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PARLEMENTAIRES

DE 1787 A 1860

RECUEIL COMPLET

DES

DÉBATS LÉGISLATIFS & POLITIQUES DES CHAMBRES FRANÇAISES

IMPRIMÉ PAR ORDRE DU SÉNAT ET DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS

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CHEF DU BUREAU DES PROCÈS-VERBAUX, DE L'EXPÉDITION DES LOIS, DES PÉTITIONS, DES IMPRESSIONS
ET DISTRIBUTIONS DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS

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J

341 .112.

v.72

1889

ARCHIVES PARLEMENTAIRES

RÈGNE DE LOUIS-PHILIPPE

CHAMBRE DES DÉPUTES.

PRÉSIDENCE DE M. GIROD (DE L'AIN). Séance du mercredi 23 novembre 1831.

La séance est ouverte à deux heures et demie. Le procès-verbal est adopté.

M. le Président. C'est demain le 24; je vais tirer au sort les noms de MM. les députés pour le renouvellement des bureaux; ils procéderont demain à leur organisation.

(L'opération du tirage se poursuit au milieu d'une assez vive agitation et de conversations très animées, qui paraissent relatives au rejet, dans les bureaux, de la proposition déposée dans la séance d'hier.)

Après le tirage des bureaux, M. Bailliot, rapporteur de la commission de comptabilité, est appelé à la tribune.

M. Bailliot, rapporteur. Messieurs, votre commission de comptabilité s'occupe en ce moment du compte de l'exercice de 1830; elle s'occupe aussi du projet de budget de l'exercice de 1832, et bientôt son travail vous sera présenté.

Le rapport dont vous entendrez la lecture vous convaincra de l'attention soutenue qu'elle a mise à bien remplir la tâche qui lui a été confiée; s'il y a des abus, elle vous les signalera, et s'ils ne disparaissent pas tous, au moins ils seront considérablement diminués pour l'avenir.

Aujourd'hui, Messieurs, je viens, en son nom, vous parler de la situation actuelle de l'exercice courant; et cela est d'autant plus nécessaire, que cette situation la met dans le cas urgent de réclamer de vous un nouveau crédit pour faire face à toutes les dépenses. Celles qui ont eu lieu jusqu'à ce jour ont éprouvé une augmentation telle que cette demande de supplément ne doit pas vous surprendre.

Lorsque la commission de comptabilité de la session de 1830 vous fit, par mon organe, le rapport des comptes de 1829 et du projet de budget

T. LXXII.

de 1831, elle vous proposa des économies assez sensibles; mais, en vous les présentant, elle demandait que l'excédent qui en résultait fût laissé au chapitre des fonds de réserve, ce qui aurait maintenu à 600,000 francs le crédit du budget de 1831.

Elle motivait cette mesure par la certitude où elle était que les dépenses de 1830 dépasseraient les fonds votés, et viendraient en conséquence grever le budget de 1831; résultat qui eut effectivement lieu, puisqu'un 'arriéré de 17,677 fr. 95 a dû être reporté d'une année sur l'autre.

Elle prévoyait aussi que la présente année, qui était destinée à voir deux sessions, ne pourrait pas échapper à des dépenses plus considérab'es que celles des budgets pré édents.

La Chambre n'a pas partagé ses prévisions, et, désireuse de signaler une économie, elle a voté le budget, en réduisant à 560,000 francs le crédit ordinaire de 600,000 francs.

Vous serez peut-être tentés, Messieurs, de supposer que l'économie importante faite par vous sur les traitements de M. le président et de MM. les questeurs aurait dû suffire pour couvrir toutes les dépenses, même celles extraordinaires. Cette économie a présenté, en effet, pour cette année un excédent de 38,430 fr. 60; mais il a été beaucoup plus qu'absorbé par beaucoup d'autres dépenses dont les causes sont tellement évidentes que je puis me borner à vous les mettre sous les yeux.

