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milieu des populations rurales ivres de son nom. Elles oubliaient sa longue tyrannie pour emprunter son bras contre la restauration, se réservant de l'enchaîner ensuite. Napoléon acceptait comme un secours provisoire à sa cause mais de mauvaise grâce, ces acclamations où le nom de révolution se mêlait pour la première fois au sien. De Vizille, une avant-garde de peuple précéda l'empereur autour des murs de Grenoble. Les cris et les émotions de cette foule pénétraient dans la ville et dans les casernes, et corrompaient d'avance la fidélité des troupes. L'adjudant du septième régiment, commandé par Labédoyère, aborda Napoléon pendant la halte à Vizille, et lui annonça que ce colonel était sorti de Grenoble, à la tête de son régiment, non pour le combattre, mais pour le renforcer.

XXXI

L'empereur ne voulut pas laisser refroidir cette flamme de l'enthousiasme qui le devançait et qui dévorait tout sur son passage. A la nuit tombante, il se remit en marche sur Grenoble. Il comptait sur la nuit et sur la confusion pour faire éclater la ville. Elle échappait déjà au général Marchand qui y commandait.

Six mille hommes s'y trouvaient réunis dans une enceinte fortifiée qui commande la vallée de Chambéry et de Lyon, le passage du Rhône, et que l'empereur ne pouvait laisser impunément derrière lui sans s'exposer à être poursuivi et écrasé pendant qu'il aborderait Lyon. Les clefs de Grenoble étaient les clefs de la France. Vienne, Valence, Chambéry venaient d'y concentrer leurs forces. Mais ces forces, démoralisées par le bruit de la défection du cin

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quième de ligne à la Mure et par l'esprit du Dauphiné, n'offraient aucun appui solide aux autorités royales. Le cri de Vive l'empereur! retentissait depuis le matin dans les rues et commençait à sortir des casernes. Le peuple faisait de jurer aux soldats qu'ils ne tireraient pas sur leurs frères. Les officiers seuls, résistant par l'honneur à l'entraînement, voulaient retenir leurs troupes. Au milieu du jour elles ne leur laissaient déjà plus d'autre espoir que celui de les éloigner de la contagion. Le quatrième régiment fut emmené par son colonel sur la route de Chambéry. Labédoyère entraîna le sien sur la route de Vizille. Soit qu'il eût préparé de loin sa défection, soit que la conspiration muette de ses soldats eùt pressenti l'événement, les cocardes tricolores étaient cachées sur les poitrines et dans les tambours.

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Entre Grenoble et Vizille, l'empereur entendit une grande rumeur à son avant-garde et de longues acclamations éclater dans la nuit. C'était le peuple des campagnes voisines de Grenoble qui faisait cortége au régiment de Labédoyère entraînant et entraîné. Des torches éclairaient cette scène. Le jeune colonel se précipita dans les bras de l'empereur en lui offrant son bras et son régiment. Puis, comme s'il eût senti d'avance le remords de son élan et le reproche intérieur de sa faute, il voulut la rendre au moins profitable à la liberté, et parla en homme qui fait ses conditions pour la patrie tout en la livrant à un maître. L'empereur, sans s'arrêter à l'impétuosité de ces paroles étranges à son oreille, accueillit Labédoyère en homme qui ne marchande pas les conditions de l'empire. On pardonne tout à un complice quand la toute-puissance est le prix de la complicité.

Dumoulin accourut quelques moments après et offrit à Napoléon 100,000 francs et sa vie.

Prévenu confidentiellement du retour de Bonaparte, il avait envoyé un exprès au duc de Bassano à Paris avec des

dépêches de l'empereur; imprimé clandestinement ses trois proclamations dictées en pleine mer; prévenu Labédoyère et conféré avec MM. Chanvion, Fournier, Renaud, Boissonnet, Béranger et Champollion - Figeac, propagateurs actifs de l'enthousiasme qui se réveillait à Grenoble. Napoléon lui donna un brevet de capitaine, le décora lui-même de la croix de la Légion d'honneur, et dans la nuit de son arrivée à Grenoble l'admit à une conversation familière dans laquelle celui qui allait remonter pour la seconde fois sur le trône s'entretint avec M. Champollion-Figeac de ses souvenirs d'Égypte et des quatorze dynasties qui dormaient sous les pyramides.

