19 Année. - N° 10. Omnes omnium caritates patria una complexa est. 31 octobre 1878. ON S'ABONNE REVUE SAVOISIENNE Par un bon postal à l'or- JOURNAL PUBLIÉ PAR LA SOCIÉTÉ FLORIMONTANE D'ANNECY dre du Directeur. La Revue rendra compte des ouvrages dont deux exemplaires lui auront été adressés. SOMMAIRE. La Haute-Savoie avant les Romains (suite et fin), par M. Louis Revon. Les Noëls de Scionzier (suite), par M. C.-A. Ducis.- La muse savoisienne au XVIe siècle, par M. A. Constantin. -Note bibliographique, par M. Jules Philippe. Séance de la Société Florimontane. Bulletin. - Observations météorologiques et hydrométriques faites au jardin public d'Annecy, par M. A. Mangé. LA HAUTE-SAVOIE AVANT LES ROMAINS ΧΙ ADDITIONS Depuis l'impression des chapitres consacrés à l'âge de la pierre et à l'âge du bronze, plusieurs découvertes intéressantes ont eu lieu et méritent d'être signalées. Classons-les par époques et par communes. 1o Age de la pierre. Dans les environs de Rumilly, on a trouvé un marteau-hache en grès dur, long de 115 millimètres (fig. 179, musée d'Annecy). Le trou d'emmanchement, lisse et très régulier, paraît avoir été obtenu par le procédé du tube en roseau tournant avec rapidité dans un sable humide. Des stries 179 Italie et Suisse . 7 2 Payable d'avance. On ne reçoit que des abonnements annuels. Les communications de tout genre adressées à la Revue savoisienne doivent être affranchies. ficelle qui reliait l'instrument à son manche. Comparez le casse-tête ou marteau-hache de Mornex, représenté par la figure 66. Quant à l'instrument décrit précédemment à la suite de celui de Mornex, et trouvé à Vétraz-Monthoux, un dessin que m'envoie son propriétaire, M. de Boringe, le représente comme formé d'une large poignée à bourrelet probablement naturel, avec une extrémité taillée en cône arrondi et poli; ce serait peutêtre une pierre à broyer. Une belle hache en serpentine, longue de 125 millimètres, a éte mise au jour en décembre 1876 à la Bovière, entre Chosal et le Nant de la Motte, commune à Annecy). Elle était accompagnée de Mésigny (fig. 181, coll. Constantin d'un galet plat et circulaire, en serpentine, offrant un poli remarquable qui peut avoir été complété par le travail humain; le diamètre moyen de ce disque est de 125 millimètres (id.). La station lacustre de Thonon a fourni à M. J. Costa de Beauregard une hache en serpentine. 2o Age du bronze. La pièce la plus intéressante est une petite épée en bronze, courte et épaisse, à lame bombée et unie, avec soie d'emmanchement brisée vers l'extrémité ; longueur Om,37, largeur maximum 3 centimètres, épaisseur 7 millimètres (fig. 182, musée d'Annecy). M. de Mortillet la classe dans les premiers temps de l'âge du gné, et destinés sans doute à retenir dans la gorge la bronze, c'est à dire à l'époque du fondeur qui a pré 94 cédé celle du marteleur. Cette épée a été recueillie en janvier 1877 sur la berge du Chéran, rive droite, à 800 mètres en amont du confluent du Fier, dans la commune de Rumilly. A la même époque, et à 8 kilomètres du point précédent, on découvrit dans le Fier, un peu en aval du pont de Saint-André, une tête de lance en bronze, à douille (fig. 183, musée d'Annecy). Sa longueur est de 165 millimètres et la largeur maximum de 37 millimètres. Le musée d'Annecy possède aussi un bracelet lunulaire en bronze, trouvé dans le val de Fier lorsqu'on établit la route nouvelle qui suit le tracé de la voie romaine. Comme les autres bracelets lunulaires que j'ai décrits, celui-ci est peut-être contemporain de l'invasion romaine, mais il conserve le style de l'époque précédente. Un culot de bronze, conservé au musée de Genève, a été recueilli dans la vigne de M. Kraut, près d'Aiguebelle, commune d'Etrembières. 183 La même collection a fait l'acquisition récente d'une série d'antiquités lacustres de la station de Tougues, commune de Chens-Cusy. Elle a acheté aussi, à la mort de M. Blavignac, la faucille à bouton qui faisait partie de la cachette de fondeur de Meythet. 