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portés. La France les suivait avec un bien grand intérêt, car elle n'a pas de mines de soufre et, par une circonstance bizarre, la découverte toute française de Leblanc aurait pu devenir fatale à la France dans les luttes industrielles qui se sont produites avec l'étranger.

Mais la science était là : elle avait donné la soude artificielle à l'industrie française, c'est elle aussi qui devait lui fournir le soufre.

Si nous n'avons pas de mines de soufre, nous possédons en abondance la pyrite, qui est un sulfure de fer et qui contient 50 pour 100 de soufre.

Ce minéral a été rejeté pendant longtemps comme un corps sans utilité : des essais de distillation et de grillage de la pyrite avaient bien été tentés, mais sans succès, et n'avaient pas permis aux fabricants d'acide sulfurique de remplacer économiquement, dans leur industrie, le soufre par la pyrite.

MM. Perret, de Lyon, ont repris l'étude de cette grande question industrielle. Grâce à leur persévérance et à leur habileté, le grillage de la pyrite s'est régularisé, et ce minéral sans valeur, rejeté dans les exploitations métallurgiques, alimente aujourd'hui presque toutes les fabriques d'acide sulfurique du monde.

Le problème de l'utilisation de la pyrite a été résolu d'une manière si complète que ce corps, autrefois sans application, se prête aujourd'hui à trois usages différents : il est devenu pour l'industrie un minerai de soufre qui sert à préparer l'acide sulfurique, un combustible qui peut évaporer l'acide sulfurique des chambres de plomb, et un minerai de fer que l'on traite directement dans le haut fourneau.

Je crois, messieurs, qu'il serait difficile de citer un exemple plus frappant des services que la chimie a rendus à l'industrie.

Telles sont les conquêtes de la science; celles-là sont durables et enrichissent le pays; aussi vous approuverez, je n'en doute pas, les hautes récompenses que les jurys, à la suite de nos expositions, pourront décerner à leurs auteurs.

Je craindrais d'abuser de votre patience si je rappelais ici toutes les inventions que le procédé de Leblanc a fait naître ; permettez-moi cependant de vous en citer encore quelques-unes.

Sans la découverte de Leblanc, pourrait-on obtenir avec économie, comme on le fait aujourd'hui, cette soude caustique qui sert non-seulement à fabriquer économiquement le savon, mais qui, en réagissant, sous pression, sur la paille et le bois, permet d'en isoler la partie fibreuse et de produire une pâte à papier qui rivalise avec celle que donnent les chiffons?

Vous connaissez tous ce nouveau métal, l'aluminium, dont les applications s'étendent chaque jour, que M. Woehler a fait sortir de son creuset et dont M. H. Sainte-Claire Deville a créé la métallurgie par ses importants travaux. Ce inétal ne serait jamais devenu industriel si le procédé de Leblanc n'eût pas donné le carbonate de soude dans des conditions qui permettent de produire le sodium à bas prix.

L'industrie du verre doit également ses plus grands progrès aux économies que le procédé Leblanc a introduites dans les fabrications du sulfate et du carbonate de soude.

Ces applications sont déjà anciennes; mais si nous envisageons les découvertes récentes de la chimie industrielle, nous trouvons également qu'elles se rattachent à la méthode de Leblanc.

C'est pour utiliser d'une manière économique, dans la fabrication du chlorure de chaux et du chlorate de potasse, ces quantités considérables d'acide chlorhydrique qui s'engendrent dans la production de la soude artificielle, que M. Weldon est arrivé à régénérer d'une manière si ingénieuse le peroxyde de manganèse, en précipitant par la chaux le protoxyde de ce métal et en le peroxydant par un courant d'air.

Dans le même but d'économie et de simplification, M. Deacon a supprimé le peroxyde de manganèse dans la préparation du chlore` : il décompose le gaz chlorhydrique par l'oxygène atmosphérique.

