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La ville est en fête, une foule énorme encombre la rue Royale et pousse des hourrahs; balcons et fenêtres sont pavoisés aux couleurs italiennes, suisses, anglaises, américaines et françaises; de gracieux visages s'épanouissent à tous les étages; des gerbes de fleurs tombent sur le passage du cortège et il n'est pas jusqu'aux alpinistes chevronnés, prêts à doubler la cinquantaine, qui ne se croient revenus aux fraîches émotions de la vingtième année. Soleil sénégalien et fatigues de la route, tout est bien vite oublié, grace aux parfums des fleurs de la bienvenue et à la brise du lac, dont nous abordons les rives. A l'Hôtel-deVille, l'adjoint au maire, M. Brunier, nous reçoit dans le salon d'honneur et nous salue en termes émus, au nom de la cité; M. D'Anières lui répond, en l'absence momentanée de M. Joanne, au nom du ClubAlpin français. M. César Isaïa, membre de la direction centrale de Turin, la main sur le cœur, dit aux applaudissements de l'assistance: « Ce n'est pas la langue, c'est le cœur ici qui doit parler! C'est avec le cœur qu'au nom de l'Italie vous me permettrez, en vous disant merci, de pousser ce double vivat: Vive la France! Vive la Savoie!... »

L'électricité est dans l'air, la glace est rompue, la fusion est faite et l'on n'a plus qu'à s'abandonner tête baissée, aux étreintes de l'hospitalité.

Mais ce qui nous frappe, dès la première heure, c'est la remarquable entente et l'esprit pratique avec lesquels nos confrères annéciens ont paré aux moindres détails d'une réception, la première de ce genre qui eût lieu en France et dont l'organisation était chose entièrement nouvelle.

On s'est distribué les attributions et les rôles; des commissaires sont affectés à chaque section; d'autres, à chaque partie du programme. Aucun désordre, aucun froissement, aucun oubli... Tout a été prévu, tout arrive à point nommé, sans que ces mains

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invisibles, qui tiennent les mille fils de ce réseau compliqué, trahissent leur modeste incognito (1). Un bureau de renseignements, ouvert en permanence, est installé à l'Hôtel-de-Ville. On y reçoit son billet de logement, on s'y inscrit pour le banquet du soir ou les courses du lendemain, on y va cueillir toutes les indications utiles, qui vous sont données de la meilleure grâce du monde, et le besoin d'une heure de détente se faisant généralement sentir, on s'éparpille dans toutes les directions pour secouer la poussière du voyage et se mettre en tenue... de traversée...

III

LE TOUR DU LAC

« Quel joli endroit qu'Annecy, ce petit pays retiré, verdoyant, avec son lac à lui, et tout autour des vergers frais, des vallons montants, des cimes à portée (2)! »

Cette réflexion de Topffer était sur toutes les lèvres quand, à deux heures, le bataillon rallié se rassemblait sur le quai du port.

Les deux vapeurs, la Couronne de Savoie et l'Allobroge, nous attendent; ils doivent partir à quelques minutes d'intervalle; les capitaines donnent des ordres; les équipages, en grande tenue comme les navires, sont à leur poste; les drapeaux et les banderoles multicolores flottent au vent; nous prenons place sur le pont, abrités du soleil par une vaste tente que gonfle la brise; un coup de sifflet strident, hourrahs échangés entre les passagers et la terre ferme, et les bâtiments, luttant de vitesse et d'élégance, s'élancent sur le miroir azuré du lac.

Commodément assis à l'arrière de l'Allobroge, une lorgnette de Lafontaine à la main, nous étions là. quelques alpinistes d'Italie et de France, formant un groupe à part, les yeux braqués sur les aspects divers qui se déroulaient à notre vue, l'oreille tendue à la

(1) Les hôtes de la ville d'Annecy tiendront assurément à connaître les noms de ceux qui se sont efforcés de leur en faire les honneurs; aussi croyons-nous devoir publier la liste complète des membres des diverses commissions, qui s'étaient distribué cette patriotique besogne :

I. Comité d'organisation générale: MM. Dunant Camille, président; Ruphy Gustave, vice-président; Carron Jacques, secrétaire; Lheureux Jules, secrétaire-adjoint; d'Anières, Mangé Auguste, Boch Louis, Dunand Alexis, Rey, docteur, Tissot Eugène, Pichollet, trésorier.