184 182 J'avais dessiné au musée de Lausanne un singulier bronze pêché par M. Carrard dans le Léman, à Thonon (fig. 184). C'est un disque ovale, formé de minces feuilles de bronze superposées que retient une bordure coulée, à moulures, suspendue à une bélière également en bronze. L'épaisseur est de 4 millimètres; le grand diamètre a .118 millimètres. Rien de semblable n'ayant été recueilli jusqu'ici dans les emplacements lacustres, j'avais cru devoir m'abstenir de faire figurer cet objet parmi les produits de nos palafittes; le style du cadre en particulier me paraissait offrir bien peu de rapports avec ce qu'on connaît de cette époque. Maintenant il faut s'incliner devant l'autorité d'un nom respecté dans le clan des archéologues: le savant docteur Forel, de Morges, n'a pas hé sité à décrire l'ornement en question dans l'Anzeiger (Indicateur d'antiquités suisses) d'octobre 1876, en l'attribuant à la station lacustre. Il fait remarquer qu'il n'y avait en réalité que deux feuilles de bronze, et que les quatre minces feuillets intérieurs « ne sont que les surfaces d'oxydation, les couches de tuf chargé de sels métalliques et de chaux, qui recouvrent les deux faces internes et externes de chacune des deux feuilles primitives. » Dans le catalogue manuscrit du musée de Lausanne, le conservateur, M. Morel-Fatio, ajoute la note suivante : « Cet objet pourrait bien être une moitié de ce que Lindenschmidt appelle des Brustspangen. Cf. Lindenschmidt, tome I, heft 7, pl. 4. » J'avais fait encore une omission volontaire, et je suis tenté de la maintenir, dans la description des objets appartenant au premier âge du fer ou à l'époque gauloise. Il s'agit de vilaines petites statuettes en bronze, d'un travail barbare, divisées entre les musées d'Annecy et de Genève. Dans cette dernière ville elles sont classées à la fin de l'âge du fer; mes prédécesseurs au musée d'Annecy ont aligné les bonshommes de cette catégorie parmi les objets romains. Il est assez difficile, en effet, de dire si ce sont des artisans gaulois ou des ouvriers romains de la décadence qui ont conçu ces figurines aux gestes désordonnés, aux membres grêles et sans modelé. Quant aux lieux de provenance, ils fournissent des présomptions d'égale valeur pour les deux époques: par exemple, deux figurines de notre musée municipal, dont l'une est en fer et offre l'idéal de l'exécution barbare, proviennent de la plaine des Fins d'Annecy, où l'on a recueilli quelques monnaies gauloises et un autel gallo-romain, mais où les autres antiquités, très nombreuses, sont de l'époque romaine. En revanche, le musée de Genève possède 3 statuettes en bronze découvertes en 1848 sur le roc de Chère (Talloires), localité voisine des bains romains de Menthon, mais qui a essentiellement fourni des médailles gauloises, et en abondance. Dans la même collection, on voit une figurine en bronze, d'un travail non moins défectueux; elle vient de Bonneville. 3o Pierres à légendes. Le mythe de Gargantua s'est répandu jusque dans les environs d'Annecy. Dans les rochers polis par les glaciers, sous la croix du Cré-du-Maure, on voyait le fauteuil et les escaliers de Gargantua, produits par un travail d'érosion. En s'appuyant pour s'asseoir, le géant avait imprimé à droite et à gauche la marque profonde de ses mains. M. Serand avait examiné dans son enfance cette pierre, détruite par la mine vers 1845. Parmi les légendes de fées, il en est une où les récits du moyen-âge se mêlent au souvenir des palafittes. Les divinités qui avaient jeté le pont Navet sur le Fier offrirent au seigneur de Duingt de relier son château au roc de Chère, au moyen d'un pont, en échange d'une certaine quantité de sel et de beurre. Elles se mirent à l'œuvre, mais le châtelain n'ayant pas tenu sa promesse, elles détruisirent leur ouvrage pendant la nuit. Du pont des Fées il ne reste qu'une culée (elle fait partie des escarpements naturels du roc de Chère, près de Talloires), et un groupe de pilotis, sur le bas-fond du Roselet: nous avons vu plus haut que cet îlot est l'emplacement d'une station lacustre. LOUIS REVON. LES NOËLS DE SCIONZIER (Suite) Chanton az aute voy Noel je vous am prie Est nez le roy des roy De la Virge Marie En Betléem est my Entre grant provrete Noel noel noel Quant vient a laz minuit A luy abandonne A l'enfant on donné Herode pour trové Plus de sans mille nombre Noel noel Troy roy son venu Or prions Jhesu Chrit Et sa très digne mère Que suions contre dixt Nous voillie donné gloire Devans sa dignité Puisson chanter noel Noel noel. Explicit. On aura remarqué la présence du z après l'a bref dans laz nativité, laz vierge, az l'honneur, saz très digne mère, nous az montré, nous az visité, nous az