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mer la besogne mal plantée. Il est, au contraire, facile pour le juge de décider si la construction avance ou non sur la voie publique.

36. En résumé, la Cour de cassation décide : 1° qu'en cas de réparations, faites sans autorisation, à un mur de face situé sur la partie retranchable fixée par un plan général d'alignement, le juge de paix doit prononcer l'amende et ordonner le rétablissement des lieux, que les réparations soient confortatives ou non, parce que le juge de paix n'a pas qualité pour décider si une réparation a ou non ce caractère; 2° lorsque le riverain a construit sans alignement le long d'une rue, le juge de paix prononce l'amende; mais il ne doit ordonner la destruction des travaux que s'il y a empiétement, parce que la question d'empiétement, qui n'est qu'une question de possession, est de l'ordre de celles qu'un tribunal ordinaire peut apprécier. Ainsi s'explique la jurisprudence de la Cour de cassation, qu'on a, je crois, sans motif plausible, accusée d'incohérence. Elle peut être combattue au fond, mais elle ne serait pas, sans injustice, taxée d'arbitraire et d'illogisme.

37. Au fond, puisque le juge de paix est compétent pour réprimer la contravention, il n'y a, ce nous semble, aucune raison pour l'obliger à faire de la loi une application aveugle. Pourquoi le déclarer incapable de discerner une réparation confortative d'une réparation non confortative? Le conseil de préfecture prononce sur ce point en matière de grande voirie, quoique l'administration active fût mieux qu'une juridiction contentieuse en état d'apprécier cette diffé

rence; pourquoi le tribunal de simple police n'en ferait-il pas autant en matière de voirie urbaine? Qu'on lui enlève la compétence, si on trouve que ce changement est demandé par le principe de la séparation des pouvoirs; mais une fois qu'il est compétent qu'on ne tronque pas son autorité au point d'en faire un juge obligé d'appliquer la loi judaïquement, au lieu de l'interpréter raisonnablement et suivant son esprit.

38. Après avoir exposé les formalités qu'il faut remplir pour arrêter un plan général d'alignement et recherché les effets que produit le plan une fois arrêté, examinons quelles voies de recours sont ouvertes aux parties qui se croient atteintes? L'arrêté préfectoral qui homologue le plan d'alignement peut d'abord être attaqué par la voie hiérarchique, en vertu de l'art. 6 du décret du 25 mars 1852 sur la décentralisation, et, pour agir d'après cette disposition, la loi ne fixe pas de délai. Quoiqu'il n'y ait, en droit, aucun délai déterminé à peine de déchéance, cependant le recours fondé sur cette disposition n'aurait aucune chance de succès, s'il était formé lorsque déjà le plan d'alignement serait en pleine exécution et vigueur.

39. L'art. 52 de la loi du 16 septembre 1807 ouvrait une voie de recours au Conseil d'État contre le plan d'alignement : « En cas de réclamations des parties « intéressées, il sera statué en Conseil d'État, sur le << rapport du ministre de l'intérieur. » Ce n'était pas un recours contentieux, mais un recours administratif sui generis. C'est ce que signifiaient ces mots : sur le rapport du ministre de l'intérieur. Aussi l'affaire n'é

tait-elle pas portée à la section du contentieux, mais à la section de l'intérieur du Conseil d'État. Cette voie de recours est-elle ouverte depuis que la compétence pour approuver les plans d'alignement a été transférée du Conseil d'État au préfet? Le décret du 25 mars 1852 ne contient aucune disposition qui abroge le deuxième paragraphe de l'art. 52 de la loi du 16 septembre 1807. Le pouvoir d'homologuer et le pouvoir de statuer sur les réclamations sont choses distinctes. Or la loi nouvelle n'a transféré aux préfets que le pouvoir d'homologation, d'où nous concluons que la compétence pour statuer sur les réclamations est restée à l'autorité qui en était investie auparavant. Il n'y avait d'ailleurs aucune raison pour diminuer les garanties accordées aux tiers lorsque le pouvoir d'homologuer passait du chef de l'État à son subordonné '.

