Pendant ces combats et ces retraites, tout se décomposait à Naples. Les Calabrais s'avançaient vers la capitale, le commodore anglais Campbell croisait dans le golfe avec une flotte formidable, et menaçait de bombarder la ville et le palais, si on ne lui remettait pas les vaisseaux et les arsenaux pour désarmer un ennemi déclaré des alliés. La reine délibérait sous le canon des Anglais avec ses ministres ; la ville fermentait. Le cardinal Fesch, oncle de Napoléon, et la princesse Pauline Borghèse, sœur de l'empereur, s'enfuyaient du palais et de la ville. La reine enfin chargeait le prince Cariati de négocier en secret avec l'amiral anglais la cession du port et des arsenaux, à la condition qu'un vaisseau serait mis à sa disposition pour s'embarquer avec sa famille et ses trésors, et pour aller traiter de la paix en Angleterre. Ces conditions accordées, la fermentation, suite de la terreur, s'apaisait à Naples. XLIII Pendant ces désastres, Murat presque seul atteignait par les chemins détournés la maison royale de Caserte. Là il apprenait l'insurrection de la garnison de Capoue, son dernier espoir. Six mille soldats, faisant violence à leurs officiers, avaient forcé les portes, abandonné les murs, s'étaient dispersés dans les campagnes, et avaient jeté le découragement et la consternation dans la capitale. Le roi Ferdinand était à Messine, n'attendant pour franchir le détroit et pour rentrer dans le royaume de ses pères que la nouvelle de l'écroulement de Murat. Remettant les débris fugitifs de son armée au général Carascosa, et le soin de négocier une paix prompte et à tout prix à ce général et à Coletta, commandant de son artillerie : « Sacrifiez tout, leur dit-il, ་་ « excepté votre patrie. Je veux porter seul le poids de l'ad«versité. » Puis, changeant de cheval, il galopa vers Naples où il arriva la nuit. Il monta, sans être attendu, l'escalier du palais, entra dans l'appartement de la reine, et se précipitant dans ses bras : « Tout est perdu! lui dit-il, madame; il ne me restait qu'à mourir, et je n'ai pas su << mourir! » Des larmes roulèrent dans ses yeux en regardant sa jeune épouse et ses enfants. «< Non, rien n'est perdu! s'écria la reine, digne de son sang par son intrépidité, puisqu'il vous reste l'honneur, et à nous la constance << dans l'adversité! » ་ ་་ XLIV Ils s'enfermèrent quelques instants ensemble pour concerter secrètement leur départ par des chemins divers et les lieux où ils devaient se retrouver. Ils passèrent le reste de la nuit à s'entretenir avec leurs plus fidèles amis et à sonder l'avenir. Le jour suivant, Murat sortit déguisé de ce palais où il avait vécu heureux et roi, et se rendit seul au petit port de Pouzzoles, fameux par les crimes de Néron et par le meurtre d'Agrippine. Une barque de pêcheur le conduisit dans l'île d'Ischia, lieu autrefois de délices, aujourd'hui d'adieux. Les insulaires d'Ischia n'abusèrent pas contre lui de son infortune. Ils lui montrèrent des visages compatissants, et lui donnèrent pendant quelques jours une hospitalité sûre, pleine de deuil et de respect. L'affection que son cœur avait méritée des Napolitains lui rendit le départ à la fois plus cruel et plus doux. Il était aimé deux fois depuis qu'à l'attachement se joignait la pitié. Il partit d'Ischia pour la côte de France sur un bâtiment de commerce nolisé par les soins de ses amis de Naples. Quelques amis de toutes ses fortunes le suivaient parmi les hasards nouveaux et sinistres qu'il allait courir. XLV Pendant que Murat s'embarquait à Ischia sans savoir s'il serait reçu en France par la vengeance ou par le pardon de Napoléon, le peuple s'insurgeait à Naples sous les fenêtres de son palais désert. La reine et ses enfants, accompagnés de trois ministres fidèles attachés de cœur aux prospérités et aux ruines de cette famille, le comte de Mosbourg, Zatlo et le général Macdonald, se réfugiaient sur un vaisseau anglais dans le port pour échapper aux insultes de la populace. Retenus par la tempête dans la rade sous les fenêtres du palais, ils entendirent, à travers les flots, les acclamations de leur capitale saluant l'entrée des Autrichiens. Voguant enfin vers l'Adriatique, le vaisseau qui emportait la reine de Naples rencontra celui qui apportait à Naples le roi Ferdinand. La malheureuse épouse de Murat fut obligée de quitter le pont et de descendre cacher son humiliation dans l'ombre du vaisseau pour ne pas assister aux salves et aux honneurs rendus au prince légitime qui venait recouvrer son trône. Tels étaient les événements imprévus, soudains et inopportuns qui venaient de s'accomplir en Italie avec la rapidité de la pensée, à l'insu et contre les vues actuelles de Napoléon. Ces événements motivaient des déclarations de guerre encore suspendues, et firent dire souvent depuis à l'empereur « La destinée de Murat était de perdre deux <«<fois ma cause, une fois en m'abandonnant, une autre fois «en se prononçant pour moi avant l'heure. » Ainsi la fidélité malheureuse ne rachetait pas même l'infidélité. Le devoir seul ne se trompe jamais d'heure, comme l'honneur de chemin. FIN DU TOME TROISIÈME TABLE DES MATIÈRES. Pages. LIVRE SEIZIÈME. Napoléon à son départ de Fontainebleau. - - Son voyage. - contre avec Augereau. Accueil des populations à son passage. - Il passe devant Antibes. Il traverse Cannes, Grasse, Digne et Gap. — Sa halte à la Mure. - Napoléon au pont de Vizille. - Il entraîne un bataillon de l'armée royale. Défection de Labédoyère. Entrée de Napoléon à Grenoble. Enthousiasme des campagnes. - Marche sur Lyon. Louis XVIII apprend le débarquement de Napoléon. — Préparatifs de défense. Départ des princes pour l'armée. - Situation équivoque du duc Ordre du jour du maréchal Soult. - Protestations Stupeur générale à la nouvelle du retour de Napoléon. - Impressions - Intrigues de Fouché. Son entrevue avec le comte d'Artois. Conspiration orléaniste dans l'armée. - Manifestations du parti con- - La Fayette. Adresse de la chambre des pairs et de la chambre des députés. - Manifeste et discours du roi. — Allo- - |