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LA GRACE,
POËME.

CHANT PREMIER.

ENNEMI

NNEMI du menfonge, & de ces fictions
Qui nourriffent des cœurs les folles passions,
Je veux prendre aujourd'hui la Vérité pour guide.
Par elle encouragé dans un âge timide,

De l'illuftre Profper j'ofe fuivre les pas :
Puiffe-je comme lui confondre les Ingrats!

O vous qui ne cherchez que ces rimes impures,
Des plaifirs féduifans dangereufes peintures:
Sur mes chaftes tableaux ne jettez pas les yeux :
Fuyez ; mes vers pour vous font des vers ennuyeux: 10
Des fons de la vertu votre oreille fe laffe

Profanes, loin d'ici, je vais chanter LA GRACE.

‹ De l'humaine Raifon cette Grace eft l'écueil. L'homme qui pour appui ne veut que fon orgueil,

15 Ofe oppofer contre elle une audace infolente. Ses plus chers défenfeurs n'ont qu'une voix tremblante, Et contens de gémir, lorfque prefque en tous lieux Leurs cruels ennemis triomphent à leurs yeux, Ils déplorent des jours où la Foi refroidie, 20 Et de l'amour divin la chaleur attiédie,

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Déja des derniers temps, annoncent les malheurs.
Pour de fi grands périls c'est trop peu que des pleurs,
Si la timidité fait taire les Prophétes;

La colere ouvrira la bouche des Poëtes.

Oui, Seigneur, j'entreprens de lui prêter ma voix : Tout fidéle eft foldat pour défendre tes droits. Si par ta Grace ici je combats pour ta Grace, Rien ne peut ébranler ma généreufe audace, Duffent les Libertins déchirer mes écrits: 30 Trop heureux fi pour Toi je fouffre des mépris! Que ta bonté,grand Dieu, veuille m'en rendre digne: De tes riches faveurs, faveur la plus infigne !

Pour en être honorés, tes Saints ont fait des vœux, Et moi j'en fais pour vivre & pour mourir comme eux. 35 Daigne donc agréer & foutenir mon zéle :

Tout foible que je suis, j'embrasse ta querello. La Grace que je chante eft l'ineffable prix Du fang que fur la terre a répandu ton Fils: Ce Fils en qui tu mets toute ta complaisance, 40 Ce Fils, l'unique efpoir de l'humaine impuissance, A défendre fa caufe approuve mon ardeur; Mais animant ma langue, échauffe auffi mon cœur Que je fente ce feu qui par Toi seul s'allume,

Et que j'éprouve en moi ce que décrit ma plume ;
Non comme ces efprits triftement éclairés
Qui connoiflent la route, & marchent égarés ;
Toujours vuides d'amour, & remplis de lumiere,
Ardens pour la difpute & froids pour la priere.

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A la voix du Seigneur l'Univers enfanté,
Etaloit en tous lieux fa naiffante beauté.
Le Soleil commençoit fes routes ordonnées ;
Les ondes dans leur lit étoient emprisonnées ;
Déja le tendre oifeau s'élevant dans les airs,
Béniffoit fon Auteur par fes nouveaux concerts:
Mais il manquoit encor un maître à tout l'ouvrage.
Faifons l'Homme, dit Dieu : faifons-le à notre image.
Soudain pétri de bouë, & d'un fouffle animé,
Ce Chef-d'œuvre connut qu'un Dieu l'avoit formé.
La nature attentive aux befoins de fon maître,
Lui présenta les fruits que fon fein faifoit naître,
Et l'Univers foumis à cette aimable loi,
Confpira tout entier au bonheur de fon Roi.
La fatigue, la faim, la foif, la maladie,
Ne pouvoient altérer le repos de sa vie :
La mort même n'osoit déranger ces refforts
Que le fouffle divin animoit dans fon corps.

59 L'homme né pour le commandement, dit M. Boffuet dans fes Elevations, commandoit aux animaux & à fon corps, à fes fens intérieurs & extérieurs & à fon imagination. Telle étoit la puiffance de l'ame créée à l'image de Dieu : elle tenoit tout dans la foumiffion & le refpect.

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Il n'eut point à fortir d'une enfance ignorante
Il n'eut point à dompter une chair infolente.
L'ordre regnoit alors, tout étoit dans fon lieu ;
70 L'animal craignoit l'Homme, & l'Homme craignoit

Dieu :

Et dans l'Homme, le corps refpectueux, docile,
A l'Ame fourniffoit un ferviteur utile.

Charmé des faints attraits, de biens environné,
Adam à fon confeil vivoit abandonné.

75 Tout étoit jufte en lui, sa force étoit entiere : Il pouvoit fans tomber poursuivre la carriere, Soutenu cependant du céleste secours,

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Qui pour aller à Dieu le conduifoit toujours. Non qu'en tous fes defirs par la Grace entraînée So L'Ame alors dût par elle être déterminée ;

70 Qu'est devenu cet empire que nous avions fur les animaux, ajoûte M. Boffuet? On n'en voit plus qu'un petit refte, comme un foible mémorial de notre ancienne puifance; & un débris malheureux de notre fortune paffée.

74 Pour bien entendre cette différence des deux états, qu'admet Saint Augustin; il faut lire le paffage de M. Boffuet que j'ai rapporté dans ma Préface. Če même M. Boffuet dans fes Elevations explique ain‍ la maniere dont les Anges ont perfévéré par leur libre arbitre. Leur volonté dans un parfait équilibre, don noit feule, pour ainfi parler, le coup de l'élection; & leur choix que la Grace aido:t, mais qu'elle ne déterminoit pas, fortoit comme de lui-même, par fa propre & feule détermination. Tel étoit le libre arbitre parfaitement faint.

80 Tale erat adjutorium, quod defereret cùm vel

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Ainfi fans le Soleil l'œil qui ne peut rien voir,
A cet aftre pourtant ne doit point fon pouvoir:
Mais au divin fecours en tout temps néceffaire,
Adam étoit toujours maître de se souftraire.
Ainfi le Soleil brille, & par lui nous voyons;
Mais nous pouvons fermer nos yeux à fes rayons.

Tel fut l'Homme innocent: fa Race fortunée
Des mêmes droits que lui devoit fe voir ornée ;
Et conçu chaftement, enfanté fans douleurs,
L'enfant ne fe fût point annoncé par fes pleurs.
Nous n'euffions vû jamais une mere tremblante
Soutenir de fon fils la marche chancelante,
Réchauffer fon corps froid dans la dure saison,
Ni par les châtimens appeller fa Raison.

Le Démon contre nous eût eu de foibles armes.
Hélas! ce fouvenir produit de vaines larmes.

let, & in quo permaneret fi vellet, non quo fieres ut vellet. « Le fecours de la Grace donné à Adam inno» cent, étoit tel qu'il ne pouvoit point s'en fervir lorfqu'il le vouloit, & s'en fervir s'il le vouloit ; mais il n'étoit pas tel qu'il le fit vouloir. » Saint Aug. de Corr. & Gratia. C. XI. n. 31.

85 Sicut oculus corporis etiam plenissimè sanus, nisi candore lucis non poteft cernere; fic & homo etiam perfectiffimè juftificatus, nifi æternâ luce adjuvetur, non poteft rectè vivere. « Comme les yeux du corps les » plus fains & les mieux organifés, ne peuvent voir » qu'avec le fecours de la lumiere créée: de même » l'homme le plus parfaitement juftifié ne peut vivre » dans la juftice qu'avec le fecours de la lumiere éter» nelle. » Id. de Nat. & Grat, C. XXVI.

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