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de Lamarck, espèce méditerranéenne bien connue, assez commune dans le Levant, sur les côtes de Syrie (Nassa circumcincta, Adams), beaucoup plus rare dans la Méditerranée occidentale (Sicile, Corse, Provence) et qui n'a pas encore été signalée sur les côtes mêmes de l'Algérie, (V. Weinkauff) quoiqu'elle s'y trouve aussi vraisemblablement. Cette Nasse est indiquée par M. de Monte-Rosato comme se trouvant en Sicile dans la zone des laminaires; elle est peut-être plus littorale encore dans le Levant.

On voit de suite la différence capitale qui sépare les faits observés par M. Desor de ceux que j'ai précédemment rapportés. Ici ce ne sont plus des coquilles trouvées à la surface du sol, comme. l'Arca rhombea du Mel'rhir, ou roulées dans des petites dunes mouvantes avec des Mélanies, comme les coquilles de Sedrata; ce n'est plus même le C. edule des Dayas de Habessa, trouvé bien en place, il est vrai, mais uniquement associé à des Mollusques d'eau douce, nombreux et variés, dans des fonds de marécages qu'on ne peut pas appeler marins. Ici ce sont trois espèces marines, littorales, de la Méditerranée, associées sans mélange d'espèces d'eau douce, dans des couches sédimentaires régulièrement stratifiées et antérieures aux grandes érosions de la région.

En présence de telles circonstances, M. Desor n'hésite pas à dire qu'il y a là la preuve matérielle de l'existence de la mer saharienne, au moins jusque dans la région basse et profondément déprimée du Chott Mel'rhir.

Je ne trouve pas les faits aussi concluants qu'ils le paraissent à M. Desor, et je lui demande la permission de lui soumettre les observations suivantes qui sont d'ailleurs de ma part des observations théoriques, puisque je n'ai pas été sur les lieux; j'ai seulement vu les coquilles :

Premièrement, les sables stratifiés de Bou Chana, d'après la description et le dessin qu'en donne M. Desor et d'après ses expressions mêmes, ont toute l'apparence d'une stratification torrentielle. Leur nature, leur disposition en couches obliques coupées par des couches horizontales en discordance, semblent rappeler tout à fait la disposition des alluvions fluviatiles anciennes de la Bresse ou celle du diluvium de la vallée de la Seine, avec laquelle les géologues parisiens sont familiarisés. Géologiquement, rien ne prouve que ce soit là des dépôts marins; ils ont au contraire toute l'apparence de dépôts fluviatiles, torrentiels, de dépôts diluviens en un mot.

Deuxièmement, si ce sont des dépôts diluviens, il n'est pas plus singulier d'y trouver des coquilles marines ou autres, remaniées, qu'il ne l'est d'en trouver dans les alluvions de la Bresse ou dans le diluvium de Paris, où les fossiles des formations sous-jacentes sont si abondants

par places avec les débris de l'industrie humaine préhistorique et avec les coquilles ou les animaux de la faune diluvienne elle-même.

Dans ce cas, le Cardium edule de Bou Chana et de G'mar pourrait ne pas être réellement en place, mais remanié et entraîné là d'un point quelconque d'une région où il a été très-abondant et où on l'a trouvé si souvent, même en amont du point en question.

En y réfléchissant, on peut en dire autant des débris de Balanes. Quoique ces débris n'aient pas encore été signalés ailleurs qu'à Bou Chana, les Balanes cependant peuvent avoir vécu sur quelques points des Chotts avec les Cardium edule et dans les mêmes conditions qui n'entraînent pas forcément la supposition d'une grande mer saharienne. Les Balanes sont littoraux comme le C. edule; sur nos côtes de l'Ouest et du Sud-Ouest, ils vivent dans des eaux saumâtres et peuvent même résister quelque temps au contact des eaux douces; ils pullulent, sur les jetées et sur les épis, à la limite supérieure du balancement des marées et restent longtemps à l'air libre (Fischer, Mollusques du dép. de la Gironde). Ils peuvent si bien s'accommoder des conditions biologiques du C. edule, que j'ai reçu des lagunes d'Odessa une quantité de coquilles de cette espèce sur lesquelles adhéraient des Balanes. Ils peuvent donc avoir vécu ensemble dans la région orientale des Chotts et leurs débris peuvent avoir été ensuite emportés et remaniés ensemble dans le diluvium de Bou Chana.

