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parce que dans le premier mot le français contient un e et que dans le second il contient ai.

7° L'emploi de l'apostrophe et du trait d'union serait le même qu'en français : l'hommo, l'eintrâ, d'ai pour le hommo, la eintrâ, de ai (j'ai); vú-te, veuxtu? sa-te, sais-tu? prein-le, prends-le.

Mais il conviendrait d'étendre l'emploi du tiret à des cas particuliers au patois. Ainsi, comme dans onna bonna danna, on est une voyelle nasale dans onna tandis qu'il ne l'est pas dans bonna, il convient de trouver un signe de convention pour conserver aux voyelles an, in, on, leur son nasal, lorsqu'elles sont suivies d'une n. Le trait d'union employé à cet effet par J. Humbert et par l'abbé Pont, me parait bon; par conséquent nous écrirons on-na bonna dan-na (caverne), on-na sman-na, une semaine.

De même nous étendrions l'emploi de l'apostrophe aux cas suivants et autres semblables. On dit quelquefois m'n hommo au lieu de mon hommo, 'na fena au lieu de on-na fena (femme), 'mna né (1) au lieu de bonna né (nuit); l'apostrophe pourrait fort bien servir à indiquer de pareilles élisions et contractions. A. CONSTANTIN.

(A suivre).

DOCTORAT DE SAINT FRANÇOIS DE SALES

La Société Florimontane, dont plusieurs membres ont publié, à diverses fois dans cette. Revue, sur saint François de Sales, des séries de détails historiques inédits encore dans les grandes vies de ce saint, auquel elle se rattache par les souvenirs de l'Académie Florimontane qu'il avait fondée en 1607, est heureuse de prendre acte dans ses mémoires du titre éminent qui vient de lui être décerné par le souverain pontife Pie IX, et dont l'honneur rejaillit sur la ville et le diocèse d'Annecy, sur toute la Savoie et sur la France: car, après saint Hilaire, de Poitiers, et saint Bernard, de Clairvaux, saint François de Sales est le troisième docteur de l'Eglise, du territoire français. La Savoie est fière d'apporter à sa nouvelle patrie cet appoint de gloire, qui manque encore à d'autres nations.

Nous pensons être agréable à nos lecteurs en rappelant sommairement ce que l'on entend par ce doctorat.

Les écrivains ecclésiastiques qui, après les apôtres et évangélistes, ont laissé des commentaires sur l'Ecriture sainte, des apologies et des démonstrations de la doctrine catholique, ont été appelés Pères de l'Eglise, parce qu'ils ont concouru à son extension en divulguant ses dogmes et sa morale, et en lui engendrant de nombreux enfants spirituels. Parmi ces Pères il y en eut dont la sainteté, la science et l'éloquence ont obtenu des succès plus considérables auprès des hérétiques et des incrédules, et dont l'Eglise a pu recommander les ouvrages comme exprimant sa propre doctrine dans la continuation de son aposto

(1) La suppression de o dans bonna et le changement de l'nna en 'mna s'expliquent facilement. Par suite du changement de l'accent tonique, bonna est devenu b'nna, et bn s'est transformé en m, à cause de l'affinité des lettres bn et m. Le même changement se produit dans le mot allemand Abend, soir, qui se prononce comme s'il était écrit am't. L'accent étant ici sur a, on a dit d'abord ab'nd, puis bn a passé en m, et d en 1.

lat. Ils ont eu le titre de docteurs de l'Eglise universelle, et reçoivent, en cette qualité, un honneur spécial dans le culte catholique.

On en compte d'abord quatre dont les écrits sent en langue grecque saint Athanase, patriarche d'Alexandrie en Egypte; saint Basile, évêque de Césarée en Cappadoce, saint Grégoire, de Nazianze, et saint Jean Chrysostome, deux patriarches de Constantinople, tous du ive siècle.

Le schisme d'Orient, commencé au ve siècle, tarit la source des docteurs de l'Eglise.

y

Quatre autres ont écrit en latin; ce sont : saint Jérôme, de Stridon en Pannonie; saint Ambroise, archevêque de Milan; saint Augustin, évêque d'Hippone en Afrique, du Ive siècle, et saint Grégoire Ier, pape, du vie siècle.

