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nistes de Lyon, par la route la plus pittoresque et la plus fertile en vastes et merveilleux horizons, sur Saint-Gervais, dans le colossal établissement de bains où nous passons la nuit. Il y a une foule de baigneurs nous sommes 260 à table qui viennent chercher dans cette fraîche et charmante vallée quelques jours de repos, et l'on a l'air d'y mener fort joyeuse vie. On joue, on danse dans les salons de l'hôtel, et si notre toilette d'alpiniste était admise dans le monde. si surtout quinze heures de marche ne nous avaient pas fatigués outre mesure, plusieurs d'entre nous prendraient volontiers leur part de la fete. Mais nos lits nous appellent, si nous voulons visiter le lendemain matin les gorges de la Diosaz.

« Ces gorges, de création récente, on ne peut y pénétrer que depuis deux ans, - rivalisent de l'avis de tous les touristes, avec les célèbres gorges du Trient et du Fier. Qu'on se figure une étroite. et sinueuse fissure ouverte sur plusieurs kilomètres de longueur, dans une montagne de schiste de deux ou trois mille pieds. Au fond de ce long défilé se précipite en bouillonnant et en mugissant avec fureur le torrent de la Diosaz, qui entraîne et brise dans. son lit déchiqueté les blocs de rochers et les troncs de sapins pantelants au-dessus de l'abîme: c'est un spectacle d'un grandiose, d'une variété infinie et qui vaut à lui seul un voyage à Saint-Gervais.

<< En face des gorges, entre Saint-Gervais et Chamonix, la montagne s'abaisse pour former le col de la Forclaz. Au sommet de ce passage difficile, on découvrit, il y a quelques années, une pierre de taille d'assez grandes dimensions qui gisait depuis des siècles, oubliée sous la neige et les herbes. Examinée avec soin, elle laissa découvrir quelques traces d'inscription qu'on parvint à grand'peine à déchiffrer; c'était une borne plantée là, après bien des combats sans doute, par un général romain, pour servir de limite au territoire des Viennois allobroges et des Ceutrons. Ce monument historique fort curieux fut encastré, sur le lieu même où il avait été trouvé, dans un massif de maçonnerie, et les plus hardis voyageurs allaient religieusement saluer ce témoignage vénérable de l'histoire ignorée de nos ancêtres. Or, cette pierre a disparu du col de la Forclaz. Un hôtelier de Saint-Gervais, propriétaire du på turage sur lequel elle avait été trouvée, l'a emportée sans façons pour en orner son auberge et y attirer les étrangers...

Voilà la petite anecdote qu'on nous raconte avec indignation, qualifiant, un peu sévèrement peut-être, l'action de l'hôtelier de « vandalisme historique. » J'ai cru qu'elle pourrait intéresser vos lecteurs et l'ai notée à leur intention durant notre route jusqu'à Chamonix, où nous retrouvons nos compagnons, mais pour nous séparer et suivre chacun de notre côté nos pérégrinations.

« La moitié des Italiens sont déjà repartis pour Genève les autres se dirigent, avec un petit groupe de Lyonnais, sur Martigny et le Valais. Ce n'est pas l'envie ni les aimables sollicitations qui me manquent pour me décider à les accompagner; mais le sentiment du devoir me rappelle à Lyon et nous nous sé

parons après de chaleureux adieux. Je vais donc quitter Chamonix sans pouvoir vous annoncer le résultat de l'ascension du Mont-Blanc, tentée hier par trois alpinistes lyonnais, MM. Sestier, Peters et Fabre, que nous avons aperçus ce matin traversant courageusement le plateau de neige des Grands-Mulets. Le temps est magnifique et tout fait présager une heureuse réussite (1).

