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QUELQUES POINTS DE MORALE JESUITIQUE

M. TROUILLOT A LA SÉANCE DU 24 JANVIER 1901

M. Trouillot, rapporteur du Projet de Loi sur les Associations, ancien élève des Jésuites de Dôle, a voulu se donner le triste plaisir de traîner dans la boue les prêtres qui l'ont élevé.

Il est certains cœurs à qui pèsent si lourd les services reçus!

Il a donc réédité, pour les jeter en pâture à l'ignorante crédulité de ses collègues et des foules, les vieilles calomnies accumulées depuis trois siècles dans les nombreux pamphlets publiés contre eux; il a rappelé, aux applaudissements de l'Extrême Gauche, l'arrêt de 1762 par lequel le Parlement de Paris, heureux de satisfaire ses rancunes séculaires, les condamnait comme «< cor<«< rompant les bonnes mœurs, excusant le parjure, <«<l'imposture, la calomnie..., ouvrant la voie au vio«<lement de toutes les lois et à des carnages horri«bles... contraires au droit naturel, au droit divin, au << droit positif et au droit des gens ». Il a soutenu que les congrégations, les Jésuites surtout, « sont parvenus

à compromettre de la façon la plus grave le rôle de «<l'Eglise, son enseignement, sa doctrine et jusqu'au «< culte lui-même »; et, cette assertion étrange, il a prétendu la prouver sans réplique. A l'aide de quels arguments, on le sait. S'emparant d'un manuel de théologie rédigé par des prêtres de Saint-Sulpice et en usage dans plusieurs séminaires, il s'en est fait une arme contre les Jésuites, et il a développé contre eux, avec force citations, son réquisitoire indigné : « La thèse de << la restriction mentale qui permet le mensonge, a-t-il «dit, la direction d'intention qui permet tous les mé

faits, le probabilisme qui les justifie, c'est-à-dire qui « institue à côté de l'honnêteté véritable, à côté de ◄ l'honnêteté des braves gens, une fausse honnêteté

<«< pour les coquins, cette thèse abominable et publique«ment indéfendable est aujourd'hui celle de l'Eglise, <«<et est enseignée dans soixante-sept séminaires de <«< France. Il est impossible, ajoutait-il plus loin, à «une Chambre française, d'entendre sans inquiétude et « sans émotion ce qui s'enseigne aujourd'hui dans les << séminaires de France, et d'apprendre à quel point la « doctrine jésuite, condamnée par les Papes, par l'Eglise <«< elle-même, a fini par la pénétrer. »

Ce n'est pas seulement la Chambre, mais tous les catholiques du monde, qui auraient le droit d'être émus et inquiets, s'il était vrai qu'une doctrine « flétrie par la conscience universelle » fût devenue celle de l'Eglise. Mais M. le rapporteur comprendra qu'ils n'acceptent pas sans contrôle d'aussi stupéfiantes affirmations. Une chose déjà les rassure, ainsi que les amis des Jésuites : c'est cet aveu même, que leur morale ne se distingue pas de la doctrine universellement reçue dans l'enseignement théologique. S'il en est ainsi, et M. Trouillot l'avoue sans vergogne, on a peine à croire que son indignation soit sérieuse; car, enfin, qui donc avait pensé avant ce député austère, que la morale catholique fût vraiment « flétrie par la conscience universelle » ; et comment expliquer cette perpétuelle floraison de charité et de dévouements sublimes, que produit spontanément cette racine empoisonnée? Examinons donc de sangfroid les arguments apportés par M. Trouillot à la démonstration de sa thèse. Le travail, pour qui le voudrait faire complet, serait long et peu intéressant, car tout esprit droit se rebute en face d'équivoques et de sophismes accumulés; je désire seulement relever ici les plus grossières de ces erreurs, je n'ose dire de ces calomnies: ce sera suffisant pour faire juger l'œuvre et l'homme.

Je m'arrête d'abord devant l'étrange outrecuidance d'un laïque ignorant des choses d'Eglise qui prétend faire la leçon au Souverain Pontife, et le convaincre d'ignorance, presque de mauvaise foi. S'il est une pose ridicule et un peu bien grotesque, c'est l'attitude de

cet avocat tranchant du Docteur infaillible, et criant de loin au Chef de l'Eglise Saint-Père, vous n'y entendez rien. Prétendre que les Congrégations font partie essentielle du catholicisme et sont indispensables à sa prospérité à quelle misère d'argumentation n'en êtesvous pas réduit, pour soutenir une aussi grossière erreur! Tout au contraire. « La vérité est que les Congrégations font le plus grand tort à l'Eglise et la compromettent de la façon la plus grave; sur tous les points leurs intérêts se repoussent. Pareil langage ne se rẻfute pas il suffit de le citer.

Examinons d'abord, parce qu'elle exige moins d'explications, l'assertion de M. Trouillot sur le mariage. J'emprunte le passage à l'Officiel.