óté, az aute voy, laz minuit, etc. Cet usage s'est maintenu après l'a et l'o final des noms de localités et de famille, lorsqu'ils sont brefs dans la prononciation : La Clusaz, la Forclaz, la Giettaz, la Guerraz, la Muraz, la Chiésaz, Chavannaz, etc. Millioz, Culoz, Marlioz, Duittoz, Magarroz, Salevoz, Allevoz, quelquefois même Salevouz et Allevouz. Cette syllabe finale est tellement brève que l'orthographe actuelle tend à la remplacer par un e muet, comme Duitte, Magarre, Salève, Allève, etc. Il est évident que ce z final est antérieur aux occupations espagnoles, qui n'ont commencé en Savoie qu'au xvIe siècle; peut-être faut-il le rapporter aux invasions méridionales des VIIIe et Xe siècles. Le z final après le mot mère, dans le titre, indique un é demi fermé, comme nos vieillards, surtout dans le fianc occidental des Alpes contre le Piémont, prononçaient encore, il y a quelques vingt ans, les e aujourd'hui muets, mais alors ressemblant à l'é final des mots italiens amore, onore. L'emploi de zou de s après l'é fermé tient lieu d'accent dans nez, vales, joesitez, s'esbas, etc. Mais l'auteur y manque souvent, et, pour faciliter la lecture, nous avons suppléé l'accent, lorsque rien ne l'indiquait. Quelquefois le s remplace le t, commme dans s'esbas pour s'ébat et dévale, c'est-à-dire se lève et descend, comme aussi en ses afaire pour en cette affaire. L'expression pour à la place de par est encore un souvenir du langage vulgaire d'outre monts: Mais pour Marie elle nous est rendue... pour benignité... pour les montagnes... pour l'ange fut dit. L'absence de l'e dans Virge et antirement n'empêchait pas de prononcer Vierge, entièrement. Car Virgo virginum se chantent encore aujourd'hui dans certaines campagnes Viergo vierginum. La forme eou représente la prononciation locale dans les mots loneour pour l'honneur, ant chan leour brebis pour en champ leurs brebis, leour biens, lcour mouton, pour leurs biens, leurs moutons. L'origine latine se trahit dans les mots diversoire de diversorium, recliné de reclinatum, dulce de dulcis, paroche de parochia, anselle de ancilla, ultement de ultro, redolent de redolens, qualificatif de l'encens, clarité de claritas dans le sens de vogue, célébrité, volant clérement, c'est-à-dire dans un éclat de gloire. Le 5 vers de la seconde strophe est une traduction du texte d'Isaie XI. Egredietur virga de radice jesse. La suite du verset: flos de radice ejus ascendet, a inspiré le 8e vers de la 6e strophe: verdorent pour verdoyant. Le lecteur aura lu sans doute liaulement pour loyalement, saiement pour sagement, joesitez, joesement pour joyeuseté et joyeusement, et aura suppléé l'h initiale qui manque aux mots ativement, autement, onblement, omage, Erode. L'inversion et la forme orthographique doivent être rétablis ainsi dans la 8° atrophe: je suis la volonté de ce messager; je suis la servante de la divinité. Incontinent hativement, le noble archange s'est envolé joyeusement et l'ambassade de Gabriel fut achevée (affiné) fidèlement. La strophe suivante offre quelques difficultés. D'après les données de Ducange, on pourrait interprêter demoy dans un sens fiscal, et dire: Quand le domaine vers Marie fut allé, elle fut citée pour (moder) aller payer le tribut, Joseph, le bon prudhomme, le vir fidelis et prudens de l'Ecriture sainte, la mena en Bethleem et la logea en grande pauvreté, puisqu'ils ne trouvèrent qu'une étable. Le buf devait alors se prononcer beuf, comme on prononce encore seur la préposition sur dans quelques vallées. La prononciation de dou pour deux, encore en usage, explique l'orthographe étrange du vers: Le boeuf et l'âne tous deux l'ont adoré. On aura remarqué les trois grands seigneurs venant des terres étrangères d'Orient vers l'Enfant pour lui apporter de l'encens, de la myrthe et de l'or en quan tité. Le mot patois étrange signifie encore aujourd'hui étranger. C'est à la 15e strophe que nous avons pu connaître l'origine de ce Noël, à Scionzier, où les documents archiviques constatent la famille De Balmes, dont la descendance se trouve actuellement au bourg dehors, Burgum de foris, qui vient d'être incendié. La dernière strophe rappelle le texte sacré : Beatus venter qui te portavit et ubera quæ suxisti, Luc XI. Dans le second Noël, à la deuxième strophe, la naissance du fils de Dieu est (nunsée) annoncée par l'ange aux pasteurs