C'est aussi le procédé Leblanc qui, par ses perfectionnements, a donné naissance à deux industries nouvelles.

L'une qui est fondée sur les travaux de MM. Kopp, Schaffner et Mond; elle a pour but de retirer le soufre que l'on perdait autrefois dans le marc de soude pour le rendre à l'industrie et à l'agriculture. L'autre qui a été créée par M. Hargreaves, a pour but de fabriquer du sulfate de soude sans l'emploi direct de l'acide sulfurique : l'inventeur fait rendre, dans des chambres qui contiennent le sel marin, le gaz sulfureux qui sort des fours à pyrites en le mélangeant d'air et de vapeur d'eau par une réaction des plus remarquables, l'habile chimiste anglais, supprimant tous les frais qu'entraîne la fabrication de l'acide sulfurique, obtient avec l'acide sulfureux, l'air et la vapeur d'eau, le sulfate de soude et l'acide chlorhydrique.

Vous le voyez, messieurs, ces découvertes, qui constituent réellement la grande industrie chimique, ont été provoquées par le procédé de Leblanc.

Mais les éloges que je viens de donner à la belle invention industrielle du siècle dernier ne doivent pas me faire oublier les services que la chimie moderne a rendus à l'industrie.

La science ne se repose et ne s'arrête jamais; elle ne pense qu'au progrès et même n'examine pas si les découvertes récentes ne porteront pas un certain préjudice à ceux qui exploitaient les anciennes; c'est le fait qu'exprimait devant moi un fabricant de produits chimiques : oubliant que c'était à la science qu'il devait son immense fortune, il maudissait les savants et particulièrement les chimistes qui, par leurs inventions trop rapides, ne lui laissaient pas le temps, disait-il, d'user ses appareils.

Eh bien, suivant leur habitude incorrigible, les chimistes n'ont pas laissé de repos aux fabricants de soude artificielle, et le procédé Leblanc se trouve aujourd'hui en présence d'un ennemi redoutable je veux parler de la soude à l'ammoniaque.

Deux savants éminents, deux anciens élèves de l'Ecole polytechnique, MM. Schlosing et Rolland, sont arrivés les premiers à produire d'une manière régulière et industrielle la soude artificielle, par une méthode bien différente de celle que Leblanc avait suivie.

Persuadés que la France pourrait un jour, dans la fabrication de la soude artificielle qui consomme une quantité considérable de combustible, être dépassée par les pays qui extraient la houille à prix moins élevé qu'elle, les deux ingénieurs français ont cherché un mode de production de la soude basé sur la voie humide, c'est-à-dire sur les réactions qui consomment peu de combustible.

Prenant pour base les travaux de M. Berthollet et s'appuyant sur des faits acquis déjà à la science, MM. Schloesing et Rolland firent agir, au sein de l'eau, le bicarbonate d'ammoniaque sur le sel marin.

Par double échange il se forme du bicarbonate de soude peu soluble qui se précipite et du sel ammoniac qui reste en dissolution; ce bicarbonate de soude, soumis à la calcination, donne de la soude artificielle et de l'acide carbonique qui sert aux opérations suivantes; quant au sel ammoniac, il est décomposé par la chaux en régénérant de l'ammoniaque qui rentre dans la fabrication ; il reste du chlorure de calcium qui est rejeté.

Le principe de la nouvelle fabrication était trouvé, mais il fallait le mettre en pratique et résoudre, dans la disposition des appareils, plusieurs questions délicates; ces difficultés ne pouvaient pas arrêter des ingénieurs aussi distingués que MM. Rolland et Schlosing.

Les inventeurs installèrent à Puteaux une fabrique de soude artificielle, basée sur leurs travaux, et arrivèrent à produire par mois plus de 25,000 kilog. de carbonate de soude.