Après ces huit, et dans un ordre inférieur, l'Eglise compte saint Hilaire, évêque de Poitiers, au Ive siècle; saint Léon Ier, pape, et saint Pierre Chrysologue, d'Imola, archevêque de Ravenne, au ve siècle; saint Isidore, de Carthagène, archevêque de Séville, au VIIe siècle; saint Pierre Damien, de Ravenne, cardinal-évêque d'Ostie, et saint Anselme, d'Aoste, archevêque de Cantorbéry, au XIe siècle; saint Bernard, de Dijon, abbé de Clairvaux, au XIIe siècle : saint Thomas d'Acquin et saint Bonaventure, de Bagnorea, au XIII, saint François de Sales, évêque de Genève, résidant à Annecy, au XVIIe siècle, et saint Alphonse de Liguori, évêque de Sainte-Agathe-desGoths, au XVIIIe siècle.

Il y en a qui sont honorés comme docteurs de l'Eglise dans leur nation seulement, à cause de l'excellence de leurs écrits et de l'apostolat qu'ils y ont exercé, comme saint Fulgence, évêque de Ruspe en Afrique, au vie siècle; saint Léandre, archevêque de Séville, au vre également; saint Ildefonse, évêque de Tolède, au vire; saint Bède, dit le Vénérable, moine d'Angleterre, au vie. Mais l'Eglise ne leur a pas encore attribué cet honneur dans l'étendue du monde catholique. Ce n'est même que dans le XIXe siècle qu'elle l'a décerné à saint Pierre Damien, à saint Hilaire, à saint Bernard et à saint Alphonse de Liguori. Saint François de Sales vient compléter dignement cette phalange glorieuse.

Mgr Magnin, à la tête de son clergé et de l'ordre de la Visitation, fondé par saint François de Sales, mit à profit la réunion du concile du Vatican pour solliciter cette cause en l'honneur de son saint et illustre prédécesseur. Trente cardinaux, sept patriarches, soixante-quatorze archevêques, trois cent vingt-six évêques, quinze supérieurs d'ordres religieux de toutes les parties du monde catholique, six universités et un grand nombre de personnages appartenant aux familles princières de l'Europe, aux séminaires et aux colléges ecclésiastiques, à la noblesse d'Italie, de France, d'Espagne, d'Allemagne, d'Autriche, de Hongrie, de Pologne, de Suisse, etc., sont venus appuyer de leurs vœux la demande de Mer d'Annecy. C'est, avec le succès obtenu, le plus beau fleuron de son épiscopat.

Bien qu'en face d'un pareil suffrage, qu'on pourrait appeler une acclamation universelle, la Congrégation des Rites, avec la prudence habituelle du SaintSiége, dont elle est l'intelligente ouvrière dans cette

spécialité, s'est livrée de nouveau à une étude approfondie de la vie et des écrits de saint François de Sales, imprimés et inédits. Car, pour être reconnu docteur de l'Eglise universelle, il faut réunir une héroïque sainteté et une science éminente.

Et c'est ensuite de ce travail poursuivi pendant plusieurs années avec toute la maturité ordinaire de ses jugements, que cette Congrégation a enfin émis son vote affirmatif le 7 juillet 1877, auquel S. S. Pie IX vient de donner la sanction suprème et irrévocable, en date du 16 du même mois.

La promulgation officielle du décret pontifical donnera lieu à des fêtes solennelles, après l'achèvement des réparations de l'église de la Visitation d'Annecy, qui conserve ses restes vénérés, et sera suivie d'une publication des oeuvres complètes du saint docteur, qui, en répandant la lumière la plus pure et la plus douce sur la Savoie et la France, est devenu une lumière éclatante de l'Eglise universelle.

ENCORE LA REGICHIA

C.-A. DUCIS.

Permettez-moi d'ajouter un mot, sur la Regichia, à l'article publié dans la Revue savoisienne (1877, p. 65), par notre savant collègue, M. Ducis.