de céans, qui, dans la strophe suivante, avaient (avion, locution spéciale à Scionzier) abandonné leurs bêtes pour aller lui donner tabourin et musette, et mener aubade (prononciation locale oubade) en grande joyeuseté. La rime de musette avec bestie fait presumer que ce dernier mot, orthographié sur le latin bestia, se prononçait alors déjà comme aujourd'hui. Le nombre des enfants immolés par Hérode, pour trouver le Rédempteur du Monde, est comparé à celui des damnés que pouvait fournir alors l'Enfer, cent mille, c'est-à-dire un nombre indéterminé. Entre le couplet d'Hérode et celui des trois rois, on a dessiné deux têtes d'ecclésiastiques à longs cheveux pendants, coiffées de chapeaux tricornes. Pour rimer avec mère, le mot de gloire devait se prononcer, comme aujourd'hui en patois: gloëre. On trouve dans d'autres manuscrits: Talloëres, chanoëne. Le troisième vers: Soyons contre dix, semble faire allusion au nombre qui devait marquer le terme de la miséricorde divine aux habitants de la Pentapole; Genèse, XVIII, 32. C.-A. DUCIS. (A suivre.) LA MUSE SAVOISIENNE AU XVI SIÈCLE Le plus ancien poète qui ait écrit en patois savoyard, est un nommé Nicolas Martin qui publia, en 1555, un petit volume de Noelz et Chansons. Selon toute probabilité, il n'en existe plus qu'un seul exemplaire, lequel se trouve à la Bibliothèque Mazarine, sous le n° 21673. Quoique l'impression en ait été mal soignée, ce recueil n'en est pas moins très précieux. Ecrit partie en vulgaire français, selon l'expression de l'auteur, partie en patois, il renferme un curieux spécimen du français et du patois parlés à cette époque en Savoie ou plutôt à Saint-Jean-de-Maurienne. Au point de vue littéraire, Nicolas Martin ne mérite pas l'oubli dans lequel il est tombé. Comme on le voit dans son épître à son imprimeur, tout en parlant des compliments que lui ont valus ses noëls, il ne se fait pas d'illusion sur le mérite de ses vers français; mais, reprend-il d'un ton qui ne manque pas de fierté, << Mais beaux qui sont en estrangere langue. » et il a raison, car c'est dans ses poésies savoyardes qu'il déploie un vrai talent de poète. Ses Noelz et Chansons méritent donc à plus d'un titre d'être tirés de l'oubli dans lequel ils sont tombés, et de figurer en tête de la collection de nos vieux écrits qui n'ont pas encore été réimprimés. Tout en reproduisant aussi fidèlement que possible l'édition princeps, nous ne nous croyons nullement tenu, pour faire croire à la fidélité de la réimpression, à employer des caractères typographiques, et encore moins du papier, semblables à ceux de l'édition de 1555. Aussi écrirons-nous ung, concepvra, je, homme, perpetuel au lieu de vng, concepura, ie, hoe, ppetuel. De même, nous remplacerons l'ancienne notation musicale par celle qui est usitée de nos jours. Enfin lorsque, par suite d'un défaut d'impression, il y a doute sur la manière de lire un mot, nous mettrons la leçon la plus probable la première, et, à sa suite, entre parenthèses, la moins probable. Pour tout le reste, reproduction intégrale du texte avec toutes ses fautes d'orthographe et de ponctuation. NOELZ ET CHANSONS NOUVELLEMENT COMPOSEZ TANT EN VULGAIRE FRANÇOYS QUE SAVOYSIEN DICT PATOYS. par M. Nicolas Martin Musicien en la Cité saint Jean de Morienne en Savoye. A Lyon Chez Mace Bonhomme 1555. L'AUTHEUR à l'Imprimeur. Amy trescher qu'a tresbon droit on nomme. A ce jourhuy en tous et divers sons : Consolamini, consolamini, popule meus, etc. Isaiæ 45. Veniet desideratus cunctis gentibus, etc. Aggæus 2. but, Qu'un chascun se ré-veil-le, No- el de grand mer veil- le. Ac-cou- rés jeu- nes et vieux, De nou- vel- les Ecce virgo concipiet et pariet, etc. Isaia 9. cu- ri- eux. On en dict pour vray de bel-les: D'es-tou Rorate cœli desuper et nubes pluant justum. Isaias. Parvulus natus est nobis et filius datus est nobis. Populus q i ambulabat in tenebris vidit lucem magnam. Par desers villes, et terres, O vous trestous Mauriennois, De sainct Jehan plus que Prophete, Venez ouyr la tromp. pés donc vos o-reil-les, Pour escouter jusqu'au but. Sus. Dieu misericordieux A regardé des haux cieux Sus, sus, sus debut, etc. Gabriel l'a salué Sus, sus, sus debeut... Le message estre dict Et fust question que fust elle, Sans qu'un homme me cogneust. Descendra le sainct Esprit Regarde Elizabeth De vieillesse elle chancelle |