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examen et à leur appliquer, s'il y a lieu, des remèdes opportuns. Nous voulons cependant, compter sur l'équitable impartialité des hommes qui président aux destinées de la France, et sur la droiture et le bon sens qui distinguent le peuple français. Nous avons la confiance qu'on ne voudra pas perdre le précieux patrimoine moral et social que représentent les Congrégations religieuses; qu'on ne voudra pas, en attentant à la liberté commune par des lois d'exception, blesser le sentiment des catholiques français, et aggraver les discordes intérieures du pays, à son grand détriment.

Une nation n'est vraiment grave et forte, elle ne peut regarder l'avenir avec sécurité que si, dans le respect des droits de tous, et dans la tranquillité des consciences, les volontés s'unissent étroitement pour concourir au bien général. Depuis le commencement de Notre Pontificat, Nous n'avons omis aucun effort pour réaliser en France cette œuvre de pacification qui lui aurait procuré d'incalculables avantages, non seulement dans l'ordre religieux, mais encore dans l'ordre civil et politique.

Nous n'avons pas reculé devant les difficultés, Nous n'avons cessé de donner à la France des preuves particulières de déférence, de sollicitude et d'amour, comptant toujours qu'elle y répondrait comme il convient à une nation grande et géné

reuse.

Nous éprouverions une extrême douleur si, arrivé au soir de Notre vie, Nous Nous trouvions déçu dans ces espérances, frustrė du prix de Nos sollicitudes paternelles et condamné à voir, dans le pays que Nous aimons, les passions et les partis lutter avec plus d'acharnement, sans pouvoir mesurer jusqu'où iraient leurs excès, ni conjurer des malheurs que Nous avons tout fait pour empêcher et dont Nous déclinons, à l'avance, la responsabilité.

En tout cas, l'œuvre qui s'impose en ce moment aux évêques français, c'est de travailler, dans une parfaite harmonie de vues et d'action, à éclairer les esprits pour sauver les droits et les intérêts des Congrégations religieuses, que Nous aimons de tout Notre cœur paternel, et dont l'existence, la liberté, la prospérité importent à l'Eglise catholique, à la France et à l'humanité.

Daigne le Seigneur exaucer Nos voeux ardents et couronner les démarches que Nous faisons depuis longtemps déjà pour cette noble cause! Et, comme gage de Notre bienveillance et des faveurs divines, Nous vous accordons, bien-aimé Fils, à vous, à tout l'épiscopat, à tout le clergé et à tout le peuple de France, la Bénédiction apostolique.

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 23 décembre de l'an 1900, de Notre Pontificat le vingt-troisième.

LEON XIII, PAPE.

LA CHARITÉ AVANT 1789

La charité, c'est-à-dire le don que l'on fait à autrui sans y être contraint par aucune loi humaine, de ses efforts ou de son bien, est surtout une vertu chrétienne, mais elle est aussi le lien nécessaire des sociétés seulement humaines. On affecte aujourd'hui de lui faire la guerre, on a même effacé son nom pour y substituer celui d'assistance, qui a le mérite de n'avoir pas un air religieux; on prétend, et l'on est étonné d'entendre. même des catholiques soutenir de pareilles choses, que la charité est une vertu vieillie et convenable aux âges passés; on la remplacera par la mutualité, par l'assurance, c'est-à-dire, au fond, par des institutions plus ou moins imposées par la loi et dirigées par l'Etat.

Or celles mêmes de ces institutions qui ne sont pas gérées par des fonctionnaires et aux frais du public ne se soutiennent que grâce à la charité de personnes généreuses. On a effacé le nom de charité, on n'a pu supprimer la chose. Prenons les sociétés de secours mutuels; elles datent du siècle actuel, elles sont adaptées aux idées modernes, puisqu'en apparence ce sont des associations dont les membres se garantissent mutuellement des secours en cas de maladies, c'est-à-dire reçoivent s'ils sont malades des secours qui ne font que représenter les cotisations par eux versées périodiquement; mais lisez les statistiques qui les concernent et notamment les rapports annuels qui montrent en détail leur situation et vous verrez qu'en effet ces sociétés ne vivent que grâce aux versements des membres honoraires, c'est-à-dire de gens qui ne profitent point des versements qu'ils font, et dont les cotisations annuelles sont de véritables charités 1.

Il résulte du rapport officiel pour l'année 1895 que j'ai sous les yeux (les différences entre les divers rapports sont faibles et ne portent pas sur les proportions) que les cotisations des membres honoraires dans les socié

D'autres institntions qui sont, par le dehors au moins, des institutions d'affaires et non de charité : Sociétés d'habitations ouvrières, de restaurants à bon marché, Sociétés coopératives mêmes, réussissent uniquement parce qu'il se trouve quelques hommes dévoués qui donnent gratis leur temps, leurs soins, leur peine (et leur argent parfois) sans compter. Qu'est-ce que cela, sinon faire la charité? On peut se récrier sur le mot, on ne peut contester que la chose y soit et pleinement.

Voilà, un peu trop en bref peut-être, et pour répondre aux récriminations inconscientes de notre époque, ce qu'est la charité tout entière; prenons-la, et c'est le but de notre Congrès, en la limitant aux secours qu'elle donne aux malheureux.

La charité ainsi entendue est bien d'origine chrétienne. Les juifs la connaissaient, mais ils n'avaient aucune de ces institutions durables que les chrétiens ont érigées avec une grande abondance et une générosité inépuisable même lorsqu'ils étaient encore persécutés.

