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sollicitait M. de la Sicotière, de se rendre à Bagnoles; mais en juin 1867, la Société Linnéenne, qui avait choisi Bagnoles comme lieu de son excursion annuelle, ne manqua pas d'aller visiter le parc de M. Goupil et les plaques de grès munies d'empreintes. En lisant le compte rendu de cette excursion on voit que, de l'examen des empreintes et de la discussion qui eut lieu, il ne put ressortir aucune explication scientifique satisfaisante. On se borna à constater que le phénomène était le même qu'aux Vaux-d'Aubin.

Dans une communication faite au Congrès tenu à Nantes en 1875 par l'Association française pour l'avancement des sciences, M. de Tromelin s'exprimait ainsi :

« Les grandes empreintes des Vaux-d'Aubin paraissent être l'impres» sion extérieure de vrais Bilobites, probablement du Cruziana Prevosti » ou du Cruziana rugosa qui, comme on le sait, sont souvent très» arqués. »>

Ainsi, jusqu'en 1875, des hypothèses avaient été formées sur l'origine des cavités bilobées offertes par les grès des Vaux-d'Aubin et les empreintes, à peine connues des géologues, qui se remarquent à Bagnoles sur les plaques de grès du parc de M. Goupil n'avaient pu recevoir d'explications.

En 1877, on a eu l'heureuse idée d'ouvrir deux carrières, l'une à droite de la porte d'entrée de l'établissement des bains, l'autre à un kilomètre plus loin, sur la route de Juvigny-sous-Andaine. L'exploitation de ces carrières a non-seulement procuré d'excellents matériaux pour l'entretien des routes, mais encore elle a permis de lever le voile qui, jusqu'alors, avait caché le phénomène de la production des cavités bilobées. Là, plus que partout ailleurs, il est facile de reconnaître que ces cavités, attribuées à des pas d'animaux, sont réellement dues à des Cruziana ou Bilobites. On voit, en effet, sur plusieurs points, des couches de grès présenter en saillie, à leur partie inférieure, des Bilobites arqués, tandis que la couche placée immédiatement au-dessous, offre à sa partie supérieure les cavités occasionnées par ces Bilobites, c'est-à-dire le phénomène des pas de bœuf.

On le voit, le savant doyen de la Faculté des sciences de Caen, n'était pas bien éloigné de la vérité lorsqu'il attribuait les empreintes des Vauxd'Aubin à la présence d'animaux mous ayant vécu sur le banc de grès à l'époque où il avait formé le fond de la mer, et dont le corps, se détruisant ensuite, aurait laissé des cavités que le banc subséquent serait venu combler.

Ces corps qui, par leur destruction, ont donné naissance aux cavités étaient-ils des animaux ou des plantes?

Considérés par quelques naturalistes comme des empreintes de traî

nées d'animaux, les Bilobites ou Cruziana paraissent aujourd'hui, pour la plupart des géologues, et c'est l'opinion de notre savant Président, devoir leur origine bien plutôt à des algues de grande taille et cartilagineuses enfouies sur place au fond des mers qu'elles tapissaient: leur fronde ou les tronçons de leur fronde étant couverts de sédiments et occupant la partie inférieure du lit en voie de formation. Remarquons cette circonstance que le relief de l'empreinte occupe constamment le plan inférieur de l'assise et que le creux se trouve imprimé à la superficie de l'assise sous-jacente. Or, pour produire un pareil effet, il faut, ainsi que le fait observer M. le comte de Saporta, que le corps organisé soit de telle nature que d'abord ferme et assez résistant pour donner lieu à un moule, il se détruise ensuite et disparaisse, comme peut seulement le faire un organe cartilagineux et charnu qui se décompose, mais seulement après avoir été recouvert et emprisonné par la vase. La pression venant d'en haut doit entraîner à la longue le remplissage du moule et assurer la conservation du relief inférieur par un résultat inévitable de cette pression.

Dans une lettre qu'il nous écrivait à la date du 3 juin dernier, M. de Saporta nous faisait remarquer qu'il possède des rhizomes de Nymphea tertiaires dont la conservation a été due à un résultat absolument pareil. Un corps totalement mou, nous disait-il, disparaîtrait sans laisser de traces; un corps dur résisterait jusqu'au bout et laisserait après lui un vide s'il venait à disparaître à la longue; mais un corps charnu et cartilagineux doit produire l'effet auquel nous devons les Bilobites, et c'est pour cela que je crois que ce sont des algues.