XXXII

Déjà les torches qui éclairaient la marche de l'armée et son triomphe nocturne s'apercevaient du haut des remparts de Grenoble, et les clameurs de cette multitude armée et désarmée arrivaient jusqu'aux oreilles du préfet et du général. Le général n'avait plus pour défendre la ville que les murs et les portes : il les avait fait fermer. Napoléon était résolu à ne les faire enfoncer que par la pression de la multitude dont il était environné. Quelques bataillons fidèles encore, mais hésitants et immobiles, étaient en bataille sur les remparts. Les chants patriotiques, les provocations du peuple et de leurs camarades du septième et du cinquième régiment, les adjurations de Labédoyère et de Dumoulin montaient jusqu'à eux. Les clefs des portes avaient été portées chez le général. Le peuple du dedans répondait au peuple du dehors par des cris d'impatience et par des encouragements à briser ces portes. Les grenadiers de l'île

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d'Elbe étaient l'arme au bras sous les murs. Les sapeurs de Labédoyère s'avancent pour les faire sauter. L'empereur les arrête il ne voulait pas qu'une violence matérielle imprimåt à sa victoire l'apparence et l'odieux d'un siége. Le peuple de la ville entendit cet appel, brisa lui-même les portes, et en porta en hommage les ferrures et les débris aux pieds de Napoléon.

Il entra aux flambeaux par cette brèche volontaire dans la ville, pendant que le général Marchand et les autorités royales en sortaient dans les ténèbres et dans la consternation par la porte de Lyon. Des flots de peuple le portèrent à son logement dans une hôtellerie de la ville tenue par un des vétérans de son armée. La nuit tout entière ne fut qu'une longue acclamation sous ses fenêtres. Le peuple et les soldats, confondus dans une même faute et dans un même délire, fraternisèrent jusqu'à l'aurore dans des banquets et dans des embrassades.

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XXXIII

« Tout est maintenant décidé! » s'écria Napoléon en reposant pour la première fois son esprit depuis son débarquement de l'île d'Elbe : « nous sommes à Paris! »

Grenoble, en effet, pourvu de l'immense matériel d'une armée, communiquant avec Chambéry, où la même défection travaillait huit mille hommes de troupes rassemblés contre Murat, adossé à la Savoie et à l'Italie, défendu de la Provence par des défilés faciles à refermer derrière lui, voisin de Lyon et des départements de la Loire et de l'est, où sa cause se recruterait au besoin dans des populations toutes martiales, était une base d'opérations faite pour la

guerre civile, redoutable à l'armée que les Bourbons pouvaient réunir à Lyon. Tous les hasards de l'entreprise étaient traversés. Il ne restait rien à faire qu'à la politique et au génie des armes. Il le possédait assez pour lutter avec supériorité contre tous les généraux formés sous lui que le roi opposerait à sa marche.

Il se livra à loisir à ces perspectives et fit reposer vingtquatre heures son armée à Grenoble. Il reçut le lendemain toutes les autorités et tous les membres des corps constitués de la ville et des environs, qui, par soumission, par sympathie ou par terreur, vinrent saluer en lui le vainqueur. Il passa en revue les troupes de la garnison, et les ralliant à sa propre armée, il les lança le soir même en avant-garde sur la route de Lyon. Leur défection était un exemple qu'il voulait faire marcher devant lui pour qu'elle enlevât d'avance tout courage et tout prétexte à la résistance. Le bruit de la Provence traversée et de la chute de Grenoble devait ébranler Lyon. Lyon soumis, la route de Paris s'ouvrait devant ses pas.

Il sortit de Grenoble comme il y était entré, entouré de son bataillon sacré de l'île d'Elbe, et pressé par les flots d'une multitude qui lui aplanissait le chemin. Les paysans de cette partie du Dauphiné, peuple mobile, enthousiaste, guerrier, voisin des frontières, amoureux du soldat, se laissaient enfin entraîner à ce courant d'armes qui portait l'empereur vers Lyon. Il coucha dans la petite ville de Bourgoing, à moitié chemin de Grenoble et de Lyon. Bourgoing, sa large place et la campagne voisine offrirent toute la nuit le spectacle, le tumulte, les feux, les chants d'un bivac de peuple et de soldats ivres de ramener leur idole et de l'imposer à la patrie. La sédition se révélait sous la discipline. L'empereur, témoin de ce spectacle, rougissait d'une ovation qui coûtait tant à sa dignité et à la moralité de l'armée; mais il avait besoin de cette ébullition dangereuse de la plèbe et des prétoriens. Il se proposait de la

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