voulu subordonner le droit des uns à celui des autres, elle aurait dû dire : « Le père, et à défaut du père, la mère, et à défaut des père et mère, les aïeuls, etc. Par cela seul que la loi n'apporte aucune limite au droit des ascendants, l'interprète ne peut pas en limiter l'exercice. Il faut ajouter qu'il n'y avait pas de raison pour établir une action graduelle. C'est surtout dans un intérêt social que l'action est intentée, dès lors il faut l'ouvrir à tous les ascendants sans distinction; si le père est un homme indifférent ou négligent, il faut que l'aïeul et même la mère puissent agir (1).

L'opinion commune veut que les ascendants exercent leur droit graduellement (2). Il faudrait un texte; y en a-t-il un? On cite les articles du code qui traitent du consentement des ascendants au mariage, du droit d'opposition et même de la tutelle (art. 142, 148, 150, 172, 402); mais peut-on appliquer un seul et même principe à des matières essentiellement différentes? Quand les ascendants sont appelés à consentir au mariage ou à y former opposition, alors il s'agit d'une magistrature domestique, et l'on conçoit que les plus proches soient appelés à l'exercer avant les plus éloignés. S'agit-il de la tutelle, c'est une charge que la loi doit naturellement imposer au père avant de l'imposer à l'aïeul. Au contraire, l'action en nullité est accordée aux ascendants, dans un intérêt général : faut-il sacrifier l'intérêt général à la négligence ou à l'indifférence de l'ascendant le plus proche? Vainement objecte-t-on que c'est pour l'honneur de la famille que les ascendants agissent. Non, l'honneur de la famille est l'intérêt qui leur donne qualité pour agir; mais cet intérêt étant commun à tous les ascendants, tous ont un titre égal à le sauvegarder, en ce sens que tous ont qualité pour agir. Or, dès que le demandeur a un intérêt, il a le droit d'agir; on ne

(1) C'est l'opinion de Zachariæ, t. III, p. 255, note 25, § 461, suivie par Marcadé, t. Ier, p. 489.

(2) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. III, p. 488, no 303.

pourrait repousser son action que si la loi la subordonnait à une condition. En définitive, c'est une question de texte : le silence du code suffit pour la décider en faveur des ascendants.

491. Le conseil de famille peut-il intenter l'action? En un certain sens, l'affirmative n'est pas douteuse. Il est vrai que l'article 184 ne mentionne pas le conseil de famille; mais il est compris, ainsi que les ascendants, dans cette expression générale : « tous ceux qui y ont intérêt. » Ce qui le prouve, pour le conseil de famille comme pour les ascendants, c'est l'article 186, aux termes duquel la famille est déclarée non recevable, de même que les ascendants, lorsqu'elle a consenti au mariage de l'impubère. La famille est évidemment le conseil de famille, puisque c'est le conseil qui est appelé à consentir au mariage de l'impubère. Il n'y a que l'article 191 qui laisse un doute; il énumère les personnes qui ont le droit d'agir en cas de clandestinité et il ne parle pas de la famille; il mentionne, à la vérité, ceux qui y ont intérêt, mais il exige que cet intérêt soit né et actuel. De là une sérieuse difficulté. Le conseil, n'étant pas mentionné dans l'article 191, ne peut agir qu'en invoquant le droit accordé à ceux qui y ont intérêt, et, en ce cas, il devrait prouver qu'il a un intérêt pécuniaire, puisque, dans l'article 191, l'intérêt né et actuel est nécessairement un intérêt d'argent. Or, le conseil agit-il au nom d'un intérêt d'argent? Il ne peut pas même avoir un intérêt pareil. En définitive, nous sommes sans texte. On pourrait dire que la famille, ayant le droit d'agir dans les cas d'impuberté, de bigamie et d'inceste, doit avoir le même droit en cas de clandestinité. En effet, on chercherait en vain une raison de différence. Mais l'identité de motifs n'est pas un texte. Et en matière de nullités de mariage, il faut une loi. Nous aboutissons forcément à la conclusion qu'il y a une lacune dans la loi, et nous ne croyons pas qu'il appartienne à l'interprète de la combler (1).

492. Les collatéraux sont compris dans l'expression: << ceux qui y ont intérêt» (art. 184); mais, aux termes

(1) Comparez Demolombe, Cours de code Napoléon, t. III, p. 490, no 304.

