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UN NOUVEAU DÉLIT PATERNEL

La Chambre des députés vient d'adopter d'urgence et sans débats un projet de loi qui touche à la puissance paternelle.

Il complète ainsi l'art, 354 du code pénal: « Quand il aura été statué sur la garde d'un mineur, par décision de justice, provisoire ou définitive, au cours ou à la suite d'une instance de séparation de corps ou de divorce, ou dans les circonstances prévues par la lois des 24 juillet et 19 avril 1898, le père ou la mère qui ne représentera pas ce mineur à ceux qui on le droit de le réclamer, ou qui, même sans fraude ou violence, l'enlèvera ou le détournera, ou le fera enlever ou détourner des mains de ceux auxquels sa garde aura été confiée, ou des lieux où ces derniers l'auront placé, sera puni d'un emprisonnement d'un mois à un an, et d'une amende de 16 à 5.000 francs. Si le coupable a été déclaré déchu de la puissance paternelle, l'emprisonnement pourra être élevé jusqu'à trois ans. »

Actuellement la seule condamnation possible, contre le père ou la mère, qui a, malgré une décision de justice, repris l'enfant dont la garde lui a été enlevée, est une condamnation à des dommages intérêts, généralement fixés à une certaine somme par jour jusqu'à ce que l'enfant soit rendu. Cette condamnation est toutefois illusoire lorsque le père, ou la mère, est sans fortune, on a mis sa fortune à l'abri des poursuites. Rechercher une sanction nouvelle semble donc assez naturel; mais nous croyons que le projet actuel n'apportera pas le remède attendu et qu'il sera, somme toute, plus nuisible qu'utile.

Deux peines sont établies. L'une, l'amende, est manifestement contraire à l'intérêt de l'enfant, qui ne peut

que perdre à l'appauvrissement de son père ou de sa mère Mieux vaut s'en tenir aux dommages-intérêts qui sont prononcés dans la législation actuelle.

Il est permis de se demander aussi, s'il ne sera pas souvent fâcheux pour l'enfant que son père soit condamné à l'oisiveté de la prison, à la ruine peut-être et que l'honneur du nom qu'il doit porter soit compromis. Admettons cependant que ce soit un moindre malet que l'on passe outre.

La loi étant acceptée en principe, encore faudrait-il prévoir les hypothèses, souvent fort délicates, dans lesquelles elle sera appliquée.

Une première question se présente : Qu'est-ce qui caractérisera le délit et à quel moment sera-t-il consommé? Il est des cas où le doute n'existera pas; si par exemple l'enfant est enlevé par ruse ou par violence de chez la personne à qui il a été confié. Le fait de l'enlèvement constituera le délit. Mais qu'en sera-t-il du cas suivant? Le père ou la mère, qui a le droit de recevoir la visite de l'enfant, le garde au-delà du terme fixé. Le délit existera-t-il du fait seul du retard? Faudra-t-il une sommation adressée par celui qui a la garde de l'enfant, ou à sa requète, par le Procureur de la République ? La loi devrait le dire.

Elle devrait prévoir aussi le cas où le délit étant accompli par l'enlèvement, l'enfant est rendu, soit avant les poursuites, soit avant le jugement. La peine devrat-elle néanmoins être inligée? Si oui, la loi risque fort d'aller contre son but; car, certain désormais de la condamnation, celui qui aura enlevé l'enfant ne sera guère tenté de le rendre. Il faudrait au moins que la peine fût proportionnelle au temps qui a séparé l'enlèvement de la restitution.

Mais voici une autre situation plus délicate, et où se trouvent en jeu les intérêts les plus graves de l'enfant. Après une séparation de corps ou un divorce, celui des parents, a qui a été refusée la garde du ou des enfants, les a enlevés ou fait enlever, et a été condamné aux termes de la loi nouvelle. Survient la mort de son

conjoint qui lui rend tous les droits de la puissance paternelle. Que se passera-t-il ?

Sera-t-il gardé en prison, tandis que les enfants resteront abandonnés? ou bien s'il a quitté la France et emmené ses enfants à l'étranger, ne pourra-t-il plus y rentrer sans être conduit en prison? C'est décider en fait qu'il n'y rentrera pas, ni lui, ni ses enfants. Il semble que, dans ce cas, les raisons les plus sérieuses plaident pour l'annulation de toute condamnation.

Il est superflu de discuter longuement ce qui n'est encore qu'un projet. Les objections peuvent se résumer en deux mots le projet part d'une idée fausse. Il crée un nouveau délit, alors qu'il s'agit de protéger un intérêt privé plus que l'ordre public; il punit alors qu'il faut bien plutôt contraindre.

