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1° L'action portée devant un tribunal français ne peut être repoussée par l'exception de litispendance tirée de ce que la même affaire est déjà pendante devant un tribunal étranger 2.

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2o Un jugement rendu par un tribunal étranger 3 ne peut, comme tel, être exécuté en France ou servir de fondement à l'exception de la chose jugée : un jugement rendu à l'étranger dans une affaire civile 5 peut seulement être déclaré exécutoire par un tribunal français. Cette déclaration ne peut être obtenue qu'au moyen d'un nouveau jugement, et ce jugement n'est pas un simple pareatis ou une ordonnance d'exécution 6. Les deux parties, demandeur ou défendeur7, étranger ou Français, sont fondées à

2 Cass., 7 sept. 1808; Turin, 21 août 1812; Montpellier, 12 juill. 1826; [Cass., 16 févr. 1842, S. V., 42, 1, 714. C'est ici moins une question de litispendance, qu'une question de compétence, Massé, 2, n. 200.-V. inf., § 62.]

3 La règle ne s'applique pas aux jugements où décisions des consuls français en pays étrangers, Delvincourt, 3, p. 298; Troplong, des Hyp., n. 452.

4 [On confond à tort la question de savoir si les jugements étrangers ont en France l'autorité de la chose jugée, avec celle examinée ci-après, de savoir si et comment les jugements étrangers sont exécutoires en France; et on doit décider qu'avant d'être exécutoires, ils peuvent servir de base à l'exception de chose jugée, en ce sens qu'ils font foi des faits qu'ils énoncent et qu'ils constatent, Fœlix, p. 369; Bioche, Dict. de proc., vo Exécut. des jug., n. 47; Massé, 2, n. 305; Aix, 8 juill. 1840, S. V., 41, 2, 263.- Ainsi, par exemple, un jugement étranger déclaratif de faillite fait en genéral foi en France de l'existence de la faillite, Bordeaux, 10 fév. 1824 et 22 déc. 1847, S. V., 48, 2, 228. V. Massé, 2, n. 314. Contrà, Cass., 29 août 1826. - Du reste la question de savoir si un jugement étranger a acquis l'autorité de la chose jugée doit être décidée d'après les lois du pays où il a été rendu, et non d'après les lois françaises, Cass., 25 juill. 1832, S. V., 32, 1, 664.]

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5 Il en est de même des jugements rendus en matière commerciale, Merlin, Quest., vo Jugement, § 14. [ Emerigon, des Assur., ch. 12, sect. 20; Chauveau sur Carré, n. 1899; Massé, 2, n. 312; Cass., 18 pluv. an XII. ]

6 V. Pr., art. 1020; Grenier, Hyp., 1, p. 207; Delvincourt, 1, p. 32. [ La question de savoir dans quelles limites doit 'exercer le pouvoir des tribunaux fran

çais appelés à rendre exécutoires les jugements des tribunaux étrangers est des plus controversées. Les uns, prenant pour point de départ l'art. 121 de l'ord. de 1629,qu'ils considèrent comme encore en vigueur, exigent une révision complète et un jugement à nouveau. C'est en ce sens que la jurisprudence s'est généralement prononcée. V. entre autres, Cass., 19 avril 1819; Douai, 3 janv. 1845, S. V., 45, 2, 513; Bordeaux, 6 août 1847, S. V., 48, 2,153. V. aussi en ce sens Merlin, Quest., vo Jugem., § 14, n. 2; Toullier, 10, n. 85; Duranton, 1, n. 155; Troplong, Des hyp., n. 451; Boucenne, Proc. civ., 3, p. 222 et s.; Chauveau sur Carré, n. 1899. D'autres, se fondant sur ce que l'art. 546 Pr. et l'art. 2123 ne refusent pas, comme l'ord. de 1629, toute exécution, en France, aux jugements étrangers, mais veulent seulement qu'ils y soient rendus exécutoires, pensent avec raison que les tribunaux français n'ont aucun droit de révision sur les jugements des tribunaux étrangers, et que leur office se borne à vérifier en la forme le jugement et à rechercher s'il ne contient rien de contraire à la souveraineté et aux lois d'ordre public de la France, Fœlix. p. 389 et s.; Soloman, Cond. jur. des Etr., p. 408 et s.; Demangeat, Cond. civ. des Etr., p. 405 et s.; Nouguier, 2, p. 444; Marcadé, sur l'art. 15; Valette sur Proudhon, 1, p. 159; Massé, 2, n. 305 et s. V. aussi Demolombe, 1, n. 263. Mais il est bien évident que la mission des tribunaux français ne peut se borner à un simple visa ou paréatis; et c'est par erreur que Marcadé, sur l'art. 15, a prêté à l'un de nous une opinion semblable.]