Mais, vous le savez, messieurs, les savants travaillent pour les autres : ils tirent bien rarement quelque profit de leurs découvertes, et ce que j'ai dit de Leblanc s'applique aux ingénieurs français qui se proposaient de produire la soude par voie humide.

La fabrique naissante rencontra des difficultés de différentes natures; elle ne put résister aux exigences du fisc qui, à cette époque, percevait un droit sur la totalité du sel marin entré dans l'usine; tandis qu'un tiers du sel mis en œuvre n'était pas décomposé.

Dans de pareilles conditions, la nouvelle industrie n'était pas viable et la fabrique de Puteaux fut arrêtée : c'est ainsi qu'une des plus belles découvertes industrielles de ce siècle fut paralysée dès son début.

MM. Schlosing et Rolland se conduisant dans cette circonstance en véritables savants, voulurent être utiles aux autres et préparer, pour leurs successeurs, le succès qui leur échappait. Dans un travail admirable, ils firent connaître tous les détails de leurs opérations et de leurs machines.

Plus tard, un habile ingénieur belge, M. Solvay, reprit la question et installa son usine aux environs de Bruxelles; il adopta dans la construction de ses appareils les dispositions les plus ingénieuses, faisant intervenir la pression dans la décomposition du sel.

M. Solvay obtint ainsi des résultats industriels excellents, et l'on peut dire, que grâce à lui, la soude produite par l'ammoniaque fait en ce moment une concurrence redoutable à la soude obtenue par le procédé de Leblanc.

Nous assistons donc aujourd'hui à une lutte industrielle des plus vives: d'un côté se trouvent les fabricants qui exploitent l'ancienne méthode de Leblanc

fondée sur la voie sèche; de l'autre se présentent ceux qui agissent par voie humide en faisant usage de l'ammoniaque.

De quel côté sera l'avantage?

Les partisans du procédé de Leblanc reconnaissent que, par leur méthode, la consommation du combustible est considérable et que le carbonate de soude est produit à un prix relativement élevé; mais ils utilisent les deux éléments du sel, le chlore et le sodium, ce qui permet de livrer à l'industrie, dans des conditions économiques, le sulfate de soude, l'acide chlorhydrique, le chlorure de chaux et le chlorate de potasse. La concurrence qu'ils ont à combattre les conduira forcément à introduire, dans le procédé de Leblanc, des perfectionnements que l'on avait négligés à tort.

C'est ainsi que, dans la fabrication de l'acide sulfurique, l'application de l'appareil Gay-Lussac permettra de recueillir le composé nitreux qui est perdu ; la colonne Glower, qui refroidit les gaz, produira une concentration économique de l'acide des chambres; l'emploi du résidu de pyrite, comme minerai de fer, fera baisser le prix de revient de l'acide sulfurique.

Ces perfectionnements du procédé de Leblanc,' qui pourront s'étendre encore, n'altèrent en rien la confiance des fabricants qui préparent la soude par l'ammoniaque.

Eux aussi introduiront des améliorations dans la méthode qui est employée aujourd'hui: ils vont même au devant des objections qu'on peut leur adresser.

En ce moment ils perdent, il est vrai, le chlore du sel marin, mais plus tard ils sauront le récolter, soit en décomposant le chlorure du calcium qu'ils jettent aujourd'hui, soit en substituant, dans la régénération de l'ammoniaque, la magnésie à la chaux.

On leur a dit que la consommation industrielle de l'ammoniaque pourrait occasionner un dommage sérieux à l'agriculture, qui fait entrer avec grand avantage les sels ammoniacaux dans ses engrais.

Craintes exagérées, préoccupations inutiles, disent les inventeurs s'ils consomment de l'ammoniaque, ils rendent à l'agriculture tout le nitrate de soude que le procédé de Leblanc employait; or au point de vue de la fabrication des engrais chimiques, un nitrate vaut un sel ammoniacal.

Les partisans du nouveau procédé affirment en outre que si l'ammoniaque venait à manquer momentanément, on saurait bientôt en trouver.

