Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

son gigantesque coursier de glace, le toit de chaume et le pain bis du montagnard, Chamonix devient un lieu célèbre, prononcé dans toutes les langues, comme sous toutes les latitudes, paré de toutes les séductions de l'art, au pied des plus sublimes beautés de la nature, un endroit vraiment béni où l'on dirait que la Providence a voulu rendre à l'habitant la récompense de tant de siècles d'obscurité.

< Seuls ils n'ont pas changé ces descendants des Balmat, des Coutet, des Cachat, des Lombard, des Tournier, des Dévouassoux, des Ravenet, des Favret, de tous ces vaillants qui formèrent l'escorte d'honneur de Paccard et de Saussure: ils sont toujours les mèmes, bons, simples, de mœurs austères, courageux sans forfanterie, agiles comme des chamois, impassibles devant le danger, risquant et donnant sans marchander leur vie pour qui se confie à eux: ils ont fondé cette robuste et héroïque phalange, dont la devise est dévouement et probité: ils s'appellent les guides de Chamonix! »

L'auteur donne ensuite la statistique la plus récente des ascensions au Mont-Blanc de 1786 au 7 août 1876.

Dans cet intervalle de 90 années, 823 ascensions ont été effectuées (1), savoir:

499 par des Anglais;

134 par des Français (parmi lesquels 12 Savoyards et 2 Alsaciens-Lorrains);

95 par des Américains;

34 par des Allemands;

25 par des Suisses;

10 par des Italiens;

9 par des Russes;

6 par des Autrichiens;

4 par des Polonais;

3 par des Espagnols;

1 par un Belge;

1 par un Suédois;
1 par un Norvégien;

1 par un Hollandais.

La première femme qui soit montée au Mont-Blanc est une paysanne de Chamonix, Marie Paradis, surnommée la Rose du Mont-Blanc. Dès le 14 juillet 1809, date de son ascension, 38 dames ont suivi son' exemple: 27 Anglaises; 9 Françaises, parmi les quelles une jeune fille de 14 ans, Mlle Loppé; 1 Américaine et 1 Espagnole.

L'auteur, après avoir rappelé l'ascension faite en plein hiver, le 30 janvier 1876, par miss Isabella Straton, signale celle exécutée l'an dernier, le 18 mai 1875, à l'âge de 72 ans révolus, par le marquis de Turenne, à qui l'assemblée fait une ovation enthousiaste.

« Ce sont là, dit en terminant l'auteur, de beaux exemples pour notre jeunesse française. Qu'elle apprenne le chemin du Mont-Blanc, qu'elle aspire à s'inscrire sur le livre d'or des Balmat, des Saussure

[blocks in formation]

ǝt des Paccard, elle se ménagera de måles et savoureuses jouissances, et elle préparera à la patrie des bras musculeux et de courageux défenseurs.

« Oui! venez à la montagne, ô vous qui cherchez la paix, l'air pur qui calme et fortifie le corps, l'atmosphère bienfaisante où le cœur est à l'aise, où l'esprit se repose des discussions haineuses et des bruyants combats de la politique. Avant de rentrer dans l'arène, venez au moins ceindre vos reins sur ce terrain neutre, où toutes les âmes se rencontrent pourvu qu'elles aient le sentiment de l'honnête et du beau.

Là, on se plaît à oublier la mesquinerie des querelles de l'homme pour ne contempler que la majesté de l'œuvre de Dieu et l'on se prend à répéter avec l'auteur de Guillaume Tell:

< Vois-tu là haut les sommets des montagnes, ces < pointes blanches qui se perdent dans le ciel. Ce << sont les glaciers qui grondent la nuit comme le <tonnerre et d'où se précipitent les avalanches <croulantes. Et il vaut mieux, enfant, avoir derrière << soi ces glaciers que les hommes méchants. »

XIII

LE DÉPART DES CARAVANES

Il est deux heures... Présidents et dignitaires viennent de déjeuner en gala à la table hospitalière de M. Camescasse, un amphytrion qui, pour eux, ne s'est nullement déguisé en préfet.

Le train des équipages est rangé sur la place de l'hôtel-de-ville. Il y en a de toutes dimensions et de tout genre. Omnibus, landaus, pavillons, breaks découverts, attelages d'un, de deux, de trois chevaux, tout cela forme un ensemble des plus réjouissants à l'œil.

