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Le 7 novembre 1794, les lettres disent: « demain, un nouveau gardien doit rentrer en fonction. » C'est une erreur : en réalité, Gomin n'a été désigné que le 8 et installé le 9.

L'erreur de la lettre du 3 février provient du récit d'Harmand publié en 1814 l'origine de celles du 7 novembre et du 3 mars se trouve dans la 3° édition de l'œuvre célèbre d'Eckard, ses Mémoires historiques sur Louis XVII dont les 1.200 exemplaires parurent le 10 septembre 1818. En effet, p. 251, Eckard confond la date de l'arrivée de Gomin avec celle de sa nomination, le 8 novembre; p. 277, il donne la date de l'arrivée de Lasne le 31 mars et, comme il ne mentionne pas sa résistance, le lecteur peut suppposer que cette arrivée était préparée depuis plusieurs semaines,

Ces indices se confirment dès que l'on s'attache au livre d'Eckard : certes, Louis d'Auerweck, dès le 12 mars 1795, a appelé Louis XVII <«< l'auguste enfant roi », mais, pour les révolutionnaires, le 2 décembre 1794 et le 6 mai 1795, c'était « l'enfant Capet ». Pour Eckard, « l'EnfantRoi» est une désignation courante (pp. 233, 235, 255, 273)': ce qui offre un intérêt plus grand encore, c'est de trouver dans ses Mémoires les phrases suivantes : « Ils examinent l'Enfant-Roi, leur victime » (p. 233); «Laurent... très surveillé » (p. 235); « citoyen d'un républicanisme éprouvé » (p. 242); « M. Harmand de la Meuse... MM. Mathieu et Reverchon... Les monstres... » (pp. 256, 257, note 2, 273). Ce sont des termes qui se retrouvent dans la lettre du 5 février 1795 « La victime... la surveillance est extraordinaire..., les monstres Mathieu et Reverchon accompagnés de M. Harmand de la Meuse » et, pour compléter, dans celle du du 7 novembre 1794 « C'est un républicain nommé Cosmier, brave homme. »

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Que de pareilles constatations sont surprenantes! Il ne reste qu'à

Avant les Mémoires historiques sur Louis XVII d'Eckard, dont la 1re édition date de 1817, il faut signaler la locution « enfant roi » dans le titre de la brochure suivante : « Malheurs, souffrances et fin déplorable de Louis XVII, fils du roi-martyr; précédés de plusieurs traits de bonté et d'intelligence de cet enfant-roi. A Montpellier, chez Auguste Seguin, libraire, place Neuve, 1816. » in-8° de 40 pp., imprimé chez Jean Martel aîné. Dès 1806, François Hue, qui employait comme expression « l'Enfant Royal » (Dernières années de la vie et du règne de Louis XVI. Londres, 1806, p. 474), parlait aussi, dans son Avant-Propos, de « Madame, sœur de l'enfant Roi » (Ibidem, Londres, 1806, p. VIII). Châteaubriand, dans la séance du 9 janvier 1816, parlait aux Pairs de «ce Roi enfant... Il se lève, Messieurs, dans toute sa gloire céleste et il vous demande un tombeau ».

ajouter une dernière remarque. Cette lettre du 7 novembre 1794 défigure le nom de Gomin en l'appelant Cosmier.

La forme véritable du nom de Gomin (Hue, 1806, p. 510; Weber, 1809, t. 3, p. 383; Eckard, 3o édition, 1818, pp. 237, 251, 252, 253, etc.) se trouve avec les variantes suivantes : Gaumain (les Adieux, 1796, p. 144; Weber, 1809, t. 3, p. 389), Gomain (Saint-Hilaire, 1825, p. 120), Gaumin (Eckard, 1817, p. 302).