II. Commission des logements et nourriture: MM. Pichollet, Pierre Terrier, Alexis Dunand, Pierre Bouchet et Isidore Nanche. III. Commission d'organisation de l'Exposition: MM. Auguste Dunant, Duchesne, Crettet, Mangé, avec le concours de M. Louis Revon, conservateur du Musée et de M. Serand, sous archiviste.

IV. Commission de décoration et d'organisation de la fête de nuit MM. Mangé, architecte et Eloi Serand.

V. Commission de réception aux Gorges du Fier: MM. d'Anières, Rey, Lheureux, Gustave Ruphy et de Fésigny.

VI. Commission de réception à la gare d'Annecy: MM. Camille Dunant, Eugène Tissot, Pichollet, Boch, Crettet, Rollier, Carron, Georges et Frédéric Laeuffer, Quétand, Léonce Duparc et Boissonnet. VII. Bureau de renseignements à l'Hôtel-de-Ville: MM. Bouchet, chef de bureau à la Mairie et Pichollet.

VIII. Commission de réception au banquet: MM. Gustave et Auguste Ruphy, Auguste et Alexis Dunand, le docteur Rey, Carron, Emile Laeuffer, Boissonnet, de l'ésigny et Pichollet.

(2) Töpffer. Voyages en zig-zag.

-

légende intéressante d'un spirituel Annécien connaissant son lac, passez-moi le mot, comme sa poche, et mieux encore, si c'est possible, tous les écrivains qui l'ont décrit.

Grâce à lui, et il y avait des cicerones de la même trempe dans les autres groupes, ce lac, à la physionomie chatoyante et mobile, n'eut bientôt plus de secrets pour nous.

La Tour, où mourut Eugène Suë; les Barattes, où s'éteignit Replat (1); la maison où s'abrita Rousseau; Menthon, où Taine écrit ses Origines de la France contemporaine; l'antique château qui vit naître saint Bernard, et où un illustre enfant de la Savoie, Mer Dupanloup (2), vient se reposer chaque année; celui de Duingt, près duquel de Custine traça son Histoire de la campagne de Russie; Talloires, le joyau de cette rive, comme l'appelait Francis Wey, où s'élevait jadis une majestueuse abbaye; Doussard, dont les ours hantent les forêts vierges; le port de Bredannaz, dont la prise par les Espagnols fut célébrée par un Te Deum triomphal dans la cathédrale de Madrid: tout est passé en revue pendant que nous naviguons, en face de ces rives pleines de souvenirs, sur ce lac riant et gracieux au départ, sévère et presque sauvage à l'autre extrémité, pittoresque partout.

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« On a fait le Tour du monde en 80 jours, s'écrie au retour un passager enthousiaste.-Belle merveille! Sur le lac d'Annecy, on le fait en deux heures! En voguant sur ses ondes, on passe tour à tour des rivages plantureux de l'Italie méridionale aux régions des neiges éternelles, des plus frais vallons de l'Oberland aux plus ombreux vergers de la Normandie, des castels les plus mystérieux des bords du Rhin aux jardins les plus ensoleillés de la Provence; on y goûte et on y voit de tout, voire même de grands bois dignes de la Savane.

Charles Yriarte, qui a pourtant bien vu, n'avait-il

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Annecy-ville offre à l'observateur une physionomie intéressante à plus d'un titre. En y rentrant, nous avons salué l'Eglise de la Visitation, où reposent les restes de celui qui fut à la fois le plus aimable des saints, et l'une des gloires de la langue française, François de Sales (4); près de la cathédrale, on nous montré la maison où le grand écrivain composa son chef-d'oeuvre de l'Introduction à la vie dévote, et, le

long de la même rue, par un de ces contrastes si fréquents dans les villes riches en souvenirs, la maîtrise où Jean-Jacques, le philosophe aigri, passa les heureux jours dont il se plaît à évoquer la mémoire dans ses Confessions, où le génie de l'écrivain n'excuse pas les révélations de l'homme.

En descendant du bateau, nous nous sommes inclinés devant l'une des illustrations de la science moderne, le chimiste Berthollet (1), dont les traits de bronze contemplent les rives du pays natal.

Mais n'oublions pas que nous sommes ici, non point en voyageurs ordinaires, mais en alpinistes dignes de ce nom ou aspirant à le devenir.

