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où les registres n'ont pas été tenus. C'est encore une application du principe tel que nous l'avons formulé: nécessité d'une part, probabilité de l'autre.

La jurisprudence applique le même principe au cas où les registres sont tenus sans ordre de date, et avec une telle irrégularité que leur seule inspection prouve que les actes n'y ont pas été inscrits jour par jour, mais plutôt après coup. Ainsi décidé par la cour d'Agen (1). Les registres, dans l'espèce, contenaient une foule d'actes placés hors de leur ordre chronologique et à la suite d'autres actes qu'ils auraient dû précéder. En réalité, les registres qui étaient destinés pour 1793 n'avaient été remplis qu'en 1794, ce qui prouve que l'officier public les avait rédigés de mémoire, ou sur des notes prises par lui. De pareils registres, dit l'arrêt, ne sont pas des registres; et il serait bien malheureux pour les citoyens que l'imprévoyance, l'incurie ou l'ignorance d'un officier de l'état civil les privát de l'état que la loi leur assure.

Même décision de la cour de Riom. Les registres, ditelle, n'offrent partout que confusion, désordre, mensonge, contradiction; il est évident qu'ils ont été faits après coup et copiés sur de faux documents, même avec des blancs laissés au milieu des actes, qu'on a remplis ensuite d'une écriture différente du corps des actes. Si, continue l'arrêt, la loi accorde pleine foi aux registres de l'état civil, elle a supposé des registres réguliers, vrais en eux-mêmes et tenus selon les formes qu'elle prescrit. Des registres évidemment et matériellement faux ne peuvent être considérés que comme une absence de registres, car c'est la même chose de n'exister point ou de n'exister que dans une forme contraire à la raison et à la loi. Dans cet état de choses, la cour décida qu'il y avait lieu d'appliquer l'article 46 (2).

51. Les registres sont tenus, en apparence, avec régu

(1) Arrêt du 9 germinal an XIII (Dalloz. Répertoire, au mot Actes de l'état civil, no 149).

(2) Arrêt du 30 janvier 1810 (Dalloz, Répertoire, au mot Actes de l'état civil, no 149, t. II, p. 533). Comparez arrêt de la cour de Bordeaux du 9 mars 1812 (Merlin, Répertoire, au mot Etat civil, § 3, no 4, t. XI, p. 147).

larité; mais le demandeur prétend qu'un acte qui l'interesse y a été omis. Sera-t-il admis à la preuve testimoniale? Sur cette question, la doctrine et la jurisprudence sont divisées. La plupart des auteurs soutiennent que l'article 46 est inapplicable. Duranton dit qu'il n'oserait pas admettre la preuve testimoniale en ce cas, parce que ce serait ouvrir la porte à un arbitraire sans bornes. Marcadé, à sa façon, est plus catégorique; il déclare que c'est une erreur certaine d'étendre à l'hypothèse de l'omission ee que la loi dit de la non-existence ou de la perte des registres. Si l'on pouvait, dit-il, prouver l'état par témoins, sur la seule allégation d'une omission que rien ne constate, on pourrait toujours prétendre qu'il y a omission, et il faudrait dire, d'une manière absolue et sans aucune restrićtion, que les mariages, naissances et décès pourront toujours se prouver par témoins. En définitive, l'exception deviendrait la règle. M. Demolombe s'exprime avec la même fermeté, c'est son expression, et il proclame que sa conviction à cet égard est absolue (1). Il y a un arrêt de la cour de Bruxelles en ce sens, mais il est isolé. La jurisprudence admet la preuve testimoniale en cas d'omission (2).

C'est s'écarter, il est vrai, du texte de l'article 46. Mais les auteurs qui critiquent cette interprétation de la loi n'en ont-ils pas eux-mêmes donné l'exemple, en appliquant l'article 46 à des cas que certainement il ne prévoit pas? Si l'on peut prouver l'état par témoins lorsque la tenue des registres a été interrompue ou irrégulière, quoique la lettre de la loi ne le permette pas, pourquoi ne le pourrait-on pas quand un acte a été omis? On dira que l'irrégularité, que l'interruption sont des faits qui se constatent par l'inspection des registres, tandis que rien ne prouve l'omission. Cela est vrai, mais cela ne prouve qu'une chose, c'est que le juge admettra plus difficilement la preuve testimoniale en cas d'omission. Il n'est pas exact de dire que la preuve testimoniale deviendra la règle. Non;

(I) Duranton, t. Ier, p. 220, no 297; Marcadé, t. Ier, p. 190, nc 2; Bemblombe, t. Ier, p. 530, no 324.

(2) Voyez les arrêts cités par Coin-Delisle, Commentaire analytique du titre II, p. 31, no 20.

dans l'esprit de la loi, le juge n'admettra la preuve par témoins que si la demande est probable. Question de circonstances, comme l'a dit Thibaudeau au conseil d'Etat, précisément pour le cas d'omission. Or, les circonstances peuvent être telles, qu'il serait inique de refuser la preuve par témoins. Un homme disparaît dans la guerre de la Vendée, alors que l'insurrection est dans toute sa fureur. N'admettra-t-on pas la preuve du décès par témoins? La guerre civile qui sévit et qui moissonne les Vendéens n'est-elle pas une probabilité aussi grande pour le demandeur que l'inexistence ou la perte des registres? Il y a donc nécessité et il y a probabilité. Dès lors on est dans l'esprit de l'article 46. C'est ce qu'a décidé la cour de Toulouse (1). La cour de Gand a porté la même décision dans des circonstances plus ordinaires. Un mari déclare le décès de sa femme; l'officier de l'état civil promet de dresser l'acte de décès; il le néglige. Mais il délivre la permission d'inhumer. Il y a là, dit l'arrêt, un commencement de preuve par écrit, en quelque sorte; ce qui rend la demande probable et autorise, par suite, l'admission de la preuve testimoniale (2). On voit qu'il n'est pas exact de dire que la jurisprudence admet la preuve par témoins comme règle. Il ne suffit pas qu'un individu vienne prétendre qu'un acte de l'état civil a été omis sur les registres, pour que le juge lui permette cette preuve. Non, il faut de graves probabilités (3). Où le magistrat les puise-t-il? Tantôt dans des faits non contestés, tantôt dans des écrits. La garantie contre les abus que l'on redoute se trouve dans la prudence des tribunaux (4).