Ajoutez-y les costumes bizarres des deux à trois cents touristes qui vont prendre place sur le convoi, les voiles bleus ou les foulards lyonnais qui flottent croisent, les commissaires aux cocardes multicolores au vent, les piolets et les alpenstocks qui s'entretendent, les mouchoirs qui s'agitent, la foule, qui salue qui procèdent à l'embarquement, les mains qui se et applaudit, les vivats qui retentissent et finalement leur carillon, les voitures qui s'ébranlent et partent les fouets qui claquent, les grelots qui commencent au galop, pendant que la Couronne de Savoie appareille dans le port,... voilà le départ !

« Adieu Annecy! ville écossaise, cité charmante, toute pétrie d'amabilité, de grâce alpestre et d'esprit gaulois, >> disent les touristes qui ne doivent pas revenir.

[blocks in formation]

XIV

LE SEMNOZ-ALPES (1)

Nous étions, ai-je bien compté? 49, conduits par les plus aimables des cicerone, Jacques Carron, seph Rollier, Alphonse Bergier et Emile Laeuffer, qui part comme une flèche, en officier d'avant-garde, Sur son léger phaéton, emportant la vaillante madame Martelli et l'auteur de la monographie classique de la Corde appliquée aux ascensions (2). Nos véhicules suivent... à distance, le long de cette route aux gracieux contours, dont le lac vient caresser le talus. Quelle succession de surprises nouvelles, même pour ceux qui, la veille, ont fait la traversée! Quel rideau inimitable que ces montagnes qui se déroulent, là arrondies et plantureuses, plus loin déchiquetées et nues, celle-ci se présentant de face dans toute son ampleur, celle-là se contentant de montrer discrètement un coin de sa

carrure, toutes formant par leurs lignes harmonieusement étagées une série de plans, dont chaque observatoire modifie la disposition et l'aspect.

Nous vérifions d'après nature la profonde justesse des observations du professeur Lory et ne nous lassons point de surprendre à chaque contour, et presqu'à chaque pas, ces tableaux variés à l'infini qui font du lac d'Annecy un charmeur unique en son genre.

Voici bien Veyrier, sa montagne, dont le pied élégamment cambré porte sur sa courbure verdoyante les villas et les cottages; Menthon, qui se présente en retrait dans une brisure soudaine, dont les montagnes de Thônes remplissent le vide; le roc de Chère qui s'avance hardi dans les eaux, et se retire ensuite pour dessiner l'anse du second lac; Duingt et son château qui, d'un air dégagé comme un monitor, semble aller à la rencontre ou attendre l'attaque du roc de Chère; Talloires qui se mire dans les eaux, abrité contre tous les vents; au-dessus, les Dents de Lanfon aux créneaux taillés à pic et plus haut encore, la Tournette, sourcilleuse et menaçante qui, en vraie suzeraine de ce petit royaume, dresse son Fauteuil dans les airs, perpendiculairement, comme pour défier toute approche.

Et pendant que nos chevaux gravissaient péniblement la route montueuse, nous plongions à l'envi nos regards dans ce beau lac, qui reflétait pour nous, comme jadis pour Jacques Replat (3), l'ombre des

(1) COMMISSAIRES DE LA CARAVANE (cocarde verte): MM. Bergier, Carron, Emile Laeuffer et Rollier: 4.

ASCENSIONNISTES. · Club Alpin suisse: MM. Baud, B. Tournier, Isenring, Mésam, Carrichon, Huler, Monnier, de Magnin, Lacour, Veyrassat, Durouvenot, des Gouttes, de Verra, Lommel: 14. Club Alpin italien: Mme et M. Martelli, MM. Isaïa, Saint Martin

et Bossoli: 5.

Touristes auxiliaires : Une dame anglaise, MM. Howard, américains, M. Messionnier, inspecteur des mines et trois jeunes gens, M. Ch. Besançon et deux dames (jusqu'à Leschaux): 10.

Club Alpin français: MM. le colonel Pierre, Mame, Arlot de Saint-Saud, Drivet, Mellier, Bidal, Robert, Domenge, Verrière, Livet, Dégaillon, Mellardon, Robin, André Perrin, Bouvard et Descostes: 16. - Total général : 49.

