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sitent aujourd'hui l'Egypte puissent, en les lisant, ap. précier l'écart survenu, dans ce pays tout comme ailleurs, depuis 1843. « Ici, dit-il, quand on est vêtu <et logé, les dépenses se réduisent à peu de chose: << les fruits ne coûtent presque rien; les dattes que < vous employez pour les tisanes pectorales coûtent < 1 sol la livre. Combien j'ai dégusté ce fruit déli<< cieux! Les oranges se vendent 1 sol la douzaine; << les poules et les pigeons, 3 sous la paire; les <dindes et les oies, 6 sous. »

Comment donc se fait-il que notre compatriote ne s'en soit pas tenu à ce milieu confortable et qui convenait si bien à sa santé? Deux ans à peine après son installation à Mansourah, nous le trouvons au Kordofan, dans un pays à demi sauvage, bien que sous l'autorité du vice-roi d'Egypte, et à 800 lieues du Caire. Le long voyage qu'il lui fallut faire, pour atteindre cette lointaine destination, ayant privé sa famille de toutes nouvelles pendant au moins six mois, elle prit le parti de s'adresser à M. Vaudey pour en avoir. Le secrétaire de Clot-Bey explique alors, dans une lettre du 4 janvier 1845, que le docteur Biron lui avait souvent manifesté le désir de connaître le Soudan, et que, pour y satisfaire, il l'avait fait nommer médecin-major du 1er régiment d'infanterie, en garnison dans le Kordofan, et en même temps médecin particulier de Moustapha-Pacha, gouverneur de cette province. Le pays étant peu connu, ajoute M. Vaudey, il reste beaucoup de découvertes à y faire en entomologie, en botanique, en minéralogie, et le docteur Biron a le talent et les aptitudes nécessaires pour s'illustrer dans des travaux de cette nature.

Il était parti du Caire à la fin de novembre 1844. Son arrivée au Soudan, au commencement de la saison des plus grandes chaleurs, fut marquée par une longue et dangereuse maladie, dont s'alarmèrent les quelques personnes qui s'intéressaient à lui. De ce nombre était Brun-Rollet, établi à Khartoum depuis 1843, si l'on s'en souvient. Heureusement, le système respiratoire, qui était son point faible, n'avait reçu aucune nouvelle atteinte. Il parvint à se rétablir complètement, et put, sans se ménager, remplir ses fonctions et poursuivre les recherches qu'il avait commencées.

Cinq années de suite son régiment fut campé autour d'El Obeid, capitale du Kordofan, par 13°5' de latitude nord. Voici le tableau qu'il nous donne de ce pays: En fait de société, quatre Européens de nationalités diverses. Des habitations en terre, cou<< vertes de paille. Une chaleur suffoquante jusqu'en «< juillet; puis, de juillet à octobre, des torrents de « pluies, la foudre qui tombe, qui tue, qui incendie; << des ouragans qui remplissent l'air de tant de pous«sière qu'elle produit l'obscurité en plein midi: les << maisons qui s'écroulent sous les pluies, la cam«pagne changée en un vaste cloaque, et après ces << beaux temps, la fièvre qui vous fait danser, grin<< cer des dents et délirer.............

Depuis El Obeid, de fréquentes incursions étaient dirigées dans les pays voisins non soumis au sceptre égyptien, pour des motifs que nous dirons tout à l'heure. Le médecin - major suivait le gros de la troupe, monté sur un dromadaire, campant au mi

lieu du désert, dormant à la belle étoile et menant une véritable existence de Bédouin. Sa nourriture se composait de viande de mouton et d'une espèce de galette faite avec le millet que mangent les oiseaux. Comme boisson, de l'eau saumâtre et croupissante fournie par des puits creusés dans le sable, car le Nil coule bien loin de là, dans l'est. Ces puits sont d'ailleurs très clairsemés sur cet océan sablonneux, brûlé par le soleil du tropique. Très souvent on n'en rencontrait qu'après une grande journée de marche, pendant laquelle il fallait subir tous les tourments. de la soif, rendus plus cruels par le décevant phénomène du mirage. Mais comme cela était vite oublié quand on était enfin parvenu à l'oasis! « Alors, dit <notre médecin, les victuailles arrivaient en abon« dance pintades, antilopes, gazelles, rien ne ré<< sistait aux coups de ma carabine; alors je campais joyeux et content sous un bosquet de gommiers, « j'allumais un grand feu pour faire rôtir ma chasse, autant que pour me garantir de l'attaque nocturne. des hyènes qui hurlaient sans cesse autour de nous, puis je fumais un chibouk et j'écoutais en << sommeillant le récit des exploits de mes compa< gnons. >

