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cite une autre lettre du garde des sceaux, en date du 13 octobre 1815, qui est conçue dans le même sens. Le mariage fut annulé, cela va sans dire, mais en même temps il fut déclaré putatif (1). Nous reviendrons sur cet arrêt; il est inattaquable en un point: la bonne foi des époux ne pouvait être contestée. S'il y a des coupables, ce sont le grand-juge et le garde des sceaux qui se sont trompés l'un et l'autre, et qui ont induit en erreur les parties contractantes. Viendra-t-on encore soutenir, après cela, que les futurs époux, bien qu'étrangers, sont censés connaître la loi, alors que deux ministres de la justice l'ignorent!

La cour de Bruxelles a décidé également qu'un mariage célébré à Tournai, le 1er avril 1799, devant le curé, était un mariage putatif. En ce qui concerne la question de bonne foi, cela est incontestable. La Belgique venait d'être conquise, le régime français y était généralement détesté; la révolution et les lois qu'elle avait portées y étaient en horreur. C'est la cour qui constate ce fait. Nous ajouterons que le clergé fomentait cette hostilité; à ses yeux, le mariage civil était une invention du diable. On conçoit que, nourris dans ces préjugés, aveuglés par le fanatisme, les futurs conjoints aient cru de très-bonne foi que le mariage à l'église était le seul légitime (2).

505. A quel moment la bonne foi doit-elle exister? La question est controversée, mais c'est une de ces controverses qui n'existeraient point si les interprètes avaient plus de respect pour le texte de la loi. Aux termes de l'article 201, le mariage est putatif quand il a été contracté de bonne foi. Donc, dès que la bonne foi existe lors du contrat, le mariage est putatif (3). Cela est aussi conforme aux principes; il s'agit de déterminer les effets d'un contrat; or, c'est le moment où il se forme qui décide s'il est valable ou non; c'est aussi ce moment qui doit décider si, quoique n'étant pas valable, il peut produire des effets

(1) Arrêt du 18 décembre 1837 (Dalloz, au mot Mariage, no 590, 1o 2) Arrêt du 4 août 1852 (Pasicrisie, 1852, 2, 331).

(3) C'est l'opinion commune, sauf le dissentiment de Delvincourt et de Toullier (Demolombe, t. III, p. 547, no 360).

civils. Les époux ont voulu contracter un mariage légitime, c'est cette intention qui constitue le mariage putatif. Peu importe donc qu'après la célébration du mariage, les époux découvrent l'erreur où ils étaient; sans doute, d'après la rigueur d'une sévère morale, ils devraient se séparer dès l'instant où ils savent que leur union est illégitime; mais n'oublions pas que nous sommes dans une matière où l'indulgence est le principe de la loi; ce serait donc contrarier l'esprit de la loi que de se montrer trop sévère en l'interprétant. En tout cas, c'eût été au législateur à déterminer quand et sous quelles conditions les époux perdent le bénéfice de la bonne foi; l'interprète ne peut pas créer ces distinctions. Lorsque la loi veut que la bonne foi continue, pour qu'elle produise des effets, elle le dit. C'est ainsi que l'article 550 dit que le possesseur ne gagne plus les fruits quand il cesse d'être de bonne foi. On s'est prévalu de cette disposition contre l'opinion que nous défendons. Mais il n'y a aucune analogie entre les deux cas. Le mariage est un contrat, la possession est un fait; quand il s'agit d'apprécier un contrat, on se reporte au moment où le concours de consentement a eu lieu; quand il s'agit d'un fait, c'est au moment où il se produit qu'il doit avoir les caractères voulus par la loi. Il suit de là que la décision de l'article 550 est très-juridique; il serait, au contraire, peu juridique d'en faire l'application au mariage.

506. Qui doit prouver la bonne foi? Est-ce l'époux qui invoque sa bonne foi pour jouir des bénéfices du mariage putatif? Ou est-ce à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver? L'opinion commune est que l'époux n'a rien à prouver, que la bonne foi se présume, que partant c'est à celui qui conteste à faire la preuve de son allégation (1). Nous demanderons où il est dit que la bonne foi se présume? Une présomption peut-elle exister sans texte? On cite l'article 2268: « La bonne foi est toujours présumée, et c'est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver. » Voilà un texte, il est vrai, mais il témoigne

(1) Voyez les auteurs cités par Dalloz, au mot Mariage, no 593.

contre ceux qui l'allèguent. En effet, l'article 2268 établit une présomption légale en matière d'usucapion; or, qui ignore que les présomptions légales sont de la plus stricte interprétation, et qu'on ne peut jamais les étendre d'un cas à un autre, fût-ce par raison d'analogie? Et où est l'analogie entre la prescription et le mariage?

La question nous paraît très-simple. C'est au demandeur à établir le fondement de sa demande. Or, quand un mariage est annulé, il ne produit aucun effet; il n'en produit, par exception, que s'il a été contracté de bonne foi. Donc c'est à l'époux qui réclame un effet civil du mariage annulé, à prouver qu'il l'a contracté de bonne foi: tel est certes le fondement de sa demande. Pour qu'il fût dispensé de cette preuve, il faudrait un texte, et il n'y en a point; dès lors nous restons sous l'empire de la règle, elle s'applique à la bonne foi comme à toute autre condition requise pour l'exercice d'un droit. Ainsi l'article 1268 dit que la cession judiciaire est un bénéfice que la loi accorde au débiteur malheureux et de bonne foi. Certainement le débiteur devra prouver sa bonne foi, parce que c'est une des conditions prescrites pour qu'il jouisse du bénéfice qu'il invoque. Eh bien, le même principe s'applique littéralement à l'époux; le mariage putatif est aussi un bénéfice que la loi accorde à l'époux de bonne foi; donc il faut qu'il prouve sa bonne foi.