(2) Bulletin du Club Alpin italien, vol. X, no 25. trimestril du Club Alpin français, 1876, page 62. (3) Voyage au long cours sur le lac d'Annecy.

[ocr errors]

Bulletin

sommets qui l'entourent; et quand, montant toujours, nous atteignions la vallée de Leschaux, nous nous retournions encore pour jouir jusqu'à la dernière échappée du spectacle qui s'enfuyait, semblable au soleil descendant graduellement au bas de la montagne prochaine.

Eh bien ! tant est grande l'harmonie dans les Alpes que, même après cette disparition regrettée, le val de Leschaux a sa saveur qui repose, avec ses deux parois sévères et monocordes, le long desquelles les sapins séculaires, tombés par intervalle sous la hache du bucheron, projettent leur épaisse chevelure.

Peu à peu, à mesure que l'on approche du sommet du col, un autre horizon apparait plus complet. Nous tranches de vallées qui se découpent nettement à la arrivons. Le massif des Bauges est au-delà, avec ses

vue.

Un modeste cabaret est à la gauche de la route. Job, le guide en chef du Semnoz a cru devoir, vu la des grands jours. Les enfants du village se disputent circonstance, se coiffer de son chapeau à haute forme nos sacs; et bientôt, prenant à droite, le chemin qui gravit le versant oriental, nous commençons l'ascension.

difficile, ce serait une contre-vérité. Les personnes Dire que celle-ci est dangereuse, qu'elle est même les plus sujettes au vertige sont certaines de ne pas y rencontrer un mauvais pas. L'ascension exige seulement, en l'état, de vigoureux coups de collier, dans toute cette première partie du trajet, qui n'est autre qu'un lit de torrent desséché, où le pied doit mordre sur les cailloux glissants. Si l'on veut rendre le Semnoz accessible à tous les visiteurs, et surtout aux dames, il sera nécessaire de rendre ce sentier plus praticable, d'en multiplier les lacets, d'en élargir l'assiette, d'en adoucir les pentes et d'imiter sans plus de retard l'exemple qui vient d'être donné par le Club Alpin d'Aix-les-Bains, dans la construction si intelligente du chemin du Revars.

Précédés par l'àne de notre future hôtesse, nous nous déroulions en zig-zag, accablés par une chaleur étouffante, parfois prenant une minute de répit sur quelque saillie de rocher. Enfin, voici les grands bois de sapins et de mélèzes aux parfums thérébentinés, et bientôt le Chalet, qui nous montre sa façade encourageante. Les pâturages supérieurs sont enlevés au pas de course; des boîtes saluent notre arrivée et mêlent leurs détonations aux lointains grondements du tonnerre. L'orage, plein de courtoisie, attend que les derniers venus soient remisés et aussitôt il éclate dans toute sa violence.

C'est un beau spectacle que celui d'un orage dans la montagne. La pluie, le vent, le tonnerrre, les éclairs, tout y a un caractère plus grandiose et plus effrayant. Les troupeaux, qui le pressentent, rentrent serrés. à l'étable et, sur ces plateaux nus, entre le ciel et le vide, on dirait voir la main toute-puissante de Dieu déchaînant les éléments sur l'immensité. De gros nuages noirs, hideux, se traînent là-bas, le long des vallées; la silhouette des sommets lointains se dessine à peine sous le voile sombre qui les recouvre. On est soi-même enveloppé de brouillards, que trans

percent incessamment les éclairs, auxquels répondent de toutes parts d'autres éclairs, illuminant l'horizon immense d'une auréole de feu pendant que la foudre éclate çà et là avec une inquiétante prodigalité.

Mais que nous importe, en vérité ?

Rêve fantastique, qui parait plus incroyable encore au sein de la tempête que dans le calme d'un beau jour, ici, à 1,698 mètres au-dessus du niveau de la mer, nous entrons dans un hôtel aussi confortable que les meilleurs de la plaine!

C'est alors qu'il nous est donné d'admirer ce panorama merveilleux qui a mérité au Semnoz le nom de Righi de la Savoie.

Le ciel est encore chargé de nuages; mais la plupart des sujets de cette scène éternellement immobile se dégagent de la brume qui nous les dissimulait hier.