On trouve aussi, dans les documents savoisiens, l'expression regichire ou revichire. Ainsi les chartes du diocèse de Maurienne, publiées à Chambéry, en 1861, nous en fournissent deux exemples (p. 200, 201, 203, 429). Je ne pense pas toutefois que les auteurs de ce recueil aient bien saisi le sens véritable de cette expression; suivant eux, elle signifierait payer, acquitter, satisfaire, solvere, persolvere.

Il me semble, au contraire, résulter des textes publiés dans le recueil, que regichire et solvere sont deux choses essentiellement différentes. Si je ne me trompe; regichire ou revichire, signifie reconnaître, reconnaître devoir à autrui; or, il ne faut pas confondre la reconnaissance du droit avec le paiement, ce sont deux idées essentiellement différentes. C'est ce qu'ont fait les auteurs de ce recueil qui mérite d'ailleurs, je dois le dire, les plus grands éloges; il serait bien à désirer, en effet, qu'il parût une publication analogue pour les autres contrées de la Savoie, en prenant ce mot Savoie dans sa signification la plus générale et la plus étendue.

Regichire ne figure pas dans le dictionnaire de Ducange; il est bon de rechercher son sens réel. C'est une petite conquête archéologique à faire.

Dans la charte de 1368, regichia veut-il dire tributum, praestatio, comme le pense M. Ducis, ou bien confessio, reconnaissance? C'est un point sur lequel j'ai quelque doute. Je n'ose pas émettre encore à ce sujet une opinion bien prononcée, définitive; j'attends de nouveaux textes que M. Ducis sera probablement le premier à nous produire pour que la question puisse être exactement élucidée.

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Mon cher directeur et ami, Je viens de lire dans un journal que les Fidjis, que l'Angleterre s'est annexés, ont une religion. Jusque là rien d'extraordinaire. L'homme, où qu'il naisse, ne peut faire abstraction de son âme. Le divin, qui est en lui, se révèle suivant le milieu. La manifestation du sauvage ne peut ressembler à la glorification du civilisé, mais elle est égale, comme preuve. de la double nature dont l'homme est formé.

Ce qui n'est pas étrange non plus, c'est que, partout, on rencontre la dualité des principes: le bien et le mal. L'homme souffre et ne se rend pas compte de la cause de sa douleur: il jouit et il ne peut se dissimuler que la joie n'est point due à son effort il : est tout simple qu'il l'attribue à un pouvoir surnaturel.

Mais ce qui m'a fait prendre la plume est beaucoup moins élevé que les questions que je viens d'effleurer. J'ai été frappé que les Fidjis appelassent leur Dieu, principe du bien, Kalo. Sans y changer une lettre, c'est le mot grec signifiant bon. D'où vient cette coïncidence? Y a-t-il, sous cette ressemblance et ce parallélisme de linguistique, une question de races? d'où viennent les Fidjis?

Mon intention a été seulement d'éveiller l'attention des chercheurs. Il faut souvent un simple hasard pour mettre sur la voie de découvertes importantes. Je vous la livre, mon cher directeur, en appelant l'examen des savants au courant de la langue des Fidjis.

Veuillez me croire votre bien affectionné,
L. FAVRE-CLAVAIROZ.
Consul général de France.

(1) Le livre des Psaumes, ancienne traduction française publiée pour la première fois d'après les manuscrits de Cambridge et de Paris par Francisque-Michel. Voir à la Bibliothèque publique d'Annecy cette publication faite à l'Imprimerie nationale, 1876, 1 v. in-4°. - L. R.

DEUX JOURS A CONSTANTINE

(Suite)

C'est entre les deux premières, et sur la face occidentale, que se trouvaient les bas-reliefs dont Shaw a donné un dessin et une description si fantaisistes: « Une dame marchant sur deux éléphants avec une grande coquille qui lui sert de dais. Les éléphants << ont la tête tournée l'un contre l'autre en entor‹ tillant leur trompe, et la dame, qui paraît coiffée en cheveux, porte un habillement fort juste au <corps et relève ses jupes de la main droite en regardant la ville d'un air moqueur. »

