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NOTE

SUR LA VALEUR RÉELLE DES BIENS DES CONGRÉGATIONS

ET

SUR LA CAISSE DE RETRAITE DES TRAVAILLEURS

L'article 14' du projet de loi Waldeck-Trouillot divise en deux parts les biens ayant appartenu aux associations dissoutes.

La première part se compose d'abord des biens appelés à faire retour à ceux qui les possédaient avant d'être associés ou qui, devenus associés, les ont acquis par héritage; puis des biens appelés à faire retour soit à des donateurs, soit aux ayants droit de donateurs ou testateurs*.

La seconde part se compose des biens qui, ne pouvant être réclamés par de tels ayants droit, devront être mis à la disposition de l'Etat pour être affectés à la dotation d'une caisse de retraite des travailleurs.

Quelque louable que puisse être un emploi de fonds, il ne saurait être permis de se les procurer en s'emparant du bien d'autrui, et il serait singulier à coup sûr de voir ceux qui se sont faits, contre de prétendues défaillances de la casuistique, les rigides défenseurs de la plus sévère morale, prendre à leur compte, pour la mettre en pratique, la maxime fameuse la fin justifie les moyens.

Mais cette question primordiale écartée, reste à examiner quels résultats seront obtenus, grâce à la spolia

Il s'agit de l'article 14 du rapport, de nouveaux articles peuvent encore être intercalés avant le vote de la loi.

Les auteurs du projet ne s'expliquent pas au sujet des dettes de toutes sortes dont sont grevées les biens des congrégations; dettes dont le paiement réduira dans de larges proportions l'actif à répartir conformément aux prescriptions de l'art. 14.

tion projetée, et, en un mot, ce que vaut l'opération financière soumise au vote du Parlement.

Et d'abord quels biens seront mis à la disposition de l'Etat de quoi se composent les patrimoines des associations dissoutes ?

La très grande majorité de ces associations sera formée par les congrégations, les associations laïques n'ont guère de chefs à l'étranger et leurs membres ne vivent pas en commun. Tout d'ailleurs porte à croire que ces associations laïques, tombant sous le coup des prescriptions de l'article 11 obtiendront facilement les autorisations sollicitées'. Il est donc permis de se préoccuper avant tout des patrimoines ayant appartenu aux congré gations; ce sont eux qui, en fait, sont appelés à constituer la caisse de retraite des travailleurs.

Sauf de très rares exceptions, ces patrimoines ne sauraient être considérés comme des capitaux productifs; tout dans leur constitution a été subordonné au but poursuivi par des religieux, la diffusion des doctrines et la pratique des conseils évangéliques. La très grande part des valeurs apportées, par des associés ou donateurs, a été transformée en immeubles dont les affectations sont absolument spécialisées.

Les Congrégations possèdent surtout des collèges et des établissements où l'assistance est pratiquée sous toutes ses formes. Or l'assistance et l'enseignement sont indispensables, il ne pourrait à leur égard être question de suppression; aussi deviennent-ils, quand nulle autre personne physique ou morale n'y peut pourvoir, des services pubics à la charge de l'Etat. L'Etat devra faire ce que faisaient les religieux, tout ce que faisaient les religieux ; il ne peut encore une fois s'agir de suppression mais seulement d'une substitution. Mais la gestion directe par l'Etat n'est-elle pas de toutes la plus coûteuse. Les lycées, on ne l'ignore plus, vivent de subventions;

L'Internationale ou la Franc-Maçonnerie comptent assez de membres dans les deux chambres pour être assurées d'obtenir une autorisation que, à vrai dire, elles se donneront elles-mêmes.

les pensions des élèves sont loin de couvrir les frais. d'administration et de traitements aux professeurs.

Il en est de même pour l'assistance publique ; l'intervention de fonctionnaires augmente les dépenses dont l'ensemble retombe alors à la charge de l'impôt. En un mot, les biens des congrégations mis entre les mains de l'Etat ne rendront plus, dans leur ensemble, la somme de services rendus, quand ils étaient entre les mains de leurs légitimes propriétaires.

La mesure des charges futures du budget ne sera pas toutefois limitée à la simple différence entre les frais de gestion par les congrégations et les frais de gestion par l'Etat; le projet de loi ne lui laisse pas les biens des congrégations, deux catégories de personnes sont, en effet, privilégiées à son égard. Il est prévu à l'article 14 que:

« ... Les valeurs appartenant aux membres des associations avant sa formation, ou qui leur seraient échues depuis, mais par la succession seulement, leur seront restituées.