La variante révélatrice, Gomier, avec l'expression Loine « brave homme », que la lettre de Laurent du 7 novembre applique à Cosmier, se trouve dans toutes les éditions du mémoire sur la captivité de ses parents, signé par Marie-Thérèse-Charlotte de France au Temple, le 14 octobre 1795, qui a été publié d'abord d'après une copie fautive sur ce point (1817, Audot, pp. 69, 70'; 1823, Audot, pp. 79, 80, 81; 1852, pp. 101, 102; 1858, pp. 97, 98, 99). L'édition de 1862 (pp. 120, 123) est faite d'après une copie plus fautive encore qui porte Garnier. En fait, le manuscrit original de Madame Royale porte la forme exacte Gomin (1892, pp. 161, 162, 163, 164). Le rédacteur de la lettre du 7 novembre 1794 a donc été trompé en préférant la leçon Gomier donnée à tort en 1817 dans l'édition du Mémoire de Madame.

La conclusion s'impose: les trois lettres attribuées à Laurent sont des textes apocryphes composés entre le 10 septembre 1818 et le 15 août 1833. Publiées par Bourbon-Leblanc en octobre 1835, elles supposent la connaissance des lettres adressées, de 1792 à 1795, par Peltier, Cormier, Frotté et Auerweck à Mme Atkyns, que le P. Delaporte en 1893, M. Frédéric Barbey en 1905 ont retrouvées et publiées. Or, M. de Saint-Didier, en 1851, a déclaré avoir été en rapport avec cette Anglaise dévouée aux Bourbons (En politique, point de justice, août 1851, p. 245). D'autre part, il a été l'envoyé de Naundorff auprès de la duchesse d'Angoulême à la fin de 1833.

C'est donc lui, sans doute, le faussaire que l'histoire doit écarter de son chemin en même temps que cet aventurier prussien.

1 Un ouvrage marque, en 1821, l'influence combinée d'Eckard et de la copie fautive du mémoire de Madame Royale. On y trouve, en effet, « l'Enfant-Roi » (Marie-Antoinette, pp. 80, 81; Louis XVII, p. 11) et, aussi, « Gomier » (Louis XVII, pp. 21, 22, 36), avec Loine, brave homme » (Louis XVII, p. 35). Cet ouvrage, dont chaque chapitre a ainsi une pagination différente, porte le titre suivant : Les Bourbons martyrs ou les augustes victimes. Paris, Adrien Egron, imprimeur de son Altesse Royale Monseigneur, duc d'Angoulême. MDCCCXXI.

IV'

Naundorff et ses preuves surnaturelles

Martin de Gallardon, les Montmorency

Le 27 octobre 1833, Mme Caroline Albouys, belle-sœur de l'ancien juge de Cahors qui avait récemment attiré Naundorff en France, se trouvait de retour de l'inutile voyage qu'elle avait fait à Krossen-sur-l'Oder pour en rapporter les preuves écrites de l'identité du nouveau prétendant avec Louis XVII.

Mécontente de son échec, elle attendit près de cinq mois avant de l'avouer pleinement à son beau-frère qui, rentré lui-même de Paris à Cahors, ne recevait dans son pays que des nouvelles sommaires et trop rares sur les faits et gestes de son « prince ».

Celui-ci se méfiait de cet honnête homme « incapable de dire un mensonge officieux » (14 janvier 1834): il ne voulait pas lui donner « des renseignements précis » sur son affaire qui pourraient « peut-être lui nuire plus tard ».

Quant à Caroline, ce qui l'avait conquise à Naundorff, c'était « la parole d'honneur seulement et la bonne physionomie » de celui-ci : désormais refroidie par l'absence des preuves écrites, elle l'étudiait patiemment. Le 16 mars 1834, elle est fixée : « Je tâchai, écrit-elle à Cahors, de lui avoir une douzaine de paroles d'honneur sur des faits tout à fait importants... Il m'a été démontré et parfaitement démontré que toutes ses paroles d'honneur étaient fausses. » Ainsi, résolue à se retirer de cette affaire, elle conseille à ses parents d'en faire autant : « Depuis qu'il est ici, la police... garde le plus grand silence sur ce sujet... Il se pourrait bien qu'il y eût quelque dessous de carte que nous ne sommes pas capables, ni vous ni moi, de débrouiller. »

L'excellent Albouys s'afflige de ces doutes si raisonnables d'une simple femme il persiste dans sa foi robuste.