Les soldats auxquels il donne ses soins sont pour la plupart des Turcs, originaires de la Tartarie, dont ils ont conservé les instincts pillards et grossiers. Mal nourris et plus mal payés, ces hommes ne vivent guère que de butin, et trouvent une espèce de solde légale dans la chasse des noirs et leur revente comme esclaves. Voici la singulière combinaison imaginée à ce sujet par l'administration elle-mème. Lorsque la saison propice est arrivée, car il y a une saison pour la chasse à nos semblables, comme il y en a une pour la chasse à l'éléphant, ces Turcs se mettent en campagne, battent le pays, et ramènent captifs autant de malheureux qu'ils en peuvent trouver, sans distinction d'âge ni de sexe. Tout ce monde est emprisonné à El Obeïd, et un beau jour le gouverneur annonce qu'il y aura une vente aux enchères. Les amateurs arrivent pour miser, ainsi que les employés et les soldats. Si un esclave est adjugé à l'un de ces derniers, le prix lui en est compté sur sa solde; il a encore droit à miser jusqu'à ce que le montant de sa solde soit atteint, après quoi il ne prend plus part à l'adjudication, et il emmène ses esclaves, dont il cherchera à se débarrasser comme il pourra, mais toujours avec perte, puisqu'il a été le plus fort enchérisseur.

Voilà de quelle manière le gouvernement égyptien payait son personnel du Soudan, il y a une trentaine d'années. Le pauvre Biron, embarqué dans cette galère, ne peut contenir son indignation à la vue de tant d'infamies, et cependant il lui faut, par humanité sinon par devoir, soigner les coups de lance que ses Turcs ont reçus pendant leurs horribles chasses. Car les nègres sont gens énergiques et courageux, qui ne se rendent d'habitude qu'après une lutte opiniâtre. Ils se cachent dans leurs montagnes à l'approche de l'ennemi, et mettent en sûreté, dans des grottes, les enfants, les femmes, les vieillards impotents. Les Turcs, au courant de ce manége, ou conduits par quelque traître, font l'assaut des grottes, devant lesquelles il se livre alors des combats fu

«

<< des girafes, des éléphants, des antilopes. Les marécages hantés par de monstrueux hippopotames, << dont un seul, jusqu'à présent, a été porté vivant à « Abbas-Pacha, le nouveau vice-roi, qui en a fait « cadeau à l'Angleterre.

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rieux. « J'ai vu, dit Biron, j'ai vu un noir posté à « l'entrée d'une de ces cavernes, soutenir à lui seul l'attaque de plusieurs Turcs pendant des heures; puis, forcé de se retirer au fond de l'antre où sa « famille était dans les pleurs et la consternation, se placer devant elle pour lui servir de bouclier < contre la grêle de balles que les soldats faisaient « rebondir dans la caverne afin d'obliger les vic<< times à se rendre et à sortir; on a vu ce père in- « fortuné, dans la rage de son désespoir, se poignar-« <der suspendu sur les siens, en menaçant de les égorger tous plutôt que de les voir tomber entre les mains des Turcs; et ceux-ci, avec leur cœur << féroce, entasser de la paille et des broussailles à l'entrée de la grotte, et venger leur dépit en y < mettant le feu. »

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Notre compatriote put enfin quitter le Kordofan vers le commencement de l'année 1850. Il vint se fixer à Khartoum où il était nommé médecin en chef de l'hôpital central. Après tant de privations qu'il avait endurées, cette ville lui parut un Eden: son premier soin fut d'y acheter une maison sur le bord du Nil, afin de contempler à son aise la beauté de ce fleuve dont il était resté si longtemps éloigné. Une fois propriétaire, il trouva la solitude pénible et voulut s'y créer une société. Le chef de la mission autrichienne, établie depuis peu à Khartoum, reçut ses confidences, et ce digne religieux, après de longues démarches, réussit à lui trouver une épouse digne de ce nom (1). C'était une demoiselle Copte, catholique, fille unique de l'intendant du gouverneur général du Soudan. Position de fortune convenable, éducation toute chrétienne, caractère excellent, que fallait-il de plus pour assurer le bonheur? En mars 1850 on célébra le mariage, selon le cérémonial usité en Orient, mais avec tout l'éclat européen possible: illuminations, pétards, coups de canon, festin au champagne, rien n'y manquait.

