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cette modification de compétence n'a pas été faite pour la grande voirie.

54. Le recours contentieux serait même admis s'il y avait excès de pouvoir. C'est ce qui aurait lieu, par exemple, dans le cas où les formalités voulues par la loi n'auraient pas été remplies. Ainsi dans les ruestraverses d'une commune, le régime de la grande voirie est applicable; mais comme la grande route, en ce point, a le caractère de la grande voirie et de la petite, l'art. 21, n° 3, de la loi du 18 juillet 1837 exige que le conseil municipal soit appelé à délibérer. L'inaccomplissement de cette formalité entraînerait l'excès de pouvoir, et permettrait d'attaquer au contentieux le décret qui homologue le plan'.

55. L'alignement partiel, en matière de grande voirie, est délivré par le préfet lorsqu'il n'y a pas de plan général, et par le sous-préfet partout où il y a un plan général.

1 Cependant, comme le décret qui homologue un plan a un caractère général et réglementaire, il nous paraîtrait conforme aux règles du contentieux de n'admettre le recours, en ce cas, que par voie d'exception et non par voie d'action. La partie qui serait poursuivie comme coupable de contravention au plan général, opposerait que ce plan était irrégulier, le conseil municipal n'ayant pas éte appelé à délibérer. Supposons qu'un riverain construise sans demander l'alignement, et que sa construction empiète sur la ligne déterminée par le plan. Le contrevenant n'évitera pas l'amende, puisqu'il devait demander l'alignement, même en l'absence d'un plan général. Mais si l'administration concluait à la destruction des travaux, le contrevenant soutiendrait que le plan général.n'était pas légalement approuvé et, par conséquent, qu'il n'était pas obligatoire.

2 Une circulaire du ministre des travaux publics, en date du 1849, avait délégué aux sous-préfets les alignements partiels dans les rues-traverses des villes. Cette délégation a été considérée comme illégale, et un arrêt du Conseil d'Etat du 28 novembre 1861 a décidé que, la compétence du préfet ayant été déterminée par une loi, une circulaire ministérielle n'avait pas pu y déroger. Mais la loi des 4-11 mai 1864 a transporté la compétence aux sous-préfets pour les villes où il y a un plan général d'alignement.

L'arrêt du conseil du 27 février 1765 est spécial à la grande voirie; car la petite voirie est particulièrement régie par l'édit de 1607 et par la loi du 16 septembre 1807, et la voirie vicinale par les règlements départementaux. L'arrêt du conseil du 27 février 1765 s'applique donc surtout à la grande voirie, et il ne fournit pour les autres chemins que des arguments d'analogie. Voici le texte de cet arrêt :

Sa Majesté ordonne que les alignements pour constructions ou reconstructions des maisons, édifices ou bâtiments quelconques, en tout ou en partie, étant le long et joignant les routes construites par ses ordres, soit dans les traverses des villes, bourgs et villages, soit en pleine campagne, ne pourront être donnés que par les trésoriers de France.

« Fait Sa Majesté défense à tous particuliers, propriétaires ou autres, de construire ou réparer aucuns édifices, poser échoppes ou choses saillantes le long desdites routes, sans en avoir obtenu les alignements ou permissions desdits trésoriers de France, à peine de démolition et de 300 livres d'amende, et contre les maçons, charpentiers ou autres de pareille amende. »

56. S'il y a un plan général d'alignement, le préfet doit s'y conformer. S'il ne s'y conformait pas, il violerait un droit acquis, et la partie intéressée pourrait se pourvoir par la voie contentieuse.

57. A défaut de plan général, l'alignement ne doit pas moins être demandé au préfet, qui est compétent en vertu des dispositions générales qui lui attribuent la

surveillance et la conservation des routes', et en vertu de la loi des 7-14 novembre 1790, qui comprend spécialement dans les attributions des corps administratifs a l'alignement des rues, des villes, bourgs et villages qui servent de grandes routes. » Le préfet aurait, suivant quelques écrivains, le pouvoir de forcer les propriétaires à reculer, parce qu'il lui appartient de fixer les limites du domaine public, sauf à faire régler postérieurement l'indemnité. D'après cette opinion, la partie qui se croirait lésée par l'alignement ne pourrait pas se pourvoir au contentieux, l'arrêté d'alignement étant de sa nature un acte d'administration pure, lorsqu'il n'y a pas de plan général. Mais le Conseil d'État, étendant avec raison à la grande voirie la doctrine qu'il avait adoptée pour la voirie urbaine et pour les rues de Paris, a décidé qu'il y avait excès de pouvoir si le préfet, à défaut de plan général, donnait un alignement qui ne serait pas conforme à la configuration actuelle de la voie publique.

