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dit. Boileau reprend sa lecture :) « Si dans les huit pre» mières séances les bases de la Constitution ne sont pas posées... » (Boileau: Le traître! il sait que c'est impossible!) n'atten» dez plus rien de cette Assemblée; vous êtes anéantis pour toujours! Cinquante ans d'anarchie........ (Boileau: Que tu veux » exciter!) Cinquante ans d'anarchie vous attendent, et vous » n'en sortirez que par un dictateur vrai patriote et homme » d'état. » (L'Assemblée s'abandonne au plus vif ressen» timent; de tous côtés on crie : Marat à l'Abbaye, à la guillo» tine! Boileau réclame un moment de silence: Attendez, citoyens, voici la sanguinaire finale :) « O peuple babillard, si » tu savais agir!... » ( Un grand nombre de membres se soulèvent contre Marat; les uns le menacent, d'autres lui jettent des regards de mépris : Marat sourit. Boileau dit en finissant:) Je demande que ce monstre soit décrété d'accusation. » ( Mouvement d'approbation; on crie : Aux voix le décret d'accusation!)

Après une vive opposition et quelques instans de tumulte Marat obtient la parole; il conserve le plus grand sangfroid: quelques membres voulaient qu'il ne fût plus entendu qu'à la barre; Henri-Larivière demandait que cet homme fût interpelé purement et simplement d'avouer ou de désavouer l'écrit cité par Boileau.

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Marat. « Je supplie l'Assemblée de ne point se livrer à des excès de fureur contre moi... (Plusieurs voix : Elle n'est que trop juste!) Je n'ai pas besoin d'interpellation; je vais répondre aux nouvelles inculpations de mes adversaires. pas rougi de m'opposer comme des titres de cription des décrets d'accusation provoqués contre moi par membres de l'Assemblée constituante et de l'Assemblée législative prostitués à la cour! Ce sont autant de titres de gloire dont je m'enorgueillis; ces décrets qui m'ont frappé je m'en étais rendu digne pour avoir démasqué les traîtres, déjoué les conspirateurs : j'observe au surplus, pour ceux qui ne sauraient pas les apprécier, que le peuple les a annulés en m'appelant ici pour défendre ses droits, et qu'il a jugé par là ma cause et la sienne.

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Quant à l'écrit qu'on vient de dénoncer, et qu'on m'interpelle de désavouer, je suis loin de le désavouer, car jamais le mensonge n'a approché de mes lèvres, et la crainte est étrangère à mon cœur. Me demander une rétractation de cet écrit et des principes qui sont à moi c'est me demander que je ne voie pas ce que je vois, que je ne sente pas ce que je sens, et il n'est aucune puissance sous le soleil qui soit capable de ce renversement d'idées : je puis répondre de la pureté de mon cœur, mais je ne puis changer mes pensées; elles sont ce que la nature des choses me suggère.

» Mais je dois vous dire que cet écrit n'est point d'aujourd'hui, comme on l'a avancé; il y a plus de dix jours qu'il a été publié, et s'il a reparu cela ne vient que de la cupidité de mon imprimeur, qui a mis en petit format ce qui avait été affiché. Je l'ai composé dans le temps où la Convention nationale n'était point encore formée, mais où j'étais indigné de voir réélire des représentans infidèles que j'avais dénoncés, et notamment cette faction de la Gironde qui me poursuit aujourd'hui. Mais la preuve incontestable que je veux marcher avec vous, la véritable opinion que je me suis formée des premiers travaux de la Convention nationale, vous la trouverez dans le premier numéro d'un journal intitulé le Journal de la République, qui a paru aujourd'hui; il vous expliquera mes véritables sentimens mieux que le perfide commentaire dont on a accompagné celui qu'on vous

a cité. »

Un secrétaire fait lecture du morceau indiqué par Marat; il est intitulé Nouvelle marche de l'auteur. Les principes qu'il renferme paraissent en effet susceptibles d'obtenir l'approbation des patriotes dévoués, mais paisibles. Cette lecture ramène successivement l'Assemblée à des sentimens de bienveillance et de générosité; Marat est en quelque sorte pardonné; agréablement surpris, plusieurs membres lui donnent même des témoignages d'intérêt. Il profite de cette circonstance pour reprendre la parole, et braver ses collègues.

Marat. « Je me flatte qu'après la lecture de cet écrit il ne Vous reste pas le moindre doute sur la pureté de mes intentions. Permettez-moi maintenant de vous rappeler à vous-mêmes, et

de fixer votre attention sur les dangers dé la prévention ou de l'emportement. Quoi donc, si par la négligence de mon imprimeur mon journal, ma justification n'eût point paru aujourd'hui, vous alliez me livrer au glaive de la tyrannie! Mais non, il n'eût pas été en votre pouvoir de consommer cette iniquité; j'avais avec moi de quoi rester libre, et, si vous aviez lancé contre moi le décret d'accusation, cette arme m'aurait soustrait à la rage de mes persécuteurs! (Il tire un pistolet de sa poche, et se l'applique sur le front.) Oui, je me brûlais la cervelle à cette tribune même! Voilà donc le fruit de trois années de cachots et de tourmens essuyés pour sauver ma patrie! Voilà le fruit de mes veilles, de mes travaux, de ma misère, de mes souffrances, des dangers que j'ai courus! Hé bien, je resterai parmi vous pour braver vos fureurs! » (Nouveaux cris, nouvelle indignation contre Marat; il est traité de fou, de scélérat; tumulte; enfin l'Assemblée fait trève à ces discussions sur les personnes, et passe à l'ordre du jour.)