On est loin de retirer aujourd'hui toute la quantité d'ammoniaque que les matières organiques peuvent fournir par leur décomposition; et, dans la fabrication du coke métallurgique, on perd des quantités considérables d'ammoniaque qui ne sont pas condensées et qu'on pourra recueillir.

Au besoin même l'ammoniaque pourrait être fabriquée de toute pièce aux dépens des éléments de l'air atmosphérique.

La chimie n'a-t-elle pas déjà démontré que dans les phénomènes d'oxydation des métaux, l'azote de l'air peut se fixer et se changer en ammoniaque : ne sait-on pas aussi depuis longtemps que l'azote de l'air, réagissant sur un mélange de charbon et d'alcali, produit des cyanures qui, sous l'action de l'eau, forment de l'ammoniaque?

La science saura donc donner à la production de l'ammoniaque un déve

loppement qui sera toujours en rapport avec les progrès de la nouvelle fabrication de la soude : elle ne recule jamais devant la solution des problèmes qui intéressent l'industrie.

Quant à nous, messieurs, nous suivons cette lutte industrielle avec le plus vif intérêt, sans parti pris; nous n'avons que des paroles d'encouragement et de sympathie à donner soit aux inventeurs des nouveaux procédés, soit à ceux qui soutiennent les anciennes méthodes en les perfectionnant.

Nous savons que le progrès naît toujours de la concurrence; nous désirons que tous ces travaux, loin de se nuire et de se paralyser mutuellement, s'accordent entre eux et se complètent pour donner à notre industrie des forces nouvelles qui contribueront au bien-être de tous.

Si je me suis laissé entraîner à vous donner de trop longs détails sur la lutte qui se rapporte à la fabrication de la soude, j'ose espérer que vous voudrez bien m'excuser en songeant que cette industrie est d'origine toute française, qu'elle fait vivre des milliers d'ouvriers et qu'elle est basée sur des découvertes scientifiques de premier ordre.

Cette influence de la science sur les progrès de la grande industrie chimique se fait sentir, au même degré, dans la plus importante des opérations métallurgiques; je veux parler de la fabrication de l'acier.

Chaque exposition universelle consacre en quelque sorte des améliorations considérables, je dirai même de véritables révolutions dans la production de l'acier.

Tous ceux qui comprennent le rôle considérable que l'acier doit jouer dans l'industrie moderne, s'intéressent aux découvertes nombreuses qui se rapportent à l'aciération.

L'acier en effet n'est plus ce métal, produit à prix élevé, dans certains pays privilégiés et que l'on n'applique qu'à la fabrication des armes de luxe, de quelques outils et d'un petit nombre d'instruments.

C'est aujourd'hui un alliage qui peut, suivant sa composition, que l'on modifie à volonté, convenir aux usages les plus variés : l'acier peut être aussi doux et aussi tenace que le meilleur fer, ou acquérir, par l'action des agents physiques et chimiques, une dureté presque comparable à celle du diamant.

Ces variations dans les propriétés de l'acier, suivant les modifications que l'on apporte dans sa composition chimique, donnent à l'acier un avantage considérable sur un métal pur dont les caractères sont invariables; aussi doit-on considérer l'acier comme le plus précieux des alliages.

L'acier fondu, l'acier moderne, ne se fabrique plus dans de petits creusets, mais dans de vastes appareils qui permettent de produire en peu de temps des milliers de kilogrammes d'acier fondu que l'on peut appliquer alors, comme la fonte, au coulage de toutes les pièces que demande l'industrie.

Pendant longtemps l'acier fondu a été fabriqué presque exclusivement par la méthode que Benjamin Huntsmann a introduite à Sheffield, vers l'année 1749, et qui consiste à fondre dans des creusets de 20 kil. de bons fers cémentés au charbon de bois; cet acier est excellent et le premier de tous

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