Ces institutions étaient une singulière nouveauté pour les peuples païens, même les plus policés, comme étaient ceux de Rome et de la Grèce. Chez ces peuples on avait peu de souci des malheureux et les philosophes qui passaient parmi eux pour donner la lumière ne croyaient pas qu'il y eût aucun devoir à remplir de ce côté.

tés approuvées (les plus nombreuses de beaucoup) avaient donné 2.346.903 fr. et celle des membres participants, 14.833.932 francs. La dépense moyenne, profitable naturellement aux seuls participants, avait été pour les hommes de 19 fr. 35 et pour les femmes de 16 fr. 02. Or leurs cotisations avaient été respectivement de 14 fr. 91 et 10 fr. 68. Les charités des membres honoraires avaient parfait le plus gros de la différence.

1

On remarquera aussi que les membres honoraires sont presque uniquement des personnes généreuses n'ayant aucun rapport professionnel avec les membres participants. Ceci soit dit pour répondre à ce que l'on dit quelquefois (et fort injustement d'ailleurs): « Les patrons, en établissant pour leurs ouvriers des caisses de secours ou de retraites, ne font que leur donner un supplement de salaires. >

Voir les origines de la charité catholique par l'abbé Tollemer. Paris 1863.

Sapiens non miseretur, écrivait l'un des plus illustres et Julien l'Apostat était obligé de dire à ceux de son culte : « non seulement les chrétiens secourent leurs pauvres, mais ils secourent encore les nôtres que nous abandonnons. »>

Pour venir au moyen âge, car il faut passer vite et prendre l'époque où la société française commence à avoir de la fixité, et où nous avons des documents écrits en assez grand nombre, soit vers les XII et XIIIe siècles, nous trouvons la charité en grand honneur. Non seulement les fidèles de tous ordres la pratiquent à titre individuel, mais beaucoup d'entre eux ne veulent pas se contenter d'une aumône une fois faite, ils veulent constituer une aumône perpétuelle, et alors apparaissent les fondations. Le fondateur donne un capital, par exemple une maison pour y recevoir des malades pauvres à perpétuité et il donne des terres avec des bâtiments de ferme pour que leur revenu serve à l'entretien de la maison, des malades qu'on y recevra et du personnel chargé de les soigner. D'autres donateurs ajouteront des dons pour accroître ce capital ou le refaire s'il venait à diminuer comme étendue ou comme rendement.

Quelle était, en droit, la situation des fondations? Il n'y avait à cette époque aucune législation générale, aucun code, mais beaucoup de coutumes plus ou moins contestées dans la pratique, et un certain nombre de chartes écrites obtenues du pouvoir public par des corporations ou des individus, et qui étaient comme autant de lois concernant chacune un intérêt particulier. Obtenir une charte était le seul moyen d'avoir une règle de droit certaine et positive. Les fondateurs demandaient donc une charte, mais ils la demandaient au pouvoir ecclésiastique considéré alors comme seul compétent dans toutes les questions relatives à la bienfaisance. C'était l'Ordinaire, c'est-à-dire l'évêque qui donnait la charte après enquête. Mais lorsqu'une autorité plus haute se rencontrait, les fondateurs s'adressaient à elle volontiers; ainsi pendant le séjour des papes à Avignon, les riverains leur demandèrent plusieurs fois d'approuver des

chartes de fondations, ce qui semble leur avoir été accordé sans difficulté.

Ces chartes n'étaient pas soumises à l'approbation du pouvoir laïque. Celui-ci se bornait à en assurer au besoin l'exécution, ou encore à donner aux fondations certains avantages matériels, comme des dispenses d'impôts ou même la jouissance de certaines taxes.

La foi profonde de cette époque servie par une législation aussi commode, avait multiplié les institutions de secours. La France du XIII° siècle avait plus de 2.000 léproseries et on n'en comptait pas moins de 19.000 dans la chrétienté. Le nombre des hôpitaux et hospices paraît avoir été plus grand qu'il n'est aujourd'hui, surtout dans les campagnes où de nos jours ils manquent absolument. M. d'Arbois de Jubainville, archiviste de l'Aube, a compté au XIIe siècle, dans les limites de ce département, 62 hôpitaux, dont 21 dans les campagnes. Aucun de ces derniers n'existe plus. Claudio Jannet en relevait 40 dans le département actuel de l'Aveyron, presque tous disparus. Un archiviste de la Loire-Inférieure, M. Maistre, recensait dans un savant ouvrage et pour le seul comté de Nantes, 231 maladreries en ajoutant: J'ai la conviction que mon énumération n'est pas complète '. »

Les hôpitaux étaient fort petits d'ordinaire, et souvent ils contenaient une salle servant à l'hospitalité de nuit, alors très répandue. Ces sortes de fondations si nombreuses qu'on en trouve dans de très petites localités rurales étaient provoquées par l'extrême facilité qu'il y avait à les établir. Souvent même, on ne s'inquiétait pas au début d'obtenir une charte ni de remplir une formalité quelconque. Une personne charitable re

Qu'il me soit permis de renvoyer ceux qui voudraient de plus grands détails sur cette question très intéressante à mon travail sur la Charité avant et depuis 1789 dans les campagnes de France. Paris, Guillau min, 1890. Couronné par l'Institut.

* Souvent aussi, lorsqu'il s'agissait d'un hameau, le même bâtiment contenait avec une salle pour quelques malades, une salle d'école et une chapelle et la fondation comprenait l'entretien d'un chapelain qui disait la messe et enseignait les enfants du lieu.

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