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fants lui succèdent. Nouvelle exception au droit commun d'après lequel le droit de succession est réciproque.

513. La même anomalie se présente pour les libéralités. Si les époux se sont fait des donations, le conjoint de bonne foi en profitera, tandis que l'époux de mauvaise foi sera déchu de son droit. Vainement dirait-on que les donations étant réciproques, l'une est la condition de l'autre ; et l'une tombant, l'autre ne doit-elle pas tomber? L'objection altère l'essence des donations; elles se font non par calcul, mais dans un esprit de bienfaisance et d'affection. C'est en ce sens que l'article 299 prive l'époux contre lequel le divorce a été admis de tous les avantages que son conjoint lui avait faits, tandis que, d'après l'article 300, l'époux qui a obtenu le divorce conserve les libéralités qui lui ont été faites par l'autre époux, encore qu'elles aient été stipulées réciproques.

On applique le même principe aux conventions matrimoniales. Ici il y a une nouvelle anomalie. Ces conventions sont essentiellement bilatérales; néanmoins à raison de la bonne foi de l'une des parties et de la mauvaise foi de l'autre, la loi les brise. Toutefois, c'est dans l'intérêt de l'époux de bonne foi; il peut donc renoncer au bénéfice que la loi a établi en sa faveur, et demander qu'on liquide la société de biens qui a existé entre lui et son conjoint d'après le droit commun, en faisant abstraction du contrat de mariage. Si le mari de bonne foi demande le partage de la communauté d'après le droit commun, la femme de mauvaise foi pourra-t-elle renoncer? On le dit (1), mais cela nous paraît très-douteux. Le conjoint de mauvaise foi n'est pas considéré comme époux, la femme ne peut donc pas se prévaloir de sa qualité de femme commune en biens. Vainement dit-on que le droit de renoncer est une conséquence du pouvoir absolu que le mari a sous le régime de communauté; nous répondons qu'à l'égard de la femme de mauvaise foi, il n'y a pas de communauté, il n'y a qu'une simple société de fait; or, dans une société de fait, il n'est

(1) Zachariæ, Cours de droit civil français, t. III, p. 248, note 19, § 460.

pas permis à l'une des parties de renoncer en laissant toutes les dettes à la charge de l'autre.

514. On demande si les donations faites à l'époux de mauvaise foi seront maintenues. En principe, il faut répondre négativement, puisque l'époux de mauvaise foi ne peut réclamer aucun effet civil du mariage. On objecte que les donations qui se font par contrat de mariage sont des pactes de famille, qui ont en vue l'intérêt du conjoint et des enfants autant que l'intérêt du donataire. Cela est vrai si le mariage est valable et s'il est maintenu; cela n'est plus vrai si le mariage est annulé : dans ce cas, il n'y a de plus pacte de famille.

L'opinion commune distingue (1). Si la donation est une institution contractuelle, et s'il y a des enfants nés du mariage, l'institution leur profitera, puisqu'ils y sont compris, au cas où le donateur ne veut ou ne peut recueillir les biens; or, il ne le peut, puisqu'il n'est plus considéré comme époux. Que s'il n'y a pas d'enfants, l'institution devient caduque. Si la donation comprend des biens présents, l'époux donataire peut-il s'en prévaloir s'il est de mauvaise foi? On le prétend, mais nous cherchons vainement un motif juridique à l'appui de cette opinion. La donation est faite au mariage, dit-on. Oui; mais, dans l'espèce, il n'y a plus de mariage. On invoque l'intérêt des enfants; mais les enfants ne sont pas donataires. Au point de vue juridique, cela décide la question.

§ III. Du mariage non existant.

