Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

réclame de l'horloger insérée le 16 août 1831 dans la Leipziger Zeitung et transmise aussitôt, sans malice, à la connaissance des gens instruits de Cahors par tous les journaux français qui se piquaient d'être bien informés, notamment par le Constitutionnel du 27 août. Vainement Chateaubriand avait essayé, le 7 mai 1833, de retenir Albouys sur la pente où il glissait « je vous engage bien sincèrement, Monsieur, à garder votre argent et à vous défier des fripons fort communs dans ce bas monde. » Les mystiques ne voient que le ciel.

Si grande que fût sa foi, Albouys se souvenait cependant d'avoir été magistrat; il aurait bien voulu que l'aventurier venant de si loin lui apportât quelques preuves écrites de son identité avec le malheureux Louis XVII. Ce n'était pas pour lui que le croyant Albouys réclamait ces preuves dès le 31 octobre 1831, c'était pour convaincre à leur tour ses voisins et tous ses compatriotes qui n'étaient pas mystiques, sa femme, notamment, et les avoués de la ville de Cahors. Les prêtres de sa paroisse avaient le tort de ne pas partager sa foi sans examen.

Ces preuves écrites et authentiques.... mais, assurément, Naundorff se disait en mesure de les fournir à Albouys; de Krossen, le 28 novembre 1831, son mandataire dit qu'elles sont cachées en lieu sûr. Le 15 janvier 1832, il dit qu'il les lui fera connaître dès qu'il les aura. Le 18 octobre 1832, de Genève, Naundorff lui annonce qu'elles sont maintenant à son service, à Genève même, moyennant la somme de 1000 francs. Puis, pour en tenir lieu, de Berne, à la fin de mars 1833, il lui promet une histoire de sa vie, ce qui était plus aisé à forger. Arrivé à Paris le 29 mai il dit qu'il n'est plus temps à présent de faire des recherches, mais d'agir; cependant, d'ici à la fin de juillet, ces preuves incontestables, il les aura. En attendant, c'est 1800 francs qu'il lui faut, ou tout au moins 300, précise-t-il le 3 juin. Ce jour même, un anonyme de Cahors ne peut s'empêcher d'écrire, à la grande indignation d'Albouys : « Monsieur, à mon avis, Louis-Charles est un fripon. Point d'argent, les fripons à la corde et puis à l'eau. C'est pour la clôture définitive; partagez le gain et comptez le profit. >>

La sagesse populaire se rencontrait ainsi, sans le savoir, avec l'illustre M. de Chateaubriand dans l'expression de la vérité. M. Albouys avoue qu'il est un peu étourdi » cependant, il marche toujours. Il loge l'aventurier gratis à Paris chez son frère qui tenait une pension meublée. Le 29 juin, l'aventurier annonce qu'il produira ses preuves seulement quand l'histoire de sa vie sera imprimée.

Le 6 août, il dit que ces preuves, soi-disant apportées par lui récemment à Genève, avaient été déposées par lui à Berlin entre les mains du président de police Le Coq: il a laissé, au surplus, à Krossen dans ses papiers une lettre de 1804 adressée par Louis XVIII au duc d'Enghien et une lettre du duc de Berry adressée à lui, Naundorff, de Paris, en 1820. La veille, le 5 août, M. Albouys, venu tout exprès à Paris, avait constaté que son roi portait « au haut d'une de ses cuisses la forme d'un lion couché sur ses jambes » : évidemment, à défaut de papiers, c'était une preuve d'identité convaincante. Ce lion se transformera plus tard en colombe ou Saint-Esprit : ce sera encore plus sûr.

Mme de Saint-Hilaire attendait Louis XVII depuis dix ans depuis la révolution de juillet elle jeûnait pour obtenir de Dieu la grâce de le découvrir. Au bout de deux ans et demi, en septembre 1832, fatiguée de ce régime, elle avait dû l'interrompre; mais c'était précisément le moment où Naundorff venait de quitter la Prusse pour la France. Cette coïncidence approximative parut être une vue nouvelle de la Divine Providence aussi, le 19 août, Mme de Saint-Hilaire reconnait-elle Louis XVII en Naundorff sans hésiter.