Zachariæ et après lui Marcadé distinguent; ils admettent que la bonne foi des époux se présume quand ils allèguent l'ignorance d'un fait. Il en est autrement lorsqu'ils prétendent avoir ignoré les dispositions de la loi, car personne n'est censé ignorer le droit (1). Pour le coup, l'adage romain est en opposition avec le bon sens. Quoi! vous présumez qu'un futur époux a ignoré qu'il fût l'oncle de sa nièce, ignorance de fait, et vous ne présumez pas qu'il ignore que le code civil défend le mariage entre l'oncle et la nièce, ignorance de droit! Le bon sens dit le contraire. C'est dans les classes inférieures de la société que l'on

(1) Zachariæ, t. III, § 460, p. 245 et notes. Marcadé, t. Ier, p. 512, arti cle 202, n° 2.

trouve l'erreur de droit. Et qui le leur aurait appris? La société ne s'est pas même souciée, jusqu'au dix-neuvième siècle, de leur apprendre à lire et la loi présumerait que ceux qui ne savent pas lire savent néanmoins le droit! Sans doute, il est quelquefois nécessaire de présumer que les citoyens connaissent la loi, alors même qu'ils en ignorent l'existence; mais n'étendons pas la présomption au delà des bornes de la nécessité. Si la bonne foi se présume pour une erreur de fait, elle doit se présumer, à plus forte raison, pour une erreur de droit.

A notre avis, la présomption n'existe pas plus dans un cas que dans l'autre. Nous insistons sur la question, parce que nous avons contre nous le nom et l'autorité de Merlin; mais il est arrivé ici au grand jurisconsulte ce qui lui arrive fréquemment, c'est qu'il se laisse dominer par la tradition: un adage romain est pour lui la vérité. Nous respectons fort la tradition, surtout quand elle s'appuie sur les jurisconsultes de Rome, nos maîtres; mais au moins faut-il que ces brocards traditionnels soient consacrés par notre code civil, et qu'ils soient en harmonie avec la raison. Puis il faut être conséquent dans une science qui s'appuie sur la logique. Il ne faut donc pas commencer, comme le fait M. Demolombe, par admettre la présomption de bonne foi en faveur de l'époux, et dire ensuite que c'est aux époux à prouver leur bonne foi. C'est ce dernier principe qui est le vrai : il faut s'y tenir (2).

§ II. Effets du mariage putatif.

507. L'article 201 dit que le mariage putatif produit les effets civils, tant à l'égard des époux qu'à l'égard des enfants. Cela est trop absolu, car la loi semble dire que, par une fiction fondée sur la bonne foi, le mariage, quoique déclaré nul, continue à produire tous ses effets, comme s'il n'était pas annulé. Telle n'est évidemment pas la pensée du législateur. Il faut donc limiter les termes trop généraux de l'article 201, en ce sens que le mariage putatif

(1) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. III, p. 545, no 359.

produit tous les effets que produirait un mariage légal, dont la dissolution aurait lieu à partir du jugement qui en prononce l'annulation (1). Il résulte de là que le mariage annulé produit tous ses effets quant au passé. Mais en faut-il conclure qu'il ne produit aucun effet pour l'avenir? Marcadé répond qu'après le jugement d'annulation, le mariage ne produit plus aucun effet (2). Cela aussi est trop absolu. Marcadé lui-même ajoute : Bien entendu, les effets produits se maintiennent à perpétuité (3). Il faut donc voir quels sont les effets que le mariage a produits, en le considérant comme valable, ces effets subsistent quand même ils ne doivent se produire qu'après l'annulation du mariage. Mais une fois rompu, le mariage putatif ne peut plus produire de nouveaux effets.

No 1. EFFETS DU MARIAGE PUTATIF QUANT AUX ENFANTS.

508. Le mariage annulé produit ses effets au profit des enfants, quand même il n'y aurait qu'un seul des père et mère qui fût de bonne foi (art. 202). Dans l'ancien droit, on soutenait que les enfants devaient, en ce cas, être légitimes par rapport à l'un des conjoints et illégitimes par rapport à l'autre. Les auteurs du code ont rejeté cette opinion, sur le fondement que l'état des hommes est indivisible, et qu'en cas de conflit, il faut se décider entièrement pour la légitimité (4). On a critiqué ce motif; l'état des hommes, dit-on, n'est pas nécessairement indivisible; il peut se trouver divisé par suite de jugements contradictoires. Cela est vrai, mais c'est une exception qui découle des principes sur l'autorité de la chose jugée. Ces principes ne lient pas le législateur, et Portalis a raison de dire que la loi ne peut pas consacrer cette anomalie absurde qu'un enfant soit légitime tout ensemble et illégitime.

Les enfants sont donc légitimes et jouissent de tous les droits que la loi accorde à la légitimité. Ils porteront le

(1) Zachariæ, Cours de droit civil français, t. III, § 460, p. 247. (2) Marcadé, Cours élémentaire, t. Ier, p. 522, article 202, no 3. (3) Portalis, Discours préliminaire, no 62 (Locré, t. Ier, p. 172). (4) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. III, p. 549, no 362.

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