A dater de ce jour, Biron se sentit véritablement heureux. Il avait pris goût au pays, dont il connaissait fort bien la langue; sa double situation de médecin en chef et d'homme marié lui valut la considération des indigènes et des Européens. Sa santé se fortifia beaucoup, et il en profita pour continuer ses études et ses collections d'histoire naturelle. Une de ses lettres, portant la date du 24 avril 1850, résume ainsi qu'il suit l'ensemble de ses observations:

Faites part de mes nouvelles à mes amis de « Chambéry, surtout aux scientifiques et braves « MM. Salme et Bonjean, à mes professeurs et à mon << ami le docteur Guilland, qui m'a fait la conduite < lors de mon départ d'Europe. Dites aux premiers: « ici, le régime organique est bizarre, gigantesque. « Un désert couvert d'arbres épineux, de mimosas, <de rubiacées, d'acacias, d'apocynées, d'asclépiades, de lawsonias, etc. La campagne émaillée <de labiées, de campunalacées, de solanées, de li« liacées. Les bois habités par des singes, des lions,

(1) Les premiers missionnaires arrivèrent à Khartoum le 11 février 1848. Ils étaient au nombre de cinq le P. Ryllo, provicaire apostolique de l'Afrique centrale par bref du 3 avril 1846; Mgr Casolani, de Malte; M. Knoblecher, du diocèse de Laybach; M. Vinco, du diocèse de Verone, et le P. Pedemonte, de Gênes. La mission de Khartoum est la seule qui subsiste, sur les quatre qui avaient été fondées dans l'Afrique centrale.

Ici, toutes les montagnes sont primitives:

« quartz, syénites, pegmatites, porphyres; du fer en abondance, sans exploitation, quelquefois à l'état d'aimant pur, ordinairement à celui d'oxide et de carbonate; puis de l'or, de l'argent, de l'antimoine, des émeraudes, etc., etc.

< Dites aux seconds dans le Kordofan, les fiè<< vres pernicieuses sont endémiques. Chaque année, « des épidémies de rhumatismes, de typhus, de té<tanos; la variole constante et souvent mortelle; la syphilis sous les plus effrayants aspects; des ulcères opiniâtres, le ver ténia, le dragonneau et plusieurs variétés d'éléphantiasis. »

Biron en veut décidément au Kordofan, mais au moins il nous édifie d'une manière assez complète sur ce pays fort peu connu. Au sujet de Khartoum, ses renseignements sont beaucoup plus brefs, parce qu'il comptait sans doute sur ses collections pour éclairer ses amis d'Europe; malheureusement, ces matériaux scientifiques ne sont point parvenus à leur destination.

Après un séjour de deux ou trois années à Khartoum, le docteur Biron sentit renaitre une affection. asthmatique dont il avait déjà souffert antérieurement. Il crut que les grandes chaleurs en étaient la cause, et chercha à se rapprocher d'un climat plus tempéré. Sur sa demande, il fut d'abord transféré au Caire, où il exerça quelque temps à l'hôpital de Kasr el Ein; puis successivement au Fayoum, dans la moyenne Egypte; à Keneh et à Siout, dans la HauteEgypte, et finalement à l'Atfé, non loin de Rosette, dans la Basse-Egypte. Notre compatriote avait ainsi visité toutes les parties du territoire relevant de l'autorité du vice-roi, depuis la mer Méditerranée, jusqu'à ses confins dans la Nigritie, ne cessant pas, le long du chemin, d'observer et de collectionner, et c'est ce qui fait regretter d'autant plus la perte de ses caisses de minéralogie et de ses herbiers.