<< Quant à M. Duhamel, qui a exécuté hier, avec un seul guide, sa troisième ascension, il est redescendu ce matin à une heure, horriblement fatigué, paraît-il, mais enchanté d'avoir réussi à gravir le colosse en vingt-quatre heures, ce que personne encore n'avait pu faire. Parti le seize à minuit, il rentrait à Chamonix le 17, à minuit et demi environ, tour de force dont il a le droit de se montrer d'auet surtout très nuageux. tant plus fier que le temps était mauvais, orageux

«Avant de quitter le sol français, les alpinistes Italiens, courtois comme toujours, ont télégraphié à M. le sénateur Chaumontel, maire d'Annecy, pour le remercier de la royale hospitalité à eux offerte durant ces trois journées.

Tel a été le premier congrès des Clubs Alpins, qui laissera dans le souvenir de tous ceux qui y ont assisté des traces ineffaçables. Il est impossible d'offrir hospitalité plus large, plus empressée, plus somptueuse que ne l'ont fait les Savoisiens, et si le choix de leur beau pays pour y tenir la première réunion des alpinistes européens a été un honneur pour eux, ils s'en sont certainement montrés plus reconnaissants et plus dignes qu'aucun de nous ne se le serait jamais imaginé. »

XIX

A AIX-LES-BAINS

Qui ne connaît cette petite ville « toute fumante, toute bruissante et toute odorante du ruisseau de ses eaux chaudes et sulfureuses, assise par étages sur un large et rapide coteau de vignes, de prés, de vergers à quelque distance (2). »

Aix-les-Bains, plus heureux que ses congénères, a, dès longues années, sa bonne place au soleil de la mode et du succès.

Les antiquités romaines, telles que le Vaporarium, l'arc de Campanus et le temple de Diane; la vertu souveraine des eaux, la richesse du Casino, l'un des plus beaux de l'Europe, la splendeur des hôtels, la fraîcheur des promenades, l'agrément et la variété des environs, le voisinage du lac sévère et mélancolique du Bourget, qui a inspiré Lamartine, toutes ces merveilles ont fait de la cité d'Aix-lesBains le coin favori de la Savoie, la station thermale aimée où princes, hommes d'Etat, généraux, écrivains, industriels, grandes dames, oisifs et fashionnables viennent, les uns se guérir de leurs infirmités, les autres se reposer de leurs fatigues, se distraire de leurs soucis ou chercher de nouveaux plaisirs.

fait le plus grand honneur au Club Alpin de Lyon; elle a été sui(1) Cette ascension s'est, en effet, heureusement accomplie et elle

vie de celle de M. Palestrino, avocat, membre du Club Alpin italien. (2) Lamartine, Raphaël, Pages de la vingtième année.

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Aix est, de plus, si je puis ainsi dire, le lieu de naissance du Club Alpin français et le quartiergénéral de son dérivé, le Club Alpin savoyard; c'est là que MM. Joanne, Lemercier et de Billy assirent les premières bases de l'institution et c'est Aix qu'a choisie pour capitale cette section de Savoie, devenue l'une des principales tètes de la confédération alpine.

Toucher barre à Aix, c'était donc dans l'ordre; et l'hospitalité qui nous y reçoit ne nous en fait point repentir.

L'après-midi s'écoule rapide et bien remplie ; d'aucuns vont voguer sur le lac et visiter l'abbaye d'Hautecombe, le lieu de sépulture des princes de la Maison de Savoie. Les plus nombreux se promènent, conduits le docteur Blanc à travers l'établissement therpar inal, les grottes illuminées a giorno, le musée, non sans faire escale à la villa du président, M. Dégallion, où un Champagne prématuré sert de vermouth au banquet, et, après avoir goûté sur la Place centrale, les symphonies de la Fanfare, encore couverte de ses lauriers de Grenoble, on va s'asseoir au Casino, dans la salle mauresque, à une table somptueuse.

Parler du bal qui suivit, du concert donné dans les jardins par l'excellente musique du 97° de ligne, de l'étrangeté du coup d'oeil que présentaient les costumes poudreux des alpinistes mêlés aux plus élégantes productions de Worth, ce ne serait point rester dans le cadre austère d'un récit alpin... Qu'il nous suffise de mentionner le toast chaleureux porté par M. Dégaillion à M. Joanne et ce discours, où celui-ci traduisait avec tant d'autorité l'émotion qui débordait de tous les cœurs et qu'on lisait dans tous les yeux :

<< Mesdames et Messieurs,

«Bien que ce banquet, presque improvisé, n'ait aucun caractère officiel, permettez-moi de prendre la parole pour remercier, à Aix comme à Annecy, les membres des sections de la Savoie de la réception qu'ils ont faite à leurs collègues de la France et de l'étranger.