7 Grenier, 1, p. 210; [Cass., 18 pluv. an XII. V. infrà, § 62.]

8 Grenier, 1, p. 209; Duranton, 1, n. 155; Merlin, Quest., v Jugement, §14;

provoquer un nouveau jugement sur le même objet, tout comme s'il n'était encore intervenu aucune décision 9. Il y a cependant exception à cette possibilité d'un nouveau recours, lorsque la décision du tribunal étranger a été volontairement exécutée par la partie condamnée 10, ou lorsque cette décision n'est que l'exécution d'un jugement rendu par un tribunal français 11. Les sentences arbitrales rendues à l'étranger ne sont pas soumises aux mêmes règles que les jugements 12.

3o Les jugements des tribunaux étrangers ne confèrent pas d'hypothèque judiciaire en France tant qu'ils n'ont pas été déclarés exécutoires par les tribunaux français 13. De même, l'acte passé en pays étranger ne peut conférer une hypothèque conventionnelle, art. 2123, 211814, sauf les cas prévus par des lois spéciales françaises ou par des traités internationaux 15, mais sans que les lois ou les usages des autres pays puissent entraîner la réciprocité 16.

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Troplong, Des hyp., n. 451; Dalloz, Ju-
risp gen, vo Etrangers, sect. 1, art. 5;
Cass., 19 avril 1819; Toulouse, 27 déc.
1819 - En ce qui touche l'étranger, la
question est controversée. [ Dans le sens
du droit de l'étranger, V. Poitiers, 8
prair. an XIII; et Douai, 3 janv. 1845,
S. V., 45, 2, 515. En sens contr. V.
Paris, 12 mai 1820. Il est évident que,
le principe admis, il n'y a pas de distinc-
tion à faire, Demolombe, 1, n. 263.]
9 Je dis Décision, car toutes les me-
sures d'instruction prises devant les tri-
bunaux étrangers conservent leur effet
en France, Grenier, ibid., p. 211.
10 Paris, 14 juill. 1809.

11 Cass., 14 févr. 1810 et 30 juill. 1810. 12 Ces sentences ne sont pas exécutoires en France sans une ordonnance du juge, art. 2123: Pr., art. 1020; mais elles ne pourraient être attaquées comme émanant d'une autorité étrangère, Paris, 16 déc. 1809; Cass., 31 juill. 1815; Paris, 7 janv. 1835, S. V., 33, 2, 145; Troplong, Des hyp., n. 453; Delvincourt, 1, p. 52. [Il faut distinguer: s'il s'agit d'une sentence d'arbitres volontaires, le pareatis doit être donné sans révision, soit par le président seul, si elle n'a encore été revêtue d'aucune formule exécutoire en pays étranger, ou si elle a été rendue exécutoire par le président du tribunal étranger; soit par le tribunal entier, si c'est par un tribunal étranger qu'elle a été rendue exécutoire, Massé, 2, n. 320.

Quant aux sentences d'arbitres forcés, elles doivent être traitées comme les jugements proprement dits, Fœlix, § 592; Chauveau sur Carré, n. 1900; Massé, 2, n. 521. Relativement à l'influence de la réunion ou de la séparation d'un pays étranger avec la France, en ce qui touche à l'exécution d'un jugement émané de ce pays, V. Merlin, Quest., vo Réunion; Grenier, ibid., p. 217; Cass., 18 therm. an XII; Paris, 20 mars 1817; [Aix, 10 avril 1823; Cass., 6 avril 1826.]

13 Sur la faculté pour le tribunal de se livrer à un nouvel examen de l'affaire, V. sup., note 6.

1 Grenier, 1, p. 26; Consultation, SiRelativement à l'inrey, 17, 2, 217. fluence exercée sur les actes passés dans un pays, par la réunion de ce pays à la France, V. Merlin, Quest., v° Inscr. hyp., S1 et 2: Cass., 21 nov. 1809; Rouen, 28 juin 1810.

