Page images
PDF
EPUB

"

premier mai. Pendant ce temps, nous nous attachions à préparer les objets dont elles devaient s'occuper. La «marche du congrès de Vienne permettait de croire à l'éta«blissement général d'une paix solide et durable, et nous << nous livrions sans relâche à tous les travaux qui pouvaient << assurer la tranquillité et le bonheur de nos peuples. Cette tranquillité est troublée : ce bonheur peut être compro«mis par la malveillance et la trahison. La promptitude et << la sagesse des mesures que nous prenons confondront <«<les coupables. Plein de confiance dans le zèle et le « dévouement dont les chambres nous ont donné les «< preuves, nous nous empressons de les rappeler auprès « de nous.

[ocr errors]

<< Si les ennemis de la patrie ont fondé leur espoir sur «<les divisions qu'ils cherchent à fomenter, ses soutiens, ses « défenseurs légaux renverseront ce criminel espoir par << l'inattaquable force d'une union indestructible. »

Le maréchal Soult, ministre de la guerre, publia le lendemain un ordre énergique et en apparence irrévocable, dans lequel il poussait jusqu'à l'injure la réprobation de l'ancien lieutenant de Bonaparte contre son chef répudié et brisait pour jamais avec les souvenirs de sa première vie. Mais nous avons déjà vu comment ces épées pliaient sous toutes les causes. Le maréchal Soult était sincère alors dans ce dévouement aux Bourbons comme il devait être sincère quelques semaines plus tard dans son retour à l'empe

reur.

"

་་

Soldats, disait le héros de Toulouse et le dernier combattant de la cause de Napoléon, « cet homme qui naguère abdiqua aux yeux de toute l'Europe un pouvoir usurpé << dont il avait fait un si fatal usage, Bonaparte est des«cendu sur le sol français, qu'il ne devait plus revoir.

"

Que veut-il? La guerre civile. Que cherche-t-il? Des << traîtres. Où les trouvera-t-il? Serait-ce parmi les soldats «qu'il a trompés et sacrifiés tant de fois en égarant leur

[ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

་་

« bravoure? Serait-ce au sein de ces familles que son nom « seul remplit encore d'effroi?

[ocr errors]

Bonaparte nous méprise assez pour croire que nous pouvons abandonner un souverain légitime et bien-aimé « pour partager le sort d'un homme qui n'est plus qu'un << aventurier. Il le croit, l'insensé! Son dernier acte de « démence achève de le faire connaître.

« Soldats! l'armée française est la plus brave armée de l'Europe elle sera aussi la plus fidèle.

« Rallions-nous autour de la bannière des lis, à la voix « de ce père du peuple, de ce digne héritier des vertus « du grand Henri. Il vous a tracé lui-même les devoirs « que vous avez à remplir. Il met à votre tête ce prince, « modèle des chevaliers français, dont l'heureux retour << dans notre patrie a chassé l'usurpateur, et qui aujour« d'hui va par sa présence détruire son seul et dernier espoir.

་་

"

Paris, le 8 mars 1815.

« Le ministre de la

guerre,

US

<< MARECHAL DUC DE DALMATIE. »

[ocr errors]

XXXVII

Cet ordre du jour ne suffit pas à calmer les soupçons des royalistes sur la sincérité du maréchal Soult. L'invraisemblance de ces sentiments envers son ancien chef était accrue

à leurs yeux par l'exagération même des termes dans lesquels il exprimait sa colère.

Le maréchal Ney, élevé au commandement de l'armée de Franche-Comté, rivalisait d'indignation avec Soult. Les

souvenirs récents des scènes de Fontainebleau, les sommations impatientes d'abdiquer adressées par lui à Napoléon vaincu, ses empressements plus soldatesques que décents à se précipiter des premiers dans la suite du comte d'Artois à Paris, dans la cour de Louis XVIII à Compiègne, les ressentiments qu'il supposait à Napoléon de ces promptitudes, l'indignation réelle aussi qu'il éprouvait d'un crime contre la patrie où la France pouvait périr, exaltaient jusqu'à l'outrage l'impatience de Ney contre Napoléon. Il parut au palais la veille du jour où il partait pour son armée, et en prenant congé du roi il lui promit la victoire; il promit au roi, en termes qui juraient avec sa longue amitié, « de lui «< ramener son ennemi vaincu et enchaîné à ses pieds. » Le roi le vit partir avec espérance. Tant de colère ne pouvait mentir. Le maréchal Ney ne mentait pas, en effet, en parlant ainsi. Si l'ingratitude était dans ses paroles, la trahison n'était pas dans son cœur, mais la faiblesse était dans sa nature et la défection dans sa destinée. Les princes et les peuples ne sauraient trop se défier de ces exaltations sanguines. Le sang-froid est le sceau des résolutions durables.

