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En même temps que l'Anne-Marie, l'Harriett partait de la Havane à destination, non point de St-Nazaire, mais du Havre. Comme sur l'Anne-Marie, deux hommes, le mousse et le capitaine, mouraient, au début de la traversée, d'une maladie dont les symptômes avaient terrifié l'équipage sans qu'il pût se les expliquer. Mais le docteur chargé de la reconnaissance médicale au Havre ne s'y trompa pas; c'était le docteur Launay. Il se mit luimême en quarantaine avec le navire, fit procéder à de soigneuses purifications et ordonna un déchargement sanitaire avec les précautions voulues. Personne ne fut malade.

On ne peut évidemment affirmer d'une façon absolue que, sans ces précautions, le Havre eût été infecté comme St-Nazaire, quoique cela soit bien probable. Des causes naturelles de désinfection, comme les vents régnants, eussent pu, hypothétiquement du moins, se produire, mais ce qu'on peut affirmer, croyons-nous, avec certitude, c'est que, si de semblables précautions eussent été prises à St-Nazaire pour l'Anne-Marie, la fièvre jaune, qui y était complètement inconnue et n'y a jamais reparu, n'eût pas éclaté à cette époque. Le fait nous paraît concluant. On en pourrait citer bien d'autres. Nous devons dire que dans presque toutes les grandes épidémies qui ont désolé nos côtes, on a pu découvrir la voie par laquelle le fléau avait été importé. Nous avons été chargé personnellement d'une enquête semblable au Sénégal, lors de l'épidémie de choléra qui nous a enlevé trois mille personnes à Saint-Louis sur 15,000 habitants, en 1869; nous n'avons pas tardé à découvrir qu'elle nous avait été apportée du Maroc par une caravane de Maures qui avait semé la route de ses cadavres. Les journaux nous apprirent, quelques jours après, que le choléra était venu au Maroc par l'Algérie, où l'avaient apporté des pèlerins de la Mecque. Nous établimes par là l'innocence d'une goëlette américaine, dont l'arrivée dans les eaux du fleuve avait coïncidé avec celle du fléau dans la ville, et nous nous applaudimes d'avoir résisté à la pression de l'opi

nion publique qui demandait l'arrestation du capitaine de la goëlette.

La doctrine des non-contagionistes nous parait également trop absolue dans ses conséquences. Sans doute, c'en est fait de la vieille quarantaine qui n'attendait que de l'écoulement d'un long laps de temps l'assainissement des importations. On ne procédait généralement au déchargement qu'après une période d'observation plus ou moins longue. C'était alors seulement que le danger commençait, car l'expérience a démontré que le temps seul ne détruit pas les germes morbides cachés dans les cales, s'il n'est aidé par l'aération. A l'ouverture des panneaux des cas de maladies se produisaient et la quarantaine de recommencer. On en cite qui ont duré 90 jours. On ne connaissait d'autres moyens de désinfection que la sereine l'exposition à l'air au serein - pendant quarante jours d'où le nom de quarantaine. Toutes les marchandises y étaient indistinctement soumises, d'où pour la plupart une détérioration certaine. C'était la ruine, dans beaucoup de cas, pour les armateurs.

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On est entré aujourd'hui dans une voie beaucoup plus scientifique. Comme vous avez dû le remarquer à l'analyse des réglements du décret de 1876, tout navire sérieusement soupçonné est immédiatement soumis à un ensemble de mesures d'assainissement. Ces mesures s'exécutent rapidement à l'aide des moyens que les perfectionnements de la chimie ont introduits et qui sont indiqués par des instructions ou des arrêtés ministériels. Les marchandises ont été soigneusemént classées sous le rapport des dangers qu'elles peuvent faire courir. L'inocuité de la plupart d'entre elles a été reconnue. Si le navire en contient de dangereuses, il est procédé à un déchargement sanitaire avec les précautions qui font disparaître tout péril. Et la quarantaine se réduit à une observation de quelques jours, basée sur une étude de la période d'incubation de la maladie redoutée.

Il faut qu'un navire soit bien malheureux pour que toutes ces mesures prennent une quinzaine de jours. La

plupart du temps, tout se borne à une inspection médicale, une désinfection des effets à usage, qui sont les plus dangereux, et à une observation de trois ou quatre jours.

Aussi croyons-nous que, depuis qu'on est entré dans cette voie, la doctrine des non-contagionistes a perdu du terrain. Parmi les nombreux négociants et armateurs avec lesquels nous nous sommes entretenus de la question, au Havre, aucun ne nous a paru demander la suppression du système actuel des précautions employées, tous se bornant à en demander le perfectionnement dans la limite du possible.