De son côté, Mme de Rambaud, ancienne berceuse du Dauphin, reconnut Louis XVII en Naundorff parce que celui-ci, la contredisant, déclare avoir porté à Versailles, en 1789 au plus tard, un petit habit bleu qui, forcément, avait été porté à Paris en 1792. Enfin, le 10 septembre, mis au pied du mur, Naundorff déclare : « la vérité se trouve dans les mains de mon épouse. En partant de Crossen, je lui ai fait connaître une tablette secrète de mon bureau dans lequel un double fond cache une lettre de Louis XVIII adressée en 1804 au duc d'Enghien. Dans cette même lettre, on trouvera une lettre incluse du duc de Berry de 1820 et une empreinte du cachet de mon père. C'est moi-même qui ai coupé ce cachet des papiers qui ont été remis au gouvernement prussien. ».

Là-dessus, le 16 septembre 1833, la belle-sœur de M. Albouys part pour chercher ces trésors à Krossen: elle y arrive le 29. Elle en repart le 4 octobre et rentre à Paris le 27, ayant, pour tout butin, les lettres de bourgeoisie de l'aventurier, prouvant qu'il était Prussien, avec un tas de chiffons auxquels elle ne comprenait rien. C'étaient « ses procès criminels comme faux monnayeur et comme incendiaire », remarque le comte O'Mahoni qui voit l'ambassadrice à son passage en Suisse. Le 5 novembre, elle écrit à Cahors : « Je vous dirai que je n'ai pas trouvé les lettres que vous savez. » Le 16 mars 1834, elle précisera : « Les lettres de Louis

XVIII ne se sont pas trouvées et je suis bien sûre qu'elles n'y sont pas, car j'ai fait mettre en mille morceaux le secrétaire en question. M. Pezold n'en avait jamais entendu parler. » Par exemple, elle rapportait, avec les lettres de bourgeoisie, le soi-disant cachet de Louis XVI ou de MarieAntoinette, soi-disant renfermé dans le secret du secrétaire sous le même pli que les lettres de Louis XVIII, soi-disant détaché par l'aventurier des pièces énoncées de son père et de sa mère qu'il avait dû remettre au président Le Coq après son arrivée à Berlin en 1811: qu'était, en réalité ce cachet? C'était celui d'une lettre envoyée de Paris à Naundorff en 1831 par M. Tort qui demandait à l'aventurier, s'il était Louis XVII, de lui en expliquer les symboles. Le comte O'Mahoni dit, après l'avoir vu: « L'on a l'audace stupide de nous donner ce cachet comme celui de Marie-Antoinette au Temple ! » Le 13 janvier 1834, Mme Albouys le décrit. «Autour, il y a aur mânes des victimes royales, priez ! Au milieu, est le nom de Pichegru, Hoche et Joséphine. » Pris sur le fait, Naundorff ne se déconcerte pas il prétend que Mme Albouys lui avait volé, en route, les preuves renfermées dans son secrétaire; de plus, « il dit que l'explication de ce cachet était le mot d'ordre qu'on leur avait donné, à lui et à sa sœur, pour se reconnaître ».

Cette prétention odieuse et cette explication d'ignare satisfirent cependant quelques obstinés.

Depuis lors, la cause est jugée: il n'était pas besoin d'attendre que, le 8 avril 1911, le directeur général des archives d'Etat de Prusse prenne la peine de déclarer en pleine Chambre des Seigneurs, à Berlin, l'inexistence de tout dossier secret relatif à Naundorff.

**

Quelqu'un s'efforça cependant de pallier cet échec. Le 3 septembre 1833, Albouys note la venue, près de son client, d'un « monsieur qui cherche le Dauphin depuis seize ans, plein de zèle et d'activité, d'un esprit transcendant ».

Le 24 septembre, dit-il, « il doit venir ce soir un monsieur qui a des renseignements très précis sur l'évasion du Dauphin ». Le 21, le 23, le 26 et le 28, il note les visites de « M. de Saint-Ditlier, attaché à l'ancienne cour» et plein de bonne volonté.

Dès le 15 août 1833, l'aventurier, « vieilli et blanchi », écrit à la duchesse d'Angoulême : « N'as-tu jamais vu certains papiers qu'un nommé Labas devait te présenter ? Ce n'étaient que des copies. » Ce nom de Labas parait être celui défiguré d'Etienne-Salomon Reybaz, qui fut ministre de Genève auprès de la République Française en 1795.