15 Il existe des traités de cette espèce avec la Suisse, 4 vend. an XII, avec la Russie et la Sardaigne, Merlin, Rép., v Jugement, §7 bis. Sur l'interprétation de ces traités. V. Delvincourt, 3, p. 500; Cass., 14. juill. 1825; Grenoble, 9 janv. 1826; [Grenoble, 3 janv. 1829; Cass., 17 mars 1830 et 23 juill. 1832, S. V., 32, 1, 664.]

16 Merlin, Rép., v Jugement, § 7 bis; Paris, 11 fév. 1808; Cass., 15 juill. 1811; Rouen, 25 mai 1813.

§ 31. Des différentes espèces de lors.

Les lois sont ou impératives, ou prohibitives, ou permissives1, [ selon qu'elles ordonnent, qu'elles défendent, ou qu'elles permettent.] Les lois permissives sont de deux espèces 2: tantôt elles ont pour effet de lever, dans certains cas et pour certains actes, un commandement ou une défense, [ c'est-à-dire qu'elles permettent de ne pas faire ce qui était ordonné, ou de faire ce qui était défendu]: leges permissivæ, in specie; tantôt elles se bornent, pour le cas où les droits des parties n'ont pas été réglés par des conventions particulières, à poser les règles de leurs droits et de leurs obligations, ainsi que des décisions à intervenir : leges declaratoriæ. V. § 34. [On peut aussi classer parmi les lois permissives celles qui accordent privativement certains droits et certains priviléges 3. On admet encore quelquefois une quatrième classe de lois, celle des lois pénales. Mais peut-être est-il plus exact de considérer les lois pénales comme des lois impératives, puisqu'elles ordonnent de prononcer une peine, ou comme des lois prohibitives, puisqu'elles sont la sanction des défenses faites par le législateur 4.]

§ 32. De l'observation des lois; des dispenses légales.

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Tout ce que la loi ne défend pas ou ne prescrit pas est abandonné au libre arbitre de chacun. V. art. 544, 902, 1123. Ainsi, ce que la loi ne défend pas est permis; ce que la loi ne prescrit pas peut, à la volonté de chacun, être fait ou ne pas être fait. Si, d'après la loi, plusieurs voies sont ouvertes pour arriver au même but, chacun peut choisir celle qui lui convient le mieux. Il peut même en changer tant qu'il n'y a pas eu un droit acquis à un tiers, soit par suite d'une disposition spéciale de la loi, soit par suite d'un acte obligatoire 1.

Il est permis d'omettre les prescriptions ou les défenses de la loi quand les magistrats, officiellement chargés de les faire observer, dispensent de s'y conformer. Le chef de l'Etat, auquel le droit de dispense appartient, ne peut en user que dans les cas déterminés

1 L. 7, Dig., De leg.

2 Le mot loi permissive serait, sans cette explication, une véritable contradiction.

3 [V. Massé, 1, n. 67.]

1 La règle Electâ und viâ non datur recursus ad alleram, ou encore Omnis variatio in jure est odiosa, ne repose ni sur un principe général, ni sur une disposition formelle de la loi, Merlin, Quest.,

4 [V. Demolombe, 1, n. 15; et Mar- v Option. cadé, Intr., p. 20.]

par la loi 2. [Certaines dispenses peuvent aussi être accordées par les officiers préposés à cet effet par le chef de l'Etat 3.]

§ 33. Des actes simulés.

Il résulte du principe qui vient d'être établi au paragraphe précédent, que toute disposition ou convention susceptible, d'après la loi et à raison de son objet, de différentes formes ou de différents modes, peut être, au gré des parties, indistinctement revêtue de l'une de ces formes, ou arrêtée suivant l'un ou l'autre de ces modes. Toute convention doit alors être appréciée d'après les lois qui s'appliquent à la forme et au mode particulier qui ont été choisis 1. Cette règle s'applique, sous réserve toutefois des exceptions que les lois y ont introduites, V. art. 918, même aux cas où soit la disposition, soit la convention, ont reçu une certaine forme et où un certain mode a été adopté en vue d'éluder une loi prohibitive on impérative; en d'autres termes, la disposition ou la convention est valable en droit et doit être appréciée d'après les lois établies pour la forme et le mode qui ont été suivis, avec cette restriction, toutefois, qu'elle peut être attaquée si, au fond, elle se trouve en contradiction avec la loi éludée 2. Si donc une donation est déguisée sous la forme d'un contrat de vente et que les formalités extérieures usitées pour les donations n'aient pas été observées, art. 931, l'acte de vente ne sera pas pour cela radicalement nul; mais, si la libéralité touche à la réserve légale, elle pourra être attaquée par les héritiers à réserve et être réduite à la portion disponible 3. En effet, toute espèce de libéralité entre vifs n'est pas nécessairement soumise aux formalités extérieures de la donation. La remise de la dette, par exemple, peut s'opérer sans ces formalités, sauf réduction, le cas échéant.