Pour que le projet devienne acceptable, il faut, ce nous semble, supprimer l'amende et maintenir l'emprisonnement uniquement comme moyen de contrainte, analogue à l'ancienne prison pour dette. La restitution de l'enfant est une dette, la prison peut être le moyen nécessaire pour obtenir le payement, mais qui cessera quand la dette sera acquittée. N'oublions pas qu'il s'agit du père et de la mère.

Ce projet doit donc être sérieusement étudié et fortement amendė, sinon il aura des conséquences inacceptables et pourra compromettre les intérêts mêmes de l'enfant qu'il a pour but de sauvegarder.

E. L. B

CHRONIQUE DU MOIS

La maladie de M. Waldeck Rousseau. Intérim de M. Leygues. M. Loubet à Nice. - Le duc de Gênes et l'escadre italienne à Toulon. Fugue et retour des bâtiments russes. M. Delcassé à Saint-Pétersbourg. - Fin de la grève de Marseille. La grève de Montceau. Le congrès de Lens. La grève générale des mineurs. Les conseils généraux et la loi des associations. · Le P. Coubé à Lourdes. La guerre sud-africaine. Les indemnités des puissances en Chine. La persécution en Espagne et en Portugal. Le prince heritier d'Autriche et le Los von Rom!· intérieurs et étrangers.

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· Menus faits

31 avril 1901.

Lingua impiorum contabescet in ore suo : la langue des impies se décomposera dans leur bouche. Cette terrible prédiction de l'Ecriture se vérifie-t-elle sous nos yeux pour M. Waldeck-Rousseau? L'orgueilleux ministre, sûr des moyens inférieurs à l'aide desquels il disciplinait sa majorité, avait certifié que la loi des associations serait votée à la Chambre avant Pâques : elle l'était dès avant le dimanche des Rameaux. Mais ce n'est pas lui qui a mis à profit cette avance: c'est la maladie, qui s'est attaquée à lui en s'en prenant précisément à celui de ses organes qui avait le plus contribué à l'œuvre malsaine. Au cours de la semaine sainte, sa langue était opérée jusqu'à trois fois, pour un mal qui recevait tour à tour le nom d'abcès, de kyste, de phlegmon, d'œdème, mais dont la nature cancéreuse est confessée par ceux-là mêmes qui approchent de plus près les praticiens occupés à le soigner. Trois fois, le conseil des ministres a été ajourné par suite de cette maladie. mystérieuse et redoutable. Finalement, le malade a été emmené à Antibes, puis dans un voyage qui dure encore sur le littoral de l'Adriatique. Mais, tandis que les notes officielles assurent que la convalescence est parfaite et la guérison certaine, des renseignements de bonne source disent qu'une quatrième opération est inévitable,

dont l'issue sera ou l'aphonie ou la mort. L'aventureest plus que grave pour le parti jamais, en effet, depuis trente ans, la faction républicaine n'avait eu un chef qui réussit à ce point à coaliser toutes les sous- factions qui la composent, et à faire converger leurs efforts vers le but suprême qui l'inspire, à savoir la guerre à l'Eglise. Qu'on veuille bien se souvenir du motif au nom duquel tant d'ordres du jour ont ajourné, dans les Chambresprécédentes, les impatiences des violents, lorsqu'ils réclamaient la séparation de l'Eglise et de l'Etat. « Pas avant l'adoption d'une loi sur les associations!» répondaient ces ordres du jour. Et jamais cette loi n intervenait. Or, elle est aujourd'hui votée, du moins à la Chambre n'est-ce pas là un pas considérable dans la voie révolutionnaire? et qui a fait faire ce pas, sinon M. Waldeck-Rousseau, devenu, après diverses métamorphoses, l'homme de la « défense républicaine » ? C'est dire quelle est, aux yeux de ses amis, l'indispensable utilité de sa présence à la tête du gouvernement, utilité telle qu'aucune des têtes du parti ne tiendrait aussi bien le rôle, aucune n'ayant le savoir-faire cynique et astucieusement habile qui le caractérise. Lui écarté, par la mort ou par l'aphonie, l'homogénéité apparente et inconditionnelle qui présentement unit les fractions de la majorité, ferait place à un nouvel émiettement qui rendrait bien plus vaines les espérances de la coalition judéo-maçonnico-protestante. A ce point de vue, la maladie du président du Conseil, dont la gravité n'a d'ailleurs échappé à personne, aussi bien à gauche qu'à droite, prime assurément tous les autres faits du mois de vacances politiques qui vient de s'écouler. Aussi bien, dès le 7 avril, un décret confiait à M. Georges Leygues, ministre de l'instruction publique et des beaux-arts, l'intérim de la présidence du conseil.

Par exemple, la maladie de M. Waldeck-Rousseau n'a pas empêché les fêtes franco-italiennes de Toulon, où le président Loubet, flanqué de MM. Delcassé, André, de Lanessan, Baudin et Jean Dupuy, après avoir présidé à Nice les fêtes annuelles des sociétés de gymnastique

XXIX-I

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