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Or, ces deux éléphants étaient bien face à face et dans l'attitude de la lutte, mais ils ne se tenaient point par la trompe, et la dame était si légèrement vêtue qu'on devinait aisément sous ses draperies toutes les formes de son corps, mais elle ne relevait nullement ses jupes de la main droite comme pour insulter à la ville. Elle tenait tout simplement de ses deux mains l'extrémité antérieure et repliée de son voile, ainsi que le font encore assez souvent les Arabes, hommes et femmes, avec la partie antérieure de leur haik, ainsi que cela se faisait, du reste, aussi chez les Romains, å en juger du moins par les nombreux monuments découverts à Moute, près Sétif, sur lesquels chaque personnage est revêtu d'une étoffe en draperie ainsi tordue et ramenée tantôt jusqu'à la taille, tantôt jusqu'au bas-ventre seulement. Au reste, ces bas-reliefs ne faisaient point partie de l'ancien pont et ne se rencontraient là que par un caprice de l'architecte italien chargé, par Salah Bey, de sa restauration; car, dans l'intervalle compris entre eux et le sommet du pilier mitoyen, on distinguait parfaitement des replâtrages modernes attestant qu'ils avaient été encastrés là postérieurement. Les deux pachydermes provenaient, sans doute, de l'hippodrome de Cirta dont Peyssonnel dit avoir encore vu une grande muraille un peu plus loin que l'arc de triomphe; et la dame, de cet autre édifice que les Arabes avaient décoré du nom de Château de la fée malfaisante « Ksar-el-Ghoula. »

Mais trêve de considérations et de regrets à ce sujet. Il ne reste presque plus rien de ce vieux pont dont la chute, il y a vingt ans, a privé le ravin de Constantine d'une de ses curiosités archéologiques les plus intéressantes; mais voici deux photographies (n. 2 et 3) qui tempéreront vos regrets et les miens. Elles ont été faites à Bône d'après les dessins de Delamarre, un des membres les plus actifs de cette commission scientifique, qui a exploré l'Algérie par ordre du gouvernement, de 1840 à 1845, et a fait si bien connaître notre belle conquête au monde savant. Approchons maintenant de la voûte sur laquelle reposait, du côté de la ville, l'un des piliers du pont romain. Elle constitue, à 15 mètres environ au-dessus du lit du Rumme!, un amas de travertin produit par le dépôt de deux sources incrustantes éteintes depuis bien des siècles.

mais oublié de prendre de quoi seulement allumer un cigare, admettons que nous trouvons là, juste à l'entrée de la voùte sombre, une de ces bonnes fées toujours prêtes à exaucer les voeux même les plus extravagants, et qui, nous prenant par la main, consente à nous servir de guide et de providence.

Pleins de confiance en notre invisible protectrice, nous nous enfonçons sans hésiter dans l'antre immense et ténébreux.

La gorge ainsi voùtée est toujours fort étroite dans le bas (12 ou 15 mètres de largeur au plus) et à parois verticales, mais il nous semble qu'elle s'élargit bientôt en tournant vers le nord.

Nous parcourons ainsi souterrainement un espace de 60 mètres environ, dans une obscurité profonde. Une espèce de clarté ne tarde cependant pas à luire dans les ténèbres. Elle tombe d'une ouverture circulaire de 35 mètres de diamètre environ et d'une hauteur considérable, car la voûte qui à son entrée n'avait pas plus de 15 mètres de hauteur sous la clef

en a ici au moins 40.

A la faveur de cette clarté qui nous rassure complétement, nous atteignons bientôt une nouvelle voûte de 25 mètres de largeur tout au plus, et sous laquelle nous passons comine sous un pont suspendu.

Si vous voulez m'en croire, nous remercierons ici la bonne fée qui a bien voulu nous accompageer, et le secours d'aucune baguette magique. Si mon ami Augé, en partant des cascades, est arrivé jusqu'ici sain et sauf, pourquoi n'irions-nous pas d'ici jusqu'aux cascades, tout aussi surement que lui? de toute expression (phot. no 4), puis une quat.ième (phot. n° 5), forment devant nous d'immenses ar

nous suivrons ce lit du torrent à moitié desséché sans

Une deuxième voûte dont la beauté est au-dessus

ceaux à 40 et 50 mètres au-dessus du Rummel dont

le lit s'élargit de plus en plus. A droite et à gauche les parois taillées à pic atteignent une hauteur de plus en plus considérable aussi. On se sent comme anéanti par leur imposante élévation, et ce n'est pas sans frissonner pour ceux qui les habitent, qu'en levant les yeux, on aperçoit, du côté de la ville, des maisons construites sur leurs bords escarpés. Des vautours, indignés sans doute de notre visite indiscrète, quittent leurs retraites obscures et fendant l'air de leurs ailes vigoureuses, disparaissent bientôt dans les nues, en décrivant d'immenses cercles au-dessus de nos têtes. D'énormes quartiers de rola rivière dont le cours nous paraît obéir ici à une ches tombées des parois encombrent toujours le lit de pente de plus en plus rapide (1).