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58. Le riverain dont la propriété est située sur la partie retranchable, en vertu du plan d'alignement, est soumis à une servitude qui l'oblige, comme en ma

1 Loi des 22 décembre 1789-janvier 1790, section III, art. 2, et loi des 7-14 septembre 1790, art. 6.

2 M. Boulatignier, École des communes, 1846, p. 206 et 208, a soutenu que le recours contentieux doit être admis en matière de grande voirie, même en l'absence d'un plan général. V. contrà, Serrigny, Questions et traités, p. 149, et Chauveau, Journal de droit administratif, 1862, p. 394. * Arr. Cons. d'Ét., 5 avril 1862 (D. P. 63, 3, 57).

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Arr. Cons. d'Et., 2 mai 1861 (D. P. 61, 3, 87) et 22 janvier 1863 (D. P. 63, 3, 1).

* Arr. Cons. d'Et. du 10 février 1865. Aff. Sanmartin (D. P. 65, 3, 72). V. les conclusions de M. L'Hopital, commiss. du gouv. Lebon, 1865, p. 201.

tière de voirie urbaine, à ne faire au mur de face aucune réparation sans en avoir obtenu l'autorisation du préfet. Le préfet autorisera les réparations non confortatives et interdira les réparations qui auraient pour effet de consolider le mur de face. Quant à la distinction à établir entre ces deux espèces de réparations, nous répéterons ici que c'est une question de fait à juger d'après les circonstances de chaque affaire, et qu'il est impossible d'établir sur ce point une règle invariable.

59. La jurisprudence du Conseil d'État décide que le propriétaire qui a construit, sans demander d'alignement, le long de la voie publique doit, dans tous les cas, être puni de l'amende, mais qu'il ne doit être condamné à la destruction des travaux faits que si la construction empiète sur la voie publique, ou si la réparation est confortative'. Ainsi, entre la jurispru

1 Arr. du Cons. d'Ét. des 4 février 1824 (aff. Legros), 2 avril 1828 (aff. d'Autry), 24 juin 1844 (aff. Sollet) et décembre 1844 (aff. Taque). — Il est certain qu'au point de vue de l'intérêt général, cette solution présente de graves inconvénients dans le cas où il s'agit d'une construction qui n'empiète pas sur le sol de la voie publique. Supposons que l'administration se propose d'élargir une rue et de prendre par alignement sur les propriétés riveraines. Un des propriétaires qui connaît ce projet s'empresse de bâtir à la ligne séparative. Il sait qu'en le faisant sans autorisation il s'expose avec certitude à payer une amende, et peut-être une amende de 300 fr. Mais qu'est une amende de 300 fr. pour celui qui veut se soustraire à l'obligation de reculer et obliger l'administration à procéder contre lui par expropriation pour cause d'utilité publique? Il se résignera sans difficulté à supporter cette peine pour arriver à son but, but qui consistera souvent à se procurer un bénéfice au détriment de l'État, du département ou de la commune. Si la demande d'alignement était obligatoire, à peine de destruction de la besogne mal plantée dans tous les cas, l'administration serait avertie et veillerait à ce que l'intérêt public ne souffrit pas de préjudice. L'inconvénient que nous venons de signaler fut exposé avec beaucoup de force par le ministre des travaux publics dans ses observations sur l'affaire Sollet (arr. du 21 juin 1844). Cet inconvénient pourrait cependant être atténué. On ne construit pas

dence de la Cour de cassation pour la petite voirie et celle du Conseil d'État pour la grande, il y a une ressemblance et une différence. La ressemblance consiste en ce que la destruction d'une construction faite sans alignement n'est ordonnée, suivant les deux, que s'il y a empiétement sur le sol de la voie publique. La différence tient à ce que, pour les réparations faites au mur de face sans autorisation, la Cour de cassation ordonne la destruction de la besogne mal plantée sans distinguer entre les réparations confortatives et non confortatives, tandis que le Conseil d'État fait cette distinction. La divergence s'explique par deux causes. Premièrement, la Cour de cassation s'est décidée sans doute et principalement par le motif que les tribunaux de police n'ont pas les éléments suffisants pour juger si une réparation est ou non confortative, et que le Conseil d'État croit que les juridictions administratives sont en position de trancher cette question. En second lieu, la Cour de cassation a pensé que l'amende de 1 à 5 fr. que peuvent prononcer les tribunaux de police est trop faible pour assurer l'exécution de la loi. Au contraire le Conseil d'État peut, en matière de grande voirie, prononcer une amende de 300 fr., et cette pénalité est suffisante pour prévenir, au moins dans la plupart des cas, les infractions à la loi sur les alignements. Une question commune à toutes les espèces de voirie est

clandestinement le long de la voie publique, et l'administration sera facilement avertie par ses agents, cantonniers ou autres. Elle pourra, si elle le juge à propos, délivrer un alignement d'office, et forcer le propriétaire à s'y conformer. Comme les lois doivent être exécutées de bonne foi, il faut admettre qu'en cas de fraude à la loi par les propriétaires riverains, l'administration pourra déjouer cette manœuvre en donnant un alignement d'office.

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