Page images
PDF
EPUB

ficiaires de la fondation. Mais là il y a deux points à préciser.

115. Le sujet actuel de la propriété n'est pas, comme quelques-uns l'ont écrit, l'ensemble de bénéficiaires vivants et futurs. Les bénéficiaires futurs seront sujets de la propriété lorsqu'ils existeront, mais en attendant, n'étant rien, ils n'ont aucun droit. Le sujet actuel de droit c'est seulement l'ensemble des bénéficiaires vivants, nous voulons dire tous les bénéficiaires vivants. Mais les bénéficiaires vivants ont la charge de communiquer la propriété aux nouvelles personnes qui viendront à remplir les conditions voulues pour être bénéficiaires, notamment la condition de vivre.

116. Par bénéficiaires, il ne faut pas entendre seulement, comme le font la plupart, les personnes qui en fait appliqueront les biens de la fondation à tel de leurs besoins déterminé par le fondateur : il faut entendre les personnes qui réunissent les conditions de domicile, de résidence, de nationalité, d'âge, etc., prescrites expressément ou tacitement dans l'acte de fondation et moyennant lesquelles on a la faculté d'appliquer la fondation au besoin prévu, s'il vient à se produire.

En d'autres termes, les bénéficiaires sont tous ceux qui, d'après les intentions exprimées ou sensibles du fondateur, sont actuellement susceptibles d'en user si le besoin auquel elle pourvoit vient à se produire chez eux.

Le fondateur leur donne tel bien pour en appliquer l'usage et les revenus à tel de leurs besoins quand il se produira.

Avant même que le besoin existe chez eux, ils bénėficient de la fondation, car elle est pour eux un élément de sécurité, de confiance; c'est une richesse en réserve pour le jour où ils auront besoin d'en user matériellement.

L'hôpital fondé par un particulier pour recevoir les malades d'un canton n'est pas, suivant nous, une donation faite seulement aux malades. Il peut se faire qu'il n'y ait point, soit au début, soit par intervalles, de malades dans ce canton, et, si l'on regardé seulement les malades comme bénéficiaires de la fondation, le sujet du

droit pourrait donc faire défaut. C'est une donation faite à tous les habitants du canton pour qu'ils en usent quand ils seront malades.

117. La réalité complète, c'est donc que le sujet de droit est l'ensemble des personnes vivantes qui sont actuellement susceptibles d'user de la fondation si le besoin auquel elle veut pourvoir vient à se produire chez elles; ou, plus brièvement, et le mot bénéficiaires étant bien défini, c'est l'ensemble des bénéficiaires vivants.

118. Toutes ces personnes sont copropriétaires des biens de la fondation, mais avec plusieurs charges ou conditions la charge de n'appliquer l'usage et les revenus de ces biens qu'au besoin indiqué par le fondateur, - la charge d'en communiquer la propriété aux nouvelles personnes qui rempliront les conditions voulues pour être bénéficiaires, la condition d'abandonner sa part ipso facto si l'on cesse de les remplir.

[ocr errors]

119. La fondation directe s'analyse donc en une libéralité avec charges faite à un vaste ensemble de personnes vivantes, déterminées ou déterminables : à tous les habitants d'une cité, d'une province, à tous les membres d'un Etat, parfois à tous les hommes.

Une telle fondation, faite par testament, n'est jamais caduque faute de légataire vivant et capable.

120. Cette masse de destinataires de la libéralité, qui est parfaitement apte à être propriétaire et à recevoir, est difficilement apte à manifester sa volonté d'accepter le don et à en régler l'administration si le fondateur ne l'a pas lui-même réglée.

C'est là que le législateur doit intervenir pour écarter des difficultés purement pratiques.

Il doit ou désigner une autorité sage et impartiale, qui, après avoir examiné le degré d'utilité de la fondation, l'acceptera ou la refusera pour les innombrables destinataires, et, en cas d'acceptation, l'organisera; — ou, mieux encore, fixer dans une loi les conditions générales moyennant lesquelles la fondation sera présumée acceptée par l'ensemble des destinataires et les règles suivant lesquelles elle sera administrée.

121. Il doit faire pour cette foule, qui ne peut guère exercer elle-même ses droits, ce qu'il fait pour les enfants et pour les insensés, qui ne peuvent pas du tout exercer les leurs il doit organiser un moyen simple et sage de les exercer à sa place.

Nul ne s'est jamais avisé de dire que les dons et legs adressés aux enfants et aux fous sont contre nature parce que les destinataires ne peuvent les accepter euxmêmes. Nul ne s'est avisé de dire que le législateur a le droit de regarder ces libéralités comme nulles, de les priver systématiquement d'efficacité. Nul ne s'est avisé de soutenir qu'il a le droit de les confisquer après l'acceptation du tuteur, sous prétexte que leur validité serait tout artificielle et dépendrait d'un mécanisme que la loi a pu créer et qu'elle peut détruire.

