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nor de leur père, quand même celui-ci serait de mauvaise foi. Si l'enfant naissait dans les dix mois qui suivent l'annulation du mariage, il pourrait invoquer la présomption que la loi attache au mariage. Naturellement, la présomption cesse à partir du jugement qui déclare le mariage nul. Les enfants ont droit à l'éducation, aux aliments (art. 203, 207, 205). Ils succèdent non-seulement à leurs père et mère, mais à tous les membres de la famille, car ils appartiennent à la famille comme s'ils étaient légitimes. Voilà un effet du mariage putatif qui ne se produit qu'après l'annulation du mariage; il se produit parce que les enfants sont considérés comme légitimes, et cet effet, une fois produit, subsiste toujours.

Les parents des père et mère succèdent-ils toujours aux enfants? Il y a ici un motif de douter. Les articles 201 et 202 ne parlent que des enfants et des époux; on pourrait donc dire que le mariage ne produit aucun effet à l'égard des tiers. Mais cette interprétation serait contraire à l'essence même du mariage putatif. Il représente le mariage véritable, dans les limites que nous avons déterminées; or, le mariage crée des liens entre les enfants et les parents de leurs père et mère, et ces liens sont réciproques. Concevrait-on que l'enfant fût considéré comme le neveu des frères et sœurs de son père, et que ceux-ci n'eussent pas la qualité d'oncle ou de tante à l'égard de l'enfant? Ici encore, il faut dire avec Portalis que les liens qui dérivent du sang ne se divisent pas. Donc tous les parents des époux succéderont aux enfants, alors même que l'un des époux serait de mauvaise foi; les effets de sa mauvaise foi lui sont personnels; cette mauvaise foi n'empêche pas le lien de parenté de se former entre l'enfant et les parents; ce qui décide la question (1).

509. Le mariage putatif opère-t-il légitimation? C'est une question célèbre et toujours controversée. Il y a un cas dans lequel elle ne peut pas même être agitée : si les enfants sont nés d'un commerce adultérin ou incestueux, ils ne sont pas légitimés par le mariage putatif de leurs

(1) Duranton, Cours de droit français, t. II, p. 337, no 366.

père et mère, pas plus que par leur mariage légal; l'article 331 le dit du mariage légal, et l'impossibilité est la même pour le mariage putatif. En effet, la condition de la légitimation, c'est la reconnaissance des enfants (art. 331); or, la reconnaissance ne peut avoir lieu au profit des enfants nés d'un commerce incestueux ou adultérin (art. 335). Puisque le texte décide la question, il est inutile d'entrer dans la discussion à laquelle les auteurs se livrent sur ce point: il y a assez de controverses sans que l'on en crée d'inutiles.

Si les enfants sont simplement naturels, nous croyons qu'ils seront légitimés par le mariage putatif. D'après les principes que nous venons de poser, cela ne peut pas même faire l'objet d'un doute. Le mariage putatif produit les effets d'un mariage véritable; or, le mariage légal légitime, donc le mariage putatif doit aussi légitimer. Cela est aussi fondé sur l'esprit de la loi. On ne voit pas une ombre de raison pour scinder les effets du mariage; il se peut, et le cas s'est présenté, que le mariage ait été contracté pour légitimer un enfant né avant la célébration; le mariage est annulé, mais à raison de la bonne foi des époux, il est déclaré putatif. Pourquoi ne produirait-il pas l'effet que les époux ont eu principalement en vue en se mariant?

y a cependant une difficulté de texte. Le mariage putatif est une fiction, et toute fiction doit être strictement renfermée dans les limites tracées par la loi qui l'établit. Or, l'article 201, en disant que le mariage annulé produit les effets civils à l'égard des enfants, entend parler des enfants qui sont nés du mariage; ce qui le prouve, c'est que l'article 202, qui ne fait qu'un avec l'article précédent, dit formellement que le mariage putatif ne produit les effets civils qu'en faveur des enfants issus du mariage. Nous avons répondu d'avance à l'objection, en remarquant que les termes du code n'ont pas le sens restrictif qu'ils paraissent avoir. Si on les prenait au pied de la lettre, on aboutirait à cette conséquence absurde que les enfants succèdent aux parents de leurs père et mère, tandis que les parents ne succéderaient pas aux enfants. Il faut donc considérer les termes comme énonciatifs; le législateur

ne parle que des enfants issus du mariage, parce que tel est le cas ordinaire; on ne peut pas dire qu'il ait entendu se prononcer contre la légitimation, puisqu'il n'y a pas songé. C'est d'après les principes que la question doit se décider, et sur ce terrain il n'y a pas de doute sérieux. La fiction est que le mariage putatif est mis sur la même ligne que le mariage légal; on n'étend donc pas la fiction en légitimant les enfants, on ne fait que l'appliquer.

Pothier a une singulière objection. « La bonne foi des parties, dit-il, peut bien donner les droits d'enfants légitimes aux enfants nés du commerce qu'elles ont eu depuis le prétendu mariage, dont elles ignoraient le vice; car ce commerce était, par rapport à leur bonne foi, un commerce innocent; mais la bonne foi que les parties ont eue en contractant ce prétendu mariage ne peut donner les droits d'enfants légitimes aux enfants nés du commerce qu'elles ont eu ensemble auparavant, car ce commerce est un commerce criminel de la part des deux parties, dont le vice ne peut être purgé que par un véritable mariage (1). Pothier tombe ici dans le défaut de ceux qui prouvent trop, et l'on sait qu'en droit ceux qui prouvent trop ne prouvent rien. Sans doute, le commerce des époux avant leur mariage est criminel, mais l'est-il moins quand le mariage est valable que lorsqu'il est putatif? Si l'immoralité est couverte par le mariage subséquent, elle doit l'être aussi par un mariage putatif, puisque le mariage putatif est l'image de l'union légitime. Telle est aussi l'opinion commune (2).

