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translation de propriété, puisque l'un des contractants avait incontestablement droit à la chose entière. Il est vrai que cette partie (on ignore d'ailleurs quelle est cette partie) n'aliène qu'une portion; mais elle renonce à son action pour le surplus et, en conséquence, le droit de mutation est exigé pour le tout, tant sur la translation de propriété que sur la cession de l'action immobilière. En ajoutant le droit sur la translation de propriété avec le droit sur la cession, l'administration arrive à percevoir un droit de mutation sur la valeur entière des objets litigieux. La jurisprudence de la Cour de cassation ne va pas aussi loin. Elle décide qu'il y a translation seulement pour partie, et afin de savoir de quel côté est la cession, la Cour suprême considère comme cédant celui qui est en possession, au moment de la transaction, soit d'après la loi, soit d'après les titres ostensibles. Ainsi le légataire universel envoyé en possession, qui transige avec un héritier non réservataire, ou qui, transigeant avec un réservataire, lui abandonne une part supérieure à la réserve, fait un acte contenant mutation. Il en est de même du légataire, en vertu d'un testament révocatoire, qui transige avec un légataire universel institué dans un testament révoqué. Il n'y aurait pas mutation si le légataire transigeait avec un réservataire en lui abandonnant la part réservée, à moins que la réserve ne fût elle-même litigieuse comme l'est, par exemple, celle de l'enfant naturel. En première instance, le défendeur est cédant, et en appel, c'est l'intimé, qu'il soit ou non détenteur. Il est vrai que l'appel remet tout en question, et qu'il semble dès lors que le possesseur et non l'intimé devrait être

considéré comme cédant. L'appel cependant n'a pas pour effet d'empêcher le jugement de première instance, de subsister, et l'effet suspensif ne fait qu'arrèter son exécution. Mais la suspension ne détruit pas la présomption favorable qui s'attache à la décision des premiers juges, et c'est sur cette présomption que repose la doctrine de la Cour de cassation', lorsqu'elle attribue le rôle de cédant à la partie qui a triomphé en première instance. Or il importe beaucoup de déterminer quel est le cédant et quel est le cessionnaire; car, lorsque les portions attribuées à chaque partie ne sont pas égales, la somme à percevoir dépendra de la quantité cédée. Dans le système de l'administration, cette distinction n'a pas le même intérêt, parce que la régie reprend sur la cession d'action immobilière ce quelle n'obtient pas sur la translation de propriété2.

404. Les deux doctrines que nous venons d'exposer sont, à nos yeux, contraires l'une et l'autre aux textes de lois rapportés plus haut. L'art. 68, § 1, n° 45, n'exige que le droit fixe lorsqu'il s'agit de transactions qui ne contiennent aucune obligation de sommes ou valeurs. Qu'on cite un seul cas où cette disposition recevra son application avec le système de la Cour

1 Arr. de la C. cass. du 19 novembre 1839. Cet arrêt a été rendu contrairement à la doctrine qu'avait émise Merlin (Répertoire, vo Partage, § 11, n° 5).

2 La question a été tranchée récemment, à plusieurs reprises, par des arrêts de la Cour de cassation des 30 janvier 1866 (D. P., 66, I, 72); 11 avril 1866 (D. P., 66, I, 151); 16 avril 1866 (D. P., 66, I, 175), et l'arrêt des chambres réunies du 12 décembre 1865 (D. P., 65, I, 457). Cet arrêt, rendu sur les conclusions de M. Delangle, a été combattu par M. Pont, Revue critique, t. XXVIII, p. 289 et suivantes.

de cassation, surtout avec celui de l'administration. C'est réduire un article formel à n'être qu'une lettre morte et faire triompher l'interprétation contre le texte de la loi. On objectera peut-être qu'il serait facile aux parties de cacher un acte translatif de propriété à titre onéreux sous la forme d'une transaction, et, par ce moyen, de frauder l'administration de l'enregistrement. Nous répondrons que le texte de la loi est formel, qu'en cas de fraude l'administration pourra rechercher l'acte véritable, et que le législateur a pensé que le danger n'est pas assez grand pour exiger des droits qui rendraient la transaction difficile, sinon impossible. En effet, la transaction suppose une contestation née ou à naître, et l'on pourra, d'après les circonstances, voir si la contestation était sérieuse ou si on l'a simulée. Le législateur a voulu favoriser les transactions qui éteignent les procès, et on comprend qu'il ait, par cette considération, réduit la taxe à un droit fixe, sans se préoccuper d'une dissimulation contraire aux intérêts du fisc1.