Avant d'atteindre la quatrième et dernière voûte, je vous ferai remarquer à diverses hauteurs, sur l'une et l'autre rive, certains dépôts travertineux produits par des sources éteintes depuis longtemps, sans doute, et qui si ces dernières avaient continué.

(1) Il résulte des hauteurs barométriques suivantes, citées par Fournel dans sa Richesse minérale de l'Algérie, pages 403 et 404 : Bords du Rummel au-dessous de la pointe d'amont 531 au-dessus de la

mer;

Sommet de la première cascade 477 au-dessus de la mer; que le Rummel obéit à une pente de 54" depuis son entrée dans la gorge

Ici, je suis bien obligé de vous avouer que les dangers redoublent et qu'il faut s'armer de torches. Or, jusqu'à sa sortie, soit 0,033 par mètre. Mais à partir de la première comme nous avons fait, en pénétrant dans cette fissure étroite et profonde, ample provision de courage

vou e cette pente s'accentue si visiblement qu'entre la dernière et les cascades, Fournel a constaté lui-même, sur un très court espace, une pente de 5 mètres.

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à couler, auraient fini par former d'autres voûtes et par couvrir peut-être un jour tout le ravin. Permettez-moi de vous dire, à ce propos, cher ami, que toutes ces grandes voûtes que vous venez de traverser et d'admirer, ne sont pas le résultat immédiat de la fracture violente au fond de laquelle gronde, en hiver, le fluvium Cirtensem famosum des Romains, mais le produit d'anciennes sources riches en principes calcaires, émergées tantôt de la rive droite, tantôt de la rive gauche, et tantôt même des deux rives à la fois, ainsi que le démontre clairement celle sur laquelle reposait l'ancien pont et qui se compose de deux dépôts bien distincts, formés chacun d'un système de couches concentriques partant de la berge crétacée d'une rive et se rapprochant de plus en plus de la berge crétacée de l'autre rive, comme l'a si bien observé et décrit M. Ville.

Celle qui précède les chutes du Rummel a 50 mètres de hauteur sous la clef, 12 mètres environ d'épaisseur dans sa partie médiane, et parait avoir été produite par l'accroissement successif des couches de travertin partant de la berge droite de la fracture, à 15 mètres environ du sommet de cette dernière. Je vous ferai remarquer seulement avec cet infatigable et consciencieux observateur que la mort vient d'enlever trop tôt à sa famille, à ses amis et à l'Algérie, que ces couches de calcaire déterminent sur le fond du ravin deux saillies séparées par une largeur de six mètres, tandis que la voùte de travertin en a 12 de largeur maximum et la distance entre les deux parois du ravin 40 à 25 mètres environ audessus de la rivière.

Ah! ne vous impatientez pas, je vous en prie! car je vous préviens que vous n'avez pas à faire le tour de Constantine seulement en artiste, mais encore en archéologue et en géologue. Ainsi notez encore, en passant, qu'à partir de la troisième voûte, qui est le deuxième pont naturel des auteurs, les Romains et, sans doute, avant eux les Numides, avaient construit, le long de la rive gauche du Rummel, un petit aqueduc qui devait conduire une partie des eaux de

la rivière sur les roues de leurs moulins.

- Il servait encore aux Arabes et voire même aux Français jusqu'en 1855, époque à laquelle, pour mettre désormais le Rummel dans l'impossibilité de compromettre l'approvisionnement de la ville en farines, le génie militaire l'a remplacé par une galerie de 4 mètres de haut sur 3 de large, creusée à grands frais dans le roc.

