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L'industrie vous présente les résultats acquis, les progrès accomplis. Dans l'ordre des idées et des faits moraux, c'est aussi le résultat d'une expérience que je viens exposer.

Pour tout homme qui ne reste pas indifférent au sort de ses semblables, il est certain qu'il y a dans la société une classe qui excite plus particulièrement la sollicitude: c'est la grande famille des prolétaires ou des travailleurs qui vivent d'un salaire quotidien sans aucune réserve antérieure.

Y a-t-il dans ce milieu si dénué de ressources, si imprévoyant, y at-il un moyen simple, facile et SUR de faire arriver ceux qui le veulent à la possession d'un capital, à l'amélioration graduelle de leur sort ??

Ce moyen existe, et j'ai la conviction qu'en le généralisant on pourrait, dans quelques années, modifier dans un sens favorable la situation, l'esprit et les mœurs (car tout se tient) de la grande famille ouvrière.

Il est bien entendu que le moyen que je vais vous exposer n'a rien d'empirique, ni rien d'absolument nouveau.

On n'améliore pas le sort des travailleurs sans leur participation, et les grands ressorts de cette amélioration, le travail et l'épargne, sont depuis longtemps dans le domaine public; personne ne peut raisonnablement en réclamer l'invention.

Mais on peut, par des combinaisons plus ou moins heureuses, faciliter le jeu de ces deux ressorts, en accroître la puissance, et en recueillir plus ou moins bien les fruits.

Mais j'ai promis de faire le moins possible de théorie, et d'appor– ter surtout le résultat pratique d'une expérience tentée dans le domaine des faits moraux et économiques.

Vous me pardonnerez si je parle de moi, c'est la nature du sujet qui m'en fait une obligation.

En 1873 par diverses circonstances inutiles à rappeler, j'avais été conduit à faire quelques conférences dans le quartier de Bacalan. C'est le faubourg St-Antoine de Bordeaux, le quartier des ateliers, des salariés attachés aux usines, et le foyer du socialisme! c'est ainsi du moins que le jugeaient les riches commerçants des quais ou de la place de la Bourse.

Les chantiers de l'Océan venaient de liquider, des centaines de familles étaient restées quelque temps sans travail; la misère était grande, et, avec la misère, les excitations qui aigrissent les cœurs et font germer l'envie et la haine à l'égard de ceux que le sort a favorisés.

C'est à ce moment et dans ce milieu que je vins planter ma tente. L'expérience, comme vous le voyez, était bien significative. Parmi ces ouvriers un grand nombre étaient employés à la faïencerie de MM Vieillard; leurs salaires étaient en moyenne de 2 fr. 50 c., 3 francs au plus; les femmes et les enfants gagnaient quelques petites journées.

Tout cela était pauvre, quelques-uns misérables; tous absolument sans ressources, et (ce qui était encore bien plus décourageant) sans espoir ni souci du lendemain.

Prècher l'épargne dans ce milieu, cela semblait une dérision. Je le fis obstinément, courageusement, mais sans beaucoup de succès.

Après plusieurs séances, par lassitude plutôt que par conviction, une douzaine consentirent à signer l'acte d'association, dont voici les bases essentielles.

Ces bases n'ont rien de surprenant ni de merveilleux; aussi pour exciter d'avance votre intérêt, j'aime mieux tout de suite vous faire connaître ce résultat.

La Société d'épargne et de prévoyance de Bacalan compte aujourd'hui 200 familles qui profitent des avantages qu'elle procure. Le capital réalisé est environ de 12,000 francs, qui appartiennent individuellement à chaque associé, par fractions variant de 10, 50, 100 jusqu'à 200 francs, etc., et qui appartiennent en totalité, peut-on dire, à chacun, car tous jouissent de la sécurité, des garanties et, si ce n'était trop ambitieux, de la puissance que la Société trouve dans la possession de ce capital.