40. L'alignement individuel est donné par le maire au riverain qui veut construire le long de la rue. S'il y a un plan général, le maire doit s'y conformer, parce que ce plan est la loi de tous les intéressés. En ne le suivant pas, le maire violerait un droit acquis fondé sur un titre. Par conséquent, le tiers lésé pourrait se pourvoir au contentieux contre l'arrêté ministériel qui aurait refusé de réformer l'alignement délivré par le maire, en dehors des lignes tracées sur le plan général 2.

1 V. Serrigny, Questions et traités, p. 87.

Le maire ne peut pas refuser de délivrer l'alignement qui lui est demandé en alléguant des projets de travaux. Son refus, même non écrit, donnerait lieu à recours pour excès de pouvoir. Arg. d'analogie tiré du décret du 2 novembre 1864. V. arr. Cons. d'Et. du 11 janvier 1866 (D. P. 66, 3, 70).

S'il n'y avait pas de plan général, les parties intéressées ne seraient pas moins tenues de demander au maire l'alignement individuel. Le maire pourra-t-il, en ce cas, forcer les riverains à reculer ou avancer? La jurisprudence du Conseil d'État avait d'abord décidé que, même en l'absence d'un plan général, le maire pouvait forcer un riverain de la voie publique à reculer ou à avancer. En 1834 cependant, le Conseil d'État avait admis ce tempérament que le maire ne pouvait pas forcer à reculer si l'alignement traçait une ligne qui forcerait plus tard plusieurs propriétaires à reculer'. Récemment la jurisprudence a fait un pas de plus. Elle a décidé qu'à défaut de plan général, le maire doit délivrer un alignement conforme à l'état des lieux ou faire approuver pour cette rue spécialement un plan général. L'alignement individuel qui forcerait à reculer, en ce cas, contiendrait un excès de pouvoir et donnerait lieu au recours devant le Conseil d'État.

En résumé le maire auquel un alignement individuel est demandé, s'il est d'avis qu'il serait bon d'élargir la rue, provoquera un plan d'alignement, soit pour toute la ville, soit pour une partie déterminée. Sinon, il délivrera l'alignement conforme à la largeur actuelle de la rue, à peine d'excès de pouvoir.

Arr. du 25 juillet 1834 (aff. Deshayes et Gressent).

2 Arr. Cons. d'Ét. du 5 avril 1862 (aff. Lebrun), 10 février 1865 (D. P. 65, 3, 72) et 5 mai 1865 (D. P. 66, 3, 72), aff. Gibaud. Cette jurisprudence du Conseil d'État a été exposée avec beaucoup de netteté par M. L. Aucoc dans la Revue critique (t. XXI, p. 97-109). L'alignement individuel doit être demandé alors même qu'il n'y aurait pas de plan général. C. cass., ch. crim., arr. du 9 août 1855 (D. P. 65, 5, 404). .

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La demande d'alignement aura donc cette utilité qu'elle avertira l'autorité municipale, et que celle-ci aura le temps d'aviser pour faire faire un plan général, s'il y a lieu. Si, au contraire, les riverains pouvaient construire sans demander l'alignement, sous prétexte qu'ils n'empiètent pas, l'administration se trouverait bientôt en présence de faits consommés, et serait empêchée de prendre des mesures générales. Aussi le propriétaire qui bâtit sans demander l'alignement est-il puni d'une amende et, comme cette amende est trop faible pour être efficace, la Cour de cassation a décidé pendant longtemps que le contrevenant serait condamné à démolir la besogne mal plantée, même quand il n'y avait pas empiétement sur le sol de la voie publique.

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41. Ces propositions sont-elles applicables lorsque le propriétaire riverain, au lieu de bâtir sur la ligne séparative, construit en retraite sur son propre fonds? La solution de cette question est fort difficile parce le oui et le non se trouvent en présence de deux objections extrêmes. D'un côté, on peut dire que le propriétaire riverain, en abandonnant deux ou trois lignes de terrain, éluderait facilement les règle ments sur la matière, et qu'il est impossible que loi ait voulu faire des dispositions aussi importantes en laissant un moyen de les éviter tellement aisé que leur exécution dépendrait uniquement de la volonté des intéressés. D'une autre part, on répond que si le pro-priétaire est obligé de demander l'alignement lorsqu'il bâtit à un pouce, il n'y a pas de raison pour qu'il ne soit pas tenu de le demander pour construire à plusieurs

la

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