«La première réunion internationale des Clubs Alpins a dépassé toutes les espérances. Favorisée par un temps magnifique, conçue, préparée et dirigée avec un dévouement, une intelligence et un goût qu'on ne louera jamais assez, elle laissera d'impérissables souvenirs à ceux qui ont eu le bonheur d'y

assister.

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plus de 400 aujourd'hui; vous serez 600 demain.
2,000. Celui qui nous eût prédit,
Le nombre total des membres du Club dépasse
l'honneur de vous exposer pour la première fois le
alors que j'avais
but élevé, patriotique, désintéressé de notre société
naissante, que deux ans après nous aurions
eut trouvés tous incrédules!
réalisé des progrès si extraordinaires, celui-là nous

surprises encore plus satisfaisantes. Que nous im« L'avenir, espérons-le, nous réserve d'autres porte, d'ailleurs? Moralement, notre cause est désormais gagnée; notre victoire, assurée; et votre beau pays, où les touristes de toutes les nations se presseront en foule dès qu'ils seront certains d'y trouver les ressources qu'ils vont encore chercher ailleurs, en retirera bientôt des avantages matériels qui étonneront à leur tour ses heureux habitants.

« Au Club-Alpin, aux sections de la Savoie, aux organisateurs des fêtes d'Annecy et à la section d'Aix ! »

XX

LE REVARS

(16 août 1876)

Le lendemain, avant l'aube, guètres lacées et pique à la main, on était sur le chemin du Revars.

Les belvédères semblables au Revars ne manquent point en Savoie; mais celui-ci a, sur tous les autres, un avantage marqué: il se dresse directement au-dessus d'une des villes d'eaux les plus fréquentées du monde; il offre ainsi aux baigneurs et aux touristes un but tout naturel à atteindre, sans déplacement et presque sans difficulté.

rain, aux désordres de la phthisie, de l'hypocondrie ou du spleen.

Bien plus, situé à une altitude moyenne, entouré de magnifiques pâturages et de sapins odorants, abrité du nord dans certains plateaux par de formidables saillies de roc, il est dans des conditions. uniques pour ces cures d'air, qui sont souvent l'ac«Toutefois, Messieurs, ce n'est pas cette jolie cessoire obligé des cures thermales et que la théraville d'Annecy, qui semble avoir été bâtie tout ex-peutique moderne oppose, comme un remède souveprès, dans une situation exceptionnelle, pour donner des fêtes merveilleuses; ce n'est pas son beau lac, ce ne sont ni ses admirables montagnes, ni ses illuminations vraiment féeriques dont l'imagination la plus hardie ne saurait se représenter les surprenants effets, que nous nous rappelons avec le plus d'émotion et de plaisir: c'est la cordialité de ses habitants; c'est la fraternité, si franche, si expansive, si complète, qui a réuni pendant deux jours presque entiers ces nombreux touristes accourus, dans une même pensée, vers un mème but, non seulement de toutes

sale d'Aix thermal, un faubourg aérien d'Aix pittoFaire du Revars, comme du Semnoz, une succurresque, tel est le but de la Société qui vient de se fonder sous le patronage du Club Alpin (1).

(1) Cette Société par actions au capital de 100 fr. a pour président M. Alphonse Mottet, maire d'Aix, pour trésorier, M. Dégaillon, président du Club-Alpin, et pour secrétaire, M. le docteur Francis Bertier.

Pour atteindre ce but, deux éléments sont nécessaires rendre praticable l'accès de la montagne, y construire, comme au Righi, de ces établissements où l'on puisse, au besoin, planter sa tente pour un séjour plus ou moins prolongé.