Le nom de Bilobites, ajoute le savant paléontologiste d'Aix, est bien mauvais; il ne signifie rien; et quant aux pas-de-boeuf, je comprends, grâce à vous, qu'ils correspondent aux creux occasionnés par la partie la plus saillante des tubes accolés; mais l'erreur est venue surtout de ce que l'on supposait ces sortes d'empreintes comme étant terminées aux deux extrémités, et en examinant les reliefs, on reconnaît que cette terminaison n'existe pas. Pour M. de Saporta, les tubes et les cylindres accolés et soudés représentent le support inférieur ou partie stipale de grands phyllomes cartilagineux subdivisés dans le haut. On conçoit, en effet, que cette partie qui devait être la plus épaisse et offrir le plus de résistance se soit conservée de préférence et que ce soit elle que l'on retrouve le plus ordinairement; mais l'extrémité tout à fait inférieure de ce support, formé d'un cylindre géminé, devait aboutir en bas à un cylindre unique, et, dans le haut, les deux cylindres devaient se subdiviser et donner naissance à des ramifications vagues, mais toujours formées d'accolades de parties cylindriques. Nous nous appliquons à recueillir des moules de ces divers points, soit les cylindres isolés, soit les cy

lindres géminés aux endroits où ils donnaient lieu à des ramifications; nous espérons être bientôt en mesure de fournir les éléments qui permettront de reconstituer l'ancienne algue.

Ainsi, la recherche de l'explication des empreintes connues sous le nom de pas-de-bœuf va conduire probablement à déterminer la véritable nature des Bilobites, et ce sont les grès de Bagnoles qui auront fourni, en plus grande quantité, les matériaux de cette restauration.

Le grès de Bagnoles appartient à cet étage du Silurien inférieur désigné sous le nom de grès à Tigillites, couches à lingules, et qui paraît devoir porter désormais le nom de grès armoricain.

En outre des grandes empreintes bilobées, la plaque des Vauxd'Aubin en présente un grand nombre de plus petites et à peu près circulaires (les bouts de la canne de la Calotte rouge) (1), qui se retrouvent également à Bagnoles, et qui doivent être rapportés au genre Rysophycus, ainsi que l'avait pensé M. Joachim Barrande. MM. de Tromelin et Lebesconte ont appliqué à cette espèce le nom de Rysophycus Barrandei, par lequel ils remplacent celui de Arenicola baculipuncta, donné à ces empreintes par Salter, qui les avait considérées comme étant des traces d'annélides.

C'est au Vermiculites Panderi (Rouault) qu'il faut rapporter cette autre empreinte en forme de virgule dont parle M. de la Sicotière; on la rencontre par centaines sur plusieurs plaques de grès de Bagnoles, mélangée avec de longues traînées qui sont probablement ce que Munster a désigné sous le nom de Lumbricaria.

Les Vermiculites Panderi et les genres Daedalus et Vexillum, dont on voit plusieurs espèces sur les grès de Bagnoles, sont encore relégués aujourd'hui parmi ces corps incerta sedis qui n'ont pas été étudiés suffisamment pour permettre de leur assigner leur véritable place. Dans tous les cas, si l'on reconnaissait que le genre Vermiculites doit être classé parmi les végétaux, il faudrait nécessairement changer son nom. Le grès silurien de Bagnoles offre des Tigillites en abondance dans certaines couches et, beaucoup plus rarement, des Brachiopodes. Nous

(1) Voici, d'après un historien local, M. Chrétien de Joué-du-Plain, la tradition qui se rattache aux empreintes de pas et aux trous du bout de la canne :

La Calotte rouge portait une longue tunique blanche et sa tête était couverte d'une calotte > rouge; on ne pouvait comprendre son langage; ses manières étaient polies; il avait des > jambes de bœuf et des cornes au front, Dans les froides nuits d'hiver, la Calotte rouge se ren> dait quelquefois chez les villageois du voisinage et venait sans façon s'asseoir au coin de leur » foyer; mais en entrant dans la maison, il cachait avec soin ses jambes sous sa tunique et » dissimulait ses cornes sous sa calotte. Il écoutait silencieusement la conversation et souvent une larme venait mouiller ses yeux. Un propriétaire, voyant que l'herbe de son pré, voisin > du rocher, diminuait chaque jour, se rendit sur le lieu à minuit; à son arrivée, il vit la » Calotte rouge sur le rocher, qu'il frappait du bout de sa canne en se promenant; la Calotte ⚫ rouge ayant aperçu le visiteur, fit un signe à ses bœufs, qui se dirigèrent à l'instant vers le > rocher qu'ils gravirent. La Calotte rouge et ses bœufs disparurent bientôt dans la vallée. Le » lendemain on remarqua, pour la première fois, les glissades des bœufs et les trous du bout de

» la canne. »

avons eu cependant la bonne fortune d'y recueillir plusieurs espèces de Lingules et d'Obolus que nous avons signalées dans une note précédente.

S'ils continuent d'être exploités, les grès de Bagnoles réservent encore au géologue plus d'une découverte, et les fossiles mis au jour ne seront pas certes les moins intéressants, puisqu'ils nous aideront à reconstituer la population, encore si peu connue, des mers les plus anciennes.

M. le Comte de SAPORTA

Correspondant de l'Institut.

TYPES DE VÉGÉTAUX PALÉOZOIQUES NOUVEAUX ET PEU CONNUS.
(EXTRAIT DU PROCÈS-VERBAL.)

