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DE LA

RÉVOLUTION FRANÇAISE.

DANS le précédent volume, nous avons vu les députés des communes chassés de la salle des États-Généraux, réunis par groupes, au milieu d'une avenue de la ville, et presque délibérant sous le ciel; tous ces hommes n'avaient qu'une volonté, celle de trouver un lieu où ils pussent se réunir, afin de montrer que l'assemblée nationale existait toujours. Il ne s'agissait plus de conquérir un droit et d'accomplir le devoir qui leur était imposé par les cahiers, mais de venger leur dignité blessée, mais de donner cours à une colère trop justifiée; car ils se sentaient insultés aussi bien comme hommes que comme citoyens. La population, appelée à ce spectacle, ne s'échauffait pas moins vivement à l'insulte faite à ses représentans; aussi pendant que les gens de cour riaient de ce pauvre Tiers-état, si fier la veille, si petit aujourd'hui et presque sans asile, le peuple de Versailles fit cortège aux députés, lorsqu'ils se rendirent à l'appel de Bailly, et allèrent se réunir au Jeu de Paume.

Séance du Jeu de Paume.

(M. le président rend compte des faits, et communique deux lettres qu'il a reçues ce matin du marquis de Brezé, grand-maître des cérémonies,

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Versailles, ce 20 juin 1789.

Le roi m'ayant ordonné, Monsieur, de faire publier par des hérauts l'intention dans laquelle sa majesté est de tenir lundi 22 de ce mois, une séance royale, et en même temps la suspension des assemblées que les préparatifs à faire dans les salles des trois ordres nécessitent, j'ai l'honneur de vous en prévenir.

Je suis avec respect, Monsieur, votre très-humble et trèsobéissant serviteur,

Le marquis DE BrezÉ. ›

P. S. Je crois qu'il serait utile, Monsieur, que vous voulussiez bien charger MM. les secrétaires du soin de serrer les papiers dans la crainte qu'il ne s'en égare.

› Voudriez-vous bien aussi, Mousieur, avoir la bonté de me faire donner les noms de MM. les secrétaires, pour que je recommande qu'on les laisse entrer, la nécessité de ne point interrompre le travail pressé des ouvriers, ne permettant par l'accès des salles à tout le monde? »

M. le président dit qu'il a répondu à cette lettre dans les termes suivans :

<Je n'ai reçu encore aucun ordre du roi, Monsieur, pour la séance royale, ni pour la suspension des assemblées ; et mon devoir est de me rendre à celle que j'ai indiquée pour ce matin huit heures.

› Je suis, etc. ›

En réponse à cette lettre, M. le marquis de Brezé lui a écrit la seconde, dont la teneur suit :

Versailles, ce 20 juin 1789.

« C'est par un ordre positif du roi que j'ai eu l'honneur de vous écrire ce matin, Monsieur, et de vous mander que sa majesté voulant tenir lundi une séance royale qui demande des préparatifs à faire dans les trois salles d'assemblée des ordres, son intention était qu'on n'y laisse entrer personne, que les séances fussent suspendues jusqu'après celle que tiendra sa majesté.

› Je suis avec respect, Monsieur, votre très-humble et trèsobéissant serviteur,

Le marquis DE Brezé. ›

M. Bailly. Je n'ai pas besoin de faire sentir la situation affligeante où se trouve l'assemblée ; je propose de mettre en délibération le parti qu'il faut prendre dans un moment aussi orageux.

M. Mounier présente une opinion qui est appuyée par MM. Target, Chapelier, Barnave; il représente combien il est étrange que la salle des États-Généraux soit occupée par des hommes armés; que l'on n'offre aucun autre local à l'assemblée nationale; que son président ne soit averti que par des lettres du marquis de Brezé, et les représentans nationaux que par des placards; qu'enfin ils soient obligés de se réunir au Jeu de Paume, rue du Vieux-Versailles, pour ne pas interrompre leurs travaux; que blessés dans leurs droits et dans leur dignité, avertis de toute la vivacité de l'intrigue et de l'acharnement avec lequel on cherche à pousser le roi à des mesures désastreuses, les représentans de la nation doivent se lier au salut public et aux intérêts de la patrie par un serment solennel. Cette proposition est approuvée par un applaudissement una

nime.