A ce titre, nous devons une visite spéciale au musée d'Annecy commencé il y a trente ans à peine, il a eu le bonheur d'être placé sous la direction intelligente de M. Louis Revon, un artiste doublé d'un érudit et d'un gracieux écrivain.

Chut!... Le conservateur de céans joint à toutes ces qualités, celle d'être modeste comme la violette... Or, le voici qui nous attend, souriant, sur le seuil et qui va nous faire lui-même la légende de ses do

maines.

Le musée, la bibliothèque publique et celle de la Société Florimontane, occupent dix-huit salles contigues au second étage de l'hôtel-de-ville.

Donnons tout d'abord un coup d'oeil aux bibliothèques. Elles sont dotées de 12,000 volumes, de manuscrits précieux, de curieux autographes et d'une collection presque complète, fort utile à consulter pour un voyage d'études dans les Alpes, d'ouvrages relatifs à la topographie, à l'histoire et aux ressources des deux départements savoyards.

Dans la salle de lecture, sont appendues de nombreuses cartes dont quelques-unes dépassent trois mètres nous y remarquons l'assemblage en 25 feuilles de la Suisse, par le général Dufour, et les 28 feuilles de la Savoie, par l'état-major sarde; la carte colossale du dépôt de la guerre, où l'on a juxtaposé les sections embrassant le cours du Rhône et les Alpes; des cartes topographiques, routières, géologiques et plusieurs reliefs.

Pénétrons maintenant dans le musée.

Voici, en premier lieu, la galerie consacrée à l'histoire naturelle de la Savoie. Les animaux qui peuplent nos lacs, nos marais, nos montagnes, empaillés avec goût, sont représentés dans toutes leurs variétés d'âge, de sexe et de saison. Curiosité sans pareille! voici, suivant le témoignage de Francis Wey (2), l'unique marmotte que l'on ait pu découvrir, et à grand peine, dans ce pays que les préjugés représentent comme si fécond en rongeurs de cette espèce...

L'architecture des oiseaux et des insectes, si poé(1) Savoie, est l'un de ceux qui ont le plus contribué à en révéler les Jacques Replat, un des écrivains les plus distingués de la tiquement décrite par Michelet, occupe une vitrine beautés. Le lac et les montagnes des environs d'Annecy, en particulier, ont trouvé en lui un chantre aussi enthousiaste que bien inspiré. (2) L'éloquent évêque d'Orléans est né le 2 janvier 1802 à Saint

Felix (Haute-Savoie).

(3) Monde illustré.

de Sales, à Thorens, près d'Annecy.

(4) Le saint évêque de Genève est né le 2 août 1567, au château

spéciale. Les séries géologiques ont été étiquetées avec le plus grand soin par leur principal donateur, M. Gabriel de Mortillet, et par plusieurs savants

(1) Berthollet est né à Talloires, sur les bords du lac d'Annecy le 9 décembre 1748.

(2) La Haute-Savoie.

étrangers. Les minéraux et roches sont rangés dans les tablettes vitrées et occupent, en outre, plus de 150 tiroirs. Nous y retrouvons les marbres et minerais du pays, les roches du massif du Mont-Blanc, en échantillons bruts et polis, et les magnifiques nuances des jaspes de Saint-Gervais. Les murs sont couverts d'estampages en couleur, figurant les inscriptions antiques des deux départements; et dans les embrasures des fenêtres s'étagent les lithographies et les photographies représentant les sites les plus intéressants de nos contrées.

Découvrons-nous avec respect!.. Cette vitrine en forme de monument funéraire, contient les restes des victimes de la catastrophe tristement célèbre du 20 août 1820: un voyageur russe, le docteur Hamel, ayant accusé de lâcheté ses guides qui hésitaient à franchir un passage dangereux au sommet du glacier des Bossons, ceux-ci continuèrent à s'avancer; les trois premiers furent précipités dans une crevasse. Quarante ans plus tard, quand cette partie du glacier, dans sa lente progression, arriva au bas de la vallée, on vit émerger les lambeaux de vêtements et les membres disloqués de Carrier, de Balmat et de Tairraz (1)... Ils sont là, réduits à l'état de momies, mais de momies qui proclament bien haut cette intrépidité et cet esprit de sacrifice particuliers aux guides chamoniards.