Assurément, pour un banquier, pour un grand commerçant 12,000 francs c'est peu de chose. Mais tout est relatif dans ce monde; et, pour apprécier l'importance de cette somme, il faut ne pas perdre de vue le point du départ, ni le milieu dans lequel cette force (j'entends ce capital) a été amassée. Le capital est si bien une force, que ces 200 familles, qui se surveillent, se contrôlent, obtiennent tous les objets de consommation à 15 0/0 au-dessous des prix courants, avec toutes les garanties de qualité et de poids, sans compter tous les autres avantages qu'elles peuvent raisonnablement espérer, car aucune combinaison plus ingénieuse et plus fructueuse ne leur est interdite.

C'est le moment d'expliquer par quel mécanisme simple ce résultat relativement considérable a été obtenu.

Il y a sans doute dans la Société de Bacalan les caractères essentiels de la coopération, forme sociale qui est trop connue pour que j'aie à l'expliquer devant vous; mais ce que je veux faire connaître ce sont les points par lesquels cette Société diffère de la coopération, car je suis convaincu que c'est précisément à ces différences qu'est dû le succès que tant de causes semblaient rendre à peu près impossible.

Jusqu'ici on a eu soin, en créant une Société coopérative, de lui donner à l'origine un but déterminé; c'est ainsi que nous avons des sociétés de consommation, des sociétés de crédit et des sociétés de production; ce sont les trois formes les plus générales. D'abord cette énumération est incomplète. Qui peut dire surement ce qu'on fera avec un capital formé ? Mais il y a un autre inconvénient grave à tracer ainsi à l'avance le

cercle dans lequel on devra se mouvoir. La coopération ne renferme pas en elle-même et par elle-même une vertu fécondante; ce n'est jamais qu'une forme donnée à l'épargne, une excitation au travail et à l'économie, et cette forme donnée à ces forces créatrices ne produit de résultats qu'autant qu'elle répond aux besoins des associés. Or, ces besoins comment les délimiter a priori, lorsqu'on ne sait même pas encore quels seront les membres qui feront partie de la société ?

Supposez, par exemple, qu'on forme une société de consommation dans un milieu où tous les associés se trouveraient relégués dans des quartiers déjà pourvus de toutes les choses nécessaires à la vie, à des prix raisonnables, la Société, dans ce cas, n'aura évidemment pas d'objet; c'est un mécanisme qui s'agitera dans le vide.

J'en dirai autant si, dès l'origine, on forme une Société de crédit et d'avances; il se peut que les associés attachés à une manufacture ou à une usine n'aient pas besoin pour eux d'outillages, de matières premières. Le crédit dans ce cas ne leur est pas nécessaire, et s'ils en usent ce sera pour retirer les fonds, c'est-à-dire pour revenir au point de départ.

Ce sont ces considérations qui me déterminent à ne prévoir à l'avance qu'une seule chose la formation d'un capital au moyen de petits versements, par quinzaine, laissant à la Société elle-même le soin de chercher plus tard l'emploi qu'elle fera de ce capital.

Toute l'économie de cette utile réforme se trouve renfermée dans l'article 1er, qui est ainsi conçu :

<< Il est formé entre les soussignés et ceux qui adhéreront aux prẻsents statuts, sous les conditions plus bas édictées, une Société civile sous la dénomination de « Société d'épargne et de prévoyance de Saint-Remi», dans le but d'établir entre les ouvriers, employés et industriels de Bacalan, des liens de solidarité, afin d'arriver par le travail, l'épargne et l'excitation mutuelle à une vie régulière, à la constitution d'un petit capital dont l'emploi sera déterminé par les statuts et par l'assemblée générale. »

Faire des hommes qui comptent sur eux mêmes; leur faire comprendre ce qu'ils peuvent par un effort de leur volonté leur montrer que ce capital qu'ils convoitent, il dépend d'eux de l'atteindre; n'est-ce pas un but?

Pour être admis à poursuivre ce but, il ne fallait pas que les obstacles fussent d'abord trop grands. Si j'avais exigé que les postulants fussent porteurs d'un titre de rente, il est probable que je n'aurais pas eu beaucoup d'adhérents. Aussi je bornai mes prétentions à une modeste pièce de cent sous. Oui, avec cinq francs, un peu de volonté et de moralité, et l'obligation de verser chaque quinzaine 50 centimes au minimum, on peut devenir membre de cette Société.

