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à la commune la valeur du sol qui leur sera ainsi concédé1. »

47. Le règlement-modèle de 1854, pas plus que la loi de 1836, ne parle de l'alignement le long des chemins ruraux. Comment cette lacune peut-elle être comblée ?

La distinction entre les chemins ruraux et les chemins vicinaux classés est de création moderne, et elle était tout à fait inconnue lorque furent faits les règlements sur l'alignement en 1607 et en 1765. Si donc ces règlements s'appliquent aux chemins vicinaux, il n'y a pas de bonne raison pour ne pas les étendre aux chemins ruraux. Ce serait interpréter l'édit de décembre 1607 et l'arrêt du conseil du 27 février 1765 suivant une distinction que ne pouvaient pas avoir en vue les rédacteurs de ces règlements. Ainsi de deux choses l'une ou les règlements ne s'appliquent pas aux chemins vicinaux, et alors il faut renoncer à l'application qui en a toujours été faite; ou bien décider que ces règlements s'appliquent aux chemins ruraux comme aux chemins vicinaux.

48. L'opinion généralement adoptée applique les règlements sur l'alignement aux chemins ruraux, mais avec quelques restrictions desquelles résulte une différence profonde. Ainsi l'on ne reconnaît pas au préfet le droit de reculer l'ancienne limite, comme il le peut d'après l'art. 15 de la loi du 21 mai 1836, pour les

1 V. le Code pratique des chemins vicinaux, par M. Grandvaux, t. ÍI, p. 60-128, art. 281-295. La largeur légale était de 6 mètres, d'après la loi du 9 ventôse an XIII. Elle est aujourd'hui fixée par département. (V. le tableau des largeurs dans le Code pratique de Grandvaux, t. I, p. 19.)

chemins vicinaux classés qui n'ont pas la largeur légale. Cet élargissement ne pourrait avoir lieu, pour un chemin rural, qu'en suivant les règ'es de l'expropriation d'utilité publique avec indemnité juste et préalable '. On reconnaît aussi que, si le préfet englobait dans un chemin vicinal, une partie de la propriété privée du riverain, le tribunal civil saisi de la question pourrait forcer la commune à relâcher la parcelle. Au contraire, s'il s'agissait d'un chemin vicinal ordinaire, le tribunal ne pourrait que reconnaître la propriété de la parcelle, et le droit du propriétaire se réduirait à une indemnité.

49. Ces distinctions sont-elles admissibles si l'on décide que les règlements sur l'alignement doivent être appliqués aux chemins ruraux comme aux chemins vicinaux? En vertu de quel droit scinderait-on ainsi les effets d'une législation qui ne fait aucune distinction semblable? Suivant nous, la question doit être résolue par le raisonnement suivant : L'art. 21 de la loi du 21 mai 1836, en disposant que la matière des alignements serait réglée par le préfet dans chaque département, a implicitement disposé que les règlements généraux de 1607 et 1765 ne sont pas applicables de droit aux chemins vicinaux. Déléguer au préfet le pouvoir de réglementer spécialement dans le département la matière des alignements, c'est dire que les règlements généraux ne s'appliquent pas. Aussi pour la voirie vicinale les questions d'alignement doivent-elles être tranchées conformément au

1 V. en ce sens circul. ministér. du 15 novembre 1839 (Bulletin off. minist., p. 359).

règlement départemental, et ordinairement elles le seront d'après les art. 281-295 du règlement-modèle de 1854; car il est recommandé aux préfets de ne s'écarter de ce règlement-modèle qu'en cas de nécessité absolue.