La Nassa gibbosula est plus embarrassante. C'est une coquille marine, plus vraiment marine que les Cardium ou que les Balanes, et de plus, c'est une coquille considérée comme rare. On est étonné de la trouver dans les dépôts de Bou Chana; si ces dépôts ne sont pas des dépôts marins, comment y expliquer sa présence? J'ai eu entre les mains cette coquille, qui m'avait été communiquée obligeamment par le musée de Zurich auquel elle appartient, et je l'ai montrée à la Société géologique. C'est un échantillon extrêmement roulé (parfaitement reconnaissable d'ailleurs, il n'y a pas de doute possible sur l'espèce), mais encore frais et légèrement coloré, ayant à peine l'apparence subfossile, et percé sur le dos, accidentellement et par usure? ou intentionnellement? Plusieurs personnes qui l'ont vue ont pensé que cette coquille avait été perforée par le fait de l'homme, peut-être de l'homme préhistorique? Cela est possible, en effet, et à l'appui de ce sentiment, je rappellerai ce fait curieux, et bien topique, que la Nassa gibbosula, coquille rare, je le répète, de la Méditerranée, mais à cause de cela même, sans doute, recherchée par les anciennes populations préhistoriques, grands amateurs de coquillages, a été trouvée par M. Rivière dans la grotte célèbre de Grimaldi, près Menton; et bien plus, par M. Massénat, dans la grotte de Laugerie-Basse, en Dordogne, avec deux autres coquilles de la Médi

terranée, Cypræa pirum, et C. lurida. (V. Fischer, Bull. Soc. Géol., 1876. Coq. des cavernes). Si la Nassa gibbosula a été portée jusque dans la Dordogne par l'homme de l'âge de la pierre, il n'est pas impossible assurément de supposer qu'elle ait été portée, de son fait aussi, du littoral méditerranéen dans le Souf qui n'en est pas bien loin et où l'âge de la pierre est bien constaté, et que là elle ait été saisie par les phénomènes diluviens qui l'ont entraînée et associée, par un hasard singulier, je l'avoue, à deux autres coquilles marines dans les sables de Bou Chana (1).

En résumé, je maintiens les conclusions sommaires que j'ai données sur ce sujet à la Société géologique dans une communication récente et que j'ai seulement voulu développer dans la présente note:

1° Le Cardium edule a vécu en place, pendant l'époque quaternaire, dans les divers bassins saumâtres, Chotts, Sebkas, ou Dayas, où l'on trouve aujourd'hui ses nombreux débris à des altitudes très diverses, depuis le niveau de la mer ou au-dessous près des Chott-Mel'rhir et Chott-el-Rharsa, dans la région orientale, jusqu'à + 80 mètres près d'Ouargla vers le sud, et jusqu'à 400 mètres et au-delà dans la région occidentale des Dayas de Habessa; sa présence dans ces lieux et sa coexistence avec des coquilles d'eau douce ne prouvent pas l'existence de la mer sur ces points;

2o Les coquilles marines trouvées près du Chott Mel'rhir par M. Parisot, ou près d'Ouargla par M. Thomas, ne sont pas en place; leur présence à la surface du sol ou dans des sables en mouvement, sur les anciens chemins des caravanes ou dans le voisinage des oasis habitées, doit être attribuée au fait de l'homme, même pour quelques espèces que leur origine lointaine et probablement orientale rend plus singulier de rencontrer dans le Sahara algérien ;

3o Il en est de même, sans doute, des coquilles marines trouvées par M. Desor dans les sables stratifiés de la région du Souf; elles peuvent être considérées comme des coquilles remaniées et emballées dans un dépôt diluvien d'origine continentale.

Jusqu'à présent, les faits conchyliologiques (2), cités à l'appui de l'exis

(4) Pendant que je rédige cette note, je reçois de M. le professeur Issel, de Gênes, le renseignement suivant: M. Bellucci, membre de la mission italienne en Tunisie, lui a communiqué trols coquilles subfossiles: Pectunculus violacescens, Murex trunculus, et NASSA GIBBOSULA, recueillies par lui près de l'embouchure de l'Oued Akarit, c'est-à-dire sur le littoral de la grande Syrte, au nord du seuil même de l'isthme de Gabès. Je n'ai pas d'autre indication. C'est dans les berges de ce même Oued Akarit, je ne sais pas à quelle distance de la mer, que M. Pomel a recueilli un silex taillé à la partie inférieure d'un dépôt limoneux à coquilles fluviatiles; je présume que ce n'est pas sur le même point qu'ont été recueillies les coquilles marines littorales de M. Bellucci. En tout cas, ce renseignement prouve que la Nassa gibbosula a vécu. si elle ne vit pas encore, sur le littoral tunisien le plus voisin des Chotts, quelles que soient les conséquences à en tirer; et c'est pour cela que je signale le fait.

(2) Je n'ai parlé dans cette note que des coquilles marines. Cependant M. Bourguignat, le savant auteur de la Malacologie terrestre et fluviatile de l'Algérie, s'est appuyé sur la présence

tence d'une mer saharienne récente, même restreinte à la région la plus déprimée du Sahara oriental, ne sont pas concluants en faveur de cette hypothèse.