Il mourut à l'Atfé, le 12 avril 1866, dans la cinquantième année de son âge. L'année précédente, le choléra lui avait enlevé sa femme, et il demeurait seul et triste avec une enfant dont il se proposait de soigner lui-même l'éducation. Il n'a pas eu longtemps cette joie, mais du moins ses intentions dernières ont été remplies, et la jeune orpheline, qui a été ramenée en Savoie à la mort de son père, y a trouvé une famille et des cœurs dévoués, dont l'action douce et bienfaisante amoindrira peu à peu son regret d'avoir quitté le sol natal. E. TISSOT.

FLORE DE LA DENT DE LANFON

(Suite)

C'est le 17 août que nous avons fait, à la Dent de Lanfon, notre dernière excursion de l'année; assez maigre dans ses résultats, pauvre d'incidents, elle ne mériterait guère les honneurs d'une mention, si elle ne devait contribuer à fixer le bilan de la végé

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tation de cet habitat peu connu et à préciser, surtout dans cette région, le véritable calendrier de la flore savoisienne. Considérons-la donc comme une liquidation, un solde de l'année. Désireux d'éviter le poids accablant de la chaleur (28° la veille), nous nous mimes en route à 2 h. 1/2 du matin, non plus seul cette fois : les vacances avaient associé à nos herborisations un jeune bachelier à qui nous faisions faire ses premières armes. Le ciel était sans lune, les étoiles scintillaient dans la brume, l'horizon semblait orageux et sombre, la ligne du Jura se perdait dans une obscurité complète, le lac déferlait avec une mauvaise humeur d'assez triste présage; à peine étions-nous à Albigny que les éclairs, se correspondant du Semnoz au col d'Entrevernes, nous inspirèrent des doutes sérieux sur l'utilité de poursuivre. En attendant nous marchions, mais en hésitant et avec l'intention de rebrousser chemin si l'orage éclatait assez tôt.

Ce serait mal connaître nos Alpes que de se borner à les contempler

quelques-uns pourtant évoquent de gracieuses images qu'il serait bon de conserver. Celui-ci, dont la traduction exacte serait brodequin, entrare de Vénus, tendrait, semble-t-il, à disparaître. Cet automne, un ecclésiastique, dont la conversation agréable et solide nous dissimulait les lenteurs d'un retour nocturne en wagon, nous demanda (après avoir lu la Revue savoisienne) si nous avions trouvé le Sabot de la Vierge. » L'embarras éprouvé par notre digne interlocuteur quand nous rectifiàmes l'appellation, le maintien légèrement railleur d'un vieux botaniste du Dauphiné sommeillant dans un coin, nous firent craindre qu'en prononçant le nom de Vénus nous n'eussions commis une de ces grosses inconvenances si lestement reprochées à l'enseignement ou à la science depuis que nous nous vantons d'avoir émancipé la langue et la pensée, un de ces crimes dont se moquait Boileau à la cour du plus intolérant des rois. Le compilateur Rembert Dodoens, médecin de Maximilien II et de Rodolphe II, qui préférait le nom de Dodonous, avait, il est vrai, en dépit des traditions mythologiques qu'évoquait ce nom d'école, donné à notre orchidée (vers 1580) celui de Calceolus Mariæ, qui, à notre avis, ne pouIl faut aussi les côtoyer par une nuit sombre que vait prévaloir. Nous n'aimons pas à nous figurer la troublent seulement les lueurs sinistres de l'électri- vierge de Nazareth dont la vie appartient à l'histoire et aux beaux-arts, nous n'aimons pas à nous cité, le bruit des vagues, les aboiements plus ou moins lointains des chiens de toute taille, quelque la figurer les pieds chargés de ces lourds sabots arcri d'oiseau, le sourd roulement d'une voiture char- rondis des hautes Vosges, absolument inconnus sur les bords du Jourdain ou du lac de Génézareth. gée de pierres, de bois ou d'autre chose, deux ou Vénus nous inquiète moins. Que ce soit à nos yeux trois coups de fouet, ou les pas tranquilles de deux comme à ceux de Lucrèce la force attractive qui faucheurs devisant sur l'état de l'atmosphère. La pousse tous les êtres à procréer, ou comme à ceux nuit, ces grands sommets nous échappent, ils se devinent; et la poésie ne perd pas à ce vague mysté- de Boileau une métaphore innocente synonyme de rieux; car elle vit d'émotions autant que d'images, beauté, ou qu'elle nous rappelle une princesse anet nous ne sommes pas de ceux qui croient de leur tique de l'ile de Cypre, il nous est d'autant plus aisé dignité de n'en pas ressentir ou de n'en pas manifes- de lui supposer cette chaussure que la Junon Laviter. Au sommet de la route d'Alex, avant de perdre nienne est représentée avec ce soulier égyptien à de vue le massif du Semnoz, nous constations que pointe recourbée (calceolus repandus). Maintenons les éclairs appartenaient à cette classe de phéno-donc aux fleurs ces noms allégoriques; car, loin de mènes électriques connus sous le nom d'éclairs de chaleur, et qu'un orage immense s'étendait sur les hautes Alpes, fort loin, vers les Ecrins ou le Mont Pelvoux.