Le 18 décembre 1834, l'aventurier dit à la justice : « Messieurs, fils de Louis XVI, j'apporte les preuves de mon identité. »

Le 13 février 1835, il écrit à Madame : « Madame de Rambaud eût pu vous communiquer de précieux documents. Vous avez répondu à mon envoyé (M. de Saint-Didier) que j'étais un imposteur, mais très habile. Votre frère, avez-vous dit, a péri au Temple. Eh bien ! j'ai entre les mains des preuves irrécusables de son évasion et je suis prêt à vous les donner si vous m'accordez une entrevue de quelques secondes. »

Enfin, sur l'assignation reçue par Naundorff le 9 octobre 1835, Bourbon-Leblanc, qui s'intéressait à lui après s'être intéressé à Phelippeau et à Bruneau en 1817, publia, avant la fin du même mois, les trois fameuses lettres de Laurent, gardien de Louis XVII, adressées à un général, datées du Temple, le 7 novembre 1794, le 5 février et le 3 mars 1795. «Lisez, dit-il, les trois lettres que des archives fidèles ont conservées et que les tribunaux apprécieront » (Le véritable duc de Normandie, 4 livraison, octobre 1835, pp. 208-211). Ces trois lettres ont été falsifiées, dans leur texte, entre 1846, date à laquelle Gruau de La Barre les donne comme écrites au général de Frotté (Intrigues dévoilées, t. I, 1846, pp. 478-480), et le 30 mai 1851, date à laquelle Jules Favre, dans sa plaidoirie prononcée devant le tribunal de la Seine, les déclare « plus embarrassantes qu'utiles » (Gruau. En politique, point de justice, août 1851, pp. 69-71).

Le texte primitif du 7 novembre 1794 publié quatre fois, de 1835 à 1846, disait notamment : « Les assassins sont purgés, et les nouveaux municipaux ne se doutent point que le petit muet a pris la place de

1 Il ne devait se teindre que le 14 janvier 1834, à la demande de ses amis.

A moins qu'il ne soit, plus simplement, M. Lebas, chef de la division du nord au ministère de la police sous la Restauration, ou M. Lebas, chargé du centre de la France et ancien commissaire général de la police à Lorient (Adresse aux Chambres. La police sous MM. le duc de Cazes, comte Anglès et baron Mounier. Paris, Lenormant, 1821, p. 27). D'après M. Albouys, M. Labas ou Lebas, retiré à Genève, aurait été « détenteur des outils de serrurerie » de Louis XVI, mais il y était introuvable (Cahors, 20 mars et 8 mai 1836; Bibl. de Cahors, ms. 29, pp. 311-314 et 411-415, n° 495 et 515).

l'Enfant-Roi. » Depuis 1851, toutes les rééditions disent : « Les assassins ont été fourvoyés... le petit muet a remplacé le D... »

Cette falsification prudente s'offre aux méditations des gens de bonne foi.

La question qui se pose est la suivante: le texte primitif des trois lettres de Laurent publié en 1835 et dont les copies seules existaient, ce texte est-il authentique ?

Voici quelques remarques sommaires destinées à guider l'esprit à cet égard.

D'après leur style, ces lettres, émanées d'un républicain considéré comme terroriste, ne peuvent s'adresser qu'à un général royaliste et contre révolutionnaire, soit émigré, soit rebelle à l'intérieur.

Le 5 février 1795, elles parlent, comme d'un fait récent, de la visite au Temple des « monstres Mathieu et Reverchon, accompagnés de M. Harmand de la Meuse, pour constater que notre muet est véritablement le fils de Louis XVI ». En 1795, Harmand était un monstre comme les autres : en 1814, il devint préfet de la Restauration et avait droit, par suite, à plus de considération. C'est en 1814 qu'il publia le récit de sa visite au Temple avec Mathieu et Reverchon et il la date, en effet, du début de février 1795. Malheureusement, c'est là une erreur de sa part: M. Fred. Barbey, en 1905, a prouvé qu'elle avait eu lieu le 19 décembre 1794. Le rédacteur de la lettre du 5 février 1795 ignore donc la vérité de 1794; il suit l'erreur de 1814.

Le 3 mars 1795, les lettres disent : « Lasne prendra ma place quand il voudra. » En réalité, à cette date, Lasne ne se doutait nullement qu'il serait jamais désigné pour aller au Temple : le fait ne se produisit que le 31 mars, quatre semaines plus tard, et le nouveau gardien ne s'y laissa pas conduire sans résistance. Il arriva entre deux gendarmes.

La substance de cette démonstration, ainsi imprimée par le Journal des Débats le trois avril 1912, pendant que se tenait l'audience de la 9° chambre, a été établie par l'auteur dès le 26 octobre 1911 et communiquée successivement par lui dans ses dispositions essentielles dès la fin d'octobre 1911 à M. Gustave Bord, à M. François Laurentie, à M. Lenôtre, à M. Fred. Barbey. M. Bord, notamment, l'a utilisée dans l'ouvrage qu'il a commencé à imprimer le 17 avril 1912 et qui a paru le 9 décembre 1912.

« PreviousContinue »