N° 2. EFFETS DU MARIAGE QUANT AUX ÉPOUX, S'ILS SONT TOUS LES DEUX

DE BONNE FOI.

510. Si les deux époux sont de bonne foi, dit l'article 201, le mariage annulé produit les effets civils à leur égard. Ils ont donc tous les droits qui naissent d'un mariage légal, d'abord sur la personne et les biens de leurs enfants ils exercent la puissance paternelle et l'usufruit

(1) Pothier, Traité du contrat de mariage, no 441.

(2) Voyez les auteurs cités par Dalloz, au mot Mariage, no 606.

qui y est attaché. Voilà un effet qui se prolonge au delà du jugement qui prononce la nullité, et par la force des choses. Il en est de même des conventions matrimoniales des époux, des donations qu'ils se sont faites. Tous ces effets sont incontestables. Mais que faut-il dire des effets que le mariage produit entre les époux? Il est certain qu'il ne peut plus être question du devoir de fidélité, ni de la protection que le mari doit à sa femme, ni de l'obéissance que la femme doit à son mari. Mais si l'un des époux était sans fortune, ne pourrait-il pas demander une pension alimentaire de son conjoint? Le code donne ce droit au conjoint qui a obtenu le divorce (art. 301). Il nous semble que cette disposition doit recevoir son application, par analogie, au mariage putatif. Il y a, en effet, même raison de décider. L'époux sans fortune doit compter sur la subsistance que le mariage lui assure; combien d'unions sont contractées dans cette vue! Ce serait donc tromper l'attente des contractants que de les priver de cet avantage.

511. Il se présente une question plus difficile. Aux termes de l'article 767, « lorsque le défunt ne laisse ni parents au degré successible, ni enfants naturels, les biens de sa succession appartiennent au conjoint non divorcé qui lui survit. » Les époux dont le mariage est annulé conservent-ils ce droit de succession réciproque? On décide la question négativement, par la raison que le droit est attaché à la qualité d'époux; or, après l'annulation du mariage, il n'y a plus de conjoints. C'est là la raison pour laquelle l'époux divorcé ne succède pas; le motif de décider est le même pour l'époux dont le mariage est annulé (1). Ici, nous semble-t-il, la doctrine généralement admise est trop absolue. Non, le divorce et l'annulation du mariage ne sont pas régis par les mêmes principes. Le mariage dissous par le divorce ne produit plus aucun effet. Il n'en est pas de même du mariage annulé, ses effets se prolongent au delà de l'annulation. On ne peut donc pas se prévaloir de ce que l'article 767 dit du conjoint divorcé contre l'époux dont le mariage est annulé. Reste à savoir si

(I) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. III, p. 557, no 370.

cet époux peut invoquer sa qualité de conjoint pour succéder? Il est certain qu'il n'est plus époux dans la réalité des choses; mais nous sommes dans le domaine d'une fiction. La vraie difficulté est donc celle-ci : la fiction s'étend-elle au droit héréditaire? La loi maintient le droit d'hérédité au profit des enfants, des père et mère, et même des parents; pourquoi ne maintiendrait-elle pas le droit de succession au profit du conjoint? N'est-ce pas là un des effets civils du mariage? Dès lors ne faut-il pas dire que cet effet est produit par le mariage putatif? La seule objection sérieuse que l'on puisse faire au conjoint, c'est que le mariage annulé ne peut plus produire de nouveaux effets à partir du jugement qui a prononcé la nullité; or, le droit de succession est un nouvel effet. Mais cet argument ne peut pas être opposé aux enfants; pourquoi donc l'opposerait-on à l'époux?

No 3. effets DU MARIAGE QUANT AUX ÉPOUX, SI UN SEUL EST DE BONNE FOI.

512. L'article 202 porte que si la bonne foi n'existe que de la part de l'un des deux époux, le mariage ne produit les effets civils qu'en faveur de cet époux. A l'égard des enfants, les effets du mariage ne peuvent pas se diviser. La loi admet cette division quant aux époux, bien qu'elle ne soit point très-rationnelle; il en résulte cette singulière conséquence, qu'il y a une femme légitime sans qu'il y ait un mari légitime. Si la loi a admis cette anomalie, c'est qu'elle n'a pas voulu que l'époux de mauvaise foi retirât un avantage quelconque d'un mariage qu'il a contracté sciemment, au mépris de la loi et de l'honnêteté publique. L'époux de bonne foi aura donc seul la puissance paternelle et les avantages que la loi y attache. De là une nouvelle anomalie si c'est la femme qui est de bonne foi, elle exercera la puissance paternelle, tandis que le mari en sera déchu. C'est une dérogation au droit commun (article 373) qui s'explique par la fiction du mariage putatif. L'époux de bonne foi succède seul aux enfants, l'époux de mauvaise foi ne succède pas aux enfants quoique les en

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