Le touriste désireux de connaitre les noms trop souvent barbares imposés aux charmantes fleurs de nos montagnes trouve, à côté de l'herbier général, une collection distincte pour la région des Alpes.

Une salle voisine est consacrée à la zoologie et à la géologie étrangères, aux produits végétaux, à l'anatomie comparée et à l'anthropologie. Ici, nouveau sujet d'études locales: dans une vitrine sont groupés par ordre chronologique des cranes exhumés sur le sol savoyard; ils servent à reconstituer les types qui s'y sont succédé depuis les temps préhistoriques jusqu'à nos jours.

Parcourant d'un pas rapide les galeries où s'alignent les moulages des statues, les estampes, les collections d'ethnographie étrangère, qui n'ont rien à faire avec l'a'pinisme, nous nous arrêtons devant quelques tableaux signés de noms Savoyards.

Hugard, le paysagiste dont les fresques provoquèrent, au Musée minéralogique de Paris, l'admiration du shah de Perse, Cabaud, Salabert et d'autres, ont fait revivre sur la toile les sites qui ont le privilége de retenir au milieu de nous les touristes: ici, c'est un coucher de soleil sur le glacier des Bois; là les premières lueurs de l'aube éclairant les Alpes, vues du col des Aravis; plus loin, l'extrémité du lac d'Annecy, le promontoire de Duingt, la vallée du Giffre, le défilé de Dingy. Un membre du club-alpin de Marseille, M. Antony Régnier, a peint deux jeunes filles de Bellevaux et de la Tarentaise revètues de ces gracieux costumes nationaux qui tendent tous les jours à disparaître.

(1) Voir à ce sujet un intéressant ouvrage paru quelques jours après le Congrès d'Annecy, à la librairie Vérésoff, à Genève : Les Fastes du Mont-Blanc, par Stéphen d'Arve.

Plus loin, nous passons en revue les collections industrielles et agricoles, les antiquités, les objets de l'âge de la pierre trouvés dans les cavernes du Salève, les produits des sépultures préhistoriques, romaines et burgondes, et les instruments et poteries recueillis dans nos habitations lacustres.

Enfin, dans la galerie des machines, nous faisons une halte devant la vitrine consacrée à la percée des Alpes, cette œuvre qui a immortalisé un enfant de la Savoie, Germain Sommeiller (1): une des lourdes perforatrices qui ont creusé les trous des mines, y est installée au-dessous d'un modèle réduit. qui en fait mieux comprendre le mécanisme; à côté s'aligne la série des roches rencontrées dans le tunnel, et la démonstration est complétée par des estampes figurant les divers travaux.

Nous voici au terme de notre visite, et l'impression qu'elle nous laisse, un alpiniste de qualité l'exprime fort heureusement au Conservateur, en lui disant sur le seuil :

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<< Mes compliments, monsieur, et ceux du clubalpin tout entier !... Votre musée est chose peut-être unique dans son genre, que nous devons chercher à imiter de loin dans toutes nos sections: c'est un musée essentiellement alpin où tout ce qui touche à la montagne, à ses mœurs, à ses curiosités, à ses productions, à ses splendeurs et à ses gloires, a été réuni avec amour... »

V

L'EXPOSITION ALPINISTE

Du Musée à l'exposition, il n'y a qu'un pas. Parcourons donc, si vous le voulez bien, les rangs de l'exposition et, quand le compétent architecte Mangé nous aura fait passer la revue d'ensemble et de détail, peut-être trouverons-nous qu'elle ne fait point trop mauvaise figure.

Ses intelligents organisateurs ont essayé de réunir sous les yeux du touriste tout ce qui doit constituer son bagage en montagne, et non pas seulement son bagage matériel, son sac, ses guètres, son alpenstock, ses souliers ferrés; mais son bagage intellectuel et artistique: l'album avec lequel il crayonnera un paysage, le baromètre avec lequel il se rendra compte des altitudes, la carte sur laquelle il reconnaitra l'étape du jour ou celle du lendemain.

Et grâce au concours gracieux du Club-Alpin suisse et à la plupart des sections du Club-Alpin français, nous allons contempler les meilleurs modèles du bagage matériel, intellectuel et artistique de l'alpiniste.