L'association naissante a mis tout d'abord à son ordre du jour la construction d'un sentier muletier d'Aix au Revars; c'est à visiter les travaux, qui touchent à leur fin, qu'elle nous convie et, en avant! nous voici de nouveau, alertes et légers, sur le chemin de la montagne.

Après la traversée du village des Mentains, la troupe abandonne la route vicinale de Mouxy et prend, à travers prés, un petit sentier qui la conduit au Chemin des gardes, tracé en plein fourré, entre de gigantesques sapins, sous une voûte impénétrable aux rayons du soleil.

Au-delà, les travaux sont en pleine activité. On escalade avec entrain les éboulis de rochers que la pique des ouvriers a amoncelés sur le passage. Des mines saluent les ascensionnistes en ébranlant les échos, et leur offrant le grandiose spectacle d'une avalanche de blocs énormes allant, avec une vitesse vertigineuse et des bonds désordonnés, se perdre dans l'abime. Enfin, voici la caravane sur le premier plateau : elle se rend de là, par la combe ravissante du Pertuiset aux chalets, où elle déjeune, et d'où elle ne tarde pas à atteindre la cime.

On ne s'imagine guère, en voyant de la vallée ces falaises arides, les splendeurs pittoresques qu'elles offrent au regard quand on en a gravi le formidable escarpement. Au nord-est, le Mont-Blanc dans toute sa majesté; la chaîne immense des Alpes, couverte de glaciers qui se perdent à l'est dans les profondeurs de l'horizon; au nord, les sommets arrondis du Jura; à l'ouest, les vallées d'Aix et du Rhône, entre lesquelles le Mont du Chat se dresse comme un écran; au midi, les groupes si élégamment découpés des montagnes de la Chartreuse. Autour de soi, sous les pieds de l'ascensionniste, d'immenses prairies d'une herbe courte et parfumée, plus douce à la marche que la moquette, entourées et protégées des vents par de magnifiques forêts de sapins. Les sommets les plus justement vantés de l'Oberland n'ont rien de plus beau ni d'un charme plus pénétrant (1).

Que le sentier s'achève (2), que l'hôtel du RevarsCulm se construise et le moment viendra où aucun touriste ne passera à Aix sans aller en respirer les solitudes embaumées et y contempler le spectacle que, bien avisé comme toujours, le Club Alpin aixois a tenu à offrir à quelques privilégiés en guise de vin

de l'étrier.

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le congrès est devenu un fait historique, la presse en gémit aux quatre points cardinaux... Et pourtant, le récit n'en serait pas complet si, le 24 août, nous ne suivions, sur la route d'Italie, hors de Chambéry, un dernier peloton qui, pareil à celui qui sert de cortège au drapeau du régiment après la revue, s'en va faire les honneurs de Challes au colonel,... non, au président du Club Alpin français.

Challes, vous le savez sans doute, est une station thermale située à 5 kilomètres sud-est de Chambéry, au bas de la montagne de Curienne et sur le territoire de la commune de Triviers, dans une retraite verdoyante d'où l'on jouit d'un superbe panorama sur le rideau houleux des Alpes dauphinoises et sur les cimes plus rapprochées du cirque de Chambéry.

De Challes médical, je ne vous dirai rien, sinon que les sources sulfureuses, sulfydratées, bromurées et iodurées, découvertes en 1841, sont les plus riches et les mieux minéralisées de toutes les eaux sulfureuses connues, et qu'un seul litre d'eau. de Challes équivaut à 30 litres des Eaux-Bonnes, à 16 de Barèges et à 11 de Luchon.

Mais si les eaux de Challes existent dès longtemps comme une dure et nauséabonde nécessité, le site de Challes restait inconnu; la station thermale. attendait de naître; on buvait l'eau à distance ou, si on venait la boire sur place, prestement on se hàtait de déguerpir.

