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de 234,285 kilomètres carrés par an, et, qu'en admettant que le mouvement des explorations se soutienne, ni plus ni moins actif que par le passé, 47 ou 48 ans suffiraient pour que tout l'intérieur de l'Afrique fût connu dans ses traits d'ensemble. Or ce calcul reposerait sur un raisonnement incomplet, car il ne tiendrait pas compte de la donnée principale: la progression du nombre des découvertes, qui produisent aujourd'hui, en une année, plus que dans les vingt premières années du commencement du siècle. Cette multiplication, facile à constater, des voyages d'exploration ne saurait faiblir; l'homme civilisé veut enfin connaître sa demeure tout entière; il sent aussi qu'il a, comme privilégié, des devoirs à remplir envers ses semblables, trèsarriérés, d'Afrique, qu'il rejaillit sur lui une honte du fait de la barbarie de tant de peuples de la Nigritie, chez lesquels l'esclavage est encore une institution, base de la société, et où, chez quelques-uns même, l'anthropophagie fleurit à côté de l'esclavage; de presque tous ces peuples, enfin, chez lesquels la femme est toujours maintenue dans une position inférieure, où on lui refuse le respect auquel elle a droit comme égale de l'homme. Le public, en Europe, a glané dans les relations des voyageurs des faits qui ont heurté ses notions de justice, et il a compris qu'il fallait y apporter enfin remède. Voilà l'aspect le plus élevé de la question! A côté d'une situation qui appelle l'intervention tutélaire des nations civilisées en face de races déshéritées, le public a aussi vaguement entrevu les éléments de production du sol qui est le domaine de ces peuples enfants. C'est là un autre aspect qu'il ne faut pas négliger, car il nous permet d'entrevoir la récompense des sacrifices que l'amour de l'humanité et l'amour de la science imposent.

Aux mines de fer et de cuivre qui ont été signalées en Afrique, notamment dans la zone équatoriale, on pressent qu'un inventaire plus complet de la richesse minérale ajoutera certainement des placers d'or, car le Bénouê roule dans ses flots des paillettes de ce métal, et peut-être aussi des mines de houille, comme celles qui ont été découvertes sur le Zambézi. Passons-nous au règne végétal, on trouverait dans l'Afrique centrale des produits d'exportation dans les cultures de cotonnier et même de canne à sucre, qu'il ne s'agirait que d'améliorer ou de multiplier, dans des forêts entières, composées d'arbres donnant des bois de construction ou d'ébénisterie, et d'autres dont les fruits servent à fabriquer de l'huile, sans parler du caféïer sauvage et du caoutchouc qui sont indigènes dans diverses parties de l'Afrique. Parmi les animaux, l'éléphant et l'hippopotame fournissent de l'ivoire, et une variété inouïe de ruminants sauvages des cuirs de différentes qualités. L'exploitation du sol et des produits naturels de l'Afrique intertropicale, et l'introduction de cultures nouvelles ne pourraient donc manquer de donner des résultats pratiques

aussi satisfaisants que ceux auxquels on est arrivé, sous des climats semblables, dans l'Inde, à Java, aux îles Philippines et au Brésil.

Les régions tropicales et équatoriales d'Afrique sont donc et seront longtemps un des milieux les plus favorisés sous le rapport de la richesse minérale et de la production végétale et animale; elles pourront alimenter à elles seules la consommation d'une quantité de matières premières sur le reste de la terre; enfin, à mesure que les 188,000,000 d'hommes qui forment la population de l'Afrique apprendront à connaître les produits de l'industrie européenne, le commerce du monde entier et, particulièrement le commerce de l'Europe, profiteront de leurs besoins nouveaux, parce que les peuples africains eux-mêmes s'ingénieront à produire et à récolter les denrées que les nations manufacturières leur demanderont.

