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allons l'examiner après que nous aurons expose une autre difficulté qui doit être décidée d'après les mêmes principes.

La déclaration que les comparants ont faite de la filiation d'un enfant légitime est fausse. Y a-t-il lieu de s'inserire en faux? Oui, dit Duranton, car l'acte de naissance prouve la filiation des enfants nés de père et mère mariés. La déclaration est donc de la substance de l'acto. Par conséquent elle doit faire preuve jusqu'à inscription de faux. Lui refuser cette force probante, c'est ébranler l'état des personnes, car les actes de naissance sont la preuve par excellence de la filiation légitime, et nos droits les plus précieux dépendent de la filiation (1). A notre avis, la déclaration de filiation légitime ne fait foi que jusqu'à preuve contraire. Et nous disons la même chose de toute déclaration reçue par l'officier public, alors même que la fausse déclaration constituerait le crime de faux. Ceci est le point le plus difficile de la question.

42. Constatons d'abord qu'il y a des déclarations mensongères qui, d'après la jurisprudence, sont des faux criminels. Pierre déclare qu'un enfant lui est né de son épouse, tandis qu'il est le fruit d'un commerce adultérin. C'est plus qu'une énor.ciation mensongère, dit la cour de cassation, c'est un faux. En effet, elle a pour objet et pour résultat d'établir une filiation autre que celle de la loi et de la nature (2). Voici un autre cas qui s'est présenté devant les tribunaux belges. Deux personnes présentent à l'officier de l'état civil un enfant du sexe féminin nouvellement né, qu'elles disent avoir trouvé exposé à Namur. Or, cet enfant avait été apporté par les déclarants eux-mêmes à Namur. D'où suit, dit la cour de Gand, qu'ils ont fait une fausse déclaration en écriture authentique, en altérant sciemment la déclaration que l'acte de naissance doit contenir; cette fausse déclaration porte préjudice à la ville de Namur, puisqu'elle met à sa charge, au moins en partie, l'entretien dudit enfant. Donc il y a faux criminel (3).

(1) Duranton, Cours de droit français, t. Ier, p. 233, no 308.

(2) Merlin, Questions de droit, au mot Questions d'état, § 2, et Répertoire, au mot Maternité, no 6.

(3 Arrêt de la cour de Gand du 13 avril 1853 (Pasicrisie, 1854, 2, 86). Com

Faut-il s'inscrire en faux lorsque les fausses déclarations faites par les comparants constituent le crime de faux? C'est l'avis de Merlin, de Duranton, de Coin-Delisle, et en apparence cette opinion est fondée sur les principes qui régissent la force probante des actes authentiques. On attaque une déclaration consignée dans un acte authentique; cette déclaration constitue un faux; on soutient donc que l'acte est faux; dès lors ne faut-il pas s'inscrire en faux? Oui, il faudrait s'inscrire en faux, si la fausse déclaration émanait de l'officier public; mais on n'est pas obligé de s'inscrire en faux quand on combat des déclarations faites par des comparants. La distinction résulte de l'essence même de l'acte authentique. Qu'est-ce qui imprime l'authenticité à l'acte? Le fait que cet acte est l'œuvre d'un officier public. Or, qu'est-ce qui est l'œuvre de l'officier de l'état civil dans l'acte qu'il dresse? Ce qu'il déclare avoir accompli lui-même ou s'être passé devant lui. Quant aux déclarations émanées des comparants, il n'atteste qu'une chose, c'est qu'elles ont été faites, mais il ne garantit pas leur sincérité. Donc l'acte ne peut pas faire foi de cette sincérité. Il suit de là que celui qui prétend qu'une déclaration est mensongère n'attaque pas l'acte; et dès qu'il n'attaque pas l'acte, il n'y a pas lieu de s'inscrire en faux. Vainement dira-t-on qu'il y a un faux en écriture authentique, que dès lors l'inscription en faux est nécessaire. Nous répondons que les comparants peuvent être coupables de faux sans que l'acte soit faux; car l'acte n'est pas l'œuvre des comparants, il est l'œuvre de l'officier public. Qu'importe donc que les comparants aient fait une fausse déclaration? Ce faux n'empêche pas l'acte d'être sincère, puisque l'acte ne fait que constater le fait matériel de la déclaration; or, si l'acte est sincère, il ne peut plus être question d'une inscription en faux.

On objecte que pour les déclarations qui sont de la substance de l'acte, l'acte doit faire foi de la sincérité de la déclaration, sinon le but de la loi n'est pas atteint. Il en

parez l'arrêt de cassation, rendu dans la même affaire, le 8 novembre 1852 (Pasicrisie, 1853, 1, 42).

est ainsi, dit-on, de la déclaration de filiation, quand les pere et mère sont mariés. Nous répondons que les déclarations des comparants ne doivent et ne peuvent jamais faire foi jusqu'à inscription de faux. Ils ne sont pas officiers publics; cela seul décide la question. Il faudrait une disposition formelle dans la loi pour assimiler des premiers venus à des officiers publics quant à la foi qui est due à leurs déclarations. Mais une pareille assimilation est impossible, parce qu'elle serait contraire à la nature des choses. Vainement dit-on que l'état des hommes serait compromis, si les déclarations qui sont de la substance de l'acte ne faisaient pas foi jusqu'à inscription de faux. Cela n'est pas. Nous ne refusons pas toute force probante aux déclarations des comparants, nous reconnaissons qu'elles font foi jusqu'à preuve contraire. Cela est un immense. avantage; celui qui a un acte de l'état civil n'a rien à prouver, l'acte prouve par lui-mêmes. Est-ce un acte de naissance, et les père et mère sont-ils mariés, l'acte prouvera que l'enfant est né de telle femme, et la paternité sera prouvée par voie de présomption. Ceci est déjà bien grave, car enfin cette déclaration peut être mensongère, et elle fera néanmoins foi jusqu'à ce que le contraire soit prouvé. Il est impossible d'aller plus loin (1).