405. Société. La société est un contrat que la loi fiscale considère comme déclaratif et, pour cette raison, il n'est soumis qu'au payement d'un droit fixe de 5 fr.

Art. 68, § 3, n° 4. Droit fixe (porté à cinq francs par loi du 28 avril 1816, art. 45, n° 2). « Les actes de « société qui ne portent ni obligation, ni libération, ni

1 V. en ce sens MM. Championnière et Rigaud, no 603; M. Valette, Revue de droit français et étranger, t. II, p. 216, et M. Gab. Demante, t. 1, p. 270. n" 235.

<< transmission de biens meubles ou immeubles entre « les associés ou autres personnes. » Ainsi la convention d'apport n'est pas considérée comme un acte translatif de propriété à titre onéreux. La loi ne distingue d'ailleurs pas entre le cas où la société est une personne morale et celui où elle n'a pas d'existence distincte de celle des associés. Dans l'une et l'autre hypothèse, il n'y a lieu à percevoir qu'un droit fixe.

406. Est-ce une faveur de la loi ou une conséquence des principes? Il semble, au premier abord, que cette question n'a pas d'intérêt et qu'au fond il importe peu que la disposition soit une rémittence ou l'application des règles générales. Il est certain qu'au point de vue du droit de mutation, la distinction ne produit aucun effet juridique. Mais la régie a élevé la prétention de percevoir le droit proportionnel de transcription, et, à ce point de vue, il importe de savoir si la loi fiscale a fait une disposition de faveur. Si oui, l'exception n'est faite textuellement que pour le droit proportionnel de mutation, et il n'y a pas lieu d'étendre la disposition exceptionnelle à la transcription. Que si, au contraire, c'est l'application des principes généraux, si l'acte est déclaratif de sa nature, le droit de transcription n'est pas exigible.

Or l'administration de l'enregistrement a commencé par exiger le droit de transcription, en se fondant sur ce que, d'après l'art. 54 de la loi du 28 avril 1816, le droit proportionnel de 1 fr. 50 c. p. 100 est dù toutes les fois que l'acte est de nature à être transcrit. D'après cette doctrine, l'acte de société est dans

cette catégorie, puisqu'il y a, pour la société, utilité à faire transcrire pour purger les hypothèques. Ce système s'appuyait donc sur les arguments suivants : 1° Il y a mutation, et c'est par rémittence que la loi fiscale n'exige pas le droit de 4 p. 100 en matière de translation d'immeubles à titre onéreux. 2° La faveur de la loi n'a été accordée que pour le droit de mutation, et conséquemment le droit de transcription est dû. 3o L'art. 54 de la loi du 28 avril 1816 exige le droit de transcription, toutes les fois que l'acte à titre onéreux est de nature à être transcrit'. L'administration a abandonné sa prétention par une solution du conseil d'administration, en date du 16 septembre 1859, solution qui a été insérée dans l'instruction générale du 5 décembre 1859 (art. 2163) qui notifie aux employés un arrêt par lequel la Cour de cassation avait décidé que le droit de transcription sur l'apport en société ne pouvait pas être exigé, si la formalité de la transcription n'était pas requise effectivement 2.

407. La dispense du droit de mutation n'est accordée que si l'acte de société ne contient ni obligation, ni libération, ni transmission de biens meubles ou immeu. bles entre les associés ou les autres personnes. Il ne

1 Ce système a été consacré par un arrêt de la Cour de cassation, du 18 avril 1853. M. Gab. Demante le combat en se fondant sur ce que le droit de transcription est un droit accessoire qu'il serait contraire à l'esprit et même au texte de la loi d'exiger lorsque le droit principal de mutation n'est pas perçu (t. I, p. 283). A l'arrêt du 18 avril 1853 on peut opposer un arrêt antérieur de la Cour de cassation, du 5 février 1850.

2 Au moment où la régie a fait abandon de ses prétentions, le tribunal de la Seine venait de lui donner gain de cause par un jugement du 7 janvier 1859.

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