Avec leurs grands sommets, leurs neiges éternelles, «Par un soleil d'été...

populariser par une pratique de piété mal entendue
le nom de la mère de Jésus-Christ, nous fausserions
simplement le type que nous ont laissé d'elle tant de
chefs-d'oeuvre de toutes les écoles et que, dans une
certaine mesure,

... De vos fictions le mélange coupable
Même à ces vérités donne l'air de la fable.

Mais ajournons une polémique qui, ne fussions-nous pas en congé, n'entre pas dans nos vues; et, après avoir béni l'édilité locale, grâce à l'activité de laquelle aucun chemin n'étant visible, nous primes à travers champs et nous fatiguȧmes gratuitement pour arriver à Villars- Dessus par une pente fort raide, installons-nous pour déjeuner près d'une cascadille du ruisseau d'Alex, un peu au-dessous de la pre

Tout en faisant remarquer à notre jeune compagnon les fantastiques aspects du ciel que l'aube commençait à nuancer au fond de cette imposante vallée de Menthon, nous montrant abrupte et isolée cette Dent de l'en-fond que nous aimons tant à gravir, nous désignions pour une ou deux herborisations de l'an prochain le bois qu'ébrèche la route d'Alex et que l'on continue à défricher. Nous avions choisi une station probablement fructueuse; car, deux mois après, on nous conduisait dans ces taillis entrecoupés de petites clairières, pour nous prouver de visu qu'on ne nous avait pas induit en erreur en nous signalant le Cypripedium calceolus, et nous en comp-mière grange. Il était six heures; les deux murailles tions cinq ou six pieds. Mais ce n'est pas Bluffy: depuis, nous en avons vu provenant du bois du Barioz et on nous l'a dit assez répandu dans les ravins d'Entremont-le-Vieux, à une altitude de 900 mètres.

Nous aurons plus d'une fois à revenir sur les noms des plantes que nous avouons de bonne grâce être souvent barbares et peu intelligibles, mais dont

de rochers qui nous étreignaient resplendissaient de lumière; mais ce ne fut qu'à 6 h. 35' ou 40' que nous vimes le disque du soleil caché jusque là par le rideau de la Roche Tête-Noire et de la Pointe aux Tarvelles; il y avait une heure et demie qu'il réchauffait de ses rayons la plaine des Fins et les campagnes de Frangy!

Le tertre si herbeux, d'une ascension si difficile, par la rosée surtout, au pied duquel nous nous étions reposés sur de vieilles souches moussues, n'offrait plus que de longues tiges marcescentes, ou des Urtica dioica mêlées de quelques tristes chénopodées. Quand nous rejoignîmes les lacets du chemin, nous trouvâmes une assez jolie bordure de Rumex Friesii, aux larges feuilles, au port trapu, à l'épi très fourni, aux divisions périgonales découpées en longues dents aristées. Cette plante, d'ailleurs, est ubiquiste nous l'avons cueillie dans le même état de végétation sur la route de Frangy, aux abords du village de Gillion, le 11 septembre suivant! Puis reparaissent nos grandes ombellifères, mais en fruits ou à demi desséchées le Myrrhis odorata dresse encore ses ombelles compactes de fruits vernissés et déjà tous déhiscents; le Chorophyllum aureum a résisté davantage. Plus haut, dans la prairie du premier col, il ne reste plus que les squelettes décharnés des Veratrum ou des Gentiana lutea, ce foin dont, suivant Rousseau, il ne devrait être permis de manger qu'aux chevaux du Soleil, mais que recherchent avidement nos chèvres et nos vaches sans se soucier de l'amertume qu'en recevra leur lait.