Il est facile d'entrevoir quels bienfaits résulteront pour les popula tions africaines de l'achèvement de l'exploration du continent qu'elles habitent, pour peu qu'on accorde aux Européens qui se voueront à cette tâche les sentiments d'humanité, de justice et de bienveillance envers leurs semblables, qui sont un devoir pour tous les hommes civilisés, dans leurs rapports entre eux et avec les barbares. Les princes africains ne renonceraient-ils pas aux pratiques inhumaines et sanguinaires dont sont l'occasion leurs expéditions annuelles pour la chasse aux esclaves, si on leur indiquait d'autres moyens de se procurer les revenus de leur budget, ce qui est possible, car chez tous il y a le négociant à côté du potentat! Ne croyez pas, Messieurs, que le remède de l'anthropophagie soit plus difficile à trouver. Enseignons aux M'fan et aux Monbouttou l'art, si cher aux Пlmorma, d'élever des boeufs; ils n'engraisseront plus leurs vieilles femmes pour les conduire ensuite à la boucherie, et personne n'aura plus la conscience révoltée ni le cœur soulevé, comme cela arriva au docteur Schweinfurth, en voyant sur une place de marché, un étal de viandes suspectes, découpées avec soin et proprement alignées sur des feuilles de bananier! Peut-être même quelques progrès à faire réaliser par la persuasion et par l'exemple, dans le respect du prochain et dans la foi à la parole donnée, seront-ils plus efficaces que les moyens coercitifs, dont l'application est extrêmement limitée, pour faire adopter chez ces peuples la substitution du salaire payé au travailleur libre au capital placé sur la tête du travailleur esclave.

Il y a donc, dans l'Afrique intérieure, en même temps que des terres inconnues à découvrir et à mettre en valeur, aussi une mission civilisatrice, digne de notre siècle, à accomplir.

M. Georges RENAUD

Directeur de la Revue géographique internationale, attaché au Cabinet du ministre des finances

LES NOUVELLES CARTES DES ÉTATS-MAJORS HOLLANDAIS ET AUTRICHIENS

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Vous avez tous connaissance du projet formé par les Hollandais pour dessécher la plus grande partie du Zuyderzée, ce qui leur donnerait une nouvelle province. L'objet de ma communication n'est pas précisément de vous entretenir au sujet de cette importante question. Je veux plutôt vous montrer que les Hollandais revendiquent tout simplement à l'Océan, le sol que celui-ci leur a jadis cruellement enlevé. On accuserait de folie un semblable projet si on n'avait pas d'exemples de ce que les Hollandais ont déjà accompli en fait de travaux de ce genre, même avant l'invention de la vapeur.

Il n'y a pas d'autres pays au monde où les habitants aient eu à lutter contre la mer aussi souvent que la Hollande et l'on peut affirmer que le pays presque entier a été arraché aux flots envahisseurs par des conquêtes industrielles et scientifiques.

Pour vous montrer en un clin d'oeil les transformations qu'a subies le sol de ce pays à différentes époques, j'ai dressé une carte qui indique à la fois les limites du territoire actuel et celles de jadis.

Vous remarquez immédiatement que la Hollande ne comprend guère que la réunion de plusieurs deltas formés principalement par le Rhin, la Meuse et l'Escaut; le sol y étant fort bas et incliné vers la mer, il n'est pas étonnant que les plus grands fleuves du continent européen aient dirigé leurs cours vers ces parages pour déverser leurs eaux dans la mer du Nord. Ce fait, qui a toujours causé beaucoup d'ennuis aux ha

bitants de ces contrées, a été en même temps d'une valeur incontestable pour leur prospérité.

Pendant la période préhistorique, la plus grande partie de la Hollande, au nord de la Meuse, y compris le Zuyderzée, formait un vaste terrain bourbeux dont on trouve encore aujourd'hui les traces en divers endroits. Ce terrain était couvert de forêts vierges à l'époque où les premiers habitants, dont l'histoire fait mention, descendirent dans ces parages. Nous allons voir quelles sont les terres qui ont été submergées depuis, en commençant par les côtes de la mer du Nord qui sont bordées de dunes. Cette chaîne de dunes était située jadis beaucoup plus vers l'ouest. Abandonnée à elle-même, battue par les flots impétueux de la mer et son sable léger chassé par les vents du nord-ouest, elle reculait constamment vers l'intérieur du pays, surtout dans les endroits où elle n'était pas appuyée sur une végétation naturelle et touffue. Même aujourd'hui, malgré les immenses travaux de soutien qu'on a faits pour l'arrêter, ce recul continue toujours quoique dans des proportions beaucoup moins grandes. Le seul moyen d'y remédier complètement serait de planter les dunes en taillis, ce qui a fort bien réussi en France et au Danemarck, mais ce qui est considéré comme impossible en Hollande.