«Les valeurs acquises à titre gratuit pourront être revendiquées par le donateur, ses héritiers ou ayants droit, ou par les héritiers ou ayants droit du testateur, pendant le délai d'un an à partir de la publication au Journal officiel du jugement de dissolution ou de l'acte de dissolution volontaire. >>

Cette première part, une fois distraite du patrimoine de la congrégation, l'Etat sera admis à s'emparer du surplus.

« ... Passé ce délai la propriété en sera acquise à l'Etat, ainsi que le surplus de l'actif, et affecté à la dotation d'une caisse de retraite des travailleurs » (art. 14).

Le gouvernement se trouve ainsi lié, les valeurs mises à sa disposition seront affectées à un usage nouveau légalement imposé. Le premier et principal résultat de l'application de la loi sera donc de mettre, non pour partie, mais bien en totalité, à la charge des contribuables, l'ensemble des services publics rendus par les congrégations.

On a parlé du milliard des congrégations; un tel

chiffre, s'il a été articulé de bonne foi, devrait, semblet-il, inspirer quelque crainte à ceux qui auront à combler le vide laissé après la liquidation ordonnée par la loi.

Mais au moins la spoliation laissera-t-elle autre chose que des ruines? L'œuvre nouvelle : la « caisse de retraite des travailleurs » pourra-t-elle être dotée?

Sans essayer d'évaluer quelle part des biens ne devra pas, après que tous les créanciers antérieurs au jugement ou à l'acte de dissolution, auront été désintéressés, faire retour aux ayants droit prévus à l'art. 14, on peut dire que cette part sera de peu d'importance, car le droit de produire ses titres s'étend, on se le rappelle, jusqu'aux héritiers des donateurs ou testateurs.

Faible proportionnellement à la valeur totale des patrimoines liquidés, la somme restant effectivement entre les mains de l'Etat, sera diminuée encore par une cause presque fatale: les conditions défavorables dans lesquelles seront effectuées les ventes. Supposons la loi votée le délai d'exécution est court, une masse considérable d'immeubles se trouve alors, d'un coup, jetée sur le marché ; une dépréciation générale devient inévitable, cette dépréciation sera supportée tout entière par l'Etat, dont la créance vient en quatrième et dernier rang1.

A cette première cause de mévente des biens des congrégations viendra s'en superposer une seconde qui n'a pas pour origine les circonstances accompagnant l'acte d'aliénation, mais la nature même des immeubles

vendus.

Les biens des congrégations ont reçu, en effet, des affectations très spéciales, et, dans la grande majorité descas, ne pourront être, sans frais considérables, aménagés pour d'autres usages. Qu'en faire? Des casernes ? le ministre de la guerre n'en a pas besoin et les collèges

L'Etat aura effectivement le quatrième rang car les créanciers anterieurs au vote de la loi ne sauraient être par elle déchus de leurs droits et devront être désintéressés les premiers.

ou hospices ne sont pas toujours dans les villes où se trouvent les garnisons. Des usines? les industriels en construisent là où se trouvent les matières premières ou les plus larges débouchés.

Mais une énumération paraît ici bien inutile, personne ne doute que les acquéreurs seront rares; et, s'il s'en présente, ils ne pourront manquer de tenir compte, dans leurs offres, des dépenses inévitables pour opérer des transformations matérielles devenues nécessaires. Il n'est donc pas permis de douter que les sommes consacrées par les religieux à la constitution de leurs patrimoines seront loin d'être récupérées; ces patrimoines représentent un capital qui n'a pas de valeur vénale, un capital qui ne se transforme pas, si ce n'est en se diminuant. On peut, dès lors, sérieusement se demander si, tant de causes de moins-values existant, quelque chose restera à l'Etat créancier du quatrième rang; on peut sérieusement se demander s'il restera matière à confiscation. Il demeure, en tout cas, hors de doute que la somme réalisée serait dérisoire, eu égard à la grandeur du résultat promis au suffrage universel : une « caisse de retraite des travailleurs », des travailleurs sans distinction, c'est-à-dire de tous les travailleurs. Le résultat de l'opération projetée sera donc d'avoir, à l'aide d'une promesse menteuse, d'une promesse impossible à tenir, rendu nécessaires de nouvelles. charges fiscales, destinées à pourvoir à des services publics jusqu'alors gratuits.

Les prétextes invoqués disparaissent, la raison de la loi, son motif vrai, la haine religieuse, pour l'appeler par son nom, se montre ici évident. Est-ce le fait d'hommes d'Etat soucieux seulement du bien du pays, de refuser le don du riche, de se priver de services gratuitement offerts par quelques-uns pour en imposer la charge à tous par la contrainte fiscale? Est-ce le fait d'hommes d'Etat économes des deniers publics, de liquider des patrimoines constitués pour des services indispensables; de détruire un capital accumulé par quelques-uns au profit de tous; de diminuer en un mot

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