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vaincus font retentir la ville de leurs plaintes. On accuse M. de Belzunce, major en second de ce régiment, d'avoir excité ses guerriers. par l'appât d'une récompense, à cette odieuse et lâche expédition. Le peuple indigné court aux armes et à la vengeance. Le régiment de Bourbon se renferme dans les casernes; à l'entrée de la nuit, un piquet de grenadiers tente de s'emparer du pont de Vaucelles. La sentinelle bourgeoise fait feu, et crie aux armes. A l'instant le tocsin sonne, les habitans même des campagnes accourent; et à minuit, plus de vingt mille hommes, avec du canon, investissent le quartier.

Les officiers municipaux et ceux du régiment, désirant prévenir le carnage, entrent en pourparler. M. de Belzunce proteste de son innocence, offre de se rendre à l'Hôtel-de-Ville, et d'en donner des preuves convaincantes.

Le régiment demande des otages: on les donne, et l'infortuné major se livre courageusement à la multitude. La garde nationale l'environne et le conduit à la citadelle, dans l'espoir de le sauver. Cependant M. d'Harcourt, commandant de la province, envoie ordre au régiment de sortir de la ville, persuadé que son départ pourra contribuer à ramener le calme.

La paix semblait renaître, et la bonne intelligence était tellement rétablie, que les otages de la bourgeoisie lui avaient été rendus. Mais le régiment était à peine hors de la ville, que la sédition éclate avec une nouvelle fureur. Le peuple, dans un de ces mouvemens rapides contre lesquels la force et la prudence humaine sont impuissantes, se porte subitement à la citadelle, y pénètre, malgré les efforts de la garde nationale, s'empare de M. de Belzunce, le traîne sur la place de l'Hôtel-de-Ville, et le tue à coups de fusil.]

A Poissy, il y eut un soulèvement contre un homme soupçonné d'accaparement. Il fut sauvé par une députation de l'assemblée nationale, et conduit dans les prisons de Versailles. Cette affaire occupa deux séances de l'assemblée.

A Saint-Germain-en-Laye, un meunier, nommé Sauvage, eut la tête tranchée.

A Pontoise, l'insurrection pour les grains fut arrêtée par la présence d'un régiment qui revenait de Paris.

A Rouen, il y eut un soulèvement dans lequel quelques personnes périrent. Tous les habitans coururent aux armes.

Au Havre, les habitans ayant appris que quatre cents hussards avaient été embarqués à Honfleur pour venir renforcer la garnison de la ville, attaquèrent l'arsenal de la marine, forcèrent les portes, s'armèrent, et pointèrent des canons sur la jetée, et forcèrent les vaisseaux, porteurs des hussards, à se retirer.

A Dijon, la fermentation fut extrême. Le commandant de la place fut un moment au pouvoir d'un rassemblement : il fut sauvé par la bourgeoisie qui avait pris les armes.

A Bordeaux, toute la population sortit sur la place, et prit les armes. Les électeurs se réunirent et prirent le commandement de la ville. Les clefs du château Trompette leur furent remises par l'officier qui le commandait. La garde nationale fut organisée.

En Franche-Comté, plusieurs châteaux furent pillés.

En Flandre, les bureaux de douanes furent renversés.

A Strasbourg, on célébra par une illumination, dans la nuit du 19 au 20, les événemens de Paris. Au milieu de la joie universelle, quelques attroupemens menacèrent les hôtels des ma gistrats les plus détestés : ils furent dissipés par des détachemens de la garnison.

Le lundi, 20, diverses députations de la bourgeoisie vinrent demander la remise des droits sur la viande, l'admission d'un comité de citoyens à l'Hôtel-de-Ville, la formation des districts et d'une milice urbaine, etc. Le commandant de la place appuyait ces demandes; mais le conseil de la ville les ajourna par des objections.

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Le mardi, un rassemblement attaqua l'Hôtel-de-ville, pilla archives, en un mot saccagea ce palais. Le même rassemblement attaqua divers hôtels, et les mit, dit-on, à contribution. Alors, la bourgeoisie s'était retirée de la place publique, et s'occupait à s'organiser. Cependant, le rassemblement fut facilement dis

sipé par les troupes, sans qu'il fût même tiré un seul coup de fusil.

Le mercredi, la bourgeoisie se trouva organisée et armée, et prit part au service de la place. Quatre cents malheureux furent arrêtés dans les rassemblemens qui s'étaient formés de nouveau. Quelques jours après, les soldats reçurent une gratification, destinée à les dédommager de leurs fatigues précédentes. Ils se mêlèrent avec le peuple dans les lieux publics, et allèrent de là briser les prisons où l'on avait enfermé ceux qui avaient été arrêtés le mercredi précédent. Pendant vingt-quatre heures, il ne fut pas possible aux officiers de ramener la discipline : les soldats étaient dans les rues, fraternisant avec le peuple. Quelques désordres furent commis, sans doute, dans l'ardeur de l'ivresse. Enfin cette ardeur se calma; le régiment de Darmstad fut seul puni; on l'envoya quelques jours camper hors des remparts.

En Dauphiné, d'après une brochure qui a pour titre les Incendiaires du Dauphiné, ou les Ennemis des Grands, dans les premiers jours d'août, une ou plusieurs bandes parcouraient les campagnes et incendiaient les châteaux. A Mezin, le château fut respecté, parce que les brigands le trouvèrent habité par une dame au lit, et ses trois enfans; ils se bornèrent à brûler les archives féodales.