D'après l'Eglise, le mariage est indissoluble, vous le savez. Il y a quelque temps, s'est posée dans la presse, la question de savoir si le législateur en viendrait à autoriser la rupture du lien conjugal par la volonté d'un seul. J'ai appris dans le volume que j'ai ici (la Théologie de Vincent) que cette thèse était d'avance celle de l'Eglise. Quand il s'agit du mariage des infidèles, c'est-à-dire de ceux qui ne professent pas la religion catholique, il suffit de la volonté d'un seul pour rompre le mariage. »

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Abominable doctrine, en vérité. Mais elle n'existe nulle part, si ce n'est sur les lèvres du rapporteur. Il est faux que l'Eglise déclare indissoluble tout mariage, quel qu'il soit. La seule union dont elle affirme l'absolue fixité, est le mariage consommé entre chrétiens, s'il a été contracté dans les conditions voulues par le Droit Canon.

Il est faux que l'Eglise regarde comme infidèles tous ceux qui ne professent pas la religion catholique. Quiconque n'a pas oublié totalement son catéchisme sait

Notons que le rapporteur parle avec insistance du P. Vincent, avec l'évi dente intention de le faire passer pour un Jésuite. Or le manuel a pour titre Theologia dogmatica et moralis, in compendium redacta, anctore A. Vincent presbytero S. Sulpitii - et le rapporteur l'avait sous les yeux!!

XXIX-I

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très bien que ce terme désigne les non-baptisés, juifs, musulmans ou païens; et ceux-là seulement. Or, ces non-baptisés, s'ils viennent à se convertir, jouissent d'un privilège connu en théologie sous le nom de Privilège Paulinien, parce qu'il a été proclamé par l'apôtre saint Paul; et personne ne croira, je pense, que le 7° chapitre de la 1re Epître aux Corinthiens où il est exposé, ait été altéré par quelque Jésuite. Que dit saint Paul? Qu'un infidèle converti devient libre de contracter une nouvelle union, quand l'autre partie, demeurée païenne, se refuse obstinément à vivre en paix avec lui. Tel est le Droit de l'Eglise depuis ses origines; et dans les pays de mission, il a toujours été et demeure aujourd'hui un des moyens les plus efficaces, et souvent même le seul capable de détruire une polygamie invétérée, et de fonder sur ses ruines des familles fortes et chrétiennes. Mais voilà! traduit par M. Trouillot, saint Paul se transforme en partisan de l'amour libre prôné par les anarchistes. Ah! M. le rapporteur, ne forçons point notre talent!

Il n'y a là, direz-vous, qu'une erreur de détail. Soit! abordons la question délicate, celle qui vous a valu tant d'applaudissements enthousiastes, la fameuse doctrine de la simulation et des restrictions mentales. Ici encore, je cite d'après l'Officiel.

« Voici des leçons sur la simulation et sur l'hypocrisie. La simulation, si elle se traduit par des actes, non des paroles, factis non verbis, n'est pas un vrai mensonge. La raison en est que les actes ne sont pas par leur nature, ainsi que les paroles, destinés à signifier quelque chose ». Et le rapporteur conclut : « Donc l'obligation n'est pas la même de répondre sincèrement par les actes et par les paroles. A une question à laquelle vous devez répondre oui; vous répondez: non! vous commettez un péché, vous faites un mensonge; mais si vous faites un geste de dénégation, vous ne commettez aucun péché. »

Soyons charitable et rejetons sur la seule ignorance de M. Trouillot les confusions sophistiques amassées

dans ce peu de phrases. Il affecte de voir une leçon d'hypocrisie dans cette définition: La simulation, si elle se traduit par des faits, n'est pas un mensonge proprement dit. Quoi de plus vrai, pourtant? Le faux mendiant qui simule une infirmité trompe; il ne ment pas. Le voleur qui, dans une église, feint de prier avec ferveur, et guette de l'œil l'occasion de faire un portemonnaie, trompe, lui aussi; mais il ne ment pas. Les ruses de guerre sont des tromperies et non des mensonges; certain héros de la Commune de Paris, fuyant déguisé en prêtre les soldats versaillais, commettait un acte de simulation; il ne mentait pas. Je ne prétends pas que toute tromperie soit licite, loin de là; mais il est nécessaire en théologie, comme dans toute autre science, de définir exactement les termes; or, simulation et mensonge diffèrent par l'excellente raison donnée plus haut c'est que les faits, l'emprunt d'un costume étranger par exemple, ne sont pas comme les paroles, naturellement destinés à traduire la pensée. Mais il en va tout autrement du geste qui, de sa nature, est bien l'expression d'un sentiment ou d'une idée. Le geste est un vrai langage, et on peut mentir par le geste aussi bien que par la langue. La conclusion tirée par le rapporteur est immorale, c'est vrai; mais il en a seul la responsabilité.

Suivons-le maintenant sur le terrain des restrictions mentales. Là, du moins, il paraît traduire le Manuel de Clermont littéralement, trop littéralement même; car c'est commettre un non-sens que de rendre l'expression latine late mentales par « largement mentales »'. Il eut fallu dire improprement dites, car les théologiens n'en permettent pas d'autres, et le Manuel affirme expressément dans sa première thèse que les restrictions

1 Un peu plus loin, M. Trouillot commet encore un contre-sens. Il traduit le mot privatis les particuliers (par opposition aux hommes publics prêtre, avocat, médecin) par : les choses privées. On demande si la même restriction est permise dans les choses privées. Quacritur en cadem restrictio possit adhibert a privatis. Rendre a privatis par dans les choses privées ! Un élève de 5o serait plus exact.

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