Au nombre des principales, il faut compter: D'abord l'allocation mensuelle de 6,000 francs, que vous venez dernièrement de voter pour lé Sténographe, et qui grèvera le budget de cette année de... . . . 31,600 fr..

....

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Nous négligeons de vous parler des autres chapitres qui sont dépassés, parce que leur peu d'importance n'apporte qu'un faible changement au solde approximatif, dont le chiffre est porté à 77,040 fr. 24, d'après la balance présentée par MM. les questeurs.

Dans cette position, Messieurs, nous avons l'honneur de vous proposer le voté d'un supplément de 70,000 fr., espérant que vous apprécierez la raison majeure qui le rend aujourd'hui indispensable.

M. le Président. Le rapport sera imprimé et distribué.

M. le rapporteur propose de fixer la discussion à samedi prochain. Il n'y a pas d'opposition? (Non! non!) Elle sera ainsi fixée.

L'ordre du jour est la suite de la discussion du projet de loi relatif à des réformes à introduire dans les lois pénales.

La parole est à M. Vatout.

M. Vatout. Messieurs, c'est l'effet ordinaire des Révolutions que d'imprimer aux mœurs des nations qu'elles agitent un caractère de vengeance et de cruauté; cette vérité saigne dans Thistoire du monde. Mais par un privilège sublime, notre Révolution de juillet, pure d'échafauds, offre partout l'exemple de la modération, du désintéressement, de la magnanimité. C'est le silence du peuple laissant passer avec indifférence une famille de rois déchus; c'est sa pro

Certes, tant de vertu méritait un hommage, et le plus digne était celui qui devait attester les progrès de civilisation si hautement manifestés au milieu de ce beau triomphe. Grâces soient donc rendues au ministre qui a compris cette grande leçon, et qui nous a proposé de la consacrer dans nos lois. Mais le projet du gouvernement accorde-t-il toutes les améliorations, tous les adoucissements qu'il était permis d'atendre? Oui, peut-être, si l'on consulte la politique; non, si l'on écoute l'humanité.

Sans doute, après une commotion qui a brisé une couronne, bouleversé des existences, soulevé des passions; lorsque des insensés rêvent la guerre civile, il peut y avoir quelque danger à désarmer la main de la justice; mais je demanderai si c'est être conséquent avec soi-même, après avoir laissé la vie à de grands coupables, que de maintenir dans nos codes la peine de mort. Est-ce donc par ce vieux préjugé qui fait qu'on la regarde comme une arme toute puissante de conservation? Détrompez-vous comme vengeance, elle est odieuse; comme exemple, elle est inutile.

Ah! si à l'instant même où la victime vient d'être frappée, là, en présence de son cadavre, la loi frappait aussi l'assassin, je concevrais qué tout autre sentiment disparut devant l'horreur du crime; mais lorsque ce même crime a traversé toutes les lenteurs nécessaires de la justice; lorsque relégué au fond d'un cachot, il a été en partie expie par de longues souffrances, en partie effacé de la mémoire des hommes, voyez le condamné se traîner à l'échafaud, pâle, défait, déjà mourant de l'appareil de la mort dressé devant ses yeux, et interrogez la foule rassemblée sur le lieu du supplice! Elle était accourue impatiente de curiosité..... La hache tombe, et elle s'écoule morne et silencieuse; et ne vous y trompez pas, ce n'est pas la haine du crime, ce n'est pas la terreur du châtiment qu'elle emporte au fond de son âme; c'est de la pitié; car elle a oublié le coupable pour ne voir que l'homme, et elle a scati que la société venait, non pas de se défendre, mais de se venger.

Messieurs, lorsque la religion, d'accord avec l'humanité, nous a interdit l'homicide, n'avaitelle pas aussi prévu ce cas terrible, épouvantable, où, trompé par de spécieuses apparences, un tribunal enverrait à la mort un innocent? Il s'en est présenté plus d'un exemple que de regrets alors, que de remords pour les juges! Quel supplice de tous les jours, de toutes les nuits! et comment laver cette tache de sang qui reparaît sans cesse et ne s'efface jamais? Il n'y aurait contre la peine de mort que cet argument qu'il suffirait à mes yeux pour la faire abolir.