Qui eût dit que ces marais se transformeraient, par un coup de baguette magique, en une résidence ne sentant point le soufre, et offrant, à côté du remède, des aspects charmants, des jardins ombreux, des promenades délicieuses, un établissement thermal, aussi gracieux que bien aménagé (1), un vieux château, qui renaît à la vie et qui renferme, dans ses murailles grises tapissées de lierre, des salons élégants, une cuisine aux mets délicats et tout le confort de la vie moderne?

Voilà le site où les clubistes de Chambéry ont tenu à recevoir, avant leur départ, le président et quelques survivants,... rari nantes,... du Congrès de la Haute-Savoie.

Le mot de la fin y fut dit au dessert, dans une spirituelle causerie, par le président de la section de Chambéry, M. Martin Franklin, celui-là même qu'une décision, récemment notifiée à travers les mers, vient d'appeler au titre de membre d'honneur du Club Alpin... des Montagnes rocheuses.

(1) L'établissement de Challes, qu'entoure un parc de quatre hectares, a la forme d'un chalet suisse; il se compose d'un corps de logis central et de deux ailes. Sur la façade, on lit cette légende tracée en

Sept jours ont passé, les bataillons sont épars, lettres rustiques: 1841 Challes-les-eaux-1874. Au rez-de

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chaussée se trouvent une vaste buvette, deux salles d'inhalation, deux salles de pulvérisation, une installation hydrothérapique et au premier étage 22 cabinets de bains. Grâce aux travaux de captage exécutés, en 1873 et 1874, par M. Boutan, ingénieur des mines, le débit d'eau disponible qui n'était primitivement que de 250 litres, se trouve aujourd'hui triplé et peut ainsi faire face à toutes les nécessités de l'exportation et à toutes celles de la consommation sur place.

XXII

LE MOT DE LA FIN PAR UN MEMBRE DU CLUB ALPIN..... DES MONTAGNES ROCHEUSES

« Messieurs et chers confrères,

« Nous voici à la dernière étape du premier congrès international des Clubs Alpins depuis Annecy nos rangs ont été sans cesse en s'éclaircissant, et si nous sommes encore réunis en ce banquet fraternel, c'est que le président du Club Alpin français n'a pas voulu quitter la Savoie sans serrer la main aux alpinistes de notre ancienne capitale et qu'eux n'auraient pas voulu le voir s'éloigner sans le remercier, dans une entrevue spéciale, de tout ce qu'il a fait pour leur pays.

« Dès 1862, Adolphe Joanne, en publiant un guide exclusivement consacré à la Savoie, cherchait à appeler sur nos vallées et nos montagnes l'attention des touristes; si nos populations eussent plus activement secondé ses efforts, à coup sûr, le mouvement qu'il cherchait dès lors à provoquer eût été bien plus prononcé et surtout se fut accentué plus vite.

<< Pourquoi faut-il que la Savoie, qui avait obtenu de prime abord les honneurs d'un volume spécial, se soit vue ensuite confondue dans la collection des Guides-Joanne, tantôt avec le Dauphiné, tantôt avec la Bourgogne?

<< Certes, je suis loin d'en accuser l'illustre auteur des Guides: je crois que la faute en est à nous, qui n'avons pas su attirer un public assez nombreux pour mériter le maintien d'un guide exclusivement consacré à notre région. Tachons au moins de prendre dans l'avenir la revanche de nos négligences passées; secondons les efforts faits pour diriger sur nous le courant des touristes, et le jour où ils afflueront, je ne doute pas que le volume de la Savoie ne renaisse de ses cendres dans cette collection Joanne, véritable monument élevé au goût des voyages et au culte des montagnes.

«C'est en effet la fondation du Cercle des amis de la montagne qui est le meilleur titre de notre président à la reconnaissance de la Savoie.

<< Nul pays, plus que le nôtre, n'a profité et ne profitera de l'impulsion vigoureuse que le Club Alpin français a donnée au tourisme et de la direction qu'il lui a imprimée. Il serait trop long d'énumérer les résultats déjà obtenus; je me bornerai à rappeler en partie les courses qui ont été directement provoquées par le congrès international d'Annecy, précédé de la réunion de Tignes et suivi de la fête d'Aix-les-Bains.