L'ordre du jour était la motion de Danton, tendant à déclarer l'unité de la République française. Cette question en entraîna une foule d'autres : on proposa de déclarer qu'il y aurait égalité entre toutes les sections ou toutes les parties de la République; que la République ne serait pas fédérative; que l'unité n'était pas dans le territoire, mais dans les personnes; que le gouvernement serait représentatif, etc. Personne n'était prêt à traiter ces questions constitutionnelles; plusieurs membres firent observer combien il y aurait de danger à décréter sans examen des points aussi importans, et demandèrent le renvoi à un comité; mais la majorité, qui soupçonnait dans l'autre partie de l'Assemblée un projet formé de fédéraliser la République, voulut consacrer sur le champ le principe posé par Danton, et appuyé par Robespierre, Couthon, Barrère, etc.; et la Convention décréta, dans la même séance du 25:

« La République française est une et indivisible. »

Elle ordonna le renvoi des autres propositions au comité chargé de lui présenter l'ensemble des principes fondamentaux

du gouvernement républicain. Danton avait encore demandé la peine de mort contre quiconque proposerait la dictature ou le triumvirat; mais, sur les représentations de Cambon et de Chabot, qui rappelèrent qu'on ne pouvait porter de peine contre des opinions quelles qu'elles fussent, que le droit de la pensée était imprescriptible, que d'ailleurs, toute constitution devant être soumise à l'acceptation du peuple, on n'avait pas le droit de lui prescrire aucune forme de gouvernement, la Convention passa à l'ordre du jour.

Cette séance, la cinquième de la Convention, est moins remarquable par le décret sorti de la discussion que par l'essai que les partis firent de leurs forces. L'unité de la République était le vœu de la majorité; mais la majorité voulait aussi combattre et Robespierre et les siens, et l'on a vu que l'ordre du jour les avait laissés maîtres du champ de ba taille : bientôt une seconde accusation, mieux précisée, plus étendue, leur préparera une nouvelle victoire, qui expliquera à la fois la marche de leur puissance et le secret de la faiblesse de leurs rivaux.

Exclusion des représentans du peuple des places du ministère et de toute autre fonction publique pendant six ans après l'établissement de la Constitution.

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La lutte des deux partis provoqua de ces mesures qu'inspirent quelquefois l'inquiétude et la jalousie, mais qui du moins ont pour appui réel l'amour et le salut du peuple; mesures qui ne peuvent manquer d'être accueillies avec enthousiasme dans une assemblée nombreuse, où dominent toujours la grandeur d'âme et l'oubli de soi-même. Dans cette séance du 25 septembre la Convention avait décrété sans discussion, comme un principe fondamental, inhérent à la nature des choses, et à jamais incontestable, que l'exercice de toutes fonctions publiques était incompatible avec celles de représentans de la nation (1). Le 29 un

(1) Voyez, sur les incompatibilités, la Constitution de 1791; tome VI, pages 119 et 295.

membre mit en question si l'on pourrait choisir un ministre parmi les membres de la Convention (1).

Mathieu. «Il est hors de doute qu'il est impossible de cumuler plusieurs fonctions sur la tête d'un seul homme; aussi la question n'est pas de décider si un homme pourra être en même temps ministre et membre de la Convention; mais il est question de décider si un membre de la Convention pourra opter or je crois qu'il n'y a nul inconvénient à décider l'affirmative. En effet, les places du ministère ne sont pas, j'ose le dire, susceptibles d'être bien remplies par un grand nombre de candidats; je crois donc qu'il est important pour la chose publique que l'on puisse porter au ministère l'homme le plus digne de confiance, soit qu'il se trouve dans ou hors la Convention, et, je le répète, il n'y a nul inconvénient à décider l'affirmative. »

L'avis de Mathieu, combattu par Lecointe-Puiraveau, est appuyé par Manuel. Un très grand nombre de membres, dont l'opinion paraît être formée, demandent que la discussion ne soit pas continuée, et témoignent un mouvement d'impatience lorsque Lanjuinais se présente à la tribune.

Lanjuinais. « Je demande que les ministres soient pris hors de la Convention : si l'Assemblée veut le décréter je n'ai rien à dire. (Applaudissemens.) Je yeux que les ministres prévaricateurs puissent être dénoncés: si pourtant vous les preniez dans votre sein, dès qu'un membre dénoncerait l'un d'entre eux on dirait qu'il aspire à sa place. (Applaudissemens.) Je veux que les places du ministère soient le prix du civisme et des talens, et non celui de l'ambition et de l'intrigue.» (Bravo. Aux voix, aux voix.)

A l'unanimité, il est décrété que les ministres ne pourront être choisis parmi les membres de la Convention nationale.(29 septembre 1792.)

(1) Voyez la même question dans l'Assemblée constituante, tome V, Organisation du ministère, et tome VI, Révision, page 121 à 130. L'Assemblée législative, dans sa séance permanente du 10 août, avait décrété que les ministres seraient choisis hors de son sein; voy, t. IX.

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