L'exposition suisse dénote la haute expérience et l'esprit pratique de nos voisins en matière de course. La section de Genève a établi au fond de la première galerie une tente du poids de 16 kil., sous laquelle quatre personnes peuvent reposer à l'aise tout autour rayonnent les sacs et le plaid breveté d'Isenring, les batteries de cuisines portatives de Bordier, les instruments de physique de Bloch, la bibliothèque touristique et les cartes en relief de Georg et le

(1) Sommeiller est né le 14 février 1815 à Saint-Jeoire (HauteSavoie).

panorama du Becca di nono, si artistement dessiné Adams Reilly.

par

La Société des Touristes du Dauphiné, en bonne sœur, nous a envoyé ses modèles de refuge, ses carnets de guide, ses cartes de séjour et ses piolets perfectionnés.

Paris a tapissé les murs des magnifiques photographies prises à l'ile Saint-Paul, par Cazin, et dans les hautes régions par Neydens, par Beek, et des grands panoramas de Civiale, dont un, pris du Mont-Joli, à 2,670 mètres, nous permet de contempler le massif du Mont-Blanc et ses tributaires dans leur développement majestueux.

L'éditeur Baudry a exposé la magnifique carte de Viollet-Leduc, représentant, sous les traits les plus exacts et les couleurs les plus séduisantes, ce même massif éclairé comme il se présente dans la nature: cette carte, à l'échelle de 1/40,000 et le volume qui l'accompagne font le plus grand honneur à l'auteur

et à l'éditeur.

Lafontaine, l'opticien du Palais-Royal, a organisé, avec tout l'art parisien, un Comptoir du touriste, où sacs, gourdes, cordes, lunettes, lorgnettes, baromètres, thermomètres, boussoles, rien ne manque, et d'où l'on peut sortir armé de pied en cap pour une expédition au Mont-Blanc. Deyrolle y a joint un joli modèle de scénographe donnant, d'après les épreuves, de bonnes photographies de la grandeur des cartes-album.

sa modestie et au plaisir que nous éprouvons à croquer ses productions si naturelles et si bien groupées;

dolphe Simond, les collections minérales, les herbiers Chamonix, avec les piolets solides et légers d'Aet les presses botaniques de Venance Payot;

Annecy enfin, avec la ferblanterie de Baratta, les cartes et les classiques savoyards, de Lhoste, le filtre, fort utile, de Poulet, trois remarquables paysages à l'huile de Cabaud, représentant la vallée de Thones, le lac d'Annecy et un panorama du Semnoz, frappant de vérité, appétissant avant-goût des émotions de demain.

En somme, exposition variée, arsenal instructif, presque un coup de maître... pour un coup d'essai... VI

LE BANQUET

Banqueter, et banqueter de fier appétit, c'est un des priviléges de l'alpiniste et c'est une partie du programme qu'il ne néglige jamais... Pénétrés de cette tendance sociale, nos amphitryons ont bien fait les choses ici comme ailleurs.

N'apercevez-vous pas, entrant à six heures et demie du soir, au théâtre, le maestro Ritz qui agite fiévreusement son bâton d'ébène, et l'abbé Tissot qui range en face de leurs émules de la Chorale les jeunes chanteurs de l'Harmonie.

Et combien est appétissante cette superbe table de 220 couverts, dressée en fer à cheval, sur laquelle s'étalent, de distance en distance, les surtouts de fleurs naturelles et les saumons sur champ de verdure.

Lyon, la reine de l'industrie, expose son foulard original, aux armes du Club, qui est l'évènement, ou plutot la coiffure du jour, un piolet de Raphaël Be- les lustres resplendissent; les drapeaux et les écusLa salle est artistement décorée par M. Mangé; noist, trois appareils photographiques fort ingé-sons mêlent leurs teintes harmonieuses; les commisnieux, de Carpentier, un relief réduit des Alpes, du professeur Aniel, et les cartes de Berlioux.

Marseille est représentée par les délicieuses aqua-
relles d'Antony Regnier.
Clermont-Ferrand, par une carte remarquable du
Puy-de-Dôme et des cônes volcaniques voisins, due
Vimont, le secrétaire général de la section

à M.

d'Auvergne.