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M. le COMTE DE SAPORTA Communique des observations sur plusieurs types de végétaux paléozoïques : ce sont des végétaux marins provenant de divers points du continent européen et de la base du terrain silurien. Il s'agit donc des plus anciens vestiges de la végétation primordiale, et la première question qui se pose consiste à déterminer la nature vraie de ces vestiges. Trois types ont été particulièrement l'objet de l'examen de M. de Saporta; ce sont les Tigillites et les Bilobites ou Cruziana, considérés par les uns comme des algues, par les autres comme des animaux, puis les Eophyton signalés en Scandinavie par M. Torell, et que M. Nathorst pensait dernièrement avoir été produits par des traînées d'objets inertes qui auraient rayé le fond des mers de l'époque, sous l'impulsion du mouvement des vagues.

Les Tigillites doivent être mis de côté; M. de Saporta combat l'opinion exprimée récemment à leur égard par M. Crié : ce ne sont pas pour lui des végétaux, mais des tubes d'annélides arénicoles. Effectivement les Tigillites constituent des corps cylindriques associés en colonies, disposés verticalement, occupant encore dans le grès armoricain leur position naturelle, et devenus solides par remplissage. Leur aspect, leur dimension, les zones obscures d'accroissement encore visible à leur surface, leur mode de terminaison inférieure, en un mot tous leurs caractères visibles, les rapprochent des Spirographis des côtes actuelles de la Méditerranée. Cette opinion est celle de M. le professeur Marion, dont une note se trouve jointe au travail de M. de Saporta.

Si les Tigillites doivent être exclus du règne végétal, en revanche les Bilobites et les Eophyton sont bien de véritables plantes marines, fort singulières cependant, puisque rien de ce qui existe parmi les algues de nos jours ne saurait leur être comparé. M. de Saporta s'appuie, pour établir la nature végétale de ces corps sur une particularité du mode de fossilisation qui nous les a conservés. Ils apparaissent en demi-relief à la partie inférieure des

couches ou lits où on les observe, et sont toujours imprimés en creux sur la face contiguë de la couche subjacente. Ce demi-relief, suffisant pour montrer l'aspect vrai et tous les détails d'organisation extérieure de l'ancienne plante, résulte forcément de l'enfouissement d'un corps charnu ou cartilagineux qui, après s'être moulé dans le sédiment, aurait ensuite disparu en se décomposant comme il arrive à des végétaux ayant une semblable consistance.

La pression imprimée par le poids des couches en voie de formation suffit alors pour opérer le remplissage de la moitié inférieure du moule, en effaçant tout le reste, et le relief ainsi reconstitué se trouve incorporé à la roche. Le même effet s'est produit dans la fossilisation de plusieurs plantes aquatiques et charnues du terrain tertiaire, entre autres des rhizomes de Nymphæa. Les Eophyton et les Bilobites n'ont entre eux d'autre trait de ressemblance que le mode commun de fossilisation; ils ont dû constituer deux genres ou même deux familles très-distinctes.

Les Eophyton sont des corps cylindriques (tiges ou phyllomes) plus ou moins allongés, peut-être ramifiés dans le haut ou dilatés et comprimés latéralement, mais toujours marqués de stries et de cannelures fines, régulières et longitudinales, qui affectent, dans beaucoup de cas, l'apparence de véritables

nervures.

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Les Bilobites ou Cruziana, auxquels ce dernier nom devrait être appliqué de préférence, se composent essentiellement de deux parties convexes ou cylindroïdes accolées, marquées à la surface de stries sinueuses et obliquement dirigées. La grande dimension relative de ces accolades empêche de les suivre à la surface de la roche, et d'obtenir l'ensemble d'un individu avec la terminaison supérieure de la fronde ou phyllome auquel il donnait lieu. · II résulte pourtant d'un certain nombre d'empreintes remarquables, recueillies par M. le professeur Morière, de Caen, que les accolades, d'abord simples, se compliquaient ensuite en se ramifiant et donnaient lieu dans le haut à une expansion gaufrée, sinueuse, relevée par des convexités dont on retrouve des fragments plus ou moins étendus. On observe en outre sur une foule de points, à la superficie du phyllome, des Cruziana, des cicatrices d'insertion, qui semblent provenir de radicules ou d'organes fructificateurs qui auraient laissé, après leur chute, la trace de l'endroit où ils étaient attachés.

Malgré des particularités aussi frappantes, il paraît impossible de marquer la véritable affinité des Eophyton et des Cruziana que rien ne rappelle dans la nature actuelle, à moins qu'on ne veuille reconnaître en eux des Algues éteintes alliées de loin à celles de la tribu des Caulerpées.

DISCUSSION.

M. CAPELLINI appelle l'attention sur le peu de variabilité de ces types d'Algues inférieures dans la série des formations géologiques; les mêmes types d'Algues se trouvent dans le T. silurien et le T. crétacé c'est alors qu'ils disparurent. M. CH. BARROIS fait remarquer qu'on peut comparer les Tigillites à des formes

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