L'assemblée arrête aussitôt ce qui suit :

L'assemblée nationale, considérant qu'appelée à fixer la constitution du royaume, opérer la régénération de l'ordre public, et maintenir les vrais principes de la monarchie, rien ne peut empêcher qu'elle ne continue ses délibérations dans quelque lieu qu'elle soit forcée de s'établir, et qu'enfin partout où ses membres sont réunis, là est l'assemblée nationale;

Arrête que tous les membres de cette assemblée prêteront, à l'instant, serment solennel de ne jamais se séparer, et de se rassembler partout où les circonstances l'exigeront, jusqu'à ce que la constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondemens solides; et que ledit serment étant prêté, tous les membres, et chacun d'eux en particulier, confirmeront par leur signature, cette résolution inébranlable.

M. Bailly. Je demande pour les secrétaires et pour moi de prêter le serment les premiers; ce qu'ils font à l'instant dans la formule suivante :

Nous jurons de ne jamais nous séparer de l'assemblée natio

nale, et de nous réunir partout où les circonstances l'exigeront, jusqu'à ce que la constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondemens solides.»

*

Tous les membres prêtent le même serment entre les mains du président.

Les députés de la colonie de Saint-Domingue se présentent pour demander la permission de s'unir provisoirement à la nation, en prêtant le même serment,

M. le président rend compte à l'assemblée que le bureau de vérification a été unanimement d'avis de l'admission provisoire des douze députés de Saint-Domingue; l'aseemblée la leur accorde, et ils font le même serment.

Cette cérémonie est suivie d'applaudissemens et de cris réitérés et universels de vive le roi !

Le serment prêté, M. le marquis de Gouy prenant la parole, dit : La colonie de Saint-Domingue était bien jeune quand elle s'est donnée à Louis XIV; aujourd'hui, plus brillante et plus riche, elle se met sous la protection de l'assemblée nationale.

L'appel des bailliages, sénéchaussées, provinces et villes, est fait suivant l'ordre alphabétique, et chacun des membres, en répondant, s'approche du bureau, et signe.

M. Camus. J'annonce à l'assemblée que M. Martin d'Auch, bailliage de Castelnaudary, a signé, opposant.

Un cri général d'indignation se fait entendre.

M. Bailly. Je demande que l'on entende les raisons de l'opposant.

M. Martin. Je déclare que je ne crois pas pouvoir jurer d'exécuter des délibérations qui ne sont pas sanctionnées par le roi.

M. le président. L'assemblée a déjà publié les mêmes principes dans ses adresses et dans ses délibérations, et il est dans le cœur et dans l'esprit de tous ses membres, de reconnaître la nécessité de la sanction du roi pour toutes les résolutions prises sur la constitution et la législation.

L'opposant persiste dans son avis, et l'assemblée arrête qu'on

laissera sur le registre sa signature, pour prouver la liberté des opinions.

L'appel des députés et la signature de l'arrêté finissent à quatre heures et demie.

M. Le Chapelier prend la parole pour faire sentir qu'il est nonseulement nécessaire, mais même essentiel, de faire porter au roi la douleur de l'assemblée nationale dans la circonstance. Il veut que l'adresse apprenne à sa majesté que les ennemis de la patrie obsèdent sans cesse le trône, et que leurs conseils tendent à placer le monarque à la tête d'un parti.

Ces expressions paraissent trop fortes à beaucoup de membres. M. Mounier représente que l'adresse de M. le Chapelier ne remplit pas les vues de l'assemblée. Il dit qu'il convient que les formes ont été blessées, qu'on y a même mis peu de décence; qu'aucuns motifs, aucuns prétextes, ne peuvent enchaîner l'assemblée nationale; mais qu'à cet égard, elle s'est bien vengée du manque de procédés dont elle a à se plaindre que sur le fond, le préopinant va trop loin, en se servant des termes d'ennemis de la patrie, avant de connaître le résultat de la séance royale; il pense qu'il convient de ménager ces armes pour en faire usage dans une occasion plus opportune; il propose une adresse plus modérée, dans laquelle l'assemblée témoignerait sa surprise et sa sensibilité de s'être vu refuser la porte de la salle destinée à l'assemblée nationale, au moment où la réunion du clergé allait s'opérer.

MM. Barnave et Gouy d'Arcy, proposent également une autre version. L'assemblée ne juge pas à propos de prendre une délibération à ce sujet.

Elle décide que l'arrêté du matin et le procès-verbal seront imprimés à l'instant.

L'assemblée s'ajourne à lundi 22, heure ordinaire, et elle arrête en outre que si la séance royale a lieu dans la salle nationale, tous les membres y demeureront après que la séance sera levée, pour continuer les délibérations et les travaux ordi

naires.

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