En Auvergne, dans le même temps, le bruit d'une pareille incursion fit prendre les armes à toutes les campagnes. (Lettre adressée au comité permanent.)

A Verdun, le 25 juillet, le peuple se transporta à la citadelle et alla demander des armes au gouverneur; cette demande fut vainement réitérée le lendemain. Cependant le peuple soulevé alla brûler les barrières, et menaça diverses maisons où habitaient des gens prévenus d'accaparement de grains. Alors, le gouverneur invita la bourgeoisie à se former en milice urbaine, et à travailler au retour de l'ordre. Le prix du pain fut baissé, et on arrêta deux individus désignés par la colère du peuple : M. le maréchal de Broglie, fuyant de Paris, tomba au milieu de cette effervescence. Ce fut avec peine, et grâces à un puissant dé

ploiement de la garnison, qu'il échappa à la vindicte publique. (Événemens mémorables arrivés à Verdun, au sujet du maréchal Broglie, etc.)

A Chatelleraut en Poitou, le peuple s'empara de l'Hôtel-deville, nomma des échevins, et arrêta les magistrats qui s'opposèrent à ses arrêts; on prescrivit aussitôt des mesures pour aller à la recherche des farines. Le pain fut fixé à 3 sols la livre pour les ouvriers, et à 5 sols pour les nobles.

Ainsi, en tous lieux, les Français se formèrent en gardes nationales; et presque partout aussi ils eurent des griefs à punir.

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Paris, 18 juillet. EXTRAIT DU PROCÈS-VERBAL DE LA COMMUNE.

L'assemblée des électeurs arrête qu'il sera formé un comité provisoire, pour remplacer le comité permanent ; qu'il sera composé de soixante membres élus dans son sein, et qu'il sera divisé en quatre bureaux : le premier de distribution, le second de police, le troisième des subsistances, le quatrième sera le comité militaire, dans lequel entreront les officiers d'état-major de la garde nationale.

Les gardes françaises demandent que l'on choisisse les futurs officiers du corps parmi les sous-officiers et soldats du régiment.

L'assemblée arrête : « Que les ouvriers sont invités à reprendre leurs travaux ; et qu'en rapportant un certificat de leurs maîtres, ou chefs d'ateliers, portant qu'ils ont repris leurs travaux, et un certificat du district, portant qu'ils ont déposé leurs armes dans le dépôt indiqué par le district, il leur sera payé une somme de 9 livres; savoir dans trois jours, à compter du présent arrêté, 6 livres à ceux qui auront rapporté une arme à feu, et 3 livres à ceux qui n'auront pas rapporté une arme à feu; et, huitaine après, les 3 livres restantes à chaque ouvrier, sans distinction. L'assemblée déclare s'en rapporter à la prudence des districts à l'égard des ouvriers journaliers et autres qui, n'ayant aucun maître, aucun chef d'atelier, seront dans l'impossibilité de rapporter un certificat de reprise de travail. La présente proclamation sera imprimée et affichée. »

On amène un homme, nommé Duhamel, arrêté au PalaisRoyal, lorsque, monté sur une chaise, et environné de la foule, il déclamait contre l'aristocratie de l'Hôtel-de-Ville. On le renvoie pardevant la justice.

ASSEMBLÉE NATIONALE. SÉANCE DU 20 JUILLET.

[Motion de Lally-Tolendal contre les désordres qui se répandent de province en province; il demande que l'assemblée s'occupe de raffermir l'autorité publique, et lui soumet une proclamation au peuple destiné à lui rappeler tout ce qu'ont fait l'assemblée et le roi pour mériter sa confiance; on y invitait tous les bons citoyens au retour de l'ordre, à la répression des troubles et des exécutions arbitraires, et l'on autorisait la formation des milices bourgeoises sous la surveillance des municipalités. Dupont de Nemours opine pour délibérer sur le champ. Fermont pense que la proclamation proposée est plus propre à soulever le peuple qu'à le calmer ; il demande son renvoi au bureau. — Le marquis de Toulongeon vote pour la proclamation.

M. Robespierre. Il faut aimer la paix, mais aussi il faut aimer la liberté. Avant tout, analysons la motion de M. de Lally. Elle présente d'abord une disposition contre ceux qui ont défendu la liberté. Mais y a-t-il rien de plus légitime que de se soulever contre une conjuration horrible, formée pour perdre la nation? L'émeute a été occasionnée à Poissy, sous prétexte d'accaparemens; mais la Bretagne est en paix, les provinces sont tranquilles, la proclamation y répandrait l'alarme, et ferait perdre la confiance. Ne faisons rien avec précipitation : qui nous a dit que les ennemis de l'Etat soient, à jamais, dégoûtés de l'intrigue?

Plusieurs membres réclament simplement l'organisation des milices nationales. - Gleizen propose l'envoi dans les provinces des procès-verbaux des séances, comme suffisans pour instruire les citoyens. Réflexions de Buzot sur les dangers de déclarer indistinctement mauvais citoyens les hommes qui s'arment dans ce moment de crise; d'après la possibilité de la reprise des

T. W.

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