Nous voici parvenus au point où le Rummel tombe de 67 mètres de haut, en formant une triple cascade au pied occidental du Sidi Mcid et de l'angle le plus élevé de la ville.

Tirons sur notre droite, en d'autres termes, traversons le fleuve qui s'étend là sur un lit de calcaires allant sans interruption d'un bord à l'autre, et laissons-nous glisser à travers rochers et broussailles, jusqu'au pied de ces nappes de cristal, non sans jeter un dernier regard sur les deux voûtes naturelles que nous venons de laisser à 325 et 500 mètres derrière

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et de lauriers roses où nous avons fini par pénétrer non sans peines et meurtrissures, nos yeux embrassent encore un horizon splendide. Au premier plan le Rummel se précipitant lors de la gorge qui a ici 80 mètres de largeur, par trois bonds successifs de 25, 31 et 11 mètres chacun (1) (phot. no 6); au second plan les deux rives du fleuve taillées à pic et s'élevant à 182 mètres au-dessus de la première cascade, c'està-dire à 254 mètres au-dessus de nos têtes! Aussi jugez si nous devons paraitre lilliputiens en présence d'aussi grandes masses, et combien nous devons nous estimer heureux qu'elles ne viennent pas à s'écrouler tout à coup! Estimons-nous aussi très heureux que le Rummel ne s'enfle pas soudain, car nous ne pourrions demeurer en cet endroit sans être sinon engloutis, au moins complétement trempés par les nuages de rosée qu'il soulève et assourdis par le bruit qu'il fait en tombant quand il sort de son caractère paisi

ble.

Nous supposons que grossi comme en un de ces jours mémorables où on l'a vu s'élever, en quelques heures, à des hauteurs de 14 à 15 mètres au-dessus de leur niveau ordinaire, il exige en maître que nous nous éloignions. Le spectacle qu'il nous offrira en sera-t-il amoindri? Non, certes!

A cette distance nons pourrons le voir et l'entendre encore bondir de rocher en rocher, écumer et rugir comme un lion! Ah! si vous saviez comme il est beau dans ses jours de colère!...

Je ne vous dirai pas de comparer les bonds qu'il fait alors pour s'élancer, tête baissée, dans la vallée qui le conduit après mille circuits détournés jusqu'à la mer, aux chutes du Niagara, car vous savez trop bien, sans doute, que toutes les cataractes du monde réunies en une seule n'égaleraient peut-être pas le volume que celles-ci déversent avec fracas au-dessus de leur digue immense! Mais vous m'accorderez bien, je l'espère, qu'ils rivaliseraient avec les cascades les plus renommées de la Suisse et de l'Italie, si, comme vous le dites si élégamment à propos des gorges de la Diosaz, les curiosités de la nature pouvaient rivaliser entre elles! Chacune a sa beauté qui lui est propre, rien ne saurait être aussi varié à l'infini que leur thème. Foin donc des comparaisons les plus impartiales et vivent les cascades du Rummel en dépit de tout ce qu'elles peuvent perdre à être comparées aux chutes du Niagara !

et

Après leur avoir payé un juste tribut d'admiration et regretté vivement que les rochers formidables qui les dominent sur la rive gauche ne soient plus couronnés que par de misérables constructions modernes tout à fait indignes de la place qu'occupait, sans doute, là, au temps des Romains, quelque temple magnifique élevé à la gloire de Jupiter très haut - Zeus upatos, -descendons le long du Rummel en suivant le sentier qui serpente entre les genêts,

(1) En combinant le résultat des belles opérations géodésiques du capitaine d'état major Boblaye avec les résultats d'un travail de mème nature exécuté en 1837 par le capitaine du génie Scheffler, Fournel a trouvé que le Rummel, au pied des cascades, le sommet de la 3 cascade et les sommets de la 2° et de la 1 étaient à 410, 421, 452 et 477 mètres audessus du niveau de la mer. Il en résulterait donc que la première cascade a bien réellement 25 mètres de haut, la seconde 31 et la troisième 11, et que le fleuve tombe bien de 67 mètres de haut et non de 30 pieds seule. ment, comme l'écrivait, en 1733, le savant naturaliste et voyageur alle

mand Hebenstreit.

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