Il est incontestable que l'on a déjà perdu beaucoup de terrain le long des côtes de la mer du Nord. On voit apparaître en divers endroits, sur le rivage et même dans la mer, des ruines de bâtiments situés jadis dans les dunes et même derrière les dunes. Les ruines du château appelé Huis te Britten, construit jadis par les Romains à l'embouchure du Rhin, en dedans aes dunes, et dont il ne restait plus de traces, sortirent tout à coup, en 1520, des dunes sur le rivage; les murs avaient alors encore huit pieds de haut. En 1694, ces mêmes ruines étaient arrivées devant Katwyk, en pleine mer, à seize cents pas de la côte; en 1752, on en a vu pour la dernière fois une faible partie sortant des eaux pendant qu'un fort vent de l'est chassait les vagues vers la haute mer.

On a encore trouvé ainsi sur le rivage, à Dombourg, en 1646 et 1647, des pierres sculptées d'origine romaine et, en 1690, les rues d'une ville et un cimetière renfermant des cerceuils. Tout cela a été englouti depuis par la mer. Autrefois la chaîne des dunes était beaucoup plus serrée qu'aujourd'hui. Elle s'étendait tout le long des côtes de la Hollande et se prolongeait même au nord en protégeant les contrées les plus septentrionales dont il ne reste aujourd'hui que les îles de Texel, Vlieland, Terschelling et Ameland. Elle ne présentait qu'une seule ouverture entre Vlieland et Terschelling pour livrer passage aux eaux de la Vlie qui se jetaient, en cet endroit, dans la mer du Nord et qui formaient à cette époque éloignée l'embouchure de l'Yssel, une branche du Rhin qui déverse aujourd'hui dans le Zuydersée, près de

1087 Kampen. Le mouvement rétrograde des dunes, ne se faisant pas d'une façon régulière sur toute la ligne, a rendu l'invasion de la mer encore plus facile, en lui permettant de rompre la chaîne en divers endroits et de pénétrer ainsi par de larges ouvertures fort avant dans l'intérieur du pays. De semblables accidents se renouvelleraient encore souvent de nos jours si l'on n'y veillait point. Ainsi l'île d'Ameland était sur le point d'être coupée en deux, mais des travaux considérables faits au commencement de notre siècle l'ont sauvegardée. Entre le Helder et Petten, la chaîne des dunes était sur le point de se briser en cinq endroits et de former des passages comme celui que la mer a creusés entre le Helder et Texel. Cet accident aurait nécessairement amené l'amputation d'une grande partie de la presqu'île que la Hollande forme en cet endroit et aurait élargi considérablement l'entrée du Zuiderzée. Fort heureusement on a pu mettre un frein, en temps utile, à la fureur des éléments, de sorte qu'il y a des endroits où les dunes, emportées par la mer, sont remplacées aujourd'hui par des digues.

Eierland était à une certaine époque une île séparée de Texel, lorsque, en 1679, elle y fut reliée de nouveau par une large digue de sable. En 1651, l'île de Terschelling perdit au nord 29 mètres de terrain et en gagna 42 au sud; elle perdit, en même temps, ses dunes sur une longueur de 140 mètres. Au Helder, le point le plus septentrional du continent hollandais, la mer enleva au XVIe siècle 1,130 mètres de dunes et 520 mètres au commencement du xvii. En 1424, on découvrit encore dans ces parages une immense forêt en pleine mer, et, au nord de l'île de Texel il existe encore tant de souches que les filets des pêcheurs s'y accrochent. En 1500, la langue de terre entre Huisduinen et Calandsoog avait à peu près le double de largeur d'aujourd'hui, et, près de Petten, un peu plus au sud, les dunes ont été emportées par la mer sur une longueur de 1,200 mètres au XVIIe siècle, et sur une longueur de 550 mètres au xvie. Le village même fut englouti en 1421 et fut reconstruit un peu avant dans l'intérieur du pays. La maison communale, qui se trouve aujourd'hui de nouveau sur les bords de la digue, a été construite en 1625 à 500 mètres de distance de cette barrière.

En suivant la côte vers le Sud, nous arrivons vers Zandvoort, près de Harlem, où la mer a gagné 75 mètres sur le terrain depuis 1750, et l'on estime même, dans les années les plus favorables, cet empiètement à 2 mètres et demi par an. Mais il y a des années, comme en 1852, où la perte s'est élevée à 7 mètres; le 26 septembre 1853, une seule tempête fit avancer la mer de 6 mètres.

A Scheveningue, village de pêcheurs et de bains de mer, près de la Haye, bien connu des étrangers qui visitent la Hollande, la première

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