515. On demande si les principes qui régissent le mariage putatif reçoivent leur application au mariage non existant. Il n'y a pas eu de consentement, ou le mariage n'a pas été célébré devant un officier de l'état civil. Si, sur la demande d'une partie intéressée, le tribunal déclarait qu'il n'y a jamais eu de mariage, y aurait-il néanmoins mariage putatif, si les prétendus époux étaient de bonne foi? Le cas s'est présenté plusieurs fois, pour le mariage

(1) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. III, p. 563, nos 381-382.

contracté devant un ministre du culte. Il y a des arrêts pour et contre, et les auteurs aussi sont divisés. Nous croyons que le mariage non existant ne peut jamais avoir l'effet d'un mariage putatif. Cela est de toute évidence, si l'on admet la doctrine des actes non existants. Rien de plus positif que l'article 1131: un contrat qui n'existe pas ne peut avoir aucun effet. On objecte que la fiction qui considère le mariage annulé comme valable, quoique en réalité il soit nul, peut aussi considérer comme existant le mariage pour l'existence duquel il manque une condition (1). Sans doute, le législateur pourrait étendre la fiction jusqu'à considérer comme existant un acte qui n'existe pas; cela serait peu juridique, mais si la loi était expresse, il n'y aurait plus à raisonner. La question est donc une question de texte; les articles 201 et 202 s'appliquent-ils au mariage non existant?

Nous n'hésitons pas à répondre : non. L'article 201 parle du mariage déclaré nul, ce qui veut bien dire annulé. Or, annule-t-on un mariage non existant? Non, on déclare qu'il n'y a point de mariage: ce sont les expressions de l'article 146. Dira-t-on qu'à la rigueur le mot nul, dans l'article 201, peut signifier ou annulable ou non existant, la langue française n'ayant point de termes différents pour exprimer la nullité et le. non-existence? Nous admettrions cette interprétation si, dans les articles qui précèdent, il était question des mariages nuls et des mariages non existants; on pourrait dire alors que l'article 201 est une disposition générale qui s'applique à tous les mariages déclarés nuls ou non existants. Mais dans tout le chapitre IV, il n'est pas dit un mot des mariages que nous appelons non existants; il n'est parlé que des mariages nuls, des cas dans lesquels le mariage est nul, et des personne s qui peuvent demander la nullité. Après cela, le code trait e des effets que produit l'annulation du mariage, c'est l'objet des articles 201 et 202. N'est-ce pas une preuve mathématique que ces articles n'ont rien de commun avec les mariages non existants? Marcadé soutient le contraire (2).

(1) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. III, p. 540, no 355.
(2) Marcadé, Cours élémentaire, t. Ier, p. 516, no 1 de l'article 202.

mais il a contre lui non-seulement l'évidence des textes, il a encore contre lui la théorie générale du code civil. On peut soutenir, c'est notre opinion, que le code établit la distinction des actes nuls et des actes non existants, mais il est certain qu'il ne parle nulle part de l'action à laquelle peut donner lieu l'inexistence d'un acte. Au titre du Mariage, le législateur a consacré tout un chapitre aux demandes en nullité de mariage, et il ne dit pas un mot des mariages inexistants. Qu'est-ce à dire? Ces mariages restent donc sous l'empire du droit commun. Dès lors, il est impossible de leur appliquer les articles 201 et 202; car ces articles créent une fiction, et une fiction est, par son essence, exorbitante du droit commun. Cela décide la question, nous semble-t-il (1).

La jurisprudence est divisée, et, il faut l'avouer, les arrêts rendus sur cette question ont peu de valeur, soit pour, soit contre l'opinion que nous venons de défendre; ils ne discutent pas les difficultés qu'elle présente (2). Or, les questions de droit ne se décident pas à coups d'arrêts, elles se décident par des raisons. Si la jurisprudence offre si peu de lumières, c'est que la théorie des actes nuls et des actes inexistants est encore indécise et flottante. Et cela se conçoit les auteurs mêmes du code Napoléon n'avaient pas d'idées arrêtées sur cette difficile matière. Si l'on admet la distinction, il faut aussi admettre les conséquences. Il n'y a pas de demi-principes, vrais pour une partie, faux pour une autre.

(1) Voyez, en ce sens, Zachariæ, t. III, p. 243 et suiv., § 460.

(2) Un arrêt de la cour de Bruxelles, du 23 avril 1812, décide que le mariage célébré devant le curé est non existant, et ne peut produire aucun effet (Dalloz, au mot Mariage, no 589, 2o). Voyez, dans le même sens, un arrêt de Bourges du 17 mars 1830 (Dalloz, ibid., no 419, 2o), et, en sens contraire, les arrêts de Bruxelles et de Paris cités plus haut, p. 638 et 639, no 504.

FIN DU TOME DEUXIÈME.

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