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Journal des Débats politiques et littéraires, 124 année, n° 115. jeudi 25 avril 1918 p. 3, col. 1-2 variété,

C'est que, si les « preuves écrites» le fuient, en comparaison, les « preuves surnaturelles » affluent. Il lui suffit par exemple, d'ouvrir le Journal des villes et des campagnes, p. 7, pour y trouver, au beau milieu de la deuxième colonne, ce fait divers, daté de Paris le 30 juin, qui l'illumine et qu'il se hâte de signaler, le 15 juillet, à son ami de Marmande, M. Bonnet : « Dieu sera notre libérateur et j'espère que l'année 1834 ne passera pas sans que notre délivrance soit accomplie. »

Voyons sur quoi se fondent ces espérances qui lient le salut de la France au prochain avènement de Naundorff :

« Euf miraculeux.

» Il y a quelques jours, à Origny, petit village de l'arrondissement d'Avallon, département de l'Yonne, la ménagère d'un M. Gautherin alla, selon l'habitude, lever les œufs pondus par les poules du propriétaire. Elle en aperçoit un qui laissait lire parfaitement ces lettres et ces chiffres en relief: F. D. 1834. Il ne pouvait y avoir aucune fraude, aucune tromperie, l'œuf encore tout chaud venait d'être pondu.

» On peut juger de l'étonnement que causa ce miracle dans tout le village, des interprétations auxquelles donnèrent lieu les lettres et les chiffres cela veut dire dernière fin ou fin dernière, disait l'un avec effroi. Non, cela signifie: Philippe, défends-toi. — Ho! non, ajoutait un autre, F. D. 1834, c'est : France délivrée en 1834.

:

» L'œuf a été porté à la sous-préfecture... Les curieux vont le voir... Espérons que certains événements viendront mettre d'accord les interprétations diverses auxquelles donnent lieu les lettres et chiffres miraculeux. >>

Voilà ce qu'une poule mal comprise était encore capable de suggérer à un ancien magistrat bien pensant, sous le gouvernement de Juillet. M. Albouys conclut avec sérénité : « J'ai vu moi-même tant de choses merveilleuses que rien ne saurait m'étonner. » Tout le monde peut, pour des motifs autres, si ce n'est contradictoires, partager ce sentiment.

Dans l'ordre qui lui paraissait surnaturel et en attendant les preuves écrites, M. Albouys avait d'ailleurs eu, avant cet œuf de poule, un précédent motif bien plus puissant de croire en l'identité de Naundorff avec Louis XVII.

Sur le désir de Mme de Saint-Hilaire, de Versailles, et par l'intermédiaire imprévu de la mère Pasquier, femme très charitable du bourg de Saint-Arnoult au diocèse de Versailles, qui, au point de vue surnaturel, savait en remontrer à l'abbé Appert, son curé, M. Albouys avait pu, le 6 septembre 1833, rencontrer le laboureur de Gallardon, Thomas-Ignace Martin, célèbre dans la France entière pour avoir servi d'intermédiaire entre l'archange Raphaël et le roi très chrétien Louis XVIII.

Celui-ci était mort et l'archange ne se montrait plus, mais le visionnaire, désormais conscient de son importance personnelle, demeurait l'arbitre de quelques « cœurs droits, fidèles et dociles à la voix de Dieu »>. Il s'était ainsi, de sa propre autorité, peu à peu transformé en prophète. Pour s'inspirer, il commandait à ses fidèles de fréquentes neuvaines ; écoutant le récit que lui fit Albouys pour lui recommander le nouveau Louis XVII, Martin se rappela en avoir ordonné une qui devait finir le 26 mai et, précisément, c'était ce jour-là que Naundorff était arrivé à Paris. Cette coïncidence parut providentielle.

Trois semaines plus tard, le samedi 28 septembre, à Paris, veille de la Saint-Michel, Martin vint voir Naundorff. Il l'identifia, sans hésiter, avec Louis XVII, dit-il à Albouys, pour être « tel qu'il l'avait vu dans une vision. »

Là-dessus, Albouys avait pu, satisfait, repartir le 9 octobre pour Cahors et sa belle-sœur, Caroline, avait pu, mécontente, revenir le 27 de Krossen, les mains vides.

Le charme mystique ne devait plus cesser d'opérer sur les âmes fidèles et sur les simples d'esprit.

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