2 Merlin, Rép., v° Loi, § 10, et v° Dispense. [C'est ce qui a lieu notamment en matiere de mariage pour les dispenses d'âge, art. 145, ou de parenté, art. 164.] 3 [Par exemple, en matière de mariage, pour les dispenses de la seconde publication. Ces dispenses sont accordées par le procureur impérial, art. 169; Arr. 20 prair. an II, art. 1. }

1 Cass., 7 avril 1813. [ La simulation n'est pas une cause de nullité quand elle ne porte préjudice à personne, parce qu'on peut faire indirectement ce que la loi permet de faire directement, Toullier, 9, n. 160 et s.]

2 Un pareil acte est appelé un acte simulé Negotium simulâtum est nego

tium cui dolus adversus legem inest, Cass., 18 mars 1807. La règle Plus valet quod agitur, quàm quod simulatur ne s'applique pas d'une manière absolue, mais seulement en tant qu'un acte viole la loi. V. sur les actes simulés, Chardon, Traité du dol et de la fraude; Merlin, Rep., vo Simulation.

3 La question de savoir si une donation déguisée sous forme de vente est nulle, d'une manière absolue, ob defectum forme, ou seulement à raison de ce qu'elle fait fraude à la loi, est une des plus controversées du droit civil français. Après quelque hésitation, la jurisprudence s'est prononcée dans notre sens. [Nous reviendrons sur ce point en traitant des donations.]

V. aussi art. 1121 et 1973. De même, si des époux ont divorcé en vue de frauder leurs créanciers, art. 275, le divorce subsiste, mais il ne peut avoir aucun effet vis-à-vis des créanciers 4.

Tout acte simulé, fait en fraude de la loi, peut toujours être attaqué par les tiers dont il lèse les droits : il ne peut l'être par l'une des parties qu'autant que cette partie n'aurait aucune fraude à se reprocher 6.

§ 34. Des restrictions apportées à la liberté juridique des individus.

La liberté juridique des individus est si étendue, qu'ils peuvent déroger aux lois par leurs conventions particulières. Cependant cette liberté n'est pas illimitée. Elle doit être renfermée dans les cas où il s'agit de dispositions introduites en faveur de celui qui veut y renoncer ou qui veut les modifier : Quilibet juri in favorem suum introducto renunciare potest. Il n'en est plus de même dès qu'un intérêt public est en jeu 1. [On ne peut donc, par des conventions particulières, déroger aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs, ] art. 6, 1133; L. 45, § 1, Dig. De reg. jur.; L. 6, C. De pactis. V. aussi art. 900, 1172, 1388 et 1833. Mais il n'est pas facile de savoir si telle ou telle disposition a été dictée par un intérêt privé ou par un intérêt public. L'appréciation de ce point est, en général 2, remise au pouvoir judiciaire 3. Un acte ainsi fait contrairement à la loi entraîne, suivant la diversité des cas, ou la nullité, ou des dommages-intérêts.

On ne saurait considérer comme une restriction au principe de la liberté juridique la règle que personne ne peut porter atteinte aux droits d'autrui. Cette règle n'est pas une restriction; elle rentre dans l'essence du principe même de la liberté. Tout acte illégitime, c'est-à-dire lésant les droits d'autrui, est, en même temps, illégal. Tout acte illégal n'est pas nécessairement illégitime.

[Cass., 1er mess. an XI, et 5 janvier 1830.] 5 Merlin, Rép., vo Simulation, § 6. 6 Toulouse, 9 janv. 1821; [Pau, 19 mars 1831, S. V., 31, 2, 303.]

1 Merlin, Rép., vo Loi, § 8. 2 En général, c'est-à-dire que dans certains cas la loi accorde ou refuse expressément aux intéressés le droit de modifier telle ou telle disposition légale ou

de ne pas y avoir égard. V. art. 819 et 1001.

3 Les prescriptions concernant l'état d'une personne, V. art. 1588, ou les formes extérieures de certains actes juridiques, rentrent évidemment dans les lois d'intérêt public; mais, dans plusieurs autres cas, la question soulève des doutes sérieux. Les termes impératifs ou prohibitifs d'une disposition de la loi ne décident pas la question.

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