Au nord, la partie supérieure du lac d'Annecy et les méandres capricieux du Fier, sont le plan inféGenève, à travers des gradins mouvementés, où l'œil rieur d'un amphitéâtre qui va aboutir au lac de rebondit de collines en collines et de montagnes en

montagnes des sommités de Rumilly à celles de

Bornes et du Plot, et de la Faucille au Salève, aux Voirons, à la Pointe de Pralaire et aux sommets. lointains des Alpes du Valais.

Rien n'y manque, depuis la vaste cuisine où le chef, avec le bonnet de sa dignité, tisonne les charbons du fourneau économique, jusqu'au comptoir, où trône larangy et de Seyssel, d'Annecy et de Thorens, des maitresse de céans; depuis les chambres à coucher répondant au no 30, proprettes, garnies de leurs lits en fer et de leurs tables à toilette, jusqu'à la salle à manger, où cent convives peuvent festoyer à l'aise. Et tout ce confort revêt nonobstant un petit cachet de simplicité alpestre, qui en double la sa

yeur.

Pendant que les rafales semblent vouloir briser la solide enveloppe du chalet, nous nous séchons auprès d'un feu bienfaisant et nous ne tardons pas à nous asseoir à une table, qu'on aurait dite transportée toute servie à l'aide d'un ascenseur. Singuliers rapprochements que ceux qu'opère l'amour des hautes cimes! Cinq nationalités se coudoient sur ce sommet hier inconnu des Alpes savoyardes: l'Amérique, l'Angleterre, l'Italie, la Suisse et la France; anssi, pendant que coule le champagne offert avec une royale profusion par les commissaires de la caravane, l'aimable et spirituel colonel Pierre, enfreignant le premier au dessert sa motion de l'entremets (1), compare-t-il le Club Alpin à la Tour de Babel, mais à une Tour de Babel où, à l'inverse de l'ancienne, plus on s'élève et mieux on se comprend.

Il est dix heures du soir; l'orage s'est calmé; le Roederer de la Commission aidant, les cinq nationalités n'ont plus qu'une seule langue et c'est au milieu de la cordialité la plus franche que les alliés vont

allumer les feux sur le Crêt de Châtillon.

Fusées, soleils et flammes de Bengale éclairent la nuit profonde de sinistres lueurs; puis on allume un gigantesque bûcher de sapins; deux feux sur le Parmelan nous apprennent que nos camarades sont arrivés à bon port; des fusées, lancées sur le flanc de la Tournette, viennent nous dire que la caravane ne s'est point laissé arrêter en chemin, et, vers minuit, pendant que les intrépides procèdent à un punch international, le gros de la bande va chercher quelques instants de repos dans les chambres, dont les lits ont été dédoublés pour faire face à l'invasion.

Au couchant, s'ouvre ce magnifique bassin qui des hauteurs d'Albens s'étend jusqu'à celles de Clermont, à travers les verdoyantes collines et les riches cultures de la vallée de Rumilly, que gerce le lit encaissé du Chéran,... au couchant encore, le lac du Bourgetet le Mont-du-Chat au-dessous; puis, au-delà, à perte de vue, Saint-Genix, le Rhône, le Bugey et jusqu'à la

colline de Fourvières.

Au midi, à nos pieds, le massif des Bauges, dont tous les sommets apparaissent nettement, le Charbon, le Trélod, l'Arculaz, le Margeriaz, l'Etoile et le Nivolet; le massif de la Grande-Chartreuse, avec les pointes distinctes du Granier et du Grand-Som et en avant la croupe arrondie de Joigny et la monstrueuse dent canine d'Otheran; plus loin encore, le massif de la Vanoise et de Belledone, le Mont-Pourri et le rideau terminal des Alpes cottiennes et des Alpes grées.

Mais c'est le levant surtout qui attire le regard. Là se succèdent, du nord au sud, la masse un peu confuse des derniers contreforts des Alpes Bernoises, puis celle des Alpes du Valais, où se dressent la Dent du Midi et la Tête-Noire, puis celle des Alpes du Chablais et du Faucigny, dont se détachent le Brélouse, et au-devant, les Alpes de Savoie qui, par des vent, le Buet, l'aiguille de Varens, la Tête-de-Peondulations plus rapprochées, forment une ligne descendante que clôt brusquement le système de la Tournette et du Parmelan.