Sans rien retrancher à ces conclusions, je considère cependant qu'elles doivent être confirmées par les observations ultérieures. L'impossibilité que la mer quaternaire ait jamais pu, à aucun moment, pénétrer au moins dans la dépression orientale du Sahara algérien et tunisien, n'est pas encore absolument démontrée pour tout le monde. Le relief actuel de ce Sahara est maintenant bien connu, il est vrai, et c'est un grand point qui a été acquis par les travaux récents des explorateurs et des géologues. Mais il ne faut pas oublier que la Méditerranée et surtout la partie de la Méditerranée qui avoisine les États Barbaresques, partie qui est encore aujourd'hui le siége d'une grande activité volcanique, a été le théâtre de phénomènes géologiques considérables et incontestables depuis le commencement de l'époque quaternaire. Le rapport actuel des terres et des mers dans. ce bassin, où l'on trouve de très-grands fonds séparés par des hauts-fonds remarquables, a été précédé par des oscillations dont l'histoire est encore bien confuse. La Sicile et Malte n'ont été détachées des continents voisins que depuis l'époque des éléphants, puisqu'on a trouvé, même sur l'ilôt de Malte! les débris fossiles de ces animaux. Les petites îles du littoral septentrional de l'Afrique, étudiées par M. Vélain, avec leurs tufs et leurs dépôts récents à coquilles terrestres, ont été détachées de la terre ferme antérieurement à la distribution géographique actuelle des mollusques de l'Algérie. Le rocher isolé de Lampedusa a gardé des mollusques particuliers, tout comme Malte et les Baléares. Dans le golfe de Gabès, les îles de Kerkena et de Djerba ont aussi probablement fait partie de la terre ferme, d'après M. Pomel, à une époque quaternaire antérieure à la fixation actuelle du rivage tunisien et au relèvement de quinze mètres du cordon littoral coquillier que l'on observe sur toute cette côte. Sur le continent même, l'altitude insolite

au pied méridional de l'Atlas d'un certain nombre d'espèces de mollusques terrestres, considérées comme espèces littorales ou submaritimes (Helix candidissima, H. lauta,H. variabilis, H. acuta, etc., Bulimus decollatus, etc.), pour en conclure à l'existence d'une gran mer saharienne, d'un grand océan dont il a tracé les limites sur une carte jointe à son ou e. J'avoue que je ne puis que m'associer aux objections qui ont été déjà faites par M. Pomela cette argumentation. La présence de ces espèces ne prouve pas nécessairement le voisinage de la mer; elle prouve seulement la rencontre dans le climat, dans le sol siliceux ou salifère, dans la végétation par conséquent de la région des Cho:ts, de conditions biologiques favorables à la diffusion de ces espèces, qui ont pu ainsi se propager de proche en proche, soit du nord au sud, soit de l'est à l'ouest, loin du littoral leur point de départ. Puisque ces espèces vivent aujourd'hui dans cette zone loin de la mer, elles ont pu y vivre anciennement dans des conditions déjà semblables. Leur présence actuelle dans cette région prouve précisément que le voisinage de la mer ne leur est pas indispensable on ne peut donc pas conclure de cette présence actuelle à l'existence necessaire d'une ancienne et vaste mer dans la même région.

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de certains poudingues de l'Algérie, la masse énorme des sédiments limoneux des hauts plateaux, des cuvettes des chotts, des ghours des Dayas ou des Sebkas sahariennes, etc., sont des faits encore inexpliqués. Il y a là des questions de géologie pure, d'oscillations ou de fractures du sol, sur lesquelles les géologues même qui ont étudié le pays ne sont pas d'accord et qui laissent encore beaucoup d'obscurités dans l'esprit de ceux qui lisent leurs travaux. Tout ce que j'ai voulu dire, je le répète, à propos de quelques faits conchyliologiques qui touchent à ces grandes questions, c'est que ces faits ne me paraissent pas, jusqu'à présent, concluants en faveur de l'hypothèse de la mer saharienne, quoiqu'ils ne soient pas contradictoires avec cette hypothèse.

Fig. 1a, 1, 1°.

EXPLICATION DE LA PLANCHE VI.

· Cardium edule, variété Byzacena, de l'oasis de Mtoudja (?), Tunisie intérieure. Expédition italienne aux Chotts de Tunisie (Musée civique de Gênes). Fig. 2a, 2b, 2o. Cardium edule, variété solide, du Chott Mel'rhir. Expédition Roudaire et Le Chatellier (École des Mines de Paris).

Fig. 3 et 4.

Cardium edule, id. minor, du Chott Mel'rhir. Expédition Roudaire et Le Chatellier (École des Mines de Paris).

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Le Chatellier

Fig. 6. d'Ouargla

Fig. 7, 7

Cardium edule, variété fragile, du Chott Mel'rhir. Expédition Roudaire et (École des Mines de Paris).

Cardium edule, variété fragile, de l'oasis ruinée de Sedreta, au sud {M. Thomas).

et Fig. 8.- Cardium edule, variété fragile, des Dayas de Habessa. Expédition Marès (École des Mines de Paris).

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COMPARAISON DE LA FAUNE DE CETTE GROTTE AVEC CELLE DES CAVERNES DES BAOUSSÉ-ROUSSÉ, DITES GROTTES DE MENTON.

La grotte de Grimaldi, sur laquelle je demande la permission d'appeler quelques instants l'attention des membres de la section de géologie, a été découverte fortuitement, à la fin du mois de novembre 1872, dans une carrière en exploitation pour les travaux du port de Menton, distant de ce point de deux à trois kilomètres.

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