Nancy,

- l'ancienne capitale de ce beau pays de Lorraine que tant de points d'affinité rapprochent de la Savoie, et dont le souvenir est cher à l'auteur de ces lignes, Nancy fait très bonne figure avec ses sacs de Rebattet, de la section Vosgienne, sacs qui joignent à l'avantage de l'ampleur et de la solidité celui d'une modération excessive de prix (grand sac de toile à 13 fr.; en tissus caoutchouctés: 18 fr.).

saires indiquent à chacun sa place et bientôt, aux accords des deux sociétés, qui rivalisent de talent, le repas commence et se poursuit...

Adolphe Joanne, le président du Club-Alpin français, est à la place d'honneur; sa fine et spirituelle physionomie resplendit d'une joie qu'il ne cherche point à dissimuler, à la vue de la réalisation si complète d'un rêve patriotique si longtemps caressé. A sa droite, voici M. César Isaïa, représentant de la direction centrale de Turin, une belle tête d'ascensionniste se dressant sur une ample vareuse de laine grise, irréprochable de correction; à sa gauche, M. Freundler, président du Club-Alpin suisse; puis rayonnent à leurs côtés ou vis-à-vis d'eux, dans le quartier des dignitaires, M. Hereford George, le délégué de l'Alpine Club; M. Adams Reilly, M. Félix Et voici l'industrie savoyarde! Chiapusso, président du Club-Alpin de Suze; M. Camescasse, préfet de la Haute-Savoie, venu en simple à Milan, sur les indications du panoramiste Bossoli; Chambéry, avec son sac nouveau modèle construit alpiniste; M. Beels, des Touristes Dauphinois; M. Lory, professeur de géologie à la faculté de GreAix-les-Bains, avec ses deux superbes reliefs de noble; M. le marquis de Turenne, M. Abel LemerDrivet, l'un représentant le massif du Mont-Blanc, cier, M. Paul Joanne, M. Paul Mame, le célèbre T'autre le bassin du lac du Bourget œuvres remar: quables au double point de vue de l'exactitude et des procédés de coloration qui font ressortir avec une grande vérité la nature des terrains et des roches; Rumilly, avec le passage du Val de Fier, les fleurs et les fruits de son peintre aimé, Johannes Rubellin, un artiste auquel nous souhaitons un succès égal à

Club-Alpin des Vosges; M. de Bonald, M. Henry Welschinger, rédacteur des procès-verbaux du Sénat; M. Des Gouttes, avocat à Genève; M. l'ingénieur Veyrassat, rédacteur en chef de l'Echo des Alpes; M. Elisée Pélagaud, collaborateur du Salvt Public, de Lyon; le peintre Gabriel Loppe; le pro

fesseur Werra, du Valais; MM. Howard, de NewYork; le géologue Isnard, de Marseille; l'avocat Palestrino, de Turin; M. Henri Ferrand, secrétaire du Club-Alpin de Grenoble; M. Augers, vice-président du Tribunal de Bourg; M. Emmanuel Briard, | de Nancy; M. Devot, de Calais; M. Rosset, rédacteur du National; M. de Saint-Saud, venu pour représenter les Pyrénées auprès des Alpes; MM. Chaumontel, sénateur, et Jules Philippe, député; MM. de Gantelet d'Anières, Camille Dunant, Martin Franklin, Dégaillon, Louis Bérard, Ginet de Mortairy, présidents de la section et des diverses sous-sections des deux Savoie. N'oublions pas les dames italiennes, anglaises et françaises dont la présence embellit la fète et lui donne un cachet tout particulier d'élégance et de bon ton. Le menu du festin défile, interverti parfois par les assauts d'appétits fougueux, arrosé par les meilleurs crus de la Combe de Savoie, où n'en déplaise aux endurcis il croit autre chose que des chardons et de la mauvaise herbe...

Enfin, duement lestés et réconfortés, comme des dilettanti, les convives s'apprêtent à écouter, après la musique des choeurs, l'harmonie des toasts, qui ne doit pas tarder à éclater avec la mousse de l'Altesse pétillant au fond des verres...

A tout seigneur, tout honneur...

La parole est donnée à M. Camille Dunant qui prononce, aux applaudissements de l'auditoire, ce discours où la largeur et l'élévation des pensées le disputent à l'atticisme de la forme:

<< Messieurs et chers collègues,

« Les idées fécondes, comme les plantes vivaces, germent dès qu'elles rencontrent le sol et la température qui leur conviennent. La pensée de former une association pour affronter et explorer les hautes cimes est née sur les bords d'un lac, au sein des Alpes helvétiques. La Suisse, l'Italie, la France et l'Amérique ont vu successivement les Sociétés alpines s'implanter et grandir sur les rives de leurs fleuves, aux pieds de leurs montagnes. Les habitants de la plaine et des régions élevées se sont rencontrés sur les terrasses qui dominent les vallées et les lacs, sur les pentes déchirées des glaciers. Ils ont été saisis d'étonnement et d'admiration en présence de cette révélation nouvelle de l'œuvre de Dieu, qu'ils n'avaient entrevue que du fond des vallées.

