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de plus de la moitié des avantages périodiques et continus de la propriété, est inconciliable avec le respect de cette propriété et avec le droit aux fruits.

Au surplus, la base historique que les adversaires des revenus sans travail se plaisent à montrer, leur fait radicalement défaut, soit que l'on se tourne vers l'histoire des faits, soit que l'on se tourne vers celle des doctrines.

Le monde gallo-romain à son déclin et le monde féodal à toutes ses phases ont présenté l'un et l'autre, et sans interruption, des exemples de ce que nous appellerions de grandes fortunes territoriales. Où sont les condamnations de principe qui les atteignent? Avec Salvien et avec beaucoup de Pères de l'Eglise, il y a bien des. passages oratoires contre la dureté et l'égoïsme des riches dans les temps de misère et de famine mais l'abus d'un droit et la condamnation de cet abus ne prouvent pas contre le droit lui-même; et les éloges qui sont partout donnés à la richesse libérale et généreuse, démontrent avec la dernière évidence que cette richesse, fût-elle, comme elle l'était, autre chose que le prix du travail actuel de la génération présente, n'était nullement considérée comme incapable de donner un revenu légitime. Au neuvième siècle, qu'auraient été les immenses possessions décrites dans le Polyptyque d'Irminon et non cultivées par les propres mains des moines, si alors les revenus sans travail avaient été tenus pour illégitimes?

Prenez la justification de la propriété dans saint Thomas, parallèle d'ailleurs chez lui à la justification de l'esclavage vous n'y trouverez nulle part ni arguments. ni objections qui se rattachent aux faits concrets et à l'état particulier de la propriété au moyen âge. On était cependant à une grande période de dénivellement des conditions économiques et des fortunes. En tout cas, saint Thomas, rigoureux cependant contre l'usure, oppose précisément la légitimité du loyer des maisons à l'illégitimité de l'intérêt des sommes d'argent'.

1 Somme théologique, Il a II æ, question LXXVIII, art. I.

La morale chrétienne a prêché des devoirs et des vertus mais elle n'a pas nié des droits tels que ceux de la perception des revenus, quelque somme que ceux-ci atteignent, pourvu que chacun de ces revenus pris en soimême fût légitime; elle n'en a pas non plus condamné le libre emploi, à la charge pour le bénéficiaire, responsable devant sa conscience et devant Dieu, mais non devant les Loges et les clubs, qu'il en fasse un usage vraiment chrétien.

J'abuse, Messieurs, de votre patience, mais j'ai terminé. Et je veux terminer comme il sied à des jurisconsultes catholiques de le faire, c'est-à-dire en invoquant sur nos débats la sanction de l'autorité pontificale. Dans son Encyclique du 18 janvier 1901 sur la démocratie chrétienne - Encyclique autour de laquelle, par système, les démocrates chrétiens ont fait autant de silence qu'ils ont fait de bruit autour de celle du 15 mai 1891 sur la condition des ouvriers - Léon XIII leur recommande le respect de la propriété. Et déjà dans celle du 15 mai 1891, il avait glissé ces mots volontairement ignorés, mais bien expressifs : « Puisque le droit de propriété vient de la nature et puisque par conséquent l'autorité publique ne peut pas l'abolir, cette autorité agit contre la justice... lorsque, sous le nom d'impôts, elle grève outre mesure les biens des particuliers ». Là, sans doute, nous devons voir le blâme des gaspillages financiers et des oppressions fiscales pesant sur tout le monde : mais nous devons y voir également la condamnation d'une formule progressive qui, de l'aveu même de ses auteurs ou de ses partisans, doit frapper les uns proportionnellement plus que les autres, et préparer le nivellement des propriétés, par conséquent l'expropriation de certaines couches de contribuables au profit de la société ou de l'Etat. Tarquin nivelait les pavots en abattant les fleurs les plus élevées: eux aussi, les précurseurs du collectivisme n'ont d'autre moyen de niveler les fortunes que d'en couper les sommités. Quant à nous, catholiques, nous serions d'un

aveuglement grossier ou d'une hypocrisie impardonnable, si nous voulions être défenseurs tout ensemble de la propriété et de l'impôt progressif. Nous ferions alors permettez-moi cette comparaison fort injurieuse pour d'honnêtes gens nous ferions comme Waldeck-Rousseau, qui se pose en défenseur de la religion lorsqu'il proscrit la vie religieuse.

J. RAMBAUD,

Professeur d'économie politique

à la Faculté catholique de Droit de Lyon.