Aujourd'hui, cette Société est une puissance; elle dicte ses lois.... aux fournisseurs; elle traite d'égal à égal avec le gros commerce; comme Perrette, elle peut tout rêver, sinon tout atteindre. 12,000 francs dans trois ou quatre ans, c'est 20, 30, 100,000 francs dans 6 ans, 10 ans, 15 ans.

Cette conception si simple qui consiste à ne prévoir, au début, que la formation du capital, laissant aux associés le soin d'en déterminer l'emploi suivant leur besoins, le milieu dans lequel il se trouvent placés, a un autre avantage très-précieux que je tiens à faire ressortir.

Chaque associé n'est pas seulement coopérateur, il est créateur, et il s'intéresse d'autant à son œuvre. Lorsqu'il aura décidé après examen et discussion, qu'il y a intérêt pour le plus grand nombre, à traiter avec des fournisseurs à prix réduit, ou bien encore à acheter directement en gros, ou à fabriquer quelques produits essentiels comme le pain, par exemple, il fera tout pour que cette mesure réussisse et qu'elle porte des fruits.

Je ne peux expliquer que par la simplicité et l'énergie de ces ressorts, le succès de cette Société, formée dans le milieu et avec les éléments défavorables que je vous ai dépeints, et j'ai cru devoir soumettre le résultat de cette expérience au congrès scientifique, non par amour-propre d'auteur, mais parce que je suis convaincu qu'il y a là pour les ouvriers un moyen infaillible d'améliorer leur condition et d'augmenter graduellement leur bien-être.

L.-L. VAUTHIER

Conseiller municipal de la ville de Paris.

DE LA GRATUITÉ DES VOIES DE TRANSPORT.

(EXTRAIT DU PROCÈS-VERBAL.)

Séance du 28 août 1878.

M. VAUTHIER pose en principe que tout individu qui reçoit un service spécial de la communauté doit le payer; ce n'est que par dérogation spéciale qu'il peut en être affranchi, mais ces dérogations sont essentiellement des questions d'espèce. Néanmoins, la communauté et les groupes qui la constituent ont de jour en jour une tendance marquée à étendre le nombre et le champ

de ces dérogations, mais cela ne se fait que suivant certaines règles logiques et toujours dans la mesure des ressources disponibles. L'usage des routes est gratuit; c'est le minimum des moyens de circulation que la collectivité a cru devoir mettre à la disposition de ses membres. Encore pour les routes departementales et les chemins vicinaux, les départements et les communes ontils dù contribuer largement. De plus, les routes ont l'avantage technique de pouvoir se réduire et de coûter de moins en moins cher à mesure que le trafic diminue. Quant aux canaux, sous ce dernier rapport, tout est different: on les demande de mêmes types. Cela est rationnel techniquement, mais deviendrait d'un coût exorbitant lorsqu'il s'agit de quitter le fond des vallees. On aurait ainsi une voie d'eau d'autant plus chère que son trafic serait moindre. Non-seulement on ne peut en réclamer la gratuité, mais on ne peut développer les voies navigables pour des besoins partiels qu'avec le concours actif des circonscriptions intéressées.

M. Georges RENAUD

Directeur de la Revue géographique internationale, attaché au cabinet du Ministre des finances

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M. RENAUD montre la tendance actuelle au rachat des voies ferrées et il fait voir que l'origine de cette idée réside dans les plaintes contre les grandes compagnies de chemins de fer et contre le monopole. Sans aucun doute, il ne méconnait pas les abus, car il a été un des premiers à les blâmer devant la section lors de précédentes sessions, mais il pense que le remède du rachat, préconisé par de très-bons esprits, n'aura pas les excellents résultats que l'on espère. M. Renaud énumère les graves inconvénients du rachat: il invoque spécialement la réglementation qui ne peut manquer d'être excessive, le manque de responsabilité, la mise à la disposition de l'Etat d'une véritable armée qui peut certainement être intimidée à certains moments de la vie politique, et en terminant, il affirme que sous le régime du rachat le service ne sera pas mieux fait qu'auparavant.

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