rons, sécheresse et désolation. Seul, le Carduus defloratus se permet de fleurir, mais sans oser s'élever à plus de deux décimètres un de ces chardons nous semble même nourrir un orobanche; l'infâme parasite remplaçait effectivement, par sa tête hideuse, la calathide rose de la plante-mère; bien toutefois que l'épi ne fût pas développé, l'intrus nous paraissant d'une espèce peu commune, nous posons à terre et boite et gibecière afin de piocher plus librement, et après avoir tous deux écarté les pierres nous obtenons, sans le séparer du chardon qu'il suçait, l'Orobanche scabiosæ, qui, jusqu'ici, n'a été trouvé qu'au Mont-Séuse, près de Gap, au sommet de la Dôle et sur le Reculet; malheureusement (pour nos herbiers), il nous a été impossible d'en découvrir un second pied.

Nous avons mentionné la Scabiosa lucida; en nous approchant du chalet des Nantets, c'est le Knautia dipsacifolia que nous rencontrons, plante voisine et vivant avec elle en parfaite confraternité. La Pointe aux Tarvelles est si peu éloignée... pour l'œil du moins! Des moutons y paissaient, ce qui nous faisait croire à une calotte de verdure analogue à celle qui couronne le Semnoz. En y allant, nous récoltons trois Tout est fauché, brouté, sauf le Carum Carvi pieds de Betonica hirsuta dont l'épi gros et court dont la tige dure et nue glisse sous la faux et que le disparaissait presque dans une large rosette de feuilbétail ne semble pas aimer beaucoup. Plus loin ce- les et de rejets; mais, du reste, la prairie était d'une pendant, au pied de la roche de Muraz, le long du netteté à l'épreuve du botaniste, et les troupeaux de chemin creux, nous prenons des Veronica fruticu- vaches l'avaient même désertée pour s'établir plus losa var B. pilosa, forme très basse (le V. saxatilis près de la Tournette, au midi. Nous conseillons aux de Jacquin), tandis que le 12 août c'était la variété touristes de ne pas s'aventurer sur la Pointe aux A. viscosa, que nous rapportions du Parmelan, vé- Tarvelles si le bélier et ses ouailles qui, eux, ne sont ritable petit arbuste de 0,25 de hauteur. Le Va- pas sujets au vertige, jugent à propos de les y attenleriana montana profitant d'un abri humide, attei-dre; car la montagne est coupée net, et si d'une part gnait là aussi un développement peu commun, mais n'en flattait pas plus l'odorat. Le bel œillet des bois, Dianthus Scheuchzeri, si difficile à distribuer entre les sept ou huit sous-espèces dans lesquelles on s'est plu à le démembrer, y était encore en pleine floraison. Nous récoltàmes surtout en quantité le Scabiosa lucida que M. le Dr Bouvier rapportait du Semnoz le 14 septembre 1851, le Galium tenue toujours séduisant et que se disputent aussi tant d'espèces voisines, issues des trop savantes nomenclatures de l'école moderne, le Cerastium arvense ou plus probablement le C. alpinum, puis l'Erigeron alpinus, à peine visible dans les rocailles qui forment l'entrée du col des Nantets.

Tout à coup nous croyons apercevoir des touffes de Gypsophila repens auprès des blocs descendus à droite et à gauche du chemin; nous ne tardons pas à reconnaître l'une des plus délicates silénées de la flore française, le Silene quadrifida ou quadridentata qui étalait en tous sens ses rameaux grêles et feuillés, et saluait le soleil, alors au-dessus de nos têtes, de ses innombrables corolles d'un blanc rosé. La beauté de ces petits tapis avait même déterminé M. Alex. Braun à créer pour cette espèce le genre Heliosperma (semences du soleil); elle avait échappé, parait-il, à nos prédécesseurs, car l'herbier de Savoie n'en possède que des échantillons insuffisants, récoltés le 7 août 1858 par M. Delavay, à la Pointe aux Agneaux (Montriond), et par M. Didier, en juin 1854, au Parmelan. Aux envi