50. Si les règlements de 1607 et 1765 ne s'appliquent pas aux chemins vicinaux classés, à plus forte raison ne régissent-ils pas les chemins ruraux. Ceux-ci sont simplement protégés par les règlements municipaux, que le maire a le pouvoir de faire sur cette matière comme sur toutes celles qui ont pour la commune un intérêt général. L'autorité municipale peut donc faire un règlement sur l'alignement des chemins ruraux, de même que le préfet en peut faire un pour les chemins vicinaux classés. Il y a cependant une grande différence entre les pouvoirs du maire et ceux du préfet. Le préfet agit en vertu d'une délégation formelle et spéciale qui est contenue dans la loi du 21 mai 1836. Aussi a-t-il des pouvoirs spéciaux qui lui confèrent le droit de réglementer la matière de l'alignement; il est le délégué de la loi, et il a les pouvoirs du législateur par suite de cette délégation. Le maire, au contraire, ne peut agir qu'en vertu de ses pouvoirs généraux; il n'a pas d'attribution spéciale, et conséquemment il est, en matière d'alignement le long des chemins ruraux, limité par les lois générales qui déterminent son pouvoir réglementaire. Ainsi notamment le préfet peut, en vertu de l'art. 21, faire un règlement qui permette de forcer les riverains à reculer. Au contraire, le maire ne pourrait pas, dans un règlement municipal, disposer que les riverains subiront un retranchement. En effet, le

pouvoir réglementaire du maire ne lui donne pas le droit de prendre une parcelle de propriété privée. La différence tient à ce que le préfet a les pouvoirs qui résultent d'une délégation spéciale, tandis que le maire n'a, sur cette matière comme sur toutes les autres, que le pouvoir général tel qu'il résulte de la loi des 16-24 août 1790 et de la loi du 18 juillet 1837 (art. 11)*.

51. Grande voirie. Lorsqu'il s'agit d'une voie nouvelle à créer, le plan d'alignement se confond avec celui de la route elle-même. La loi du 3 mai 1841, avec toutes les formalités exigées pour l'expropriation, doit être appliquée. Aucune parcelle de propriété ne pourra donc être prise, pour la confection de la route, sans une juste et préalable indemnité.

Supposons, au contraire, qu'une route étant déjà ouverte, il s'agisse d'arrêter le plan général de son alignement. La loi est complétement muette sur ce point, et il y a là une lacune à combler par le raisonnement et l'analogie. On décidait, avant le décret de décentralisation, que le plan général, en matière de grande voirie, devait, comme le plan général en matière de voirie urbaine, être homologué par décret impérial, en Conseil d'État. Il y avait même, cè semble, une raison plus forte de décider, puisque les grandes routes sont d'un intérêt plus général que les rues des villes.

52. Le décret du 25 mars 1852, tabl. A, no 50, n'a transféré l'homologation du Conseil d'État au préfet

1 V. C. cass., ch. crim.. arr. du 28 juin 1861.

que pour les plans d'alignement des villes. La décentralisation ne s'applique donc qu'à la voirie urbaine, et la grande voirie demeure sous l'empire de l'ancienne pratique. Il est facile de comprendre que le législateur ait conservé la garantie de la délibération en Conseil d'État pour les grandes routes, lorsqu'il y renonçait pour les rues, puisque les premières ont généralement plus d'importance que les secondes. On appliquait à fortiori l'art. 52 de la loi du 16 septembre 1807 aux grandes routes; il ne suffit donc pas d'un simple argument à pari pour conclure que la délibé-ration du Conseil d'État est supprimée pour la grande voirie, de ce qu'on ne l'exige plus pour la voirie urbaine.

53. Le décret impérial qui homologue le plan général d'alignement d'une grande route peut-il être attaqué par quelque voie de recours? D'abord il n'est pas attaquable par la voie contentieuse. C'est un acte d'administration pure, et le décret est censé vider toutes les oppositions qui ont été formées pendant le cours de l'instruction. L'instruction terminée et le décret d'homologation rendu, n'y a-t-il aucune autre voie qui soit ouverte, à défaut de recours au contentieux? L'analogie tirée de l'art. 52 de la loi du 16 septembre 1807 conduit à décider que, pour la grande voirie comme autrefois pour la voirie urbaine, les parties intéressées pourront réclamer au Conseil d'État administrativement et sur le rapport du ministre de l'intérieur. On n'objectera pas que, pour la voirie urbaine, ce recours n'est plus recevable depuis que l'homologation des plans est donnée par le préfet; car

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