Cette statistique sera très incomplète, puisque je n'ai pu la composer que sur des renseignements recueillis ça et là dans nos pérégrinations communes elle servira tout au moins d'exemple pour établir pratiquement le bénéfice que des réunions de ce genre procurent aux pays où elles sont

tenues.

< Commençons par les ascensions: la plus importante est celle du Mont-Pourri, le plus haut sommet de notre département, à moins que la cime des

Grands-Couloirs dans le massif de la Vannoise ne lui enlève la palme.

<< Vient ensuite l'ascension de la Grande-Saissière exécutée deux fois, d'abord par M. Devot (section de Paris), avant la réunion de Tignes, et ensuite par cinq membres de la section de Tarentaise le lendemain de cette réunion.

Deux Dauphinois en se rendant à Tignes et de là à Annecy, ont fait une série de remarquables ascenl'Oisans; d'abord le Costa-Blanc ou Grand-Etensions sur les Alpes qui séparent la Maurienne de dard, montagne si bien décrite et si consciencieusement étudiée par M. P. Puiseux, ensuite la dent de Goléon et l'une des aiguilles d'Arve. Ces deux alpinistes descendus à Turin sont venus à Tignes par les cols du Mont-Cenis et de l'Iseran, et à Annecy par le col du Palet, Seyssel et le val de Fier.

Parmi les autres ascensions qui ont été faites après le congrès d'Annecy, je citerai la Tournette gravie par 25 membres du Club Alpin français, au nombre desquels était le vénérable marquis de Turenne, dont les jambes de 73 ans et la juvénile ardeur ont défié nos jeunes touristes et montré quelle sève de vie se conserve chez les hommes qui ont pratiqué la montagne;

Le Parmelan, cette sommité peu connue encore et si magistralement peinte par le président de la section d'Annecy dans l'Annuaire de 1875;

« Le Semnoz, gravi par quatre membres de Lyon, et le lendemain par 49 des alpinistes qui avaient assisté au congrès. Je ne citerai qu'un épisode de cette dernière ascension; c'est l'émouvante descente à la corde exécutée par l'administrateur délégué du Club Alpin français, soutenu par le secrétaire général du Club Alpin italien.

« Le Revars et le Mont du Chat figuraient dans le programme de la fête organisée à Aix-les-Bains par la sous-section de cette ville, et qui a si joyeusement clos la série de nos excursions.

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Vous voyez donc là une douzaine d'ascensions de diverses importances, exécutées en peu de jours à l'occasion de notre premier congrès.

Parlerai-je maintenant des cols qui ont été traversés?

Pour arriver à Tignes, les membres du Club Alpin italien ont franchi ceux de l'Iseran, de la Galise, du Mont et du Petit-Saint-Bernard.

Des membres des sections du Club Alpin français sont arrivés par les cols de l'Iseran, de la Vannoise, du Palet, etc.

Dans le trajet de Tignes à Annecy, les cols de la Sache, du Palet, de Chavière ont été gravis. Une caravane de touristes lyonnais qui se trouvaient dans le Dauphiné a fait une série d'excursions intéressantes que je ne citerai pas, puisque le théâtre de leurs exploits n'était pas en Savoie; je n'en parle que parce qu'ils avaient apporté à Annecy une ample moisson de rhododendrons cueillis au pied de la Barre des Ecrins, dans le pré de Mme Carle si connu des alpinistes.

« Je terminerai en parlant de la colonne de 48 membres de Clubs Alpins qui, sous la conduite de

linfatigable président de la section savoyarde, se sont dirigés vers Chamonix par le col des Aravis, Flumet, Mégève et Sallanches. Plusieurs dames en faisaient partie, car je ne sais si c'est notre président qui attire les dames, ou les dames qui attirent notre président, mais où elles sont, on le voit à coup sûr... La caravane scolaire du collège Rollin figurait aussi dans ce groupe de touristes, et c'était une bien douce satisfaction pour nous autres, têtes blanchies, que de voir cette jeune et ardente génération, destinée à nous remplacer bientôt, s'élancer avec enthousiasme vers nos Alpes aimées.