la vallée de Thônes et la chaîne des Aravis offrent à l'étranger un spectacle ravissant et imprévu, l'un des plus beaux, assurément, de notre rayon, d'un autre côté le danger est sérieux, l'abime vous attire, et depuis le col nul ne pourrait le soupçonner. Nous contemplons un instant la Tournette, la rampe boisée qui conduit doucement, semble-t-il, de Thônes au sommet de la montagne, le rocher gris et nu qui se dresse entre elle et nous comme un mince écran et nous la cache à moitié, elle, ses précipices et ses torrents. Craignant d'être attardés en descendant le long du nant Doit à Talloires, nous revenons sur nos pas en contournant la croupe de la roche de Muraz.

Dans le sentier de chèvres qui va rejoindre le col des deux Dents nous trouvons le pied mâle du Salix myrsinites appliqué comme une mousse sur une assez grosse pierre; rien de plus si ce n'est un ou deux Hypericum kicheri. Mais une fois qu'on s'est laissé choir en invoquant les souvenirs des leçons du gymnase, dans la prairie de ce dernier col, la flore reprend toute sa richesse d'été : là en effet abonde le Linum alpinum, espèce rapportée aussi de la Pointe aux Agneaux le 7 août par M. Delavay, et le 10 août 1851 du Mont-Cenis par M. Bouvier; seulement, vu le degré moins élevé d'altitude, il est trop tard: tout est en capsules, ouvertes même. Là s'épanouissent, par compensation, de magnifiques Brunella grandiflora, des Campanula rhomboidalis, des Centaurea scabiosa à la tige élevée, à la tête dure et lourde. Mais l'heure s'avançait et nos jambes nous invitaient

à rentrer; car, parvenus sur l'arête du col, nous mesurions sans en rien perdre la distance à parcourir pour regagner le logis.

Intervalla vides humanè commoda.

D'ailleurs, autour de nous, le spectacle était animé et plus pittoresque que de coutume. Des groupes de faucheurs stationnaient sur le flanc de la montagne; presque tous prenaient ou attendaient leur repas, donnant matière à plus d'une idylle, à plus d'un tableau de genre. Nous n'avions plus qu'à suivre l'étroit sentier en nous remémorant la richesse des récoltes sentier en nous remémorant la richesse des récoltes que nous y faisions deux mois auparavant, et glanant ici un corymbe d'Anemone narcissiflora, en fruits, là une ombelle de Siler trilobum ou le Tragopogon au port si variable. Il nous a fallu éviter tout d'abord un danger singulier dont les faneurs du haut de la prairie, mieux placés pour voir l'ennemi, nous prévinrent en nous hêlant au milieu de leurs ébats rustiques: les chèvres des Nantets étaient venues se jucher sur les corniches de la roche de Muraz et nous adressaient de cette citadelle une véritable grêle de projectiles; sûres d'elles-mêmes, elles ne s'y retranchaient pas, et les pierres se rapprochaient comme les entêtés quadrupèdes qui nous les lançaient.

Un peu plus bas nous rencontrions les gens du pays, à qui il fallait rendre compte de notre tournée, de nos opérations, et que bien entendu nous ne congédions pas satisfaits; comment, en effet, s'expliqueraient-ils qu'on perde ainsi son temps et ses forces et qu'après douze heures de fatigues on revienne chargé comme un soldat romain sans avoir nulle envie de tirer un centime de son précieux fardeau ! Encore si c'était pour l'apothicaire, pour des remèdes ! Mais comme ça! pour rien! y a du dezous là-dezous! d'eux, ancien soldat, gars au beau langage, à l'allure distinguée, nous retient longuement pour nous offrir ses services et juger nos errements d'un ton capable: C'est moi, ajoutait-il, qui ai conduit ces jours derniers les Messieurs du Club Alpin à la Tournette; ah !... ›