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de l'article 187, cet intérêt doit être né et actuel. Ils sont aussi compris dans l'article 191, qui reproduit la même expression. Il y a donc une grande différence entre les ascendants et les collatéraux. Les premiers peuvent agir, bien qu'ils n'y aient aucun intérêt pécuniaire; tandis que les collatéraux seraient déclarés non recevables, s'ils n'avaient pas d'intérêt né et actuel. Portalis explique la raison de cette différence, En thèse, dit-il, des collatéraux ou des héritiers avides sont écoutés peu favorablement. Ils n'ont en leur faveur ni le préjugé de la nature, ni l'autorité de la loi. L'espérance d'accroître leur fortune est le seul mobile de leur démarche. Ils n'ont aucune magistrature domestique à exercer sur des individus qui ne sont pas confiés à leur sollicitude. Ils ne doivent donc pas être admis à troubler un mariage concordant et paisible. Ils ne doivent et ils ne peuvent se montrer que lorsqu'il s'agit de savoir s'ils sont exclus d'une succession par des enfants légitimes, ou s'ils sont fondés à contester l'état de ces enfants et à prendre leur part dans cette succession. Hors de là, ils n'ont point d'action, »

Conformément à ces principes, l'article 187 décide que les collatéraux ne peuvent intenter l'action du vivant des deux époux, mais seulement lorsqu'ils y ont un intérêt né et actuel, Faut-il conclure de là que les collatéraux ne peuvent jamais agir en nullité du vivant des époux? Non, les termes de l'article 187 ne sont pas restrictifs, parce qu'il n'y a aucune raison pour qu'ils le soient. Ils prévoient le cas général; régulièrement, l'intérêt des collatéraux ne prend naissance que lorsque l'époux dont ils sont héritiers présomptifs vient à mourir, laissant des enfants, comme Portalis vient de nous l'expliquer; donc, en règle générale, les collatéraux n'ont pas d'intérêt du vivant des époux, partant ils n'ont pas d'action. Mais il peut arriver que les enfants nés du mariage nul soient appelés à une succession du vivant de leur père ou mère; dans ce cas, les collatéraux ont intérêt à les écarter, ils ont donc un intérêt né et actuel à demander la nullité du mariage, du vivant même de l'époux. Or, dès qu'ils ont intérêt, ils doivent avoir le droit d'agir. Tel serait le cas où le père renoncerait à une

succession, à laquelle son fils est appelé à son défaut. C'est l'opinion commune, et elle ne souffre aucun doute.

493. Il en est de même des enfants d'un premier lit. La loi les met sur la même ligne que les collatéraux: ils ne peuvent agir, dit l'article 187, du vivant des époux, mais seulement lorsqu'ils y ont un intérêt né et actuel. Mais s'ils ont un intérêt du vivant de leur père ou de leur mère, pourront-ils, en ce cas, demander la nullité du mariage? L'affirmative ne nous paraît pas douteuse. Il n'y a qu'un seul et même texte pour les collatéraux et pour les enfants nés d'un autre mariage. Il faut donc appliquer le même principe aux uns et aux autres. On objecte que les enfants doivent à tout âge honneur et respect à leurs père et mère (art. 371); ne manqueraient-ils pas à ce devoir, dit Proudhon, s'ils intentaient contre leur père une action. qui le couvrirait de honte ou d'infamie, en cas de bigamie ou d'inceste (1)? Nous répondons que l'enfant use d'un droit, et à celui qui use d'un droit, il n'y a aucun reproche à faire. La loi accorde une action aux enfants d'un autre lit; pour admettre une fin de non-recevoir, il faudrait une exception aux articles 184 et 187. Et peut-on sérieusement voir une exception dans une disposition générale comme celle de l'article 371, qui commande à l'enfant de respecter ses père et mère? Sans doute, l'action de l'enfant sera peu respectueuse. Mais l'union qu'il attaque mérite-t-elle qu'on la respecte? Qu'est-ce qui est plus légitime, l'intérêt pécuniaire des enfants ou l'union incestueuse ou bigamique du père?

494. L'expression: « ceux qui y ont intérêt, "ne comprend-elle que les collatéraux et les enfants d'un autre lit? Il nous semble que le texte décide la question, sur laquelle il y a cependant controverse. L'article 184 dit: tous ceux qui ont intérêt; l'article 191 reproduit la même expression, Puisque la loi est générale, pourquoi y ferait-on une exception? La raison pour laquelle la loi donne l'action, demande-t-elle qu'on la limite aux parents? Non, certes; la raison est générale comme le texte; la loi tient à ce

(1) Proudhon, Traité sur l'état des personnes, t. Ier, p. 440, suivi par Demolombe, t. III, p. 495, no 307.

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