Mais, dira-t-on, il faut bien retrancher le coupable de la société. Oui, sans doute; mais pour cela est-il nécessaire de le tuer? C'est plus commode, c'est plus facile; mais faut-il que la loi, pour punir un meurtrier égaré par ses passions, devienne elle-même un meurtrier et un meurtrier de sang-froid? Ne peut-on concilier la justice avec la répugnance naturelle à l'homme de verser le sang humain ?

La privation des trois premiers biens de la vie, la patrie, la liberté, la fortune, doit suffire pour base de toute pénalité, en graduant cette privation selon le crime et le danger. Et, par exem

bité rapportant fidèlement les diamants de la couple, cet assassin que vous voulez tuer à votre

ronne; c'est enfin sa générosité s'applaudissant de n'avoir vu tomber aucune des têtes qui avaient enfanté les fatales ordonnances.

tour, si, au lieu de l'envoyer à l'échafaud, vous l'enfermez, comme aux Etats-Unis, seul avec son crime, séparé du monde entier, dans un cachot

impénétrable au jour, sans qu'il puisse jamais voir un parent, un ami, jamais entendre le son d'une voix humaine, croyez-vous que cette solitude, ce silence, cette absence de tout ce qui rappelle la vie, ne soit pas un assez grand supplice ni un gage suffisant pour la sûreté publique? Du moins, homme, vous ne versez pas le sang d'un homme, et la conscience du magistrat, satisfaite envers la société, ne tremblera pas pour elle-même; car si de nouvelles lumières venaient éclairer la justice et absoudre le condamné, le juge ou le juré ne resterait pas chargé du remords irréparable d'avoir fait périr un innocent.

Malheureusement notre système pénitentiaire et le régime de nos prisons sont loin encore de se trouver en harmonie avec le progrès de la raison, les droits de l'humanité et les intérêts bien entendus de la société. Cependant le législateur a déjà fait quelques réformes qui l'honorent. C'est ainsi qu'eatre autres peines il a supprimé celle de la marque qui, vouant le condamné à une infamie ineffaçable, étouffait dans son âme le repentir et ne lui laissait d'autre refuge que le crime ou la misère. J'en atteste ce qui se passa il y a quelques années dans une manufacture à Paris. Un de nos honorables collègues, alors gouverneur de la Banque, visitant cette manufacture, voulut connaitre l'ouvrier le plus honnête, le plus assidu au travail; on lui montra un homme qui était l'objet de la vénération de ses camarades. Quelques jours après, c'était dans l'été, cet ouvrier ôta son habit, son épaule se découvrit et laissa voir les fatales lettres TF. Le malheureux fut obligé de quitter l'atelier, et qu'est-il devenu?...

Evitons donc avant tout ce qui perpétue la faute au delà de la peine, et la peine au delà du jugement. Sous ce rapport, je repousse aussi de tous mes vœux la surveillance de la haute police.

Héritage d'un pouvoir ombrageux, cette peine ajoute à la sévérité légale de la justice tous les caprices de l'administration; elle transforme en autant de parias tous ceux qu'elle atteint. C'est peu d'avoir subi le châtiment porté par les lois, il faut qu'ils passent à un autre supplice non moins douloureux que la perte momentanée de leur liberté.

C'est surtout pour les délits politiques que cette surveillance devenait affreuse; c'était une insulte de tous les jours. Rappelez-vous la terreur blanche de 1815, et tous ces officiers à demi-solde, traqués dans leur commune comme des bêtes fauves, ne pouvant faire un pas sans éveiller la méfiance de l'autorité et soumis à toutes les vexations d'un despotisme de détail! Votre commission a senti la nécessité d'adoucir cette peine, et je l'en félicite; mais ce n'est pas assez de l'adoucir: il faut l'abroger, car elle est aussi injuste qu'humiliante.