LIVRE DIX-SEPTIÈME.

Stupeur générale à la nouvelle du retour de Napoléon.

-

[ocr errors]

Impressions

diverses. Intrigues bonapartistes à Paris et dans l'armée. Défiances de la cour. Renvoi du maréchal Soult du ministère de la guerre. Nomination de Bourrienne au ministère de la police.

Fouché.

[ocr errors]

[ocr errors]

Intrigues de

Son entrevue avec le comte d'Artois. Conspiration orléaniste dans l'armée. Drouet d'Erlon, Lefebvre Desnouettes, les frères Lallemand. Manifestations du parti constitutionnel. La Fayette. Adresse de la chambre des pairs et de la chambre des députés. Manifeste et discours du roi. Allocution du comte d'Artois à Louis XVIII. Discours de M. Laîné. Les chambres déclarent la guerre à Napoléon sur la proposition de M. Barrot. Protestation de Benjamin Constant.

[ocr errors]
[ocr errors]

Cependant la nouvelle du débarquement de Bonaparte s'était répandue dans Paris et dans les provinces comme une confidence à voix basse et comme un murmure souterrain plutôt que comme un coup de foudr. Un grand silence s'était fait dans le pays. Aucun parti n'avait témoigné de joie, tous étaient dans la stupeur. L'armée elle-même, jetée par cet événement entre son inclination et son devoir, souffrait d'être forcée de se prononcer, ingrate si elle abandonnait Napoléon, parjure et parricide si elle lui livrait la patrie. Les fonctionnaires publics tremblaient de leur côté de se trouver placés entre le défaut et l'excès de zèle, sus

pects aux royalistes s'ils modéraient leur langage, proscrits peut-être par Napoléon s'ils l'exagéraient. La noblesse, la bourgeoisie, les classes mercantiles et agricoles, qui recommençaient à se reposer de leur ruine par la paix, frémissaient d'une convulsion nouvelle de l'Europe qui ramènerait la guerre sur leurs familles et sur leurs sillons. Les mères, à qui les conscriptions avaient enlevé leurs fils, les voyaient de nouveau arrachés à leurs foyers pour aller mourir aux frontières ou à l'étranger. Les émigrés rentrés avec les princes envisageaient de nouveaux exils. Les propriétaires des domaines nationaux, rassurés par la charte, ne se dissimulaient pas que l'invasion de l'empereur, en ramenant une seconde restauration, la ramènerait peut-être irritée et vengeresse, et que leurs biens seraient la rançon du pays reconquis. Les orléanistes, parti encore souterrain, mais à longue vue, s'irritaient d'un second empire qui s'interposait entre eux et leur ambition du trône. Les libéraux et les républicains, encore confondus, perdaient, avec une restauration faible et pleine de concessions futures, l'espérance de constituer une liberté représentative ou de fonder un jour une république durable quand le peuple se serait exercé à la souveraineté sous la tutelle douce d'un roi sage et âgé. Les royalistes exaltés se réjouissaient seuls par le délire de leur confiance. Ils ne doutaient pas que le sol ne s'entr'ouvrît sous la poignée de sectaires que Bonaparte ramenait à l'assaut de son trône, et que son crime puni ne les délivrât pour jamais de cette ombre importune d'empire et de gloire qu'on ne cessait de leur opposer dans les chants du peuple et dans les casernes des soldats. Mais leur joie affectée n'était pas sans un mélange d'inquiétude qui assombrissait leurs cœurs. Il résulta de tout cela une consternation muette, une agitation sourde, une tristesse sinistre semblable à la pression de l'atmosphère avant l'orage. La France vivait, parlait, marchait, mais ne respirait pas. Une malédiction générale sortait en secret

« PreviousContinue »