Et au-dessus de cette immense armée, le glorieux état-major des Alpes pennines plane dans toute sa royale splendeur. Autour du Mont-Blanc, qui de nulle part n'apparaît aussi beau, se rangent ces brillants courtisans qui s'appellent à gauche, l'Aiguille-du-Goûté, le Mur-de-la-Côte, le Mont-Maudit, le Rocher-Bravay, le Tacul, les Aiguilles du Midi, du Géant, de Rochefort, du Plan, de Blaitière, les Grandes-Jorasses, l'Aiguille des Charmoz, les Petites-Jorasses, à droite, les Bosses-du-Dromadaire,

-

Il était trois heures et demie à peine quand une ronde matinale battit un premier et bruyant rappel.le Dôme-du-Gouté, le Mont-Blanc-de-Courmayeur, Une heure après, tout le monde est sur pied, sauf un ou deux dormeurs endurcis; et, à l'aube, nous nous trouvons réunis sur le culm.

[blocks in formation]

l'Aiguille de Bionassay, le Tête-Carrée et l'Aiguille de Tré-la-Tête ; et le massif va se rejoindre par une forte inclinaison à la ligne des Alpes grées, où se rangent dans un fuyant légèrement brumeux le Mont-Ruitor, l'Aiguille de la Grande Sassière, la Levanna et la Roche-Melon.

[merged small][merged small][ocr errors][ocr errors][ocr errors][merged small]

Chose étrange! toutes ces sommités apparaissaient, se découpaient avec un fini merveilleux. Toute la ligne du levant est pure: une bande d'horizon illuminée d'un jaune d'or sépare les sommets de la région où les nuages, formant dais, sont restés amonCelés; et, par un phénomène indéfinissable, ceux-ci, à mesure que le jour monte et que le soleil approche, revètent les couleurs les plus variées; ils se transforment incessamment et passent du jaune au rouge feu, de l'orange au violet... (La fin au prochain no.)

F. DESCOSTES.

LA NEUTRALITÉ DU NORD DE LA SAVOIE

(Suite) XII

Nous avons dit que le Congrès de Vienne était resté en permanence, et qu'il avait reçu des ouvertures pour attribuer à la Suisse tout le bassin du Léman jusqu'à la Borne et au Mont-Sion. Ce morcellement fut victorieusement combattu, mais au prix d'un sacrifice moindre pour sauver le principal. Genève dût se contenter des langues de terres sardes qui la séparaient des enclaves de Chancy, Avully et Cartigny sur les bords du Rhône et de l'Arve, et de celles de Jussy vers les sources de l'Hermance, c'està-dire un territoire formant dix communes.

Victor-Emmanuel aurait voulu attendre l'issue des évènements, et ne céder ces dix communes qu'en récupérant le reste de la Savoie.

On se rappelle le motif pour lequel la Maison de Savoie avait demandé à plusieurs reprises à faire déclarer la neutralité de ce pays, savoir la brêche faite sur la ligne frontière du Léman et du Rhône par la reconnaissance de l'Etat de Genève. Lors du traité du 30 mai 1814, le rétablissement du royaume de Sardaigne, augmenté du duché de Gênes, avait été déjà assez laborieux pour qu'on dût renoncer à faire admettre la neutralité du reste de la Savoie, l'entaille faite à ce pays par le troisième département du Mont-Blanc n'étant déjà qu'une compensation bien inférieure à l'acquisition de Gênes.

On espérait bien récupérer ce tiers sans rétrocession. Mais l'abandon de ces dix communes au canton de Genève allait agrandir définitivement la brèche faite par la révolte de 1535, et l'étendre depuis l'Hermance jusqu'au Salève, dont la partie méridionale était au département du Mont-Blanc, que la France ne se disposait pas encore à rendre; de sorte que, en cas de guerre, la défense de ce qui restait de l'ancien duché de Savoie devenait impossible, la Maison de Savoie, campée à Turin, n'ayant plus d'autre ligne militaire que les Alpes. Le roi de Sardaigne exigeait donc que tout le flanc occidental des Alpes fut reconnu dans la neutralité militaire dont jouissait la Suisse.