Il faut penser de la même manière au sujet des fondations, des libéralités, que les destinataires, à cause de leur nombre, peuvent difficilement ou ne peuvent pas accepter eux-mêmes.

122.- Toutes ces idées recevront des développements et leur achèvement dans la troisième partie de cet

ouvrage.

123.

Il n'est donc pas besoin, encore une fois, d'une personne fictive pour soutenir la fondation : elle appartient à des milliers de personnes réelles, associées par l'acceptation qu'elles ont faite ou qu'elles sont légitimement présumées avoir faite de la libéralité.

124.

Nous venons de laisser entrevoir, pour la seconde fois, une vérité importante et sur laquelle il y a lieu d'insister.

La fondation engendre une association, une association aux contours vastes, mobiles, une association très légère, à peine sensible pour les associés, mais réelle, incontestable.

Toute donation avec charges adressée à plusieurs et acceptée par eux associe les donataires.

Or la fondation est une donation avec charges, adressée à plusieurs, à beaucoup, et acceptée par eux d'une façon ou d'une autre.

In actu, la fondation est une donation; in habitu, c'est une association.

125. Cette association est de celles qui, à cause de leur ampleur, sont forcément soumises au régime que nous appellerons le régime personnifiant.

Tout s'y passe comme si tous les associés comme tels ne formaient qu'une seule personne ayant pour tout patrimoine l'avoir social, le capital de la fondation.

Nous personnifierons donc, nous aussi, la fondation, mais d'une tout autre manière que l'Ecole.

La personne fictive que nous verrons en elle sera bien une personne fictive, n'ayant aucune réalité ni en droit ni en fait; elle sera une simple hypothèse doctrinale; elle sera un composé imaginaire de tous les associés; elle sera, pour la forme seulement, pour les besoins de la pensée et du langage, censée propriétaire, créancière, débitrice, de ce dont ils sont seuls vraiment propriétaires, créanciers, débiteurs; elle ne sera qu'un moyen de les indiquer comme associés, de résumer leurs droits et leurs obligations d'associés; elle ne sera qu'euxmêmes désignés en bloc par une figure; elle sera une résultante, une projection; elle ne sera la cause de rien. - Tandis que l'Ecole loge dans la fondation une personne fictive qui n'est pas vraiment fictive, qui existe en droit, qui est créée par le législateur, qui est seule et vraie propriétaire, créancière, débitrice, qui n'est point la représentation de personnes véritables et qui est la cause ou le moyen indispensable de l'efficacité de la fondation.

(A suivre.)

Mis DE VAREILLES-SOMMIÈRES.

LES BIENS DES CONGREGATIONS NON RECONNUES peuvent-ils être considérés comme des biens vacants et sans maîtres?

En achevant d'étudier l'enquête gouvernementale sur le prétendu milliard des congrégations', nous annoncions l'intention de rechercher si, à défaut du péril imaginaire de la mainmorte qui ne trompe plus personne, des considérations juridiques pouvaient servir de prétexte aux mesures de spoliation proposées. Le travail se trouve aujourd'hui singulièrement facilité. Dans une consultation publiée par La Gazette des Tribunaux (no du 28 février 1901), M. Henri Barboux, ancien bâtonnier des avocats à la Cour de Paris, vient, en effet, de faire des théories développées par MM. Brisson, Trouillot et Waldeck-Rousseau, une exécution magistrale. Les anciens bâtonniers à la Cour de Paris, MM. Edmond Rousse, Bétolaud, Cresson, du Buit, Cartier, Pouillet, Ployer, et les anciens présidents de l'ordre des avocats à la Cour de cassation, MM. Bellaigue, Brugnon, de Valroger, Périer, Sabatier, Georges Devin, se sont associés à ses conclusions par des adhésions individuellement motivées de telle sorte qu'aujourd'hui, selon l'heureuse expression qu'appliquait à M. Barboux M. le bâtonnier Ployer « la démonstration a épuisé l'évidence juridique. »

Il ne nous reste donc plus guère qu'à reprendre et à résumer les principaux arguments déjà invoqués, en nous bornant à ajouter quelques considérations nouvelles tirées de la loi du 24 mai 1825 et de la jurisprudence gouvernementale invariablement appliquée à toutes les reconnaissances d'utilité publique.

Revue cath. des Instit. et du Droit, février 1901, p. 124-137.

« PreviousContinue »