L'un

Le récit du guide n'entrant nullement dans notre sujet, nous nous hâtons de glisser à Saint-Germain, non sans faire plus d'une chute, sans casser plus d'une branche d'arbre; nous ne nous arrêtons qu'audessus des friches qui dominent le village, pour couper quelques pieds de Carlina véritablement acaulis, forme que nous n'avions presque jamais rencontrée sur les montagnes de Chambéry où cette cynarocéphale s'élève jusqu'à 0m, 40, tout acaule qu'il faille la nommer.

fesseur qui les raillait d'un sédentarisme malsain, ni le magistrat éminent qui dans un jour solennel les conviait à le suivre sur la plate-forme du Parmelan ou la coupole du Semnoz et leur annonçait un prix d'alpinisme. Qu'ils emportent de nous toutefois un

dernier vœu dont on nous pardonnera sans doute l'éternelle redite c'est que, l'âge aidant, les soucis d'une carrière devenant plus légers, quelques-uns d'entre eux songent à utiliser ces courses et à divulguer en les étudiant eux-mêmes les secrets de leurs montagnes, leurs plantes, leurs fossiles ou leurs pierres, voire même leurs insectes. Ils n'auront pas dans le cours de leur vie, qu'ils en croient l'expérience de tous les collecteurs, de plaisirs plus purs, de consolations plus innocentes, et de régime moins coûteux et plus hygiénique. Annecy, le 16 décembre 1876

LE CHATAIGNIER

EM. PICARD.

Cet arbre croît assez naturellement en Savoie, sur bon nombre de nos coteaux d'une moyenne altitude (1). Plusieurs contrées de France en sont abondamment pourvues. Nous citerons principalement la Touraine, le Limousin, le Vivarais, la Bretagne, les Pyrénées, les Cévennes, le Dauphiné et le Jura. La Suisse en a aussi, l'Italie, la Corse, la Turquie en ont quantité.

Nous distinguons deux variétés de châtaigniers : celle à l'état cultivé et celle à l'état sauvage. La première donne des fruits d'une belle grosseur, ordinairement ronds et savoureux. Dans nos grandes villes ils sont connus sous le nom de marrons. Ceux qui nous viennent du Dauphiné et du Luc, en Provence, sont très recherchés, on les appelle communément marrons de Lyon. La châtaigne verte du Limousin, grosse et de bonne qualité, se conserve plus longtemps que toutes les autres.

L'autre variété donne un fruit relativement petit, hatif et fort doux. C'est notre châtaigne commune (castanea vulgaris).

Ces fruits divers mûrissent dans l'arrière-saison, alors que la plupart de ceux des autres arbres commencent à disparaître ou ne sont pas encore mangeables.

Avec quel empressement le propriétaire ne va-t-il pas les cueillir pour en faire sa nourriture, pour en offrir à ses amis ou les livrer au commerce! Bientôt il en paraît sur les meilleures tables, comme sur les plus humbles. C'est dire que la châtaigne est partout la bienvenue depuis la chaumière jusqu'au château. Accompagnée de quelques verres de vin, elle porte la gaieté dans les soirées du hameau comme dans celles de la cité.

Nous croyons en avoir fini avec le col des Nantets, réservant à l'année prochaine le compte-rendu de nos explorations sur les autres faces de la Dent de Lanfon, explorations que les circonstances nous permettront peut-être de compléter. Nous ne termineIl y a des communes où la majeure partie des harons cependant pas sans féliciter la jeunesse anné-bitants se nourrissent presque exclusivement de chacienne à laquelle nous avons pendant trois ans été taignes durant cinq ou six mois. Dans cet excellent appelé à donner nos leçons; tous nos anciens élèves fruit, disent-ils, nous trouvons pain et mets; et bien ont, paraît-il, escaladé dans ces dernières vacances nourris que nous sommes. En effet, il est reconnu les montagnes d'où ils n'aperçoivent plus ou que qu'il y a dans la châtaigne beaucoup de propriétés difficilement leur bienfaisante prison. Beaucoup ont nutritives et bien réparatrices, soit qu'on la mange fait de ces courses un apprentissage un peu rude; mais ils ne s'en sont que mieux portés, et certainement ne maudissaient plus le surlendemain ni le pro

(1) Nous avons vu deux châtaigniers à une altitude de 800 mètres; ila ne donnent que des fruits chétifs, mais pour l'ordinaire mangeables.

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