OBSSEVATIONS DE M. HUBERT-VALLEROUX

SUR LE RAPPORT DE M. RAMBAUD

Au sujet du rapport que vous venez d'entendre, je voudrais insister sur ceci : Une erreur très répandue et très enracinée est celle qui fait considérer les capitaux engagés dans les entreprises industrielles comme moins respectables que le salaire des ouvriers travaillant pour ces mêmes entreprises. Que l'on propose d'accroître ces salaires, d'accorder aux ouvriers des suppléments de salaires sous toutes sortes de formes, on applaudira, on l'exigera même au besoin par des lois, par des décrets, et si l'on fait observer qu'on réduit ainsi le revenu des capitaux engagés à une rétribution infime, que parfois même on leur ôte toute rétribution, on est presque assuré de s'entendre répondre qu'importe! L'ouvrier seul est

intéressant, l'actionnaire ne l'est pas.

Ceci est injuste et ceci est dangereux, dangereux même pour ceux que l'on veut avantager. Injuste d'abord, car si le salaire est le prix du travail présent, le capital n'est autre chose que le prix du travail passé appliqué à la production.

Pourquoi le premier serait-il plus respectable que le second? Le mot d'actionnaire sonne mal, on dit : l'actionnaire c'est « un monsieur qui ne veut rien faire » ou « un gros capitaliste qui veut vivre aux dépens des

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travailleurs ». La vérité est que l'actionnaire est un particulier qui ayant fait des épargnes (chose très loua. ble) consent à les risquer pour qu'on puisse exécuter un travail utile, chemin de fer, canal, mine, usine, etc. Il pense au temps de sa vieillesse où n'étant pas fonctionnaire il n'aura pas une pension de l'Etat, il pense à sa famille qui n'aura plus de soutien s'il disparaît et c'est pourquoi il épargne et place ses économies de manière à en tirer un revenu et on vient lui dire vous n'êtes pas intéressant, on peut vous dépouiller Vos épargnes ont servi à procurer du travail à des ouvriers qui n'en auraient pas eu sans cela et ces ouvriers ont toutes sortes de droit sur ces épargnes c'est-à-dire sur le bien d'autrui! Ceux qui ont épargné n'ont sur leurs propres économies qu'un droit limité, contesté, incertain. Quelle sorte de justice est-ce là? Et il n'y a pas à parler ici de gros et de petits actionnaires. En fait qui fera la distinction? en principe le droit de propriété ne change pas suivant son étendue. De plus un petit capitaliste peut mettre tout son avoir, tout le bien de sa famille dans une seule entreprise; il sera un gros actionnaire; un gros capitaliste peut disperser le sien dans cent affaires; il sera petit actionnaire dans chacune. Les valeurs mobilières sont prodigieusement divisées aujourd'hui, elles se trouvent dans toutes les mains, anciens domestiques, petits artisans, etc.

Il est notable d'ailleurs qu'on n'incrimine pas les épargnes qui se placent en fonds d'Etat : leur rétribution est juste, on ne propose pas de la restreindre et pourtant à quoi souvent ont-elles servi? On réserve toutes les invectives, toutes les menaces pour les fonds qui ont eu le courage de se risquer dans des entreprises utiles, mais d'un rendement aléatoire. Le seul résultat de cette conduite inconsidérée sera d'écarter les capitaux de toute entreprise nouvelle, de tout ce qui est tenté par l'initiative privée et alors où les ouvriers trouveront-ils du travail? Voilà après le côté injuste, le côté dangereux de ces idées imprudentes dont les catholiques même ne savent pas assez se défendre.

DE L'EXCES DES IMPOTS

ET DE SES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES

Rapport au XXVe Congrès des Jurisconsultes catholiques tenu à Montpellier en 1901

« Pour bien fixer ces revenus, dit Montesquieu, qui, par ce mot, désigne les impôts, il faut avoir égard et aux nécessités de l'Etat et aux nécessités des citoyens. Il ne faut point prendre au peuple sur ses besoins réels. pour des besoins de l'Etat imaginaires. » Et plus loin : « Ce n'est point à ce que le peuple peut donner qu'il faut mesurer les revenus publics, mais a ce qu'il doit donner. >>

Il semble que l'on a singulièrement oublié ces sages principes pour se souvenir seulement de cette autre observation du même écrivain : « On peut augmenter les tributs dans la plupart des républiques parce que le citoyen, qui croit payer à lui-même, a la volonté de les payer. »

Montesquieu n'a jamais dit plus vrai. Ce que l'Etat français réclame du contribuable, sans lasser sa patience, passe même toutes les prévisions. Il s'est créé des besoins très réels, sous prétexte de services, sinon toujours imaginaires, du moins le plus souvent très discutables. Ces besoins vont grandissant et parallèlement les impôts destinés à les satisfaire. Depuis longtemps, lorsqu'il s'agit de créer une nouvelle taxe, le législateur ne se demande plus s'il est équitable d'en surcharger encore le contribuable, mais seulement si la perception en sera facile; il en examine non la justice, mais la possibilité.

Voici que cette seconde limite paraît près d'être atteinte, si même elle n'est déjà dépassée.

En France rien n'échappe à l'impôt; tout est atteint: le capital comme le revenu, la production des richesses comme leur échange et leur consommation.

La propriété immobilière est la plus lourdement frappée, parce qu'elle est la matière imposable la plus

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