«Ils ont cherché, armés du flambeau de la science, à pénétrer les secrets de ces masses titaniques qui semblent défier le ciel ; ils ont appris qu'elles portent dans leurs flancs mystérieux, l'abondance ou la dévastation. Nul ne saurait être indifférent à leurs phénomènes auxquels les destinées de l'homme se rattachent de si près. Ces monts autrefois maudits, objets de répulsion et de terreur, sont devenus de nos jours une source de jouissances, un attrayant sujet d'études, un puissant moyen de régénération, un lien social.

«C'est l'attraction qu'ils exercent sur le penseur, le savant, le poète, l'artiste, sur tous les esprits élevés, qui a réuni dans cette agape fraternelle des alpinistes de différentes nations.

«Nous devons tous, Messieurs, un tribut de vive

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reconnaissance aux premiers fondateurs et aux apôtres de notre institution, qui se distinguent par ces trois précieuses qualités qu'on trouve rarement unies dans les œuvres humaines: l'agréable, le moral et l'utile.

<< Pour nous, membres de la sous-section d'Annecy, nous n'oublierons jamais que nous lui devons l'insigne honnenr d'avoir convié tant d'hôtes aimables et distingués à la première fête internationale des Clubs Alpins qui ait lieu sur le territoire français.

Merci à vous tous, Messieurs et chers collègues, qui avez résisté aux séductions des fêtes qui vous sollicitaient de toutes parts, pour venir affirmer et proclamer le culte que nous professons pour la montagne et vous confier à notre modeste hospitalité. « Je porte un toast reconnaissant :

« Aux dames qui embellissent par leur présence nos tournois alpestres et qui, entrant dans la lice, méritent souvent les couronnes qu'elles sont appelées à décerner;

<< Au digne représentant de l'Alpine-Club, la plus haute expression de l'alpinisme;

<< A nos vaillants collègues de la Suisse, qui ont élevé leur association à la hauteur d'une institution nationale, à leur président si dévoué;

« A nos anciens compatriotes d'Italie, promoteurs de la réunion internationale du Mont-Cenis, que nous sommes heureux de voir parmi nous; à l'Italie, cette terre féconde où l'alpinisme produit à la fois, comme ses orangers, des fleurs et des fruits déjà mùrs;

<< A toutes les sections du Club-Alpin français, si bien représenté par ses administrateurs et son honorable président, l'un de ses premiers fondateurs, son habile et ferme soutien, qui, ayant fait connaître et aimer la France et les pays voisins par ses œuvres, est un heureux trait d'union entre les touristes des différentes nations;

« A la presse, dont nous réclamons le patriotique et puissant appui pour combattre le fléau du sédentarisme qui désole le beau pays de France;

« A cette jeune caravane scolaire que nous avons vue avec bonheur arriver dans nos rangs, comme l'avant-garde de la pacifique armée qui doit envahir un jour nos contrées montagneuses;

<Aux édiles de notre cité, aux sociétés musicales, à tous nos concitoyens qui ont apporté un concours dévoué à notre fête, qui est aussi la leur.

« Guidés par le sentiment d'une véritable fraternité, unissons, Messieurs, tous nos efforts pour répandre le goût salutaire des montagnes, pour en faciliter l'accès, y créer un refuge contre les tempêtes et les dissensions politiques, plus redoutables que les orages de la nature, pour resserrer plus étroitement les liens qui nous unissent, pour former de jeunes touristes qui puissent supporter les saines fatigues de la marche, qui sachent gravir et défendre les remparts naturels de la patrie et s'élever toujours plus haut dans les régions sereines de la science et du devoir. »

M. Joanne se lève à son tour et répond au Président du Club-Alpin d'Annecy par ces paroles, où débordent l'esprit et le cœur:

<< Mesdames et Messieurs,

Je suis plus touché et plus reconnaissant que je

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