Mais la marche rapide de Napoléon vers Lyon fit reconnaître la nécessité de rendre le reste de la Savoie au roi de Sardaigne, cette contrée devant continuer à servir de bourrelet entre la France et l'Italie prétendue autrichienne; et c'est en vue de cette restitution que le Congrès n'accorda la neutra

lité que de la partie septentrionale du duché, soit les provinces de Chablais, de Faucigny, de Carouge, y comprises les vallees de Thônes et d'Héry jusqu'au bas d'Ugines. Les arrondissements d'Annecy et de Rumilly devaient également en faire partie lors de leur restitution. C'est dans ce sens que dut être rédigée la réponse officielle et ostensible du représentant de la Sardaigne, qui ne put être communiquée que le lendemain de la signature du traité de Vienne.

La seconde condition mise par le roi de Sardaigne à l'abandon de ces dix communes était la cession définitive des fiefs impériaux des Langhes, dont il n'avait reçu que l'administration provisoire, lors de l'acquisition des états de Gênes par le traité du 30 mai 1814.

Voici le texte de la communication faite aux puissances de la réponse du roi de Sardaigne:

« Le soussigné ministre d'Etat et plénipotentiaire de S. M. le roi de Sardaigne, a présenté à son souverain. le vœu des puissances alliées, que la Savoie cédât quelques portions de territoire au canton de Genève, et il lui a soumis le plan formé pour cet objet. Sa Majesté toujours empressée de donner à ses puissants alliés des preuves de sa reconnaissance et de son désir de faire ce qui peut leur être agréable, a surmonté la répugnance bien naturelle qu'elle éprouvait à se séparer de ses bons, anciens et fidèles sujets, et a autorisé le soussigné à consentir en faveur du canton de Genève à une cession de territoire, telle qu'elle a été proposée dans le protocole ci-joint, et aux conditions suivantes :

pes

I.

« Que les provinces de Chablais et Faucigny, ainsi que tout le territoire situé au nord d'Ugines et appartenant à Sa Majesté, soit compris dans la neutralité helvétique garantie par toutes les puissances; c'est-à-dire que toutes les fois que les puissances voisines de la Suisse se trouveront en état d'hostilités ou commencées ou imminentes, les troude S. M. le roi de Sardaigne, qui se trouveraient dans ces provinces, puissent se retirer et prendre à cet effet, s'il est besoin, la route du Valais; que les troupes d'armées d'aucune puissance ne pourront ni séjourner, ni passer dans les provinces ci-dessus, à l'exception de celles que la Confedération Helvétique jugerait à propos d'y placer. Il est entendu que ces rapports ne gêneront en aucune manière l'administration de ces provinces, dans lesquelles les officiers civils de Sa Majesté pourront employer la garde municipale au maintien du bon ordre.

II.

« Il sera accordé une franchise de tous droits de transit pour toutes les marchandises, comestibles etc. qui, venant des Etats de Sa Majesté, et du port franc de Gênes, suivront la route du Simplon dans toute son étendue par le Valais et le territoire de Genève. On entend par là que cette franchise ne concerne exclusivement que les droits de passage, et ne s'étend ni aux droits de chaussée, ni aux marchandises et aux denrées qui sont destinées à être vendues ou consommées dans l'intérieur. On appliquera les mêmes restrictions à la communication

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

« Les souverains alliés s'engagent à employer encore leur médiation, et les moyens qu'ils jugeront les plus convenables pour engager la France à rendre à S. M. le roi de Sardaigne au moins une partie du territoire qu'elle possède maintenant en Savoie, savoir la chaîne des montagnes dite des Bauges, la ville d'Annecy et la grande route qui conduit de cette dernière à Genève, sous la réserve de fixer d'une manière convenable les frontières exactement déterminées, où surtout que le territoire ci-dessus est nécessaire pour compléter le système de défense des Alpes, et pour faciliter l'administration du territoire, dont la possession est restée à S. M. le roi de Sardaigne.