EPILOGUE

LE RELIEF DU CONGRÈS

Et maintenant que Val de Fier, Rumilly, Lovagny, Annecy, Semnoz, Parmelan, Tournette, Col des Aravis, Chamonix, Mont-Blanc, Aix-les-Bains, Le Revars, Challes, toutes les étapes enfin de ce premier et mémorable congrès ont pris place en nos souvenirs, élevons-nous d'un coup d'aile au-dessus des vallées et des rocs, des lacs et des torrents, des montagnes et des montagnards, des orateurs et des discours, et saluons, ami lecteur, la grande chose qui a remué toutes ces choses, le moteur qui les a soulevées de la nuit profonde et stérile dans les ré

« J'ai accompagné cette colonne jusqu'au col des Aravis d'où elle s'est dirigée à Chamonix par Flumet, Mégève et Sallanches. Trois ascensions au Mont-gions de la lumière et de la fécondité. Blanc ont couronné cette expédition : l'une accomplie en 24 heures par M. Duhamel qui, à peine arrivé à Chamonix, sans s'y arrêter, a continué sa marche sur les Grands-Mulets et, le lendemain, arrivait sur ce sommet qu'il connaissait déjà; l'autre, par une colonne plus nombreuse de touristes lyonnais qui a heureusement atteint le sommet le surlendemain; la troisième, par un membre distingué du Club Alpin italien, M. l'avocat Palestrino. Une partie des membres de cette caravane est rentrée prosaïquement en Suisse et en France par Genève; d'autres ont pénétré en Italie par les cols du Bonhomme, des Fours et de la Seigne.

C'est un sentiment de patriotisme large, élevé, pratique, embrassant à la fois, si je puis le dire sans me servir d'expressions trop ambitieuses, - ces trois horizons concentriques qui s'appellent la nature, la patrie et la province.

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les autres.

Je rappellerai à ce propos le mot d'un spirituel écrivain: on reprochait à nos professeurs Français de moins produire que les Allemands, de dissertations, de mémoires, de notices philologiques... « Peut-être ne faut-il pas se hater d'en conclure, répliquait M. A. Geoffroy, que tel de ces érudits enseigne mieux pour cela; nous savons, par beau<coup d'excellents exemples, qu'on peut être un fort bon professeur sans rien publier soi-même ; il doit être permis d'imiter les muses: elles n'écrivent pas, mais se contentent d'inspirer... »

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Aussi bien, le congrès des Clubs Alpins en Savoie. aura-t-il réalisé trois conquêtes qui survivront à la fumée des fêtes et des enthousiasmes passagers.

Euvre de paix et de concorde, il a prouvé que, si la fusion des peuples, telle que la rêvent certains idéologues, était une utopie, il y a pourtant dans la montagne elle-même, dans cette barrière qui sépare les pays, un lien qui rapproche les individus, qui les fait vivre de la même vie, qui multiplie entre eux les relations de bon voisinage et qui exerce ainsi la plus salutaire influence sur les rapports internatio

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A l'œuvre donc, enfants de la Savoie! Répondez par l'initiative privée à cet exemple que vous donnent la Société des Galeries du Fier, celle de la Tarentaise, celle du Revars, celle de Challes et le Club Alpin français tout entier !

A quoi bon aller chercher la fortune à l'étranger, quand vous l'avez sous la main, quand vos montagnes vous offrent la matière première, quand il suffit d'un peu de cette intelligence et de cette activité que vous déployez à profusion au dehors (1) pour la faire retomber en pluie d'or sur vous et sur votre pays...

Un froid calcul de statistique sera notre dernier mot..... et ce sera le meilleur: il servira tout au

(1) Un exemple entre mille: Les deux tisseurs en soie, dont le maréchal Mac-Mahon visitait les ateliers, lors de son récent passage à Lyon, MM. Carquillat et Duc, sont tous les deux des enfants de la Savoie, originaires du Petit-Bornand.

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