La jurisprudence de la cour de cassation est favorable à l'opinion que nous soutenons. «En thèse générale, dit la cour suprême, il n'y a lieu à inscription de faux que lorsque l'auteur du faux peut être personnellement poursuivi. L'officier public, rédacteur de l'acte dans lequel il insère les déclarations qui lui sont faites par les parties, n'est pas responsable de la sincérité de ces déclarations; leur fausseté est un mensonge qui n'altère point la substance matérielle de l'acte qu'il a dû rédiger. Merlin critique cet arrêt; il y a des cas, selon lui, où la fausseté des déclarations altère la substance de l'acte, c'est quand les auteurs peuvent être poursuivis comme faussaires (2). Mais de ce que les déclarants sont faussaires, cela prouve

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(1) Richelot, Principes du droit civil français, t. Ier, p. 216 et suiv., note. (2) Merlin, Répertoire, au mot Maternité, no 6 (t. XX, p. 92 et suiv.).

t-il que l'acte reçu par l'officier public soit aux? Là est, nous semble-t-il, le noeud de la difficulté. Merlin identifie les comparants et l'officier de l'état civil, tandis que, dans la réalité des choses, il y a un abîme entre eux : l'un a une mission sociale dont la confiance de la société l'a investi, les autres n'ont aucune mission. Aussi l'officier public ne s'approprie pas leurs déclarations, et il ne peut pas le faire; il se borne à constater ce qu'ils lui ont déclaré. C'est ce fait matériel qu'il atteste, et rien de plus. Donc il n'y a que ce fait matériel qui soit prouvé jusqu'à inscription de faux.

SECTION V.

Des cas où il n'y a pas dé registré

43. La loi prescrit la tenue de registres, afin de donner aux hommes un moyen facile de prouver leur état. Mais comment prouveront-ils les naissances, les mariages et les décès, lorsqu'il n'a pas existé de registres ou lorsque les registres sont perdus? L'article 46 décide qu'en ce cas les mariages, naissances et décès pourront être prouvés tant par les registres et papiers des père et mère décédés que par témoins. » Ainsi deux espèces de preuves sont admises, les écrits émanés des père et mère et la preuve testimoniale. Mais pour que l'on puisse prouver de cette manière les faits de l'état civil, il faut que l'on fasse d'abord une preuve préalable, à savoir, qu'il n'a pas existé de registres ou qu'ils sont perdus. Pourquoi la loi subordonne-t-elle les preuves qu'elle admet à cette preuve préalable? Il est rare qu'il y ait des registres ou papiers domestiques; ce sera donc le plus souvent par témoins que l'on prouvera les naissances, les mariages et les décès, dans les cas prévus par l'article 46. Or, le législateur se défie de la preuve testimoniale; il la prohibe, en principe, en matière de conventions; illa repousse aussi quand il s'agit de l'état des personnes. « C'est pour écarter le danger des preuves testimoniales, dit le tribun Siméon, que la loi a institué les registres de l'état civil (1). » Les

(1) Siméon, Rapport au Tribunat (Locré, t. Ier, p. 94, no 1).

registres sont donc, dans l'esprit du code Napoléon, la preuve par excellence de l'état civil des hommes. Si la loi admet la preuve testimoniale, c'est par nécessité, quand il n'y a ni registres ni papiers domestiques. Mais, même dans cette nécessité, le législateur cherche à diminuer les dangers que présente la preuve par témoins, en exigeant une preuve préalable qui donne quelque probabilité à la demande. C'est en ce sens que Thibaudeau a exposé les motifs de la loi. « Il n'y a, dit-il, que l'autorité des titres publics et de la possession qui rende l'état civil inébranlable... La preuve testimoniale seule n'est pas d'un poids ni d'un caractère qui puissent suppléer à ces espèces de preuves ni leur être opposée... L'incertitude de la preuve testimoniale a toujours effrayé les législateurs (1). »

44. Comment se fait la preuve préalable? « Lorsqu'il n'aura pas existé de registres ou qu'ils seront perdus, la preuve en sera reçue tant par titres que par témoins. » Cette disposition est empruntée à l'ordonnance de 1667. Dans l'ancien droit, on décidait sans hésiter que l'expression tant par titres que par témoins signifiait que l'une ou l'autre de ces preuves suffisait, qu'il ne les fallait pas cumuler. Rodier faisait là-dessus cette remarque: Tous les jugements qui ordonnent des preuves, en quelque matière que ce soit, sont conçus en ces termes prouvera tant par actes que par témoins; cependant il suffit de prouver par témoins. La locution a donc un sens technique, reçu dans le langage du droit; on la trouve dans l'article 232 du code de procédure; elle a le même sens dans l'article 46 du code Napoléon. Il est inutile d'insister davantage sur un point qui ne fait pas de doute (2).

45. Nous supposons que la preuve préalable est faite. Alors on pourra prouver les naissances, les mariages et les décès, tant par les papiers émanés des père et mère décédés que par témoins. La loi répète dans la seconde partie de l'article 46 l'expression dont elle s'est servie dans la première tant par..... que par. Il faut naturellement l'en

(1) Thibaudeau. Exposé des motifs (Locré. t. Ier, p. 68, no 7). (2, Merlin, Répertoire, au mot Etat civil, § 2, no 2.

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