Tels sont les seuls regrets que j'avais à exprimer. Je sais que le corps social doit, comme le corps humain, procéder avec ménagement; mais sans porter sur nos lois pénales une main trop hardie, souvenez-vous que tout ce qui honore, soulage, améliore l'humanité, ne saurait être donné ni trop tôt, ni avec trop de profusion. Faitesen du moins l'essai; laissez reposer pendant quelque temps la hache du bourreau, et comptez les crimes!...

Je voterai pour le projet de loi, sauf quelques modifications.

M. le Président. M. Thouvenel a la parole.
M. Thouvenel. J'y renonce maintenant; je

me réserve de soutenir un amendement que j'ai présenté.

M. Bernard (du Var). Messieurs, la loi qui vous est proposée abolit plusieurs peines, en adoucit un grand nombre, augmente l'autorité du jury, et si je ne la considérais que d'une manière absolue, il m'en faudrait moins sans doute pour l'approuver. Mais elle consacre expressément un système dont je ne saurais admettre le principe, que je crois funeste dans ses effets, et je la repousse en conséquence, d'autant que son adoption aurait pour résultat d'éloigner encore, et indéfiniment peut-être, l'époque d'une réformé dont le besoin se fait sentir chaque jour plus vi

vement.

Je ne prétends point, d'ailleurs, approfondir ici une question dont la solution complète exigerait tant de méditations et d'études, et donnerait lieu à des développements que ne comportent pas les usages de cette tribune; je ne veux qu'expliquer mon refus, pour ainsi dire, en vous faisant part de quelques réflexions qui m'ont été suggérées par l'exposé des motifs et le rapport de votre commission.

Un principe semble généralement admis c'est que pour un délit, quel qu'il soit, la société a droit à une réparation, laquelle, par rapport au coupable, est toujours une peine; et, attendu qu'entre les délits les plus légers et les plus graves, entre un simple vol, par exemple, et un brigandage à main armée, entre une insulte et un assassinat, il y a une foule d'autres délits plus ou moins criminels, on en a conclu qu'entre les peines extrêmes, aussi, entre la simple amende et la mort, il fallait établir des peines plus ou moins sévères, et l'on a posé cet autre principe, base du système actuel, que la peine doit être proportionnée au délit.

Si l'on se contentait de dire que tout crime emporte avec lui son châtiment, je comprendrais très bien cette proposition, qui n'exprime qu'une chose juste et vraic. La vie sociale, en effet, est tout entière dans nos relations avec autrui : mal faire c'est nuire à autrui, et par conséquent rendre ses relations désagréables, pénibles, dangereuses, ou, en d'autres termes, se préparer un avenir malheureux. Je crois, dès lors, la justice même nes'en mêlât-elle en aucune manière, qu'il est impossible de mal faire et de n'en être pas puni tôt ou tard; de sorte que le méchant ne serait en définitive qu'un esprit étroit et un mauvais calculateur; et certes cette vérité bien enseignée serait autrement efficace que la crainte.

Mais quand on dit que tout crime doit être puni, on pose une règle. Une règle, c'est l'énoncé de ce qu'il est avantageux de faire. L'observation donc de toute règle, quand elle est juste, doit procurer un avantage quelconque. Et je demande quel sera celui de la société, en observant la règle dont il s'agit?

La société n'étant rien que par les membres qui la composent, son mal résulte de celui de chacun d'eux. Ainsi, le crime est un mal pour elle, parce qu'il en est un pour l'individu offensé; mais, le châtiment par la même raison, doit être un mal aussi pour elle, car il en est un pour l'individu puni. Chaque condamnation, dès lors, ne répare pas, mais double son mal, puisque, au lieu d'un de ses membres qui souffrait avant, il y en a deux après l'un par le crime, l'autre par le châtiment; ainsi le vol avait ruiné un homme, et l'emprisonnement en ruine un autre; un homme était mort assassiné, un

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