52. Il se présente une dernière question et qui est la

(1) Arrêt du 21 mars 1810 (Dalloz, Répertoire, au mot Actes de l'état civil, no 152).

(2) Arrêt du 22 mai 1840 (Dalloz, au mot Actes de l'état civil, no 152, t. II, p. 535). Comparez arrêt de la cour de Bruxelles du 9 avril 1832 (Jurisprudence du XIXe siècle, 1832, 3, p. 158).

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(3) Des présomptions graves et imposantes, dit l'arrêt de la cour de cassation du 22 décembre 1819 (Dalloz, au mot Actes de l'état civil, no 150, t. II, p. 534,.

(4) L'opinion que nous enseignons est celle de Merlin, de Coin-Delisle et de Dalloz (Coin-Delisle, Commentaire analytique du titre II, p. 30, n° 20).

plus douteuse. L'article 46 est-il applicable quand l'acte a été inscrit sur une feuille volante? En apparence, ce cas rentre dans celui de l'omission. En effet, il n'y a point d'acte inscrit sur les registres, et d'un autre côté l'écrit informe dressé par l'officier public ne donne-t-il pas de la vraisemblance à la demande? Il y a cependant un motif de douter. On ne peut pas dire, dans l'espèce, que l'officier de l'état civil n'a pas dressé d'acte, il n'y a pas d'omission proprement dite. L'omission suppose que rien n'a été fait. Or, l'officier public a fait quelque chose, il a rédigé un acte, seulement cet acte est irrégulier; on peut dire, et c'est notre opinion, que ce n'est pas un acte. La voie légale, nous semble-t-il, serait de poursuivre l'officier public, et d'insérer le jugement sur les registres. Le résultat, en définitive, est le même, puisque dans tous les cas il faut recourir à la preuve testimoniale. Si nous ne l'admettons pas directement en vertu de l'article 46, c'est que nous ne sommes pas dans le cas prévu par la loi (1).

53. Il reste encore des difficultés dans cette matière si difficile. Merlin admet l'interprétation extensive de l'article 46; mais il fait une restriction pour le cas de décès. Une femme demande à faire preuve, par témoins, du décès de son mari, dans le but de se remarier. Le peut-elle ? Il nous semble que la question n'est pas même douteuse. L'article 46 permet de prouver le décès par témoins, et dès qu'il est prouvé que le mari est décédé, la femme peut se remarier. Merlin est effrayé des dangers que présente cette doctrine. Ne risque-t-on pas d'autoriser la bigamie, sur une preuve équivoque et chanceuse? Il voudrait que l'on restreignit l'article 46 aux cas où il ne s'agirait que d'intérêts pécuniaires. Cela est inadmissible. C'est scinder la loi, scinder la preuve qu'elle admet. Quoi! une personne sera décédée ou ne sera pas décédée, selon qu'il s'agira de tels ou de tels intérêts! Merlin n'est pas même conséquent, comme cela arrive aux meilleurs esprits quand ils sont engagés dans une voie illogique. Il devrait re

(1) Demolombe dit qu'il n'y a pas lieu à admettre l'article 46 (t. Ier, p. 526, no 323). Dalloz professe l'opinion contraire (au mot Actes de l'état civil, n° 147).

pousser toute application de l'article 46, parce qu'il y a toujours à craindre de faux témoignages. Et néanmoins il y a des cas où il admet la preuve testimoniale pour la femme qui veut se remarier, il y a des cas où il ne l'admet pas (1). Nous concevons que le législateur établisse de ces distinctions; mais le juge le peut-il? n'est-ce pas faire la loi au lieu de l'interpréter?

On demande encore si la preuve de la naissance, faite en vertu de l'article 46, établira la filiation de l'enfant légitime? Nous renvoyons l'examen de cette question au titre de la Filiation.

CHAPITRE II.

DES DIVERS ACTES DE L'ÉTAT CIVIL.

54. Le code, au titre II, ne parle que de trois actes de l'état civil des actes de naissance, de mariage et de décês. Il y en a encore d'autres; tels sont les actes de publications de mariage, pour lesquels le code prescrit un registre à part, mais simple (art. 63); les actes de divorce (art. 258, 294); les actes d'adoption (art. 359); les actes de reconnaissance d'enfant naturel (art. 49, 62 et 354). Nous suivrons la classification du code, en renvoyant néanmoins, comme font tous les auteurs, les dispositions sur l'acte de mariage au titre du Mariage.

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55. Nous ne ferons qu'indiquer les dispositions du code, la matière ne donnant lieu à aucune question de principe. La loi veut que les déclarations de naissance se fassent à l'officier de l'état civil, dans les trois jours de

(1) Merlin, Répertoire, au mot Etat civil, § 3.

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