< Vienne, le 26 mars 1815.- De Saint-Marsan. » Il est donc bien évident qu'il s'agissait pour le roi de Sardaigne, campé à Turin, de la défense possible de la ligne des Alpes. Il n'était plus question de la ligne du Rhône, occupée encore par la France et Genève. La neutralité n'étant agrée par le Congrès que pour le nord de la Savoie, le roi de Sardaigne réclamait le plateau des Bauges pour pouvoir défendre la Savoie méridionale, contre qui, sinon contre la France? Et, de fait, n'a-t-on pas vu précédemment que c'est la France qui avait toujours fait opposition à la reconnaissance de la neutralité de la Savoie, parce que ce privilége n'avait d'autre but que de soustraire cette contrée à ses convoitises. Le mouvement des troupes pendant la dernière marche de Napoléon justifiait parfaitement cette mesure, et, Louis XVIII, qui, au lieu de se défendre, avait fui de Paris, ne pouvait rien refuser aux puissances coalisées, dont il attendait sa réintégration sur le trône de France.

Ce n'est qu'après l'assurance de la neutralité du nord de la Savoie, dont le texte sera reproduit dans les traités postérieurs, que le roi de Sardaigne autorisa le marquis de Saint-Marsan à signer avec les membres du Congrès de Vienne l'acte suivant: << Les puissances alliées ayant témoigné le vif désir qu'il fut accordé quelques facultés au canton de Genève, soit pour le désenclavement d'une partie de ses possessions, soit pour ses communications avec la Suisse, S. M. le roi de Sardaigne étant empressée d'autre part de témoigner à ses hauts

[ocr errors]

puissants alliés toute la satisfaction qu'elle éprouve à faire quelque chose qui puisse leur être agréable; les plénipotentiaires soussignés sont convenus de ce qui suit:

I.

<< S. M. le roi de Sardaigne met à la disposition des

hautes puissances alliées la partie de la Savoie qui tes de la partie de la Savoie occupée par la France, et la montagne du Salève jusqu'à Veiry inclusivement; plus celle qui se trouve comprise entre la grande route, dite du Simplon, le lac de Genève, et le territoire actuel du canton de Genève, depuis Vesenaz, jusqu'au point où la rivière d'Hermance traverse la susdite route, et de là continuant le cours de cette rivière jusqu'à son embouchure dans le lac de Genève, au levant du village d'Hermance (la totalité de la route, dite du Simplon, continuant à être possédée par S. M. le roi de Sardaigne), pour que ces pays soient réunis au canton de Genève, sauf à déterminer plus précisément la limite par les commissaires respectifs, surtout pour ce qui concerne la délimitation en-dessus de Veiry, et sur la montacompris dans cette démarcation, Sa Majesté renonce, gne du Salève. Dans tous les lieux et territoires pour elle et ses successeurs à perpétuité, à tous droits de souveraineté et autres qui peuvent lui appartenir, sans exceptions ni réserves.

se trouve entre la rivière d'Arve, le Rhône, les limi

II.

«Sa Majesté accorde la communication entre le canton de Genève et le Valais, par la route dite du Simplon, de la même manière que la France l'a accordée entre Genève et le pays de Vaud, par la route qui passe par Versoy. Sa Majesté accorde de les milices genevoises, entre le territoire de Genève même en tout temps une communication libre pour et le mandement de Jussy, et les facilités qui pourle lac à la susdite route du Simplon. raient être nécessaires à l'occasion pour revenir par

III.

<< D'autre part, Sa Majesté ne pouvant se résoudre à consentir qu'une partie de son territoire soit réunie à un Etat où la religion dominante est différente, sans procurer aux habitants du pays qu'elle cède, la certitude qu'ils jouiront du libre exercice de leur religion, qu'ils continueront à avoir les moyens de fournir aux frais de leur culte, et à jouir eux-mêmes de la plénitude des droits de citoyens; il est con

venu que..............

Les articles suivants visent des intérêts religieux et administratifs d'une actualité dont la discussion ne peut trouver place dans la Revue, qui n'admet domaine de l'histoire, comme celle de la neutralité. que les questions tombées définitivement dans le

L'acte fut signé à Vienne, le 29 mars 1815, par les dix-neuf membres du Congrès.

C'est ensuite de ces conventions que le roi de Sardaigne, à la prière des puissances, accéda, le 9 avril, au traité d'alliance conclu le 25 mars 1815 à Vienne, ainsi que nous l'avons dit plus haut. L'art. VI de cette accession est à remarquer: « Sa Majesté le roi de Sardaigne déclare que par l'article premier du traité du vingt-cinq mars dernier, par

« PreviousContinue »