Nous savons qu'on élabore en ce moment, au ministère du commerce, un nouveau réglement plus précis, qui permettra de diminuer encore les périodes d'observation en les faisant remonter au jour du départ, si ses prescriptions sont bien observées et confiées à bord à un médecin qui inspire confiance. Nous ne croyons pas faire injure au personnel des médecins embarqués en disant que son recrutement est difficile. Qu'il nous soit permis, à ce propos, de regretter que certaines grandes compagnies, sous un prétexte d'économie qui jure avec les subventions qu'elles touchent et le nombreux état-major qu'elles emploient à terre, aient renoncé à se servir des médecins de première classe de la marine qui offraient toutes garanties, soit à leurs passagers, soit à la santé publique.

II.

Si toutefois les mesures prises en France contre les provenances étrangères sont généralement acceptées, nous ne devons pas vous dissimuler qu'un courant très fort parait se prononcer contre les quarantaines terrestres.

Les navires, dit-on, sont une véritable partie du territoire infecté. On comprend qu'on prenne contre eux des précautions spéciales. Ces précautions sont faciles à faire observer. Les voyageurs par terre offrent moins de dan

ger, leur accumulation à la frontière crée un péril nou

veau.

L'expérience a démontré que les précautions prises laissent toujours une issue libre à la contagion. Dans la dernière épidémie, ce sont les deux pays qui ont été le plus rigoureux, l'Espagne et l'Italie, qui ont été les plus atteints.

Nous ne nous croyons pas la compétence suffisante pour prendre parti sur cette question. Votre Comité d'Utilité publique estime toutefois que, les quarantaines proprement dites fussent-elles abolies, il y aura toujours des précautions spéciales à prendre sur les frontières de terre des pays contaminés. Son opinion est basée sur l'étude des faits. Vous savez tous comment le choléra est venu chez nos voisins les Yportais. Nous vous engageons à cet égard à lire, dans la Revue scientifique du 6 décembre dernier, une intéressante notice de notre éminent compatriote, le docteur Gibert. Vous y verrez que le choléra a été importé dans les sacs de marins yportais qui avaient eu des atteintes du fléau à Cette, en revenant de la pêche à la morue, et qui étaient rentrés à leur pays par le chemin de fer. Il est certain que si Cette eût été en Italie, au lieu d'être en France, les sacs contaminés eussent été désinfectés à la frontière ou eussent dû l'être et que, dans ce cas, vingt-quatre personnes aujourd'hui décédées seraient en pleine santé, sans tenir compte des pertes qu'ont causées au commerce du Havre les mesures prises à l'étranger contre nous, à raison du voisinage des deux ports.

Quoi qu'il en soit, le Gouvernement est suffisamment armé par la loi actuelle sur la frontière de terre; c'est à lui de voir, sous le contrôle des corps scientifiques de l'Académie de médecine et du Comité consultatif d'hygiène publique, dans quelle mesure il doit faire usage de ses armes. Nous n'avons pas, en l'état, d'autre amélioration à vous proposer dans la loi sur les provenances étrangères que l'adoucissement des peines.

III.

<< C'est la mort qu'on nous apporte; il faut répondre par la mort. Telle était la pensée du législateur de 1822. Vous avez constaté comment il avait été déçu dans son attente par les résultats de cette rigueur.

Votre Comité d'utilité publique s'est rangé tout entier à notre avis et propose la suppression non seulement de la peine de mort en ces matières, mais de toutes les peines afflictives et infamantes, telles que les travaux forcés, la réclusion et la dégradation civique, pour s'en tenir aux peines correctionnelles.

On n'aura ainsi plus besoin de recourir au jury.

Le jury, malgré ses imperfections, est une institution. nécessaire, passée dans nos mœurs et liée à la défense de nos libertés; mais tout le monde reconnaît que, s'il a les qualités voulues pour punir les grands faits criminels. qui frappent l'imagination, il convient moins pour les discussions de texte et la répression des infractions aux réglements.

Par l'adoucissement des peines, les infractions aux lois et réglements sanitaires rentreraient naturellement dans. la compétence des tribunaux correctionnels.

Le maximum des peines correctionnelles, l'emprisonnement d'un à cinq ans sera réservé aux communications en patente brute, aux fausses déclarations, faites de propos délibérés et ayant amené une invasion pestilentielle. Les autres délits seront punis de peines moins graves. On pourrait peut-être trouver encore sévère un emprisonnement d'un à cinq ans. Mais il faut que la société reste suffisamment armée contre certains faits qui pourraient soulever l'opinion publique, parce qu'ils auraient gravement compromis la santé de tous et que leurs auteurs n'auraient d'autre excuse que la cupidité.

L'intervention fréquente de ce dernier mobile nous a engagés à maintenir